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Littérature francophone subsaharienne : un manque de popularité

Moussa Sawadogo
Présentation
«La littérature francophone subsaharienne vit-elle dans un ghetto ? A priori, on est tenté de répondre par l’affirmative, tant cette littérature reste inaccessible à la majorité des Africains. Moussa Sawadogo explore le monde de la littérature et de l’édition et tente de comprendre l’enfermement dont souffre d’importantes voix africaines.»

Texte
Les seuls auteurs africains connus sont ceux qui accèdent aux grands circuits de production et aux instances de légitimation (médias) situés en Europe. La France semble, pour eux, le seul lieu de reconnaissance internationale où sont logées les grandes maisons d’édition et de diffusion. En Afrique, le livre reste encore un luxe inaccessible. Un roman édité en France coûte en moyenne 17 euros, l’équivalent du prix d’un sac de maïs de 100 kilos, capable de nourrir une famille pendant plusieurs jours. Dans un continent caractérisé par la pauvreté et la malnutrition, dépenser 17 euros pour un livre relève du superflu.

Éditer des oeuvres moins chères ? Cela semble la solution idoine. Mais l’Afrique subsaharienne manque de maisons d’édition digne de ce nom, capables de couvrir les autres pays du continent. Les rares éditeurs que l’on rencontre en Côte d’Ivoire (Les Nouvelles Editions Ivoiriennes), au Sénégal (Les Nouvelles Editions Africaines), au Mali (Le Figuier) évoluent dans des marchés nationaux restreints. « Un auteur publié dans un de ces pays a toutes les chances de rester dans l’ombre », explique Moussa Konaté, écrivain et directeur du Figuier, évoquant le manque de structures de diffusion performantes et les problèmes de transport entre les pays africains.

Les obstacles sur la route de l’édition en Afrique sont nombreux. Au Mali, les banques refusent tout crédit à Moussa Konaté arguant l’absence de garantie. Elles ne considèrent pas l’édition comme un secteur rentable. Le Figuier doit donc son existence aux économies de son directeur et au soutien d’ONG. Il ne bénéficie d’aucune subvention d’Etat. Au contraire, celui-ci impose une TVA de 19,6 % sur chaque livre édité au Mali, ou de 25 % si le livre est importé. Cette situation fait dire à l’écrivain guinéen Tierno Monembo (1) que les gouvernants africains ne veulent pas de la circulation des idées car « la culture fait peur au pouvoir. Pour le pouvoir, un homme qui pense est subversif ». Face à ces obstacles, les auteurs africains doivent donc se tourner vers les marchés européens. Or, selon Papa Samba Diop, professeur de littérature africaine à l’Université de Paris XII, seulement 15 % des oeuvres produites en Afrique arrivent en France.

Malgré ces problèmes, le monde de la littérature de langue française au sud du Sahara reste optimiste. Des pistes ont été explorées et se révèlent porteuses. C’est le cas de la coédition entre maisons d’édition du Nord et du Sud. En 2001, le Figuier à Bamako et Gallimard en France ont coédité « Kouty » d’Aïda Diallo, dans la Série Noire. La coédition permet aux maisons d’édition africaines de ne pas éditer des oeuvres déjà sorties en Europe. Ce système a également facilité la sortie par les Nouvelles Editions Ivoiriennes des « Gardiens du temple » de Cheik Hamidou Kane et de le mettre sur le marché au prix de 5 000 francs CFA alors qu’il coûtait initialement entre 10 000 et 12 000 francs CFA.

« Le livre est un masque qu’il faut habiter pour aller à l’oralité »
D’autres auteurs-dramaturges ont trouvé dans le théâtre un lieu d’accessibilité pour la littérature. C’est le cas de Koulsy Lamko, qui a choisi d’adapter des textes au théâtre. On revient à l’oralité. « Le livre est un masque qu’il faut habiter pour aller à l’oralité (…) Il faut resituer l’écrivain dans son rôle originel d’un artiste éclaté et qui use de disciplines les plus larges. »

La littérature francophone subsaharienne cherche encore sa voie. Pourtant, elle est riche, diversifiée et pleine de talents. Les débats, entre écrivains venus de tous les continents lors du festival du livre organisé par l’association « Etonnants Voyageurs », tenu du 21 au 26 février 2002 à Bamako, l’ont démontré.

