Mère Teresa, témoignages convergents

Hélène Laberge

Mère Teresa, témoignages convergents

Table des matières

Le procès  1

La vie d’un secret  3

Autres mystiques  3

Notoriété subie  5

Le vide, encore le vide  6

Juger l’arbre à ses fruits  7

Notes  10

 

Par Hélène Laberge […]

Mère Teresa[1] est depuis sa mort en 1997 la cible de nombreuses attaques dont la plus récente est celle d’une recherche de Serge Larivée, professeur au Département de psychoéducation de l'Université de Montréal, et ses collègues Carole Sénéchal et Geneviève Chénard de la faculté des sciences de l’Éducation de l’université de Montréal, publiée dans Studies in Religion Sciences religieuses en mars 2013

Le procès

Une des façons de rétablir la vérité à son sujet c’est de répondre à la question que posait Louis Cornellier dans son article «Le mauvais procès fait à Mère Teresa» (publié dans le journal Le Devoir des 16 et 17 mars 2013) où il contestait le caractère scientifique de leur recherche : «Où est la science dans ce diagnostic sauvage, fondé sur celui de personnes qui n’ont jamais rencontré la  patiente?» Et il poursuit : «Il y a un bon procès de nature morale et idéologique à faire à mère Teresa. Larivée, Sénéchal et Chénard, en voulant jouer aux scientifiques sur un terrain ou les règles de la science ne sont pas appropriées, lui en font un mauvais, qui reprend essentiellement des faits déjà connus. Or on ne fait pas de la bonne morale avec de la mauvaise science.»

Des étudiants ont aussi contesté la recherche dirigée par Serge Larivée dans une lettre adressée au recteur de l’Université de Montréal, M. Guy Breton et à l’attachée de presse Mme Julie Cordeau Gazaille. Cette lettre a été publiée dans le journal de Montréal.

En voici un extrait : «Par leur ineptie, vos chercheurs ont terni le noble métier de chercheurs. Utiliser son doctorat pour mousser le prestige d’une «étude» aussi superficielle — et face au silence navrant de leurs pairs — ne fait-il pas courir le risque pour la communauté scientifique de n’être plus considérée que comme une bande de doctes rats? Et c’est l’objet de notre plainte, car il appert que l’utilisation de la notoriété scientifique pour attaquer cet emblème de l’altruisme que fut mère Teresa relève de la pure démagogie, pour ne pas dire de la folie… à moins que ce ne soit par une haine viscérale?»

Le procès que réclame le journaliste Louis Cornellier existe déjà, depuis la parution des écrits intimes de mère Teresa en 2007 (version anglaise) et 2010 (version française) par un de ses proches collaborateurs, Brian Kolodiejchuk, lui-même missionnaire de la charité[2]. À la lecture de ce livre rigoureux, fondé sur les écrits personnels de mère Teresa et sur les témoignages des sœurs et des personnes qui l’ont connue de près, la cause est entendue. Mère Teresa est plus qu’un «emblème de l’altruisme», elle incarne la forme la plus élevée de la compassion pour les plus pauvres des pauvres.

À l’origine d’une vocation exceptionnelle, la Lumière de Dieu éblouit certains êtres à un point tel que tout en eux leur apparaît néant. Ils ressentent alors le désir intense de se donner à Dieu. Et lorsque cette Lumière semble s’évanouir, ils doivent alors résister à la tentation de croire que cet éblouissement fut une illusion. Ils doivent refaire le chemin vers Dieu par pure foi, par amour, dans l’obscurité intérieure qui se substitue à la lumière entrevue. Or de cette nuit de l’âme que mère Teresa a connue d’une façon particulièrement douloureuse («une crucifixion», c’est ainsi qu’elle l’a décrite) jaillit une lumière extérieure, un rayonnement dont les saints sont inconscients mais que ressentent à leur contact tous ceux qui les fréquentent. C’est cette inspiration intense et continue qui poussera mère Teresa à s’établir à Calcutta et à fonder les Missionnaires de la Charité, les MC.

Comme témoin de première ligne, voici le témoignage du Père Brian Kolodiejchuk.

