L'imaginaire québécois revisité par Marcel Trudel
Qui serait tenté d'opposer la rigueur et la vulgarisation n'aura qu'à lire l'ouvrage de Marcel Trudel pour se persuader du contraire. Dans ce volume regroupant différents articles et conférences ayant en commun l'étude de l'imaginaire québécois en se fondant sur de multiples documents d'époque, le professeur émérite de l'Université d'Ottawa nous fait découvrir le cheminement psychologique des habitants de ce pays qu'on nomme le Québec et qui connut précisément quatre révolutions socioculturelles: 1763, 1791, 1840, 1960.
Trois contributions, parmi les 15 offertes, peuvent illustrer à la fois l'originalité du travail de l'académicien Trudel et la finesse de son interprétation.
L'étude qui ouvre le recueil, «Pour une mesure exacte du rôle de Jacques Cartier», ne fait pas que reprendre le résumé des visites des prédécesseurs de Cartier mais elle montre que le travail de cet explorateur mérite d'être considéré comme «un sommet dans les découvertes françaises en Amérique du Nord au XVIe siècle». Cette surprenante réévaluation à la hausse du personnage nous enrichit doublement avec les multiples toponymies relevées par le chercheur et qui nous renseignent, tels des hiéroglyphes, sur les différentes toponymies déposées par les Portugais, Espagnols, Français et Anglais, lors de leurs colonisations respectives.
L'un des essais parmi les plus amusants à lire de ce recueil est consacré à «Madeleine de Verchères, créatrice de sa propre légende». L'historien Trudel y analyse finement les deux dépositions attribuées avec certitude à notre héroïne, concernant son initiative de 1692, racontée par elle-même, par écrit, en 1699, puis en 1732. Il analyse et compare dans le détail les deux récits et fournit un bel exemple de ce qu'il appelle la «légende intellectuelle» (écrite), qu'il distingue de la légende orale.
La légende intellectuelle, née de l'écrit, se transmet par les textes et les livres. Or l'invraisemblance manifeste de la seconde version de l'héroïne, qui n'est plus falsifiable dû au décès de tous les autres témoins, est facilement explicable mais elle devient aussi, dans le travail de l'historiographe, un témoin des buts des différents historiens de notre passé, qui l'ont dénoncée ou l'ont utilisée à des visées qu'on pourrait qualifier d'apologétiques.
Dans une étude presque dramatique consacrée à l'influence des Lumières dans la société québécoise du XVIIIe siècle, l'auteur repère plusieurs influences de l'Angleterre sur notre culture de l'imaginaire. Dépassant l'énoncé connu sur l'influence de Voltaire et des Lumières françaises, il aligne une liste de réformes qui ont définitivement orienté notre vie intellectuelle: les gazettes et leurs imprimeries connexes comme nouveau média de connaissance, les bibliothèques publiques, le régime parlementaire amenant l'élection de députés dépassant en pouvoir les seigneurs encore vivants et, finalement, le projet de la fondation d'une «Université neutre», en 1790.
L'histoire de ce projet éducatif de haut-niveau défendu par les gouvernants britanniques contre l'évêque du temps (Mgr. Hubert) mais avec l'appui du coadjuteur de ce dernier (Bailly de Messein) expose, certes, un drame de notre vie intellectuelle. Son échec est un cas précis et indéniable de ce que l'on a parfois qualifié de «mentalité d'éteignoir».
«La révolution de l'éducation n'eut donc pas lieu», conclut l'historien. Mais il suggère de raffiner grandement notre jugement, considérant que si la cession de notre pays à l'Angleterre nous a providentiellement épargné les émanations de la Révolution française de 1789, selon Tomas Chapais, un vent des Lumières est tout de même «venu secouer l'habitat des Canadiens, et ce vent venait de l'Angleterre» (p. 264).