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Extrait de livre

Globalisation et mondialisation
Jean Tardif et Joëlle Farchy
Jean Tardif, Délégué général de l'Association internationale PlanetAgora. Joëlle Farchy, professeur de science de l'information et de la communication à l'Université Paris 1.
Présentation
Ce livre est un guide pour l'action. Pour assurer le passage de la science et de la pensée à l'action, il faut, dans un domaine aussi complexe que celui de la mondialisation culturelle, pouvoir s'entendre sur des définitions claires. Jean Tardif nous en propose.

Extrait
Avec la redéfinition des espaces symboliques, les aires géoculturelles pourraient acquérir une importance encore plus grande que les entités géopolitiques territoriales classiques. La mondialisation modifie en profondeur les conditions d’interactions entre les sociétés et leurs cultures et non pas seulement entre les États et les nouveaux blocs économiques.

Texte
Auteur de ce passage: Jean Tardif.

Nous remercions l'éditeur, HC, qui en a autorisé la reproduction à titre gracieux.

Globalisation et mondialisation: deux processus inter-reliés

Il en va de la mondialisation comme de la culture. L’une et l’autre donnent lieu à d’innombrables définitions et à des discours où les clichés présentés comme des évidences le disputent aux positions idéologiques. La mondialisation est une notion d’autant plus commode qu’elle est vague et que sa puissance d’évocation peut servir des fins idéologiques, nourrir des espoirs et des craintes sans toujours les justifier. Certaines métaphores — marché global, village global, État mondial, américanisation du monde... — peuvent en véhi culer une image aussi saisissante que trompeuse. Sans ignorer la diversité et le poids de ces représentations, il convient, si l’on veut penser la mondialisation dans une perspective politique et stratégique, de chercher à saisir ce phénomène à travers les forces qui sont à l’oeuvre pour éta blir les nouvelles règles du jeu mondial.

Ce n’est sans doute pas par hasard si le terme globalization (l’anglais n’en connaît pas d’autre) s’est imposé en premier pour désigner le phénomène qui a vu, avec la fin de la Guerre froide, les flux financiers et économiques s’affranchir du cadre national et des contraintes du monde bipolaire pour s’étendre à l’échelle planétaire. En reconnaissant cette antériorité, il s’avère utile de distinguer globalisation et mondialisation, deux termes souvent employés l’un pour l’autre en

français. Et dont aucun n’est synonyme d’internationalisation qui se définit comme la multiplication des échanges entre les nations ou entre les États.

La globalisation est un processus caractérisé dans sa phase actuelle à la fois par la multiplication, l’accélération et l’intensifi cation des échanges économiques et financiers entre les diverses parties du monde .1 Si les échanges économiques interconti nentaux se sont multipliés depuis le xve siècle, l’intégration des marchés des marchandises, des capitaux et du travail a connu une accélération de 1820 à 1913 pour atteindre un degré comparable à celui constaté aujourd’hui, constituant ainsi ce que certains considèrent comme la première phase de la globalisation. Dans ses modalités présentes, celle-ci peut être comprise comme «le stade ultime d’une planétarisation techno-économique »2, l’extension du capitalisme à l’échelle planétaire, à des rythmes et à des degrés variables suivant les régions. Grâce à l’évolution technologique et à l’ouverture des marchés, les échanges économiques et finan ciers transfrontaliers qui augmentent plus rapidement que la production mondiale contribuent à la formation d’un mar ché global de plus en plus intégré. Il convient néanmoins de prendre la mesure actuelle du phénomène: ainsi, pour les pays de l’Union européenne, environ 75 % des échanges extérieurs qui représentent 25 à 30 % de leur économie s’ef fectuent entre eux. Les échanges de biens et de services et les mouvements de capitaux, qui restent plus limités qu’on ne semble le croire, sont encore largement régionalisés et s’ef fectuent surtout à l’intérieur de la triade Amérique Europe-Asie du Sud-est (Hirst, Thompson, 1996, chapitre 3). Si la moitié de l’humanité qui gagne encore moins de deux dollars par jour semble n’être guère touchée directement par la globalisation, elle n’en est pas moins entraînée dans sa dynamique.