«Elle avait choisi son nom en souvenir de Thérèse d'Avila et de Thérèse de Lisieux. Et elle avait puisé son inspiration aux mêmes sources mystérieuses de l'amour du Christ. Elle fait partie de ces quelques fous (aux yeux du monde, dirait Paul de Tarse), les François d'Assise, Élisabeth de Hongrie, Vincent de Paul qui ont pris les conseils évangéliques au pied de la lettre: " Tout ce que vous ferez au moindre de ces petits, c'est à moi que vous le ferez. " Comme elles, autre trait qui la rend encore plus proche de tous ceux qui sont dans l'obscurité, Mère Teresa après l'illumination de sa vocation connaîtra cette nuit obscure qu'a décrite Jean de la Croix , l'envers de la lumière mais non sa négation.

La vie d’un secret


« ...il y avait un autre côté héroïque de cette grande femme qui fut révélé seulement après sa mort. Cachée aux yeux de tous, cachée même à ses plus proches, sa vie intérieure fut marquée par l’expérience d’un sentiment profond, douloureux et constant d’être séparée de Dieu, même rejetée par lui, accompagné d’un désir toujours croissant de son amour. Elle appela son expérience intérieure, "l’obscurité". La "nuit douloureuse" de son âme qui débuta à peu près au moment où elle commençait son travail pour les pauvres et qui continua jusqu’à la fin de sa vie, conduisit Mère Teresa à une union toujours plus profonde avec Dieu. A travers cette obscurité, elle participa mystiquement à la soif de Jésus dans son désir d’amour douloureux et ardent, et elle partagea la désolation intérieure des pauvres.» Fin de l’entrevue

Mère Teresa souhaitait garder secrète cette souffrance intérieure. Elle ne l’a confiée à personne de son entourage immédiat. Elle n’a révélé sa détresse que dans sa correspondance avec quelques prêtres qu’elle priait de détruire ses lettres. Ils ne l’ont pas fait car ils étaient tous convaincus que ce témoignage était d’une telle vérité, qu’il révélait une telle foi, un tel amour à travers cette nuit intérieure qu’elles devaient être conservées comme preuve de sa sainteté. Ajoutons, pour ceux qui mettent en doute le miracle de la guérison invoquée comme condition de sa béatification, que ce témoignage et bien évidemment l’œuvre entière de mère Teresa suffisaient à prouver sa sainteté!

Autres mystiques

Cette obscurité a été vécue par d’autres saints du passé, Jean de la Croix qui l’exprimera à travers sa divine poésie, Thérèse d’Avila et Thérèse de l’Enfant Jésus par leurs écrits intimes et d’autres saints inconnus du temps présent qui l’éprouvent en silence. Dans cette nuit de l’âme, la raison alors intervient sous la forme du consentement à ce qui a été entrevu, même si le voile momentanément déchiré s’est refermé, est devenu opaque. La plus haute inspiration, celle qu’a connue mère Teresa, est plus vraie, plus réelle que tous les sentiments qui y sont contraires. «En dépit de tout ceci (ce silence de Dieu) – je veux Lui être fidèle- me dépenser pour Lui, L’aimer non pour ce qu’il donne mais pour ce qu’Il prend – être à Sa disposition. »[3].Trois siècles auparavant, une Marie de l’Incarnation vivant à Tours (France) sera elle aussi poussée par une illumination divine à créer «une mission d’éducation des sauvages» dans ce Kanada, colonie alors froide et désolée où une poignée de Blancs affrontaient un climat et des tribus hostiles.

Une autre mystique, Simone Weil, a rigoureusement décrit cette relation avec un Dieu amour :

«Par-dessus l’infinité de l’espace et du temps, l’amour infiniment plus infini de Dieu vient nous saisir. […] Si nous consentons, Dieu met en nous une petite graine et s’en va. À partir de ce moment, Dieu n’a plus rien à faire ni nous non plus, sinon attendre. Nous devons seulement ne pas regretter le consentement que nous avons accordé, le oui nuptial. Ce n’est pas aussi facile qu’il semble, car la croissance de la graine en nous est douloureuse. De plus, du fait même que nous acceptons cette croissance, nous ne pouvons nous empêcher de détruire ce qui la gênerait, d’arracher des mauvaises herbes, de couper du chiendent; et malheureusement ce chiendent fait partie de notre chair même, de sorte que ces soins de jardinier sont une opération violente. […] Un jour vient où l’âme appartient à Dieu, où non seulement elle consent à l’amour, mais où vraiment, effectivement, elle aime. Il faut alors à son tour qu’elle traverse l’univers pour aller jusqu’à Dieu. […] Cet amour en elle est divin, incréé, car c’est l’amour de Dieu pour Dieu qui passe à travers elle. Dieu seul est capable d’aimer Dieu. Nous pouvons seulement consentir à perdre nos sentiments propres pour laisser passage en notre âme à cet amour. C’est cela se nier soi-même.[4]

