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La notion de "qualité de la langue" |
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Hélène Cajolet-Laganière |
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Texte |
Au Québec, en matière d’usages et de norme, il est devenu habituel de parler de « qualité de la langue ». Selon Daneš (1987, p. 455), l’expression même de « qualité de la langue » est un concept québécois; elle n’est pas consignée dans les dictionnaires français. Ce serait le linguiste Jean-Denis Gendron qui, à la fin des années 1960, aurait utilisé cette expression pour la première fois. Paradoxalement, ce concept demeure vague. En général, la notion de « qualité » est définie à partir de critères positifs (degré élevé d’une échelle de valeurs); au contraire, la « qualité de la langue », au Québec, est perçue d’une manière négative et renvoie le plus souvent à des textes qui en seraient dépourvus. De même, la notion de « maîtrise de la langue » fait essentiellement référence à la « connaissance », à la « formation » de base en français. Et elle est le plus souvent qualifiée de « minimale », de « satisfaisante » ou d’« insatisfaisante ».
À l’instar des notions de « culture » et de « qualité de vie », on conçoit bien que la notion de « qualité de la langue » regroupe des éléments difficilement mesurables. Le sens de cette expression diffère aussi beaucoup selon les personnes. Certains y voient un élément de perfection, un idéal à atteindre, une parfaite conformité avec les différentes conventions linguistiques établies dans le français de France. D’autres la situent dans un cadre fonctionnel, qui tient compte de la situation de communication et du public visé. D’autres encore y ajoutent des éléments d’efficacité de la communication (lisibilité). D’autres enfin insistent sur l’importance de la notion de variation linguistique, c'est-à-dire sur l’existence de plusieurs normes sociales dans la communauté linguistique, incluant une norme québécoise dominante.
Pour nous, la « qualité de la langue au Québec » devrait équivaloir à la notion de « bon usage », lequel devrait être défini comme la norme du français au Québec, soit l’ensemble des règles qu’il faut respecter pour bien parler et bien écrire le français au Québec, selon les divers types de communication et le public visé.
En ce qui a trait à la langue écrite, la définition de la qualité de la langue présente deux difficultés majeures :
- d’une part, le « modèle » auquel renvoie obligatoirement le « bon » usage de la langue écrite n’est pas encore décrit. Pourtant, il y a un consensus sur certains écarts entre la norme française et la norme québécoise, comme la féminisation de certains titres (la forme directrice est acceptée et fréquente au Québec, alors qu’en France, on emploie plutôt la forme masculine, directeur). Il en va de même des équivalents français à divers anglicismes en usage en France (désodorisant en bâton fait partie du bon usage au Québec plutôt que désodorisant en stick).
- d’autre part, comme le modèle a pour fondement social l’autorité de certaines personnes (en général, les écrivains) ou de certaines institutions (comme l’Académie française, en France), aucune autorité au Québec n’est en mesure pour moment de jouer ce rôle «normatif» à l’égard de notre langue. Nos écrivains, à cause, entre autres, de l’emploi du joual dans leurs textes, ne peuvent acquérir ce prestige social et l’Office de la langue française n’intervient pas dans la langue générale.
Pour ce qui est de la langue orale, un «modèle» de bonne prononciation du français du Québec, fait consensus aujourd’hui chez les Québécois. À titre d’exemple, l’Association québécoise des professeurs et professeures de français à approuvé et reconnu officiellement le modèle articulatoire des annonceurs de Radio-Canada. De plus, ce modèle a fait l’objet de plusieurs descriptions, dont celle principalement de Jean-Denis Gendron (1960, 1968, 1983).
Par ailleurs, des efforts ont été faits pour définir d’autres modèles linguistiques, notamment celui du vocabulaire. Les auteurs des récents dictionnaires du français québécois ont tenté, par exemple, de présenter les usages et le bon usage du français québécois, au moyen, entre autres, des marques d’usage. Mais la mauvaise réception de ces ouvrages par le public montre à l’évidence que le modèle proposé par ces ouvrages ne correspond pas à celui que pratiquent ou veulent pratiquer les Québécois. On note donc l’absence de «modèle lexical» de la langue parlée et de la langue écrite à l’heure actuelle au Québec. Par ailleurs, les modèles français de la morphologie et de la syntaxe n’ont jamais été remis en cause globalement par les Québécois, sauf pour quelques détails.
Les modèles linguistiques, à l’exception de celui de la prononciation, n’étant pas établis socialement au Québec ni encore décrits, force nous est de restreindre, dans le cadre de notre ouvrage, la notion de qualité de la langue. Nous l’avons circonscrite à la simple conformité des textes aux règles minimales du français, telles qu’on les a apprises à l’école, à travers les grammaires et les dictionnaires du français de France. (…) |
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