L'Encyclopédie sur la mort


Rome antique: brièveté de la vie

Michel Meslin

Certes, comme tous les hommes de l'Antiquité, les Romains ont été sensibles à la fuite du temps, et leurs poètes plus que tous. L'homme doit vivre avec l'idée constante de la mort. Il faut bien constater que, sur ce point, la méditation romaine, souvent tragique, n'a rien que de banal. Mais plutôt que de s'abandonner avec mélancolie* à l'idée que toute la condition humaine est fragile, l'homme romain tente d'y apporter des remèdes.

Lorsque Sénèque* écrit un traité consacré à « la brièveté de la vie », il insiste bien plus sur le comportement de l'homme, en montrant par quel processus psychologique ceux qui se plaignent que la vie est trop courte en sont les premiers responsables, puisqu'ils perdent leur existence dans la futilité. En fait, la vie est assez longue, si nous l'utilisons à bon escient: « Notre erreur est de ne voir la mort que devant nous; en grande partie, déjà, elle est derrière et tient tout notre passé» (À Lucilius, l, 1). Chaque individu reçoit ainsi un laps de temps, qui lui est imparti en propre, et à la fin duquel sa mort est normale: «J'ai vécu et l'espace de temps que la Fortune m'avait donné, je l'ai accompli », dit une inscription funéraire. Quand Sénèque adresse à Marcia des «consolations» pour la mort de son fils, il n'hésite pas à lui dire que celui-ci est mort «au bon moment », entendons à l'heure fixée par le destin, et conteste le sentiment naturel, mais trop subjectif, de Marcia pour qui son fils est mort trop tôt, immaturus. On peut penser qu'un tel stoïcisme* n'est guère consolateur, et qu'en réalité toute mort proche ne peut être vécue que comme une mort venue trop tôt, intempestiva. Mais ceci est, pour une certaine réflexion romaine, une attitude trop subjective, donc coupable. Ainsi Didon* est-elle jugée trop mue par sa subjectivité, son affectivité, lorsqu'elle désire mettre fin à sa vie. Elle manque par là de pietas, car elle ne se soumet pas à l'ordre du monde. Son suicide pose le problème grave d'un désir personnel de mourir avant d'avoir atteint l'échéance fixée normalement par la Fortune (Enéide, VI, 444). Ainsi, la mort qui survient naturellement, «à son heure », «au jour prévu », lorsque s'achève le cursus de l'homme, s'oppose donc à la mort accidentelle, ou volontaire (voir infra p. 235) qui est toujours 'qualifiée d'intempestiva. Mais à Rome la différence entre les deux morts fut toujours affaire de jugement personnel.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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