Kalm Pehr
Quand un botaniste suédois compare les Montréalaises aux Québécoises de 1749
Pehr Kalm (1716-1779) est un universitaire né en Suède, baptisé Petter, fils d’un pasteur finlandais et d’une écossaise, élevé en Finlande où il s’adonne aux sciences naturelles. Ce professeur et auteur de botanique, de sciences naturelles et d’économie de l’histoire naturelle, est mandaté par son élève et ami le naturaliste Carl von Linné pour se renseigner sur des plantes qui seraient éventuellement utiles à l’agriculture et l’industrie et dont il rapportera des semences.
Il visite donc en 1749 la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France en passant par le lac Champlain dont il décrit les coutumes amérindiennes, la géologie, la botanique, les animaux, et les fortifications du fort Saint-Frédéric (auj. Crown Point, NY).
Parti d’Albany (NY) il remonte la rivière Hudson puis fait du portage pour atteindre le lac Champlain. Au fort Saint-Frédéric il attend 17 jours la barque de Joseph Payant dit Saint-Onge et celle d’un vent favorable pour être conduit au fort Saint-Jean (sur-Richelieu), d’où il gagne Laprairie en voiture à cheval par un sentier devenu la route 104 actuelle avant de traverser le fleuve sur un bateau en bois de pin. Par le St-Laurent il rejoint Cap-aux-Oies en canot d’écorce; attendu à Québec par le gouverneur Roland Micel Barrin de La Galissonière qui le traite avec tous les égards, étant recommandé par la cour de France; les 130 jours passés en Nouvelle-France de juin à octobre sont les plus heureux de son voyage car ses hôtes assurent généreusement la logistique de ses déplacements.
Comme le formule si bien l’historienne Nichole Ouellette, « ni conquérant, ni soldat, ni missionnaire, il enregistre ce qu’il voit avec la rigueur d’un clinicien, son regard essentiellement scientifique donne un poids inestimable à ses notes. Il note les us et coutumes des premiers et nouveaux habitants. »
Son journal contient des observations fort révélatrices sur les mœurs quotidiennes des filles et femmes de Québec et de Montréal car il n’avait pas trouvé cette coquetterie chez les femmes d’origine anglaise en Nouvelle-Angleterre et encore moins chez celles d’origine hollandaise à New-York et Albany. « Lorsque Kalm dit que les françaises du Canada sont jolies, bien élevées, vertueuses, un peu moqueuses peut-être, et portées au badinage, mais en toute innocence de cœur, et de plus, qu’elles sont meilleures ménagères que leurs voisines des plantations anglaises, nous n’avons pas de peine à croire qu’il a tracé un portrait fidèle de la canadienne d’alors. »
Sur les Québécoises
« Les femmes de Québec ressemblent, à leur façon d'être, aux femmes de France. Mais les femmes mariées vivent trop librement. Il paraît qu'on les présente aux jeunes Français de la marine royale, stationnés à Québec durant un mois et davantage. Ces messieurs n'ont d'autre occupation que de rendre visite à ces dames, avant de regagner la France. Les femmes de cette ville, en particulier celles de la haute société, se lèvent à 7h du matin, s'habillent, se poudrent et se frisent jusqu'à 9h en sirotant un café au lait. Les jeunes filles se parent ensuite de façon magnifique, s'assoient sur une chaise près d'une fenêtre ouverte donnant sur la rue. Un ouvrage de couture à la