Charlemagne

742-814
Eginhard: Vie de Charlemagne (extraits)
La Vie de Charlemagne fut composée peu après la mort du roi par Eginhard (v. 770-840), un lettré qui fut un des plus proches conseillers du roi.

Portrait de Charlemagne
«Charles était gros, robuste et d'une taille élevée, mais bien proportionnée, et qui n'excédait pas en hauteur sept fois la longueur de son pied. Il avait le sommet de la tête rond, les yeux grands et vifs, le nez un peu long, les cheveux beaux, la physionomie ouverte et gaie; qu'il fût assis ou debout, toute sa personne commandait le respect et respirait la dignité; bien qu'il eût le cou gros et court et le ventre proéminent, la juste proportion du reste de ses membres cachait ces défauts; il marchait d'un pas ferme; tous les mouvements de son corps présentaient quelque chose de mâle; sa voix, quoique perçante, paraissait trop grêle pour son corps. Il jouit d'une santé constamment bonne jusqu'aux quatre dernières années qui précédèrent sa mort; il fut alors fréquemment tourmenté de la fièvre, et finit même par boiter d'un pied. Dans ce temps de souffrance il se conduisait plutôt d'après ses idées que par le conseil des médecins, qui lui étaient devenus presque odieux pour lui avoir interdit les viandes rôties dont il se nourrissait d'ordinaire, et prescrit des aliments bouillis. Il s'adonnait assidûment aux exercices du chevalet de la chasse; c'était chez lui une passion de famille, car à peine trouverait-on dans toute la terre une nation qui pût y égaler les Francs. Il aimait beaucoup encore les bains d'eaux naturellement chaudes, et s'exerçait fréquemment à nager, en quoi il était si habile que nul ne l'y surpassait. Par suite de ce goût il bâtit à Aix-la-Chapelle un palais qu'il habita constamment les dernières années de sa vie et jusqu'à sa mort; ce n'était pas au reste seulement ses fils, mais souvent aussi les grands de sa cour, ses amis et les soldats chargés de sa garde personnelle qu'il invitait à partager avec lui le divertissement du bain; aussi vit-on quelquefois jusqu'à cent personnes et plus le prendre tous ensemble.»

Défaite des Pyrénées (mort de Roland)
«Pendant qu'il faisait aux Saxons une guerre vive et presque continue, il répartit des garnisons sur tous les points favorables des frontières du côté de l'Espagne, attaqua ce royaume à la tête de l'armée la plus considérable qu'il put réunir [en 778], franchit les gorges des Pyrénées, força de se rendre à discrétion toutes les places et les châteaux forts devant lesquels il se présenta, et ramena les troupes saines et sauves. À son retour cependant, il eut, dans les Pyrénées mêmes, à souffrir un peu de la perfidie des Gascons. Dans sa marche, l'armée défilait sur une ligne étroite et longue, comme l'y obligeait la nature d'un terrain resserré. Les Gascons s'embusquèrent sur la crête de la montagne, qui, par le nombre et l'épaisseur de ses bois, favorisait leurs artifices; de là, se précipitant sur la queue des bagages, et sur l'arrière-garde destinée à protéger ce qui la précédait, ils les rejetèrent dans le fond de la vallée, tuèrent, après un combat opiniâtre, tous les hommes jusqu'au dernier, pillèrent les bagages, et, protégés par les ombres de la nuit qui déjà s'épaississaient, s'éparpillèrent en divers lieux avec une extrême célérité. Les Gascons avaient pour eux dans cet engagement la légèreté de leurs armes et l'avantage de la position. La pesanteur des armes et 1a difficulté du terrain rendaient au contraire les Francs inférieurs en tout à leurs ennemis. Eggiard, maître-d'hôtel du roi Anselme, comte du palais, Roland, commandant des frontières de Bretagne et plusieurs autres périrent dans cette affaire. Tirer vengeance sur le champ de cet échec ne se pouvait pas. Le coup fait, ses auteurs s'étaient tellement dispersés qu'on ne put recueillir aucun renseignement sur les lieux où on devait les aller chercher.»

