Nombre
Nous retiendrons la définition de Littré: «l'unité, une collection d'unités, les parties de l'unité. » Elle complète celle d'Euclide: «collection d'unités de même espèce.»
Précaution : Notre but dans ce dossier n’est pas de contribuer au progrès de la science des nombres, ce dont nous serions bien incapables, mais d’inviter les gens à s'approprier, comme sujet de réflexion, un phénomène, le règne du nombre, qui est au coeur de leur vie quotitienne en plus d’être, depuis quatre siècles, le moteur du développement.
Le nombre aime se contredire
Abstrait, loin des choses, le nombre est aussi au coeur des choses.
Voici l'échelle des sons, voici l'échelle de nombres. Rien ne nous incite à penser qu’il y a un lien entre ces deux séries. Elles semblent bien parallèles. Et tout à coup l’on découvre que l’accord le plus beau, l’octave, correspond au rapport le plus simple entre deux nombres entiers. Il y a une infinité d’autres rapports possibles entre deux segments d’une même corde, pourquoi est-ce le rapport le plus simple qui est le bon? Pourquoi les nombres entiers sont-ils partout en physique atomique. Pourquoi la série des nombres qui sont la somme des deux précédents (1-2-3-5-8-13...) converge-t-elle vers le nombre d'or, 13/8 1.6, qui lui-même engendre cette courbe logarytmique dont on trouvera la parfaite illustration dans la coquille appelée Nautilus?
Inutiles, purs objets de contemplation pour le mathématicien qui étudie leurs rapports, les nombres sont aussi des choses si utiles qu’aucun outil plus concret ne peut leur être comparé.
Quand il a découvert le système binaire, Leibniz a cru avoir découvert une preuve de l’existence de Dieu. La simplicité et la beauté de ce système étaient tels que seul un Dieu pouvait en être l’auteur. La plupart des sons, des textes et des images qui atteignent nos sens aujourd’hui sont portés par cette preuve de l’existence de Dieu.
Disctinct, déterminé, limité, et par là symbole de la claire raison, les nombres sont aussi indistincts, indéterminés, illimité et par là symboles de l’irrationel. Rien n’est plus clair qu’un nombre entier comme 1 ou 2. Rien n’est plus irrationel que Ö2, représentant l’hypothénuse d’un triangle rectangle dont les deux autres côtés sont égaux à 1.
Les nombres sont tout aussi étonnants quand on les considère dans une perspective historique.
Rien de plus saisissant que la comparaison entre l’actuelle prolifération du nombre et le lent processus par lequel, à l’origine, dans diverses cultures, on a tiré cette perle de la coquille du réél pour l’élever au-dessus des choses en tant que caractéristique commune à certaines d’entre elle : un est commun à la lune et au soleil, deux aux membres des animaux, cinq aux doigts des mains et des pieds. On appelle ce processus abstraction, du latin abs-trahere, qui veut tirer de.
Georges Ifrah a raconté cette épopée de l’abstraction dans son histoire universelle des chiffres. (Seghers 1981)
Le mot abstraction a la même racine que traction, tracteur, attraction, attrait. Le destin du nombre et celui de l’humanité est enfermé dans ces mots. La maîtrise du nombre deviendra la condition de la maîtrise du monde. Le nombre sera l’abs-tracteur, le tracteur abstrait du monde
Mais le nombre a aussi été un outil de réconciliation avec le monde. C’est le mot attrait qui s’impose ici. La présence du nombre dans de nombreuses oeuvres d’art, musicales, architecturales, picturales explique l’attrait exercé par ces oeuvres.
Observons l’évolution des sciences du nombre et celle, semblable, de l’importance que le nombre a pris dans la vie quotidienne. Elle a commencé dans un lointain passé, peut-être quand un berger a eu l’idée de remplacer par un symbole le tas de cailloux (calculus en latin) correspondant aux nombres de têtes de son troupeau. Puis pendant des millénaires, la courbe s’est élevée avec une lenteur infinie, atteignant un sommet en Inde, un autre en Grèce, un troisième à Bagdad au coeur du monde Arabe, qui fit un si bon usage du zéro. À partir du XVIe siècle en Europe, la courbe s’est envolée, grâce aux découvertes de Descartes, de Pascal, de Leibniz, de Newton....Tout avait commencé au XIII siècle quand l’Italien Fibonaci publia son Liber Abaci, qui marquait le déclin du chiffre romain dans la chrétienté et son remplacement par le chiffre arabe.
L’évolution de l’importance du nombre dans la vie quotidienne a suivi une trajectoire semblable. Cherchez les chiffres dans la vie des hommes du Moyen Age. Ils ignoraient même les dates de leur naissance et de leur mariage. Ils se situaient dans le passé non par rapport à un point de référence abstrait comme une date, mais par rapport à un événement qui avait marqué les imaginations, tel la prédication d’une croisade.
À la fin du vingtième siècle, une petite erreur de prévision dans la façon d’écrire les dates dans les ordinateurs faillit provoquer une catastrophe mondiale. Le nombre est omniprésent aujourd’hui. Il a rendu le recours aux sens dans presque toutes les activités, de la cuisine à la chambre à coucher, de l’usine au stade, du journal à la télévision, de la médecine à la physique. Partout des instruments de mesure sentent pour nous, écoutent pour nous, goûtent pour nous, jugent pour nous.