Se nier soi-même! MT parlera du vide, du néant dans lequel elle aura été plongée. Mais si l’âme ressent douloureusement ce néant, ce vide, la personne demeure intègre et est perçue comme telle par son entourage. Lorsque, après sa mort fut révélée sa détresse intérieure, ses propres sœurs ont été stupéfaites. Et toutes ont décrit la joie qui émanait d’elle, son courage, l’amour dont elle les entourait, sa fidélité aux humbles travaux et soins de la vie de tous les jours. Lorsqu’elle allait vers les pauvres du quartier, a dit l’une d’entre elles, elle avait une allure si vive qu’il était difficile même pour les jeunes de la suivre. Aussi avait-elle pris l’habitude de partir seule. Elle-même dans une de ses lettres soulignait la paix intérieure qu’elle éprouvait alors auprès des démunis.

MT a été aussi attaquée de son vivant. En réponse à ses ennemis, elle écrivait ceci : «Il est bon que la Croix nous emmène à un Calvaire et non pas à un salon. – La Croix. – le Calvaire a été très réel depuis quelque temps. Les offenses ne me font plus mal mais ce qui me fait mal c’est le mal que s’inflige la personne à elle-même en faisant cela.»[5]

Notoriété subies

Elle a été une des femmes les plus connues sur la place publique à son époque. À ceux qui maintenant voient en elle une vedette soucieuse de son image, voici ce qu’ont révélé ses écrits : «Être une figure publique était une véritable souffrance, un «Calvaire» pour Mère Teresa et elle luttait énormément pour surmonter ses sentiments naturels. Pourtant, son sourire «un manteau» qui couvrait cette souffrance, empêchait les autres de sentir ce qu’il lui en coûtait de vivre sous les projecteurs.»[6] «Ces missionnaires de la Charité sont seulement Son œuvre. J’ai accepté de le faire seulement pour Lui (Dieu). C’est pourquoi je pense que tout ce qu’on peut dire (tous les éloges sur elle et sur l’œuvre) ne s’imprime pas dans mon âme – à cause de Lui.»[7]

Au Père Neumer qui lui disait : «Où que vous alliez les gens vous suivent comme une star de cinéma. Vous avez reçu tous ces prix prestigieux, […] vous avez rencontré les grands de ce monde, (suit une énumération allant du Pape en passant par le Président des États-Unis et la Reine Élisabeth, etc.). Comment supportez-vous toute cette admiration? Elle répondit : « Père, Jésus m’a donné une très grande grâce et celle-ci : la plus profonde conviction de mon total néant. S’Il avait pu trouver une femme plus pauvre pour accomplir cette œuvre, Il ne m’aurait pas choisi mais il aurait choisi cette femme.» Une autre fois, à la même question elle répondit simplement : «C’est une véritable crucifixion.»[8] […] Je suis si petite que toutes ces choses que les gens déversent sur moi – ne peuvent pénétrer en moi. […]

 Je souris en regardant le carton (celui dans lequel elle conservait ses prix, diplômes honoraires et autres distinctions) qui se remplit de toutes sortes de choses- des grandes choses que je ne comprends pas pour la plupart. Mais je sais que je suis un instrument – seulement pour et par elles afin qu’elles proclament la présence des pauvres – et leur souci des pauvres, et donc j’accepte tout avec le sourire en leur nom.»[9]

Le Pape Jean-Paul II connaissait bien mère Teresa qu’il avait reçue au Vatican. Lors d’une visite à Calcutta au mouroir de Nirmal Hriday, (la première maison qu’elle a créée et qui sera aussi celle où elle mourra en 1997 et où elle est inhumée), il décrira ainsi ce qu’il a vu :

