L'avenir du Québec à la lumière du rapatriement constitutionnel de 1982

Gary Caldwell

Depuis plusieurs années, nous traversons une phase de retrait et d’abdication en ce qui a trait à l’avenir du Québec, ce qui a pour conséquence une présence accrue sur la place publique, à défaut d’autre chose, d’intérêts particuliers comme les revendications des féministes, celles des homosexuels ou des environnementalistes ou, pire encore, des questions corporatistes comme les salaires dans le secteur public, les intérêts des industries de l’aluminium ou de la foresterie. Au même moment, il se trouve que les Québécois, naguère reconnus pour leur conscience historique et leur sens de la chose publique, ont cessé de se mobiliser pour glisser vers l’abattement, le sentiment d’aliénation, et parfois le désespoir.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les questions liées à notre avenir collectif soient mises entre parenthèses, pendant que le nouveau credo néo-libéral, qui accorde peu de crédibilité au bien commun, prend allègrement le relais. Les droits de la personne, le succès économique personnel, la productivité et la poursuite par l’individu de ses buts deviennent la norme pour un ensemble d’individus qui ne se distinguent guère des autres habitants du monde occidental. Dans ce contexte, la question du Québec, de ce qui peut advenir de lui, glisse hors de la zone du radar politique.

Si on combine ce qui précède avec le fait, de plus en plus manifeste, que le Québec est, comme société, dans une situation plus précaire qu’il ne l’était il y a un quart de siècle, aux points de vue politique, démographique, économique et social, la tentation est forte de s’en retourner s’occuper de son propre jardin... et effectivement, l’horticulture n’a jamais autant prospéré et nous n’avons jamais été aussi conscients de la nécessité de bien préparer notre retraite. Mais la dépendance à l’endroit des fonds publics ne connaît plus de bornes lorsque des maires considèrent comme normal de se voter de confortables pensions, et même des allocations allant jusqu’à six mois de salaire pour compenser une défaite électorale. Le simple fait que nous tolérions de telles pratiques au niveau municipal donne la mesure de notre désengagement à l’endroit de la respublica.

L’aspect le plus dommageable de cette tolérance à l’endroit des abus des fonds publics est l’effet produit sur nos jeunes qui, en tant que spectateurs lucides de ces situations, en viennent à perdre tout idéal politique et à désespérer du futur de la société.

 

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Il va sans dire que les causes de ce désengagement à l’endroit du futur de notre communauté sont multiples : la stagnation démographique, l’étiolement de la société civile, la bureaucratisation, l’effondrement de l’ancienne éthique religieuse, la cadence du changement, la mondialisation et par voie de conséquence, la marginalisation des cultures nationales. Nonobstant l’impact réel de ces facteurs, dans le cas particulier du Québec, il faut pointer la paralysie du discours social résultant de la division de la population québécoise sur la question de l’Indépendance. Toute question sociale doit être interprétée à travers le prisme de la « question nationale ». Quelle que soit la position adoptée, on jugera qu’elle fait partie d’un scénario fédéraliste (libéral) ou séparatiste (péquiste).

Le discours politique sur la place publique est entièrement monopolisé par les combattants fédéralistes ou indépendantistes, à l’exclusion de tous les autres participants. La relative impuissance du parti de l’Action démocratique, qui ne parvient pas à se tailler une place dans le paysage politique, n’est qu’une manifestation de plus de cette paralysie générale. Il n’y a que trois sujets qui aient réussi à s’imposer sur la scène politique sans passer par l’opposition séparatistes/fédéralistes : l’environnement, les fusions municipales et l’accès aux services de santé. Et même ces questions se retrouvent vite polarisées par les politiciens, qui les exploitent à leurs fins. En d’autres termes, la vision globale est largement déficiente.

 

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Si nous ne réussissons pas à nous ressaisir, nous risquons de tomber dans une dérive débilitante qui ruinera progressivement notre capacité de nous mobiliser comme société à la défense du bien commun. Nous risquons de nous réveiller – un quart de siècle plus tard – pour nous retrouver comme une société assiégée qui n’aurait même plus assez de joueurs pour se défendre. Que faire dans ces conditions ?

