La vie comme projet politique

Jacques Dufresne

Table des matières cliquable

Ne renonçons à rien

La philia

Vigie

La résilience sociale

Les actions libératrices

Les obstacles psychologiques
Les obstacles juridiques
Les obstacles financiers
Obstacles institutionnels

Les actions inhibitrices

Les actions catalysantes

Les actions inspiratrices et les actions nourricières

Je n’ai en tête ni le natalisme, ni le mouvement pro vie, ni une opposition à l’euthanasie, je pense à la vie comme qualité telle que nous nous efforçons de l’évoquer dans cette Lettre. N’aurions-nous pas intérêt à la protéger comme nous nous efforçons de protéger les écosystèmes? Le refroidissement du climat social n’est-il pas un phénomène aussi important et inquiétant que le réchauffement du climat physique?

Cette Lettre contient des articles substantiels sur divers sujets liés les uns aux autres. Sur la vie d’abord, je pense à ceux de Chantal Lapointe et d’Andrée Mathieu qui pourraient devenir des sources d’inspiration inépuisables pour tout acteur de la scène politique qui n’est pas réfractaire à la réflexion. L’article de Marc Chevrier sur l’université fait apparaître pour cette institution le besoin d’une fin qui pourrait bien être la vie; celui de Nicole Morgan sur L’utopie de Thomas More nous ramène à la source moderne d’une démocratie qui, pour être authentique, doit aussi être vivante. J’espère qu’un lien lui-même vivant s’établira entre ces penseurs et les personnes engagées dans la vie politique.

Ne renonçons à rien

C’est à la lecture de Ne renonçons à rien que l’idée de la vie comme projet politique a refait surface en moi. Ce livre est le rapport du mouvement Il faut qu’on se parle, une initiative de Gabriel Nadeau Dubois et de Jean-Martin Aussant. Au terme d’une réflexion sur les obstacles à la vie démocratique, dans la société québécoise actuelle, les auteurs écrivent : « Même si, animé de robustes vertus civiques, l’honnête citoyen surmonte ces obstacles et prête toujours foi à la vie démocratique, il ne sera pas au bout de ses peines. Pour qu’il puisse y contribuer activement, un autre ingrédient, très rare, est nécessaire: du temps. Nombre d’entre vous nous l’ont dit: vous rêvez de pouvoir réaliser ce projet d’art qui attend, de vous impliquer davantage à l’école de votre enfant, de prendre un peu de temps pour vous. Ceux et celles qui doivent travailler pour vivre, à plus forte raison s’ils ont une famille, sont peu disponibles pour débattre, et ceux, trop nombreux, qui doivent cumuler deux, voire trois boulots n’y songent même pas. Le débat se fait sans eux. L’érosion de la participation citoyenne progresse avec la détérioration des conditions de vie de la classe moyenne. »

Comment pourrait-il y avoir une vie politique là où il n’y a même pas de vie sociale? Une société envahie par le travail au point où l’on n’a même pas le temps de parler à ses voisins est une société morte. Les loisirs eux-mêmes deviennent dans ces conditions un temps de lutte contre la montre.

La philia

Dans une société, la vie prend la forme de la philia. Dans son premier sens, ce mot cher à Aristote désigne l’amitié entre deux personnes. Dans son second sens, il désigne l’attachement aux autres membres de la cité. Analogues aux liens entre les cellules d’un organisme, ces attachements font la vie de la cité, ce qui devient manifeste dans cette définition de la philia, au second sens du terme :

« La philia, quel que soit l'équivalent français adopté, c'est la réserve de chaleur humaine, d'affectivité, d'élan et de générosité (au-delà de la froide impartialité et de la stricte justice ou de l'équité) qui nourrit et stimule le compagnonnage humain au sein de la Cité: et cela à travers les fêtes, les plaisirs et les jeux comme à travers les épreuves. La philia, c'est aussi le sentiment désintéressé qui rend possible de concilier, comme le veut Aristote, la propriété privée des biens et l'usage en commun de ses fruits, conformément au proverbe qu'entre amis "tout est commun’’ ». Source

Nous appelons ici philia ce que d’autres appellent le troisième secteur, la société civile ou les solidarités communautaires. Il s’agit d’une oasis de plus en plus à l’étroit entre un État et un marché qui se développent souvent à son détriment.  