«Nirmal Hriday est un lieu de souffrance, un foyer familier de l’angoisse et de la douleur, un foyer pour ceux qui sont démunis de tout et pour les mourants. Mais en même temps, Nirmal Hriday est un lieu d’espérance, une maison bâtie sur le courage et la foi, un foyer où règne l’amour, un foyer rempli d’amour. Là le mystère de la souffrance humaine rencontre le mystère de la foi et de l’amour[10]

Le vide, encore le vide

Sur ce vide que MT ressentait dans son âme et qui lui faisait croire qu’elle n’aimait plus, voici ce qu’elle écrit au Père Neuner : Père je voulais vous dire – combien mon âme désire ardemment Dieu- seulement Lui, combien il est douloureux d’être sans lui – combien mes pensées ne sont que les Sœurs et les Pauvres. […] (Ces pensées) sont ma prière elles sont ma vie même. – Je les aime autant que j’aime Jésus – et maintenant comme je n’aime pas Jésus – je ne les aime pas non plus. Je sais que ce ne sont là que des sentiments – car ma volonté est fermement liée à Jésus et donc aussi aux Sœurs et aux Pauvres.».[11]

Elle était consciente de cette séparation entre le vide de son âme et ses sentiments : «Grâce à Dieu nous ne servons pas Dieu avec nos sentiments, sinon je ne sais pas où je serais.» «Une fois que vous avez Dieu en vous, c’est pour la vie. Il n’y a pas de doute. Vous pouvez avoir d’autres doutes, bien sûr, mais celui-là, vous ne l’aurez plus jamais. Non, je n’ai jamais eu de doute […] Mais je suis convaincue que c’est Lui et non pas moi. C’est Son œuvre et non mon œuvre. Je suis seulement à Sa disposition. Sans Lui je ne peux rien faire. Mais même Dieu ne pourrait rien faire pour quelqu’un qui est déjà plein. Vous devez être totalement vide pour Le laisser entrer et faire Sa volonté. C’est ce qu’il y a de plus beau en Dieu, n’est-ce pas? Il est tout-puissant, et cependant ne S’impose jamais à personne.[12]

 

Dieu ne s’imposait pas à elle. Ce qui lui faisait écrire : «Comme il est terrible d’être sans Dieu. – pas de prière. – pas de foi. – pas d’amour. – La seule chose qui demeure encore – est la conviction que l’œuvre est Sienne – que les Sœurs et les Frères sont Siens. – Et je m’accroche.» Dans toute vie n’y a-t-il pas des événements qui requièrent ce courage et cette détermination pour rester fidèle à sa conscience?

 

Faut-il alors s’arrêter à ce combat intérieur et en faire une raison de nier l’œuvre et la pureté de Mère Teresa? Personne de son entourage immédiat ou lointain n’a pu soupçonner sa douleur intérieure ; dans les lettres adressées aux quelques prêtres à qui elle a révélé sa détresse elle les priait de les détruire. Ils ne l’ont pas fait car ils étaient tous convaincus que ce témoignage était d’une telle vérité, révélaient une telle foi, un tel amour qu’elles devaient être conservées comme preuve de sa sainteté. Pourtant, l’œuvre aurait pu suffire. : «Vous jugerez l’arbre à ses fruits.».

Juger l’arbre à ses fruits

Les Missionnaires de la Charité, soit 4 500 sœurs, s’occupent à l’heure actuelle de 610 missions réparties dans 133 pays. Leurs services sont offerts gratuitement à tous quels que soient leur religion ou leur caste sociale, aux réfugiés politiques, aux prostitués, aux malades mentaux, aux enfants abandonnés, aux personnes atteintes de maladies comme la lèpre, le sida ou la tuberculose. Dans la seule ville de Calcutta se trouvent 19 maisons pour les femmes, pour les orphelins, pour les mourants. Au nombre des exclus de la société, mère Teresa comptait les personnes âgées seules. Une solitude qu’elle voyait comme une forme très grande de misère dans les pays occidentaux.