L’intensification des échanges marque l’émergence d’une économie globale que Manuel Castells (1998, P. 86 et 121) distingue de l’économie mondiale qui était caractérisée par l’accumulation du capital dans le monde entier et qui s’est développée à partir du XVIe siècle:


    « Une économie globale est autre chose: c’est une économie capable de fonctionner comme unité de temps réel à l’échelle planétaire. [Et c’est seulement depuis la fin du XXe siècle que l’économie mondiale est en mesure de devenir véritablement globale, grâce à l’infrastructure nouvelle fournie par les techno logies de l’information et de la communication. La nouvelle économie est informationnelle et globale parce que les activités clés sont organisées à l’échelle planétaire, directement ou à travers un réseau de liens entre les agents économiques »3

Cette économie est informationnelle dans la mesure où la valeur ajoutée se déplace de la production industrielle vers la conception des produits et la fabrication sociale des valeurs marchandes (marketing). La dématérialisation des flux éco nomiques et financiers leur assure une mobilité qui permet à l’économie globalisée de s’affranchir largement des frontières et des contraintes territoriales, ce qui entraîne une géoéconomie nouvelle.

Impulsée par les pays industrialisés, la globalisation économique et financière se développe grâce à l’intervention des États qui contribuent activement à son avancée par la dérégulation et la libéralisation qui leur permettent d’étendre et de consolider leur puissance. Ses principaux protagonistes sont les acteurs économiques. L’ouverture des marchés, qui entraîne le besoin d’opérer à l’échelle planétaire, encourage la formation d’entreprises « globales » 4 qui doivent répondre à ce que l’ancien président d’AT&T appelle «l’impératif de l’ubiquité» accès à la clientèle partout dans le monde, infrastructures appropriées et contenu. Ces grands groupes assurent plus de 40 % des échanges mondiaux et sont responsables pour plus de 80 % des investissements directs à l’étranger qui, notamment par la voie de fusions et d’acquisi tions, leur permettent de s’implanter sur les marchés porteurs. Au coeur de la structure de pouvoir de la nouvelle économie globale, ils ont acquis un poids et une influence qui leur permettent de s’entendre entre eux sur certaines règles et procédures et de réussir souvent à faire adopter les politiques publiques qui favorisent leurs intérêts (Strange, 1996) 5

La mondialisation est un processus plus général qui intègre la globalisation —, caractérisé par la multiplication, l’accélération et l’intensification des interactions économiques, politiques, socia les et culturelles entre les acteurs des différentes parties du monde qui y participent de façon variable. C’est un « fait social total qui entraîne une réorganisation du temps et de l’espace dans les relations sociales (Giddens, 1993) et modifie la représen tation du monde qui devient perçu comme entité concrète.

Dans ses phases antérieures, la mondialisation s’est effectuée surtout dans un mouvement qui allait de l’Occident vers la périphérie: les diverses «économies-monde» et les «civilisations-monde» n’existaient pas réellement les unes pour les autres. Bien qu’elle reste encore impulsée par l’Occident, la mondialisation se caractérise par des flux croisés et inégaux, par la recomposition de configurations transfrontalières complexes, l’apparition de nouvelles com munautés électives et de réseaux à géométrie variable. Tout n’est pas et ne sera pas mondialisé, mais la mondialisation est un processus structurant qui affecte tous les secteurs d’activité et tous les acteurs. L’État-nation, l’économie, et les acteurs globaux ne peuvent plus désormais fonctionner comme des systèmes fermés ou prétendre à l’autarcie : ce qui se passe en un point de la planète peut être immédiatement connu ailleurs et entraîner des répercussions qui se font sentir partout. Cela est vrai aussi bien pour les marchés, le terrorisme, les épidémies que pour les événements politiques, sociaux et culturels. La mondialité devient donc un nouvel horizon concret pour une partie de plus en plus importante de l’humanité. Les flux de personnes, d’information, de marchandises et de services, les menaces comme les inégalités n’ont plus le territoire national comme principal théâtre.

L’historien Fernand Braudel (1988) a observé que les processus successifs de la mondialisation qu’a connus l’humanité se sont toujours déroulés en quatre temps : une phase économique suivie d’une phase sociale, puis culturelle et enfin politique.

