Donald Trump: l'oran-outang dans la Machine

Jacques Dufresne

David Brooks, du New-York Time, a dressé la liste des insultes proférées par Donald Trump sur Twitter. Cette liste compte trente pages. Quiconque s’oppose à lui est un idiot, un menteur ou un moron. Brooks1 tente ensuite d’expliquer comment en titubant ainsi d’insultes en insultes, Trump a pu gagner la confiance de l’électorat républicain. Depuis trente ans, dit-il, une tendance se dessine et pas seulement aux États-Unis : à la politique, faite de discussion, de compromis et d’intelligence des systèmes complexes, les gens préfèrent la force brute et les promesses faramineuses, le pugilat, dirons-nous, en pensant aux années où Donald Trump était le héros des lutteurs professionnels. Harper, qui refusait la discussion et Justin Trudeau qui promet tout après un combat de boxe, ne s’inscrivent-ils pas dans cette tendance?.
J’ai moi-même présenté le Donald comme un Jules César de foire. Le fait que le robot Watson d’IBM est depuis peu candidat à la présidence américaine m’inspire une autre explication : Trump est l’orang-outan dans la Machine.

Le directeur de la campagne Watson 2016 est l’artiste et designer Aaron Siegel. « Je me suis demandé, dit-il, quelle personne pouvait être le politicien le plus objectif, efficace et non partisan, et je me suis rendu compte que cette personne était un ordinateur. » 2

Deux caractéristiques du monde actuel donnent au robot un avantage incontestable sur tous les fronts: la complexité des problèmes et le haut degré d’abstraction, de formalisme où ils se situent. D’où le fait que l’informatique devient une méta-profession qui, réduisant l’importance du facteur humain dans chaque profession, tend à s’imposer comme la profession unique. Il y eut le robot médecin, le robot rédacteur et maintenant le robot courtier. Depuis longtemps, tout se met en place pour que les décideurs en politique s’effacent à leur tour devant cette machine à gouverner, dont on parlait déjà en 1948, aux premières heures de la cybernétique. (κ υ ϐ ε ρ ν η τ ι κ η ́ « art de piloter; art de gouverner). Plus un État est grand et centralisé, plus il appelle les machines. La première machine à calculer, celle de Pascal, servit à la perception des impôts dans la France du grand siècle. En 1890, la machine à cartes perforées d'Herman Hollerith fut utilisée pour l’analyse des données du recensement aux États-Unis.

C’est l’homme qui a fait un monde tel que seules des machines, d’abord avec son aide, et bientôt sans elle, puissent le gouverner. Il faut se placer dans ce contexte pour comprendre Donald Trump. Au moment où il a annoncé sa candidature, l’humoriste Bill Maher l’a présenté comme un orang-outan. C’était bien vu : ses mimiques et ses grimaces, plus encore que la couleur de ses cheveux et de son visage, le rapprochent en effet de l’orang outan. Loin de lui nuire, cela a servi cause : ses partisans préféreraient être gouvernés par un être vivant, fût-il un singe, que par une machine, comme celle de Washington, à leurs yeux inefficace en plus d’être froide.

Trump a en effet la vitalité du singe et de l’homme primitif. De chaque côté de lui, ses concurrents avaient la fadeur des fantômes, on ne les voyait pas. La vitalité chez lui s’accommode hélas! trop facilement de la vulgarité, mais cette vulgarité sert la cause du personnage parce qu’elle est un signe de vie. Lors du débat du 25 février à Houston, on a vu la vie humaine dans ce qu’elle a de plus mouillé – charnel ou incarné seraient de trop beaux mots—le Donald accusant Rubio de suer comme un poulain à sa première course, Rubio reprochant au Donald de réclamer dans les coulisses un grand miroir pour s’assurer que la partie inférieure de son corps était bien sèche!

L’Amérique profonde s’agrippe au Donald comme à la dernière bouée animale, dans un monde ou le mécanique, le formel, l’abstrait, gagne chaque jour du terrain contre le charnel. Cette explication est compatible avec celle de Brooks. Dans l’Obsolescence de l’homme, Günter Anders dit que «homme actuel a honte d’être né», sorti du ventre d’un femme et donc privé à jamais de cette perfection qu’il admire dans les machines et la rationalité pure. Cette honte peut très bien se manifester par une surenchère autour de la chair mouillée, de la force brute et de l’ignorance.

Gardons-nous toutefois de tout réduire à cette interpétation. Par-delà ses contradictions, Trump donne aux gens de bonnes raisons de le suivre. Comme un récent article de Slate le rappelle, il préfère le nationalisme et le protectionnisme au néolibéralisme. Il ne ratifiera pas les grands traités commerciaux transatlantiques et transpacifiques, si cela risque de faire disparaître des emplois aux États-Unis.

En maintes occasions, il a fait preuve de courage pour un républicain, quand par, exemple,  il a dit qu’il adopterait une position de neutralité dans les négociations entre Israël et la Palestine ou quand il a soutenu que la guerre contre l’Irak a été une décision catastrophique. Il a fait preuve aussi de compassion quand il a soutenu que l’organisme Planned Parenthood avait aidé efficacement des millions d’américaines et quand, devant un Rubio et un Cruz endurcis dans leur idéologie, il a juré qu’il ne laisserait jamais un pauvre mourir sans soins dans la rue.

1-http://www.nytimes.com/2016/02/26/opinion/the-governing-cancer-of-our-time.html
2--http://www.ledevoir.com/opinion/blogues/les-mutations-tranquilles/463378/etats-unis-campagne-pour-une-presidence-artificielle


Voir aussi cet entretien avec Marc Crapez dans Causeur

Marc Crapez. Vous évoquez la peur qu’a l’Amérique blanche de se retrouver en situation numériquement inférieure ? Certes, mais la clé du succès de Trump, c’est d’abord l’unanimisme des élites contre lui. Et cette hostilité est sans nuance. Rien ne trouve grâce à leurs yeux. Ils le font passer pour un « pauvre type ». Du coup, une partie de l’électorat ressent cette hostilité comme un affront personnel.

 

 

 

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