Mouvement

"Changement de situation des corps, déplacement de leurs rapports. Nous le percevons par la vue et par le toucher. Tout mouvement a lieu dans l'espace; il détermine l'espace lui-même, qui est une conception rationnelle, et nous sert à mesurer l'étendue. Tout mouvement a lieu aussi dans le temps, il est lui-même une succession; c'est par les divisions des mouvements que nous marquons les divisions du temps. Non seulement le mouvement est le signe et la mesure de l'espace et du temps, mais encore il est le lien de ces deux idées dans notre esprit. Le problème du mouvement a donné lieu à beaucoup de théories métaphysiques. Pour Héraclite, tout était dans un mouvement ou un changement perpétuel; ce philosophe refusait aux choses toute permanence, tout existence perpétuelle. L'école d'Élée, au contraire, nia la réalité et la possibilité du mouvement, doctrines que reproduisirent les philosophes mégariens: pour toute réponse à leurs sophismes, Diogène le Cynique se mit à marcher devant Zénon. Pour Aristote*, le mouvement est le fait caractéristique de la nature; ses deux éléments constitutifs sont la puissance, capacité qu'ont les objets de devenir tels ou tels, et l'acte ou la possession réelle d'une qualité que ces objets n'avaient qu'en puissance; le mouvement est la puissance qui devient acte, il est le rapport, le terme moyen de la puissance et de l'acte. L'ancienne école atomistique faisait du mouvement une propriété inhérente aux atomes: Descartes refuse aux éléments de la matière toute capacité de produire en eux-même le mouvement, et leur fait imprimer un mouvement par un premier moteur qui le leur conserve par une action continue; selon Leibniz, les éléments, après avoir reçu un premier mouvement, retiennent la capacité de se mouvoir et on en eux le principe de leurs modifications."

Th. Bachelet, Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences morales et politiques, Paris, Delagrave, 1876

* Au sujet de la conception du mouvement d'Aristote, voir Pierre Souffrin, Cours sur l'histoire des théories du mouvement

Essentiel

«On dit le plus souvent qu'un mouvement a lieu dans l'espace, et quand on déclare le mouvement homogène et divisible, c'est à l'espace parcouru que l'on pense, comme si on pouvait le confondre avec le mouvement lui-même. Or, en y réfléchissant davantage, on verra que les positions successives du mobile occupent bien en effet de l'espace, mais que l'opération par laquelle il passe d'une position à l'autre, opération qui occupe de la durée et qui n'a de réalité que pour un spectateur conscient, échappe à l'espace. Nous n'avons point affaire ici à une chose, mais à un progrès : le mouvement, en tant que passage d'un point à un autre, est une synthèse mentale, un processus psychique et par suite inétendu.»

Henri Bergson, L'Évolution créatrice, 1907, p. 91-92

Enjeux

"(...) nous devons mettre la France en mouvement, la conduire sur un nouveau chemin de jeunesse, de croissance, d'emploi, faire avancer l'Europe (...)." La modernité se définissait déjà, à ses origines, par opposition à ce qu'elle décrivait comme étant l'immobilisme, le statisme des sociétés ou des idéologies pré-modernes ou traditionnelles. Ce qu'elle valorisait, au contraire, c'était le progrès, le changement, le mouvement. Aujourd'hui, l'idéologie des nouvelles élites de la mondialisation néo-libérale pousse encore plus loin cette tendance en imposant à tous les individues et à tous les peuples du globe le mouvement en tout et partout:

«Les nouvelles élites transnationales exigent de tous les individus humains qu'ils 'bougent', qu’ils suivent le mouvement globalisateur, qu’ils accélèrent leur propre mouvement, qu’ils vivent désormais à 'l’heure de la mondialisation'. Les normes en sont simples, voire sommaires: consommer toujours plus, communiquer toujours plus rapidement, échanger d'une façon optimalement rentable. L'entrée dans la société 'bougiste' planétaire et l'imposition à tous les peuples des valeurs de l’individualisme moderne/occidental (utilitaristes, 'compétitivistes', hédonistes) s'accompagnent d’une réduction de la démocratie au couple formé par les droits de l’homme et le marché libre, sans frontières. (...) Cette idéologie, fondée sur une promesse de salut dans et par le mouvement en avant perpétuel, suivant une vitesse accélérée, je l'ai baptisée 'bougisme' ou 'mouvementisme'. Il s'agit d’un nouveau système du destin: au coeur de la Vulgate émergente, l'on rencontre l’idée d’une évolution technomarchande inéluctable.» (Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme. Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Fondation du 2 mars et Mille et Une Nuits, 2001).

Même son de cloche de Philippe Muray:

«L’Histoire est désormais remplacée par le mouvement, par ce qui bouge, par ce qui doit bouger, par ce qui doit avancer. Ces mots sont les ordres de la nouvelle propagande; et l’idéal de ceux qui veulent que tout change sans cesse pour que rien ne change vraiment à leur domination. Ce qui bouge est bien (par exemple une ville ou un pays que ravage le tourisme). Ce qui avance est le Bien.»

«Le propre de l'asservi moderne consiste à toujours montrer qu'il est débarrassé des préjugés d'hier, ou encore d'hier comme préjugé, et à clamer très fort son désir que les choses bougent, qu'elles ne demeurent pas figées.»

Philippe Muray, Après l’Histoire II, Paris, Les Belles Lettres, 2000

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