S'il est vrai que Toys R(are) us, que nous sommes nos jouets...alors...

Hélène Laberge

Et s'il est vrai que nous devenons ce que nous regardons...

Chers parents et grands-parents déjà lancés dans la course aux cadeaux de Noël, serez-vous comme moi ahuris par ceux que vous proposent pour vos enfants et petits-enfants Toys R us et Walmart? Arrêtons-nous au nom célèbre du marchand de jouets américain : car puisque les jouets sont (are, ce que signifie la lettre R) ce que nous sommes, dites à Socrate que l'Amérique remplacé son précepte, connais-toi toi-même, par Toys are us!   Et vous verrez que les jouets proposés aux enfants, filles et garçons, relèvent d'une très subtile ou plutôt très évidente conception de leur avenir : dans le cas des filles, il est proposé des Disney Princess avec un rabais de 25% sur tous les costumes, histoire bien sûr d'ouvrir plus grand votre porte-monnaie. Sept mini princesses en robes longues et scintillantes, le genre de robe qu'une femme porte peut-être à son premier bal, plus vraisemblablement à sa graduation du secondaire, et qui achèvera de se ternir dans le fond d'une penderie, étouffée par les jeans et la dernière édition des Tshirts devenus des résumés de livres ou de vidéos! En attendant ce grand jour, l'image des robes de princesse s'inscrit dans la petite tête de votre fille ou petite-fille et surtout celle du destin à venir d'un mariage princier...

Dans ce catalogue, les Barbies proposées sont peu visibles. Allons plutôt feuilleter celui de Walmart : des très jeunes femmes inimaginablement maigres , déployant des jambes filiformes dont les mini pieds sont chaussées de souliers d'une extravagance excluant le confort le plus élémentaire. Mais là les Barbies ont des concurrentes : les poupées dites « Monster High ». Longues chevelures couleur turquoise, mauve, ou brun-violet! Les jambettes sont recouvertes de collants évoquant soit les rayures des pénitenciers, soit des zizzag de chaînes. Les visages sont tout en yeux, soulignés par des maquillages dignes de ces dames qui arpentent les rues obscures dans des quartiers surveillés par les forces de l'ordre! Vous pouvez aussi offrir des poupées dites High rebels ou Royals. Je renonce à décrire leur accoutrement; vous serez pantois devant l'imagination délirante des designers. L'une des rebels a une tasse à café sur la tête. Mais vous pouvez aussi jeter un œil sur les poupées Fairies de luxe, munies d'ailes comme des papillons avec des jambes inspirées par les pattes des araignées. Il y a aussi la poupée fée volante dont les bras maigres sortent d'un corsage strapless mais dont les ailes retombent comme deux volants jusqu'aux genoux.

Mais la poupée dont l'invention mériterait un prix d'horreur : c'est la poupée « Equestria girls», de quoi épouvanter son cheval, avec sa crinière déployée jusqu'à ce bas du dos qui perd son nom! Une crinière donc de couleur orange et bien frisottée et surmontée d'une mini couronne. Elle porte une légère camisole, une jupette courtette et surtout, surtout des bottines orange montant jusqu'aux genoux, et  décorées d'un lacet jaune vif. Il faut plaindre le cheval soumis à de pareils étriers!!! Il est vrai que la pouliche offerte à cette cavalière est une reconstitution d'on ne sait quel animal; toujours est-il que little pony est offert à 4.94$, il est en peluche rosâtre et porte un masque digne des bals des temps jadis, surmonté d'un trio de ballons vert et jaune. Quelle joyeuse cavalcade!

Enfin comme dit la pub :« Émerveillez votre fillette, crééez un monde imaginaire» : Les poupées Lalaloopsy s'en chargeront. Je renonce à les décrire car elles ont toutes sans exception les pieds tordus et sur la tête, des potiches vaguement taillées en perruques qui vont du rose au mauve, au vert, et bien sûr à l'oranger! Ne vous en prenez qu'à vous si votre benjamine de 3 ans se met à les imiter.

Assez parlé fillettes. Allons voir du côté des garçons. Toys R us fait preuve à l'égard de la force, des batailles et de la guerre, et pas seulement celle des étoiles, d'un préjugé favorable très net. À seulement 20$, vous pourrez offrir à votre fils ou petit-fils la figurine Hulk, cet affreux athlète vert et jaune aux muscles disproportionnés, au visage à la grimace haineuse, de quoi faire faire des cauchemars à votre enfant sensible. Mais la figurine électronique Wolverine ou celle de l'Iron Man portant en sous-titre «Puissance», pour être mieux proportionnées lui feront-elles faire de beaux rêves? À vous de juger. Si vous vous rabattez sur des accessoires, les énormes gants de combat de Hulk devraient faire fuir tous les adversaires de votre enfant. À exclure de vos cadeaux s'il est déjà trop combattif! S'il est du genre à épater ses amis, offrez-lui à 29,97 dollars (prix de solde) «le véhicule arachnomoto qui roule sur les murs et même à l'envers». Dans l'espoir qu'ils ne sont pas couverts d'une peinture récente!!! Et surtout que ce jouet inusité ne fera pas faire à Noël un arrêt cardiaque à des invités au cœur fragile!

La décence devrait m'empêcher de vous présenter un dernier jouet dont je donnerai le nom anglais pour les familiers de cette langue, le Fart Blaster, (traduction du catalogue : le Super-flatuleur , à 36,99$). Mais rassurez-vous, l'odeur qu'il dégage n'est pas une odeur, comment dire, biologique. Il émet un parfum de banane mais en revanche il imite à merveille les sons que vous savez mais comme il est bien élevé, il les accompagne de «lumières qui changent de couleurs».

Moins risible est le coffret lance-missiles en solde à 44.97$. Quant aux chasseurs de bête, des créatures sans têtes, composées d'une juxtaposition d'ailes de chauve-souris-vampires, de muscles hulkiens, de pattes de dinosaures munies de griffes et brandissant d'étranges objets meurtriers, de quel imaginaire sont-ils sortis? On ne rit plus devant eux. On est horrifié.

S'il est vrai qu'on devient ce qu'on regarde, que les jeux et les jouets de notre enfance nous imprègnent jusqu'à la fin de nos jours, que puis-je ajouter? Allez donc visiter les marchés de Noël des artisans de votre région.

   

À lire également du même auteur

Gasterea, la dixième Muse
D"abord paru dans la revue Critère, No 8, L'art de vivre,, Montré

Histoire de la nourriture: des rôtis de la préhistoire à l'abondance romaine
Dans cette série de coups d'oeil sur l'histoire de la nourriture, le fil conducteur e

Histoire de la nourriture: d'Apicius à Taillevent
Dans cette série de coups d'oeil sur l'histoire de la nourriture, le fil conducteur e

Histoire de la nourriture: de la Renaissance à Brillat-Savarin
Dans cette série de coups d'oeil sur l'histoire de la nourriture, le fil conducteur e

Histoire de la nourriture: les rapports Nord-Sud
Dans cette série de coups d'oeil sur l'histoire de la nourriture, le fil conducteur e

Histoire de la nourriture: de l'art culinaire aux sciences de la nutrition
Dans cette série de coups d'oeil sur l'histoire de la nourriture, le fil conducteur e




Articles récents