Précisons que la vie dont nous parlons ici ne doit pas être confondue avec la santé, qu’il y a entre les deux la même différence qu’entre un souk et un sanatorium. Elle est une émergence, une création de la nature. On ne saurait ni la planifier ni la construire. Si seulement nous pouvions espérer pouvoir la cultiver par des interventions subtiles, fines comme celles de la permaculture?

Le premier défi consiste à prendre conscience de ses reculs en nous-mêmes et dans notre société. Ces reculs sont indolores. Ce fait est peut-être le plus grand malheur de la condition humaine. Une douleur insupportable nous avertit qu’une de nos dents est menacée d’abcès, mais rien ne nous avertit que nous nous engageons sur une pente où nous fonctionnons plutôt que de vivre.

Les voyages et les incursions dans le passé peuvent nous aider à vivre des expériences au sommet desquelles nous voyons à quoi se réduit trop souvent notre fonctionnement quotidien. En acceptant l’hypothèse, fort raisonnable, que la vie naît de la vie, nous pouvons, en faisant le décompte de nos interactions avec des machines, plutôt qu’avec des réalités et des êtres vivants, prendre la mesure de notre glissement hors de la vie, de la vie comme qualité, il faut le préciser, car nous pouvons très bien, dans le même contexte, fonctionner de plus en plus longtemps.

Vigie

La fonction la plus importante dans des sociétés ainsi menacées d’inertie est celle de la vigie. Il faudrait installer dans des phares ou dans des observatoires élevés, des personnes aux sens toujours en alerte, dont la mission serait de signaler les reculs et les émergences de la vie, car les deux mouvements existent simultanément, sans quoi la situation serait désespérée. Les marchés publics sont de beaux exemples de réémergence de la vie comme le sont les grandes randonnées.

 À défaut de telles vigies, qui nous renseigneraient tous les jours sur l’état de la vie sociale…, nous serons obligés de recourir à des canaris, qui seraient le plus souvent des hommes sacrifiés. Le canari a été longtemps utilisé comme indicateur de la qualité de l'air dans les mines de charbon. Quand l'oiseau jaune cessait de chanter ou mourait, les mineurs comprenaient qu'ils devaient vite remonter à la surface. D'où l'expression Canari dans la mine pour désigner une vigie sacrifiée. Dans notre société déjà les itinérants, les jeunes suicidaires et les vieux entourés d’indifférence jusqu’à la suffocation ne sont-ils pas des vigies sacrifiées, des canaris dans la Machine?

L’indifférence ! autre indice du recul de la vie. On me permettra de citer l’Encyclopédie de l’Agora : « Nous sommes toujours émerveillés par une biche courant dans un champ enneigé avec la légèreté d'une déesse. Même nos lourdauds animaux domestiques savent retenir notre attention. Pourquoi le spectacle des êtres humains nous laisse-t-il si souvent indifférents? N'ont-ils pas la vie eux aussi et l'esprit en plus? S'ils avaient la vie au même degré que les biches, ils nous émerveilleraient. Les adolescents l'ont parfois cette vie. Et ils éveillent notre intérêt. Mais la plupart des êtres que nous rencontrons ont perdu l'élan vital sans avoir pu lui substituer celui de l'esprit. « La vie est la chute d'un corps », disait Paul Valéry. Et à mesure que nous tombons, nous cessons de susciter l'émerveillement. On ne s'émerveille pas devant le prévisible. On s'émerveille d'autant moins que pour être capable d'un tel sentiment, il faut soi-même échapper à la pesanteur. L'émerveillement est un sourire que l'esprit qui s'élève dans un être fait à l'esprit qui règne dans un autre être.

