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Les Considérations  Ajouter une vignette

Jean le Rond d'Alembert
Troisième partie de l'éloge de Montesquieu, par d'Alembert, paru sous le titre «Éloge de Monsieur le Président de Montesquieu» en tête du cinquième volume de L'Encyclopédie raisonnée ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers dirigée par Diderot et d'Alembert. Analyse des Considérations sur la cause de la grandeur et de la décadence des Romains.
Les empires, ainsi que les hommes, doivent croître, dépérir et s'éteindre; mais cette révolution nécessaire a souvent des causes cachées que la nuit des temps nous dérobe et que le mystère ou leur petitesse apparente a même quelquefois voilées aux yeux des contemporains; rien ne ressemble plus sur ce point à l'histoire moderne que l'histoire ancienne. Celle des Romains mérite néanmoins à cet égard quelques exception; elle présente une politique raisonnée, un système suivi d'aggrandissement, qui ne permet pas d'attribuer la fortune de ce peuple à des ressorts obscurs et subalternes. Les causes de la grandeur romaine se trouvent donc dans l'histoire, et c'est au philosophe à les y découvrir. D'ailleurs il n'en est pas des systèmes dans cette étude comme dans celle de la physique; ceux-ci sont presque toujours précipités, parce qu'une observation nouvelle et imprévue peut les renverser en un instant; au contraire, quand on recueille avec soin les faits que nous transmet l'histoire ancienne d'un pays, si on ne rassemble pas toujours les matériaux qu'on peut désirer, on ne saurait du moins espérer d'en avoir un jour davantage. L'étude réfléchie de l'histoire, étude si importante et si difficile, consiste à combiner, de la manière la plus parfaite, ces matériaux défectueux: tel serait le mérite d'un architecte, qui, sur des ruines savantes, tracerait, de la manière la plus vraisemblable, le plan d'un édifice antique, en suppléant, par le génie et par d'heureuses conjectures, à des restes informes et tronqués.

C'est sous ce point de vue qu'il faut envisager l'ouvrage de M. de Montesquieu: il trouve les causes de la grandeur des Romains dans l'amour de la liberté, du travail et de la patrie, qu'on leur inspirait dès l'enfance; dans la sévérité de la discipline militaire; dans ces dissensions intestines qui donnaient du ressort aux esprits et qui cessaient tout-à-coup à la vue de l'ennemi; dans cette constance après le malheur, qui ne désespérait jamais de la république; dans le principe où ils furent toujours de ne faire jamais la paix qu'après des victoires; dans l'honneur du triomphe, sujet d'émulation pour les généraux; dans la protection qu'ils accordaient aux peuples révoltés contre leurs rois; dans l'excellente politique de laisser aux vaincus leurs dieux et leurs coutumes; dans celle de n'avoir jamais deux puissants ennemis sur les bras, et de tout souffrir de l'un jusqu'à ce qu'ils eussent anéanti l'autre. Il trouve les causes de leur décadence dans l'aggrandissement même de l'État, qui changea en guerres civiles les tumultes populaires, dans les guerres éloignées qui forçant les citoyens à une trop longue absence, leur faisaient perdre insensiblement l'esprit républicain; dans le droit de bourgeoisie accordé à tant de nations et qui ne fit plus du peuple romain qu'une espèce de monstre à plusieurs têtes; dans la corruption introduite par le luxe de l'Asie; dans les proscriptions de Sylla qui avilirent l'esprit de la nation, et la prépareront à l'esclavage; dans la nécessité où les Romains se trouvèrent de souffrir des maîtres, lorsque leur liberté leur fut devenue à charge; dans l'obligation où ils furent de changer de maximes, en changeant de gouvernement; dans cette suite de monstres qui régnèrent, presque sans interruption, depuis Tibère jusqu'à Nerva, et depuis Commode jusqu'à Constantin; enfin dans la translation et le partage de l'empire, qui périt d'abord en Occident par la puissance des Barbares, et qui après avoir langui plusieurs siècles en Orient sous des empereurs imbéciles ou féroces, s'anéantit insensiblement comme ces fleuves qui disparaissent dans des sables.

Un assez petit volume a suffi à M. de Montesquieu pour développer un tableau si intéressant et si vaste. Comme l'auteur ne s'appesantit point sur des détails, et ne saisit que les branches fécondes de son sujet, il a su renfermer en très peu d'espace un grand nombre d'objects distinctement aperçus et rapidement présentés sans fatigue pour le lecteur, en laissant beaucoup voir, il laisse encore plus à penser et il aurait pu intituler son livre: Histoire romaine à l'usage des hommes d'État et des philosophes.

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