Des médecins et des soignants qui ont visité certaines de ses maisons ont reproché à mère Teresa la pauvreté des soins thérapeutiques comparés à ceux des riches pays occidentaux. C’est ignorer le contexte terrible de pauvreté auquel elle a fait face à Calcutta en 1946. C’est aussi et surtout oublier l’inspiration qui a poussé mère Teresa vers « les plus pauvres des pauvres» : ceux qui se mouraient sur les trottoirs de Calcutta ou dans «les trous noirs», ces taudis où ils s'étaient réfugiés faute d'autres maisons plus salubres. Certains de ces malheureux étaient dans un tel état de saleté et de maladie que les hôpitaux eux-mêmes les refusaient! Elle les transportait dans le mouroir de Nirmal Hriday à Calcutta; elle les lavait, les mettait dans un lit décent et les aidait à mourir, dans une compassion enracinée dans ces paroles du Xst : «Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous le faites.» Florence Nightingale dans le contexte de la guerre de Crimée au milieu du XIXe siècle donnait elle aussi les premiers soins les plus élémentaires de l’hygiène car, à l’instar de l’Angleterre de l’époque, elle ne disposait que d’un minimum de médicaments.

Mère Teresa croyait, comme l’enseigne l’Église, que le Baptême ouvre les portes du ciel. Cela n’est pas une idéologie mais une croyance. Soulignons qu’elle respectait la culture religieuse de ses mourants et ne baptisait que les enfants abandonnés et qu’aucune famille ne réclamait. Quoi qu’il en soit, l’amour dont se sentait entouré le mourant n’était-il pas déjà une divine entrée dans la mort?

Citons à nouveau Louis Cornellier en réponse aux critiques de certains médecins (au fait, où étaient-ils lorsque foisonnaient les mourants dans les rues de Calcutta?) : «Soigner, pour mère Teresa consistait moins à offrir des soins médicaux qu’à accompagner spirituellement le mourant.»[13]

«Mère Teresa elle-même était bien consciente des circonstances peu banales de sa vocation et du défi extraordinaire qu’elle devait relever pour l’accomplir.»[14] Sa plus grande croyance était que la pauvreté terrible à laquelle les Missionnaires de la Charité étaient affrontées quotidiennement ne pouvait pas être secourue avec la joie et avec le sourire qu’elle-même prodiguait à ceux qui l’approchaient, sans un enracinement quotidien dans la prière. Les Missionnaires de la Charité devaient se nourrir de la contemplation et de l’Eucharistie. Dans les règles de leur Constitution, elles font les trois vœux des communautés contemplatives, pauvreté, obéissance et chasteté, auxquels mère Teresa ajouta un quatrième vœu, celui de donner tout leur cœur au service gratuit des plus pauvres des pauvres. «Prenez tout ce que Dieu vous donne et donnez tout ce qu’Il vous prend.» Cette pensée, elle ne cessera pas de la dire et redire à ses sœurs et surtout de l’imprimer dans leur âme par sa propre acceptation de la volonté de Dieu.


Les photos de mère Teresa nous la montrent le plus souvent avec un visage sévère et triste. Or, beaucoup de témoins de sa vie ont été frappés par son sourire et sa joie. «Quand je rencontrais Mère, toute timidité me quittait. Je me sentais immédiatement à l’aise : elle rayonnait la paix et la joie, même lorsqu’elle me confiait les ténèbres de sa vie spirituelle. J’étais souvent étonné que quelqu’un qui vivait tellement face à face avec des gens qui souffrent, et qui elle-même traversait une nuit obscure, puisse encore sourire et vous faire vous sentir heureux. […] Je crois pouvoir affirmer que je me sentais en présence de Dieu, en présence de la vérité et de l’amour.»[15]

En dehors de ses directeurs spirituels à qui elle se confiait (avec une grande sobriété, sans l’ombre d’un retour sur soi), mère Teresa a toute sa vie veillé à ce que les ténèbres intérieures dont elle souffrait terriblement n’assombrissent pas son entourage. Notre monde du spectacle et de la communication ne nous a habitués ni à cette pudeur, à ce secret de l’âme, et surtout, ni à ce suprême consentement à l’absence de ce Dieu dont elle avait reçu, sans l’ombre d’un doute, les bouleversantes inspirations qui nourrirent son œuvre jusqu’à la fin. La valeur d’un être humain se mesure à la manière dont il incarne son idéal dans le réel, et dans le cas de mère Teresa, dans quel dur réel cet idéal ne s’est-il pas incarné! C’est la seule réponse que nous ferons à ceux qui veulent mettre en doute son équilibre mental.