Or l'émerveillement, cet intérêt enchanté pour autrui, est la condition de la philia comme de l'amitié entre deux êtres. Il est le point de départ d'un mouvement vers l'humanité au terme duquel nous avons la certitude que la présence d'un être humain, la simple, la seule présence, est le plus grand bien qui puisse nous être accordé. L'être humain est une fin, disent les philosophes, non un moyen. La philia, c'est l'incarnation de cette pensée dans la vie de tous les jours. Et le degré atteint dans cette incarnation est la mesure de la qualité d'une communauté. »

Autre citation, pour indiquer la voie à suivre aux leaders politiques soucieux de la vie. Les trajets de la liberté :

«L'éthologiste Konrad Lorenz avait la fâcheuse habitude d'arriver toujours en retard à ses cours de l'Institut Max Planck de Munich. Il faisait le trajet à pied, un trajet rempli d'imprévus et d'occasions de s'arrêter. Pour l'aider à se discipliner, ses étudiants ont, à l'aide d'une carte de la ville, tracé le trajet le plus court, sans se soucier de l'aménité des rues empruntées pour cette opération rationnelle. Le maître se plia à cette règle pendant quelques jours. Il arriva toujours à l'heure, mais dans une humeur telle que ses étudiants eurent bientôt la nostalgie du passé, comprenant que le temps perdu par rapport à l'horaire était de l'humanité retrouvée, pour eux comme pour lui. Le trajet habituel de Lorenz était ponctué de points de vie, de boutiques ouvertes sur la rue où une boulangère, un boucher, un cordonnier, une fleuriste élevaient leurs regards et leur pensée, pour saluer en Konrad Lorenz un représentant de l'humanité.» Source

Gabriel Nadeau-Dubois et ses jeunes amis veulent renouveler la politique. Le feront-ils en laissant l’État et le marché continuer d’envahir l’oasis de la philia, ou en prenant sa défense ? Dans la politique traditionnelle, centrée exclusivement sur le marché et l’État, dans laquelle ils risquent de s’engager par inertie, il n’y a plus de place pour la créativité : il ne reste plus qu’à imposer des taxes là où le parti opposé en a enlevé. Tandis que dans une politique centrée sur la vie, il y aurait place pour une créativité enthousiasmante, à une condition :  la conviction que l’homme est un animal sociable et qu’il revient à son naturel dès que l’on supprime les obstacles à l’expression de son empathie et ce qui revient au même, la conviction que les systèmes vivants sont résilients.

Dans une politique centrée sur la vie tout serait à revoir en parfaite coordination avec la protection de l’environnement, ce qui à en juger par Ne renonçons à rien, est une préoccupation majeure, chez les jeunes en particulier. Il faudrait notamment avoir une préférence conviviale nettement affirmée, tenir pour acquis par exemple, que des services authentiquement sociaux, comme les solidarités communautaires, doivent être préférés aux services professionnels et étatiques.

Autre emprunt à des travaux du passé qui nous semblent plus pertinents que jamais :

La résilience sociale

Hippocrate avait compris que ce n'est pas la médecine qui guérit la nature, que c'est cette dernière qui se guérit elle-même, aidée parfois par la médecine. De même pour les communautés: elles se constituent ou se reconstituent d'elles-mêmes, aidées parfois par des intervenants dont le premier devoir est de ne pas nuire. Si bien que les quatre principes fondamentaux d'Hippocrate devraient devenir ceux de l'action sociale:

Premièrement, ne pas nuire

Deuxièmement, combattre le mal par son contraire

Troisièmement, mesure et modération

Quatrièmement, chaque chose en son temps

 

Voici quelques types d'action sociale s'inspirant des principes hippocratiques

Les actions libératrices

Les actions inhibitrices

Les actions catalysantes

Les actions inspiratrices

Les actions nourricières

 

Les actions libératrices

L'action que j'appelle libératrice consiste à libérer la sociabilité naturelle de l'homme, à enlever les obstacles à sa manifestation. Le souci de l'autre est en nous; nous n'avons pas à le susciter de l'extérieur. Il convient et il suffit que nous enlevions les obstacles qui l'empêche de se manifester.

