Respecter la nature, est-ce le comble de l'artifice ?

Pierre-Jean Dessertine

L'homme retourne la terre : c'est comme cela qu'il peut planter ses salades, semer son blé, etc.

 Jan I Brueghel, Laboureur, à la charrue traînée par deux chevaux

Laboureur, à la charrue traînée par deux chevaux, par Jan I Brueghel
Dessin, fin XVIe s. - début XVIIe s. Palais des Beaux-Arts de Lille
© RMN / Hervé Lewandowski

Enfin, il la retourne moins maintenant que les mastodontes tracteurs le font à sa place.
Mais ce que je veux dire : que l'homme retourne la terre ne pose aucun problème écologique.
Les fourmis, elles aussi, retournent la terre ; et les taupes !
Le problème n'est pas, en soi, de retourner la terre.
Le problème, c'est pourquoi on la retourne.
Là s'oppose le jardinier du dimanche ou le petit agriculteur vivrier d'une part, et l'agriculteur qui retourne au tracteur la terre sur des centaines d'hectares en traçant de profonds sillons.
Le premier vit sa vie humaine d'interaction avec la nature, laquelle est nécessaire ; le second fait de la terre un matériau à exploiter comme capital.
C'est la distinction entre le but d'entretenir la vie et celui d'accumuler de la valeur d'échange (de l'argent) qui fait la différence essentielle du point de vue de l'écologie des comportements humains.
Mais ni dans l'un, ni dans l'autre, il n'y a respect de la nature.

Par contre, dans l'un, il y a respect de la vie humaine, pas dans l'autre où elle est sacrifiée à une passion de cupidité.
Vivre humainement, ce n'est certes pas dévaster des paysages pour satisfaire une passion, et n'en être jamais content.
Mais ce n'est pas non plus éviter de retourner la terre et demander pardon à la branche que l'on casse.
J'allais dire : il n'y a rien de plus artificiel que de respecter la nature !

Notre époque apparaît osciller entre respecter la nature et courir la valeur d'échange : deux expressions d'une même aliénation humaine, et qui s'appellent l'une l'autre.
La liberté humaine est entre les deux, ou plutôt ailleurs, dans une relation d'utilisation de l'environnement naturel pour entretenir sa vie ; et, l'entretien de sa vie acquis, dans le prélèvement sur l'environnement naturel de ce qu'il faut – mais il faut si peu, quand on n'est pas dans une logique passionnelle, eu égard à la prodigalité de la biosphère – pour faire des œuvres qui, valorisant l'humanité, donnent valeur à sa propre vie. Je m'appuie ici sur la distinction du travail et de l'œuvre chez Hannah Arendt

Respecter la nature ? Non !
Mais se respecter soi-même (et donc autrui son semblable).  Toujours !

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