Nous devons adopter ensemble une position ferme qui rende manifeste à tous et chacun que le Québec existe, parce qu’il a existé historiquement et qu’il désire continuer d’exister, afin que nos enfants et petits-enfants puissent avoir un avenir auquel ils pourront accorder leur foi. Une telle prise de position servirait à dissiper les doutes qui nous habitent comme ceux que nos voisins peuvent entretenir quant à notre volonté de continuer d’exister collectivement. Une fois la chose clairement établie, nous pourrons nous tourner vers les questions économiques et sociales qui attendent d’être réglées.

Si nous négligeons de refaire notre unité, il n’y aura bientôt plus de passé auquel se référer pour y trouver une inspiration, et il n’y aura plus de futur commun à imaginer. Nos filles et nos garçons, sans parler de nos frères et soeurs, partiront vers Toronto, Vancouver, Los Angeles ou New York, et ceux qui choisiront de rester se retrouveront sous la dépendance des immigrants nouvellement arrivés qui seront à leur service en attendant mieux.

 

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Quel pourrait-être notre terrain d’entente et de quelle nature cette entente pourrait-elle être? Il est certain qu’il devrait s’élaborer à partir d’une histoire qui nous est commune, tout en étant suffisamment unique pour que les Québécois puissent s’y identifier comme peuple. Le fondement géopolitique en question serait, selon nous, constitué par le pacte confédéral de 1867, résultant de l’Acte du Québec de 1774 et des réalisations du gouvernement responsable en 1845. Toutefois, le pacte de 1867, unissant les sociétés coloniales (le Haut et le Bas-Canada, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse), fut tronqué et transformé lors du rapatriement unilatéral de 1982. Le terme « unilatéral » nous rappelle qu’une des communautés politiques participantes, à savoir le Québec (Bas-Canada) a refusé de donner son accord. Or la tradition politique de souveraineté parlementaire qui est la nôtre est telle que deux choses seulement sont interdites au parlement : le renoncement à son propre pouvoir et la modification du pacte dont il est issu sans le consentement des communautés politiques originaires. Puisque ces deux règles ont été violées en 1982, le refus du Québec d’endosser la nouvelle constitution était entièrement légitime, et l’action du Canada anglais peut être qualifiée de « séparatiste », si on la mesure à l’aune de la constitution de 1867.

La position commune à adopter est donc de continuer de refuser d’endosser la Constitution de 1982. En dépit du fait que le Parlement de Québec a rejeté de façon presque unanime cette constitution en 1982, il n’a pas toujours été conséquent au cours des vingt années qui ont suivi, invoquant par exemple la Constitution de 1982 pour abroger l’article 93 (concernant la protection des droits des catholiques et protestants sur la gestion de leurs écoles). Pourtant, nous avions là, dans le refus commun d’accepter la Constitution de 1982, une ligne de partage qui aurait pu être clairement tracée pour tenir en respect nos opposants.

En attendant que le reste du Canada réalise que celui-ci ne saurait exister, tel qu’il fut conçu à l’origine, sans le Québec, et en attendant de savoir si le désir de reconstruire le Canada à l’aide du Québec existe vraiment, nous devons rediriger nos énergies, dépensées en pure perte dans le marchandage constitutionnel, vers les défis sociaux qui ont été laissés de côté. Plus tard, dans cinquante ans peut-être, ce qui est peu pour une contrée qui a déjà traversé 135 années d’existence, nous pourrons décider de reconfigurer la Confédération, ou simplement de poursuivre notre propre route, comme le Canada anglais a en fait décidé de le faire en 1982. Bien que le Québec ait évité un Culloden, il pourrait être réduit au même sort par un affaiblissement progressif, à moins que nous n’opérions le redressement qui s’impose pendant que nous occupons encore le terrain.

Ce qui importe au plus haut point est de nous relier à notre histoire en retrouvant notre fierté et la foi dans l’avenir. Éventuellement, une telle prise de position pourrait être cristallisée sous forme de question référendaire : « Acceptez-vous la nouvelle Constitution de 1982 ? » Une mobilisation en faveur du non (disons, un pourcentage de 66%) tracerait la ligne de partage permettant au Québec et au Canada d’aller vers leurs destins respectifs.

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