Avec la prodigieuse extension des communications, la dimension culturelle de la mondialisation s’impose désormais comme un fait dont l’importance stratégique est trop souvent méconnue. Le tournant structurel le plus décisif qu’entraîne la mondialisation, c’est qu’elle change la façon dont les hommes se représentent et habitent le monde. Avec la redéfinition des espaces symboliques, les aires géocultu relles pourraient acquérir une importance encore plus grande que les entités géopolitiques territoriales classiques. La mondialisation modifie en profondeur les conditions d’interactions entre les sociétés et leurs cultures et non pas seulement entre les États et les nouveaux blocs économiques.

En attendant que des questions comme les délocalisations des entreprises et des emplois ou l’émergence de nouveaux pôles de puissance économique et culturelle contribuent à dramatiser les enjeux de la mondialisation, il reste difficile d’avoir une perception claire de ces phénomènes complexes. D’une part, et de façon paradoxale comme on l’a déjà noté, parce que la mondialisation est d’abord un enjeu local: c’est à partir de la situation locale que sont perçus les effets de ces transformations qui diffèrent beaucoup suivant qu’ils sont vécus en Asie, en Afrique, en Europe ou dans les Amériques. D’autre part, parce que les perceptions sont liées aux discours contradictoires sur la globalisation et la mondialisation. Mais par delà leurs divergences, les chantres d’une mondialisation heureuse qui apporterait à tous les bénéfices d’une croissance stimulée par les échanges libéralisés, et les alter mondialistes qui y voient une nouvelle avancée du capitalisme responsable de l’accroissement des inégalités en même temps que la menace d’une américanisation dont l’État devrait les protéger, ont un point en commun: tous reconnaissent l’importance des transformations actuelles.

Le marché-monde, encore fragmentaire et incomplet, ne crée pas une société-monde. II serait abusif de parler d’une communauté mondiale comme unité ou sujet politique tout autant que de «la communauté internationale» qui, dans les faits, s’auto-définit soit par la coalition des puissances, soit par le regroupement de ceux qui se retrouvent autour d’un enjeu dans des circonstances déterminées et qui l’invoquent pour tenter de s’arroger une légitimité. La mondialisation ne fait disparaître ni l’État comme corps politique, ni la nation comme corps social, mais elle instaure un processus de « destruction créatrice » d’où émerge une sphère planétaire aux frontières plurielles et brouillées, dans laquelle l’État-nation n’est plus le cadre de référence englobant tous les autres cadres de l’activité humaine.


Notes:

1- Cette définition est inspirée de Held & McGrew (1999).

2- Edgar Morin, «Une mondialisation plurielle », Le Monde, 25 mars 2002.

3- Il ne s’agit évidemment pas de « l’économie-monde » définie par Fernand Braudel (1979, p. 12) comme «un morceau de planète écono miquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique ». Elle est caractérisée par un espace géographique donné, un pôle ou un centre, et un partage en zones successives.

4-Le nombre de ces entreprises globales varie suivant les critères utilisés. Il n’y aurait que 27 « Glocos » (Global Companies) suivant les huit critères retenus par la banque d’affaires américaine Goidman Sachs, Le Monde, 13 août 2003. En comparant le chiffre d’affaires des plus grandes multinationales et le PNB des pays les plus riches, on arrive au résultat suivant en 2000: des 100 premières, 51 sont des sociétés de capitaux et 49 sont des Etats. Sarah Anderson, John Cavanagh, TOP 200. The Rise of Corporate Global Power, Institute for Policy Studies, [ (consulté le 18 mai 2005). La CNUCED, en utilisant le critère de la valeur ajoutée (PNB pour les États, la somme des salaires, bénéfices, amortissement et revenu avant impôt pour les entreprises), arrive à un résultat différent: 29 des 100 plus grandes entités économiques sont des entreprises transnationales, [ (consulté le 12 août 2002) Wladimir Andreff (2003).

5-Christian Chavagneux analyse certaines modalités du pouvoir des grands groupes : « La montée en puissance des acteurs non étatiques », Gouvernance mondiale. Rapport du Conseil d’Analyse économique, Documentation française, 2002, p. 233-256. Ulrich Beck (2003, chapitre 4, p. 229-313) met en évidence les stratégies du capital. Geoffrey Geuens (2003) examine le tissu d’intérêts croisés d’où surgit la connivence organique qui, à l’intersection du politique, de l’économique et du médiatique, cimente l’exceptionnelle hégémonie contemporaine du capital.

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