Quelque chose a changé depuis les pères de la négritude, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et tous ceux qui pendant la colonisation du continent pratiquaient une « apologie systématique des sociétés détruites par le colonialisme » (2). Une nouvelle génération d’écrivains est née à partir des années 90, partout sur le continent mais aussi dans la Caraïbe et l’océan Indien. Cette nouveauté littéraire se veut « un témoignage sur l’homme, témoignage fondé sur l’individualité la plus profonde, la plus universelle de celui-ci. » (3) Elle aspire à plus de liberté. Parmi les figures emblématiques de cette nouvelle génération, se trouve Fatou Diome (4). Elle a publié son premier roman et clame à qui veut l’entendre son refus de se laisser enfermer dans un ghetto quelconque. « Je ne parle pas au nom d’une société. Je ne revendique pas cela. C’est aux autres de se retrouver dans mon discours. Je ne suis pas le porte-parole de l’Afrique », soutient-elle.

L’arrivée massive des femmes
Mais le fait le plus marquant est l’arrivée massive des femmes dans la littérature à partir des années 80. De Mariama Bâ dans « Une si longue lettre » (1979), à Fatou Diome avec « La préférence nationale » (Présence Africaine, 2001), plus d’une dizaine de femmes se placent au coeur de la littérature en Afrique francophone subsaharienne. Elles prennent la plume pour aborder, selon leur sensibilité, les us et coutumes qui, en Afrique, ont toujours relégué la femme au second rang. En prenant la plume, la femme africaine va montrer à travers les thèmes abordés qu’il existe un monde de la femme dans lequel elle prend, selon Fatou Diome, la parole pour manifester sa liberté et son indépendance.

L’entrée des femmes dans la littérature n’est pas le fait du hasard. Pour Ken Bugul, une des premières femmes écrivains au sud du Sahara, ce phénomène est dû à leur instruction mais aussi à leur contact avec d’autres femmes issues d’autres continents. Dans la littérature francophone subsaharienne, elle dit avoir apporté une personnalité et une sensibilité féminines. Elle soutient que la femme africaine ne doit plus se laisser confiner dans des clichés, ni verser dans un féminisme béat. La femme africaine doit se voir comme « la femme universelle ». En effet, dès son premier livre, « le Baobab fou » (1979), Ken Bugul critique sévèrement la société très peu respectueuse de la femme et rompt avec une certaine soumission obscurantiste à la tradition.

Fatou Keita est venue également dans la littérature après un contact avec d’autres femmes qui, avant elle, se sont lancées dans la littérature. A son tour, elle a décidé de devenir une « femme qui regarde le monde et l’homme » et de dire ce qu’elle voit et pense. Mais elle ne se fait pas d’illusions. Cela n’est pas chose facile. « Socialement », dit-elle, « la femme instruite dérange quelque part. Elle est indépendante dans sa pensée, elle dérange car les hommes n’aiment pas qu’on parle d’eux. »

En Afrique francophone subsaharienne, des pères de la négritude à la nouvelle génération d’écrivains, il n’y a pas eu de parricide. Les contestations et autres revendications des jeunes écrivains s’inscrivent dans une évolution dialectique et donc dans la continuité. En effet, d’une génération à une autre, certains maux sociaux sont restés endémiques, même si leurs traitements littéraires ont connu des évolutions. Des auteurs qui ont commencé à écrire dans les années 60 le font encore aujourd’hui. C’est le cas, par exemple, d’Ahmadou Kourouma.

Selon Papa Samba Diop : « Si diverses que soient les oeuvres des écrivains actuels, il existe entre elles une commune mesure : elles ne sont pas plus sereines que celles des générations précédentes. Toutes participent d’une certaine fébrilité à accorder leurs ambitions esthétiques à leurs dettes culturelles originelles. » Le moins que l’on puisse alors dire, c’est que la littérature francophone subsaharienne est féconde. Cependant, elle reste encore confinée, accessible à une seule élite et contrainte à l’exil. Pour la majorité des Africains, cette littérature doit quitter son piédestal pour devenir réellement populaire.

Notes
1. Après avoir fui la dictature de Sèkou Touré, il s’est installé en France et est considéré comme un des grands écrivains de la littérature négro-africaine.
2. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, rapporté par Papa Samba Diop, in Notre Librairie, Nº146, octobre-décembre 2001.
3. Papa Samba Diop, Notre Librairie, Nº146, octobre-décembre 2001.
4. Née au Sénégal, elle prépare un doctorat de lettres modernes à l’université de Strasbourg. La préférence nationale (Présence Africaine, 2001) est son premier livre.

Source
Article reproduit du Courrier ACP-UE (Commission européenne, Direction générale du Développement), no 192, mai-juin 2002
© Communautés européennes, 1995-2006
«Reproduction autorisée sous réserve d'indication de la source (Le Courrier).»
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