Relations diplomatiques
«Il sut accroître aussi la gloire de son règne en se conciliant l'amitié de plusieurs rois et de divers peuples. Il s'attacha par des liens si forts Alphonse, roi de Galice et des Asturies, que celui-ci, lorsqu'il écrivait à Charles ou lui envoyait des ambassadeurs, ne voulait jamais s'intituler que son fidèle. Sa munificence façonna tellement à ses volontés les rois des Écossais qu'ils ne l'appelaient pas autrement que leur seigneur, et se disaient ses sujets et ses serviteurs. On a encore de leurs lettres, où ils lui témoignent en ces termes toute leur affection. Haroun, prince des Perses et maître de presque tout l'Orient, à l'exception de l'Inde, lui fut ainsi d'une si parfaite amitié qu'il préférait sa bienveillance à celle de tous les rois et potentats de l'univers, et le regardait comme seul digne qu'il l'honorât par des marques de déférence et des présents.»
EGINHARD, «Vie de Charlemagne», Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, édit. par M. Guizot, 1824. Première et deuxième parties.


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Portrait de Charlemagne, sa famille (Charles Bayet)
«Les biographes de Charles ont tracé son portrait. Il avait le corps ample et robuste, une taille élevée mais sans excès, les yeux grands et vifs, le nez un peu fort, le visage riant. Sa santé fut vigoureuse jusqu'à ses dernières années; il souffrit alors d'accès de fièvre, en arriva même à boiter. Il était sobre, avait horreur de l'ivresse, s'habillait simplement, à la mode franque. L'équitation, la chasse étaient ses grands plaisirs. Il se maria fort souvent et eut de nombreux enfants; ses femmes furent:1° Himiltrud, dont il eut Pépin; 2° Desiderata qu'il répudia; 3° Hildegarde, d'origine souabe, de 771 à 783, dont il eut trois fils: Charles qui mourut en 811, Pépin qui mourut en 810, Louis qui lui succéda, et trois filles: Rothrude, Berthe, Gisla, sans compter trois enfants morts en bas âge (Lothaire, Adélaïde, Hildegarde); 4° Fastrade, d'origine germaine, de 783 à 794, dont il eut deux filles, Théoderade, qui devint abbesse d'Argenteuil, et Hiltrude; 5° Liutgarde, de l'Alamannie, dont il n'eut pas d'enfants, de 794 à 800. Après la mort de Liutgarde, il eut quatre concubines: Madelgarda, dont il eut une fille, Ruothilda; la saxonne Gersuinda, dont il eut une fille, Adaltrud; Régina, dont il eut Drogo, qui devint évêque de Metz, et Hugues, qui devint abbé de Saint-Quentin, de Lobbes et de Saint-Bertin; Adallinde, dont il eut un fils, Thierri. Si on ajoute à cette liste Rhodaïde, née d'une concubine dont on ne sait pas le nom, on arrive à un chiffre de dix-huit enfants connus. Il ne consentit jamais à se séparer de ses filles, à les marier, mais la conduite de quelques-unes d'entre elles laissa à désirer. Parmi ses fils, trois seulement, les fils d'Hildegarde, étaient de naissance légitime. En 806, par un acte dont le texte nous est parvenu, Charles partagea entre eux ses États. Ce partage fut sans effet, par suite de la mort de Pépin et de Charles. En 811, l'empereur fit son testament qu'Eginhard a transcrit dans sa biographie de Charlemagne; il y faisait notamment d'importantes donations aux métropoles ecclésiastiques de l'empire. Au commencement de janv. 814, comme il passait l'hiver à Aix-la-Chapelle, il fut atteint d'une forte fièvre, puis d'une pleurésie, et, après sept jours de maladie, il mourut le 28 janv. On l'ensevelit dans la chapelle qu'il avait fait construire à Aix-la-Chapelle, le corps fut placé dans un sarcophage antique, représentant l'enlèvement de Proserpine, qui existe encore. En l'an 1000, Otto III fit ouvrir le tombeau de Charlemagne; d'après un récit de chroniqueur, dont l'exactitude est plus que douteuse, il aurait trouvé le corps de l'empereur assis sur le trône, revêtu du costume et des insignes impériaux. Une cérémonie de ce genre eut également lieu sous Frédéric Barberousse qui, en 1165, fit même canoniser Charlemagne par l'antipape Pascal III. On procéda à une translation des restes de l'empereur; en 1215, ces restes furent renfermés, sauf le crâne et un tibia, dans une châsse qui fut placée sur l'autel du dôme; de nouveau oubliés, ils ont été retrouvés en 1843.»
CHARLES BAYET, article «Charlemagne», La Grande Encyclopédie, Paris, 1885-1902, tome X. Voir cet article.