Les obstacles psychologiques

Elzéard Bouffier, le héros de l’homme qui plantait des arbres, se méfiait des politiciens, des technocrates et des experts. Il y a une chose fondamentale dont il ne doutait pas: sa compétence et sa liberté d'être humain, qualités grâce auxquelles il a pu entreprendre son œuvre sans attendre de mandat de qui que ce soit et sans avoir besoin de prendre appui sur un expert pour faire preuve d'initiative. Ce qui ressort le plus clairement des analyses récentes des sociétés modernes, c'est que les individus se sentent frappés d'interdit dans leur attribut le plus fondamental: leur sens de l'humanité. Telle cette femme qui ne s'autorise pas à miser sur ses propres ressources pour ramener son mari à la vie et qui s'incline devant les conseils d'une psychologue qui la confirme dans son sentiment d'impuissance. Une dame écrit à une journaliste de La Tribune de Sherbrooke, Louisette Vézina, pour lui confier ses malheurs virtuels: « Mon mari et moi vivons ensemble depuis vingt-huit ans. Voilà que mon mari a découvert Internet. Il est tellement en amour avec le système qu'il a tout délaissé, y compris ses responsabilités de père de famille et de conjoint ». Réponse de madame Vézina: « Un service professionnel est sûrement recommandé pour avoir une mise au clair avec votre mari. »

Dans Who Cares (Westview Press), David Schwartz suggère à ce propos un type d'intervention désarmant de simplicité, qui consiste à défaire le travail des Louisette Vézina, à aider les gens à se désaliéner, à se requalifier en leur rappelant qu'ils peuvent, sans transgresser les lois éternelles, assumer eux-mêmes la plupart des pouvoirs dont ils ont l'habitude de se départir au profit des experts. Au risque, qu'il semble sous-estimer, de créer ainsi une nouvelle profession, David Schwartz emploie le mot asker pour désigner la personne qui prend l'initiative de téléphoner à un voisin pour lui demander de venir en aide à un handicapé, en rappelant audit voisin qu'il suffit d'être humain pour avoir la compétence requise par une telle action.

Les obstacles juridiques

Ces obstacles sont souvent d'ordre juridique. Une certaine déjudiciarisation s'impose. La règle de droit et la règle sociale ne peuvent pas dominer la scène simultanément. L'omniprésence de la règle de droit dans nos sociétés a introduit subrepticement une multitude de petits obstacles aux rapports sociaux. Si un enfant inconnu de nous pleure dans la rue, nous n'irons pas le consoler de peur d'être accusé de pédophilie. De même, nous interdirons la cour de notre maison aux enfants du voisinage, de peur des accidents qui pourraient survenir et des poursuites judiciaires que ces accidents pourraient entraîner. Dans les collèges, les universités, les hôpitaux, tous les lieux publics, les rapports entre les personnes de sexe différent, surtout lorsqu'il y différence d'âge, sont totalement perturbés par la règle de droit. Comment faire revivre des communautés dans ces conditions?

Les obstacles financiers

Il y a aussi des obstacles financiers à l'expression de la sociabilité naturelle à l'homme. L'histoire du Fromentier, cette boulangerie conviviale connue de tous les Montréalais, est très intéressante à cet égard. Le fondateur a toujours accordé priorité à la mission sociale de son entreprise par rapport à la finalité habituelle qui est le profit. Pour cette raison précisément, il a eu toutes les peines du monde à obtenir les capitaux dont il avait besoin. Ces capitaux, finalement il les a obtenus de ses clients, lesquels ont financé l'agrandissement de l'entreprise en achetant à l'avance le pain qu'ils consommeraient au cours des mois à venir.

Obstacles institutionnels

Il y a enfin des obstacles institutionnels. Chaque institution a ses normes, les unes implicites, les autres explicites. On doit faire telle chose de telle manière et non de telle autre. Par exemple, une entreprise normale qui œuvre dans le domaine des cosmétiques doit avoir en principe un important budget de publicité. La fondatrice de la chaîne Body Shop, Anita Roddick, a contribué à faire revivre une communauté en allant à l'encontre de ces normes institutionnelles. La compagnie Body Shop ne fait pas de publicité ou, plus précisément, elle fait sa publicité indirectement, en prenant des décisions ayant une portée sociale ou écologique. C'est ainsi qu'il y a une dizaine d'années, la compagnie a décidé d'installer une usine de savon dans le quartier le plus mal famé de Liverpool, un quartier où il y avait depuis longtemps 50% de chômage et plus. Cette décision audacieuse lui a valu une couverture médiatique qui fut sans doute plus rentable, d'un strict point de vue économique, que ne l'aurait été une action publicitaire conventionnelle.