 

Devant l’attention dont elle a fait l’objet sa vie durant, et notamment au moment de son décès à l’âge de quatre-vingt-sept ans, une question se pose : quelle était la source de cette force de séduction qui attirait à elle tant de gens? Elle-même serait rester inaperçue si des témoins de son rayonnement, dont le journaliste anglais Malcom Muggeridge, n’avaient fait connaître son œuvre au monde entier. «Elle se considérait comme un simple crayon dans la main de Dieu… convaincue qu’Il se servait de son néant pour montrer sa grandeur. […] Des gens de toutes religions et de tous horizons surent reconnaître son amour désintéressé et sa compassion pour les pauvres; attirés par la joie et la paix dont elle rayonnait, ils admirèrent sa simplicité et sa sincérité. […] Contrastant avec l’aspect ordinaire de Mère Teresa, ses confidences révèlent des profondeurs de sainteté jusqu’ici inconnues et qui pourraient très bien la mettre au rang des grands mystiques de l’Église.»[16]

Notes



[1] Anjezë Gonxhe Bojaxhiu est née en 1910 à Uskub, devenu Skopje (Macédoine) et est morte le 5 septembre 1997 à Calcutta. D’abord religieuse de l'ordre missionnaire des sœurs de Notre-Dame de Lorette en 1929 sous le nom de mère Teresa, elle quittera cette communauté établie en Irlande pour fonder en Inde, en 1950, les Missionnaires de la Charité (MC), une œuvre auprès des «plus pauvres des pauvres» qui s’est étendue à travers le monde. Mère Teresa a été béatifiée le 19 octobre 2009 à Rome par le pape Jean-Paul II.

 

[2] Brian Kolodiejchuk, né à Winnipeg Canada a fait des études en philosophie, en théologie et en psychologie, au Canada puis à New York et à San Francisco. Devenu missionnaire de la charité, il a travaillé avec mère Teresa pendant vingt ans et publié, comme postulateur de la cause de canonisation et directeur du Centre Mère Teresa, en 2007 Mother Teresa: come be my light: the private writings of the "Saint of Calcutta". Garden City, N.Y: Doubleday. ISBN 0-385-52037-9. Traduction française remarquable de Cécile Deniard et Delphine Rivet sous le titre Mère Teresa, Viens, sois ma lumière, Les écrits intimes de «la sainte de Calcutta» en 2010. Le livre de Poche Lethielleux LIEN www.livredepoche.com Ce livre est une référence essentielle et sans doute définitive sur la sainteté de mère Teresa.

 

[3] Mère Teresa, Viens, sois ma lumière, Les écrits intimes de «la sainte de Calcutta» textes édités et commentés par Brian Kolodiejchuk, M.C.,P. 364, 365 .

[4] Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, 1966, p. 117, 118.

 

[5] Mère Teresa, Viens, sois ma lumière, Les écrits intimes de «la sainte de Calcutta» textes édités et commentés par Brian Kolodiejchuk, M.C.,P. 404

 

[6] Ibidem, p.408

 

[7] Ibidem, Lettre au père Neuner, 24 juillet 1967. p.376

 

[8] Ibidem, p. 427

 

[9] Ibidem,  p. 395-396.

 

[10] Ibidem, p.448

 

[11] Ibidem, Lettre au père Neuner, 24 juillet 1967, p. 375

 

[12]  Ibidem, Lettre à Desmond Doig, auteur de Mother Teresa, Her People and Her Work, New York, Harper and Row, 1976, p. 379.

 

[13] Louis Cornellier Le Devoir, les samedi 16 et dimanche 17 mars 2013, section Essais, p.F6.

 

[14]  Mère Teresa, Viens, sois ma lumière, Les écrits intimes de «la sainte de Calcutta» textes édités et commentés par Brian Kolodiejchuk, M.C., P. 25

 

[15] Ibidem, témoignage du père Michael van der Peet, s.c.j. 16 novembre 1975, p. 391.

[16] Ibidem, Préface p. 17, 18.

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