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Jugement de François Guizot, historien français du XIXe siècle
«Les époques de transition, dans l’histoire des sociétés, ont ce singulier caractère qu’elles sont marquées tantôt par une grande agitation, tantôt par un grand repos. Il vaut la peine d’étudier les causes de cette différence entre des époques qui sont au fond de même nature, et qui ne constituent point pour la société un état fixe et destiné à durer, mais seulement un passage. Quand la transition a lieu d’un état de chose établi depuis longtemps et qu’il faut détruire, à un état nouveau et qu’il faut créer, elle est en général pleine d’agitation et de violence. Quand au contraire il n’y a pas eu d’état antérieur depuis longtemps fondé et par conséquent difficile à renverser, la transition n’est qu’une halte momentanée de la société fatiguée par le désordre du chaos et le travail de la création. Ceci fut le caractère du règne de Charlemagne. Le pays Franc tout entier, lassé des désordres de la première race et n’ayant pas encore enfanté le système social qui devait naturellement sortir de la conquête, c’est-à-dire le régime féodal, s’arrêta quelque temps sous la main d’un grand homme qui lui procurait plus d’ordre et une activité plus régulière qu’on n’en avait encore connu. Jusque-là les deux grandes forces qui agitaient le pays, les grands propriétaires et le clergé, n’avaient pu prendre leur assiette. Elles attaquaient l’autorité royale qui leur était ennemie. Charlemagne sut les contenir en les satisfaisant, et les occuper sans se livrer à elles. Ce fut sa force et la cause de l’ordre momentané qu’il obtint dans son empire. (…) Je ne m’occupe aujourd’hui que du fait lui-même, de cette autorité singulière d’un roi très puissant placé entre un temps où la royauté n’était presque rien et un temps où elle cessa presque d’être quelque chose. Charlemagne fit de la monarchie barbare tout ce qu’elle pouvait être. Il avait en lui-même, dans les besoins de son esprit et de sa vie, une activité qui répondait aux besoins généraux de son époque, et qui les surpassait en même temps. Les Francs voulaient la guerre et le butin; Charlemagne voulait des conquêtes pour étendre son nom et sa domination; les Francs ne voulaient pas être étrangers à leur gouvernement : Charlemagne tint de fréquentes assemblées nationales, et employa les principaux membres de l’aristocratie territoriale comme ducs, comtes, missi dominici, etc. Le clergé voulait de la considération, de l’autorité et de la richesse. Charlemagne le tint en grande considération, se servit des évêques, les enrichit, les gagna en se montrant l’ami des études qu’ils cultivaient presque seuls. Partout où se portaient naturellement les esprits actifs et énergiques du temps, Charlemagne s’y portait le premier, plus guerrier que les guerriers, plus occupé des intérêts ecclésiastiques que les plus dévôts, plus ami des lettres que les plus savants, toujours en avant dans toutes les carrières, et ramenant ainsi toutes choses à une sorte d’unité, par ce seul fait que son génie était partout en harmonie avec son temps parce qu’il lui était semblable, et capable de le régler parce qu’il lui était supérieur. Mais les hommes qui précèdent ainsi leur siècle dans toutes les routes sont les seuls qui se fassent suivre; la supériorité personnelle de Charlemagne était la condition absolue de l’ordre passager qu’il établit. L’ordre ne naissait pas naturellement alors de la société; l’aristocratie conquérante n’avait pas atteint son but d’organisation. Charlemagne, en l’occupant, l’en détourna un moment. Charlemagne mort, l’aliment manqua à toutes les forces sociales qu’il avait concentrées et absorbées; elles reprirent leurs tendances naturelles, leurs luttes intestines; elles recommencèrent à aspirer à l’indépendance de l’isolement et à la souveraineté dans leur voisinage.»

FRANÇOIS GUIZOT, Histoire des origines du gouvernement représentatif et des institutions politiques de l'Europe. Volume 1: depuis la chute de l'Empire romain jusqu'au XIVe siècle. Reproduit à partir de la quatrième édition : Paris, Didier, 1880, p. 153-156

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