Les actions inhibitrices

Par action inhibitrice j'entends, par exemple, une action organisée visant à pénaliser financièrement les entreprises qui assument mal leurs responsabilités sociales. Il existe aux États-Unis des guides spécialisés pour les consommateurs, où les produits sont évalués en fonction de leur toxicité. Ce sont les compagnies qui sont évaluées dans d'autres guides en fonction de leur sens moral. L'un de ces guides, recommandé par l'économiste Lester Thurow, a pour titre Rating America's Corporate Conscience.

Que vous soyez d'abord intéressé par l'avancement des femmes, les dons de charité ou l'engagement social de la compagnie, vous vous brosserez les dents avec les marques Crest ou Gleem dont le fabricant, Procter and Gamble, est premier dans toutes les catégories, devant Colgate Palmolive (Colgate, Ultra-Brite) et Unilever (Aim, Close-up, Pepsodent). Enfin, une revanche pour les gens qui n'aiment pas la publicité tapageuse, insignifiante, répétitive et impérissable! (Ces données, que nous citons ici à titre d'exemple, ont été établies il y plus de cinq ans).

Les actions catalysantes

On pourrait aussi parler d'action homéopathique. Elle consiste à poser des gestes infinitésimaux avec un tel sens du kairos, de l'occasion opportune (quatrième principe d'Hippocrate), que les gestes en question produisent des résultats considérables.

Dans The careless society, John Mcknight raconte que le service d'urbanisme de Chicago dépêcha de fines observatrices dans un quartier en voie de décomposition. Leur premier souci fut d'établir la liste des principales causes de l'engorgement des salles d'urgence. Ces causes, toutes de nature sociale, étaient, dans l'ordre: les accidents d'automobiles, les agressions entre personnes, les autres accidents, l'alcoolisme, les problèmes reliés à la drogue, les morsures de chiens.

Il a suffi de disséminer habilement cette information dans la population pour que les manifestations de solidarité et de coopération s'organisent d'elles-mêmes. On eût tôt fait de découvrir, par exemple, que l'attrapeur de chien ne faisant pas son travail, il y avait plus de 300 chiens abandonnés dans le quartier. Les adolescents réglèrent le problème très vite et le taux de passage à l'urgence pour morsures de chiens diminua de moitié.

Les actions inspiratrices et les actions nourricières

J'appelle action inspiratrice celle qui met les gens en contact direct avec des œuvres remplies de vie et de sens. La création d'un film comme L'homme qui plantait des arbres est un parfait exemple d'action inspiratrice. Il n'est pas inutile de rappeler une telle évidence dans un contexte où l'on a tendance à réduire les finalités aux objectifs. Les objectifs sont à la technique ce que les finalités sont à l'art. Or l'action sociale, pour être féconde, doit être un art. Et pour être capable d'un tel art, l'âme doit pouvoir se nourrir des grands chefs-d’œuvre.

Le réel contact avec un grand chef-d’œuvre est une chose exceptionnelle. L'âme a aussi besoin d'être nourrie jour après jour, heure après heure. J'appelle action nourricière celle qui consiste à aménager le temps et l'espace de façon à ce qu'il y ait place pour ces petits miracles de la vie quotidienne sans lesquels l'existence n'est qu'une longue démission devant la vie, interrompue par les actes de volonté nécessaires à la survie. Miracles de la vie quotidienne: l'émerveillement devant tel meuble, tel objet, tel tableau, qu'un rayon de soleil éclaire d'une façon éphémère ou devant le sourire d'un handicapé psychique que vous croisez tous les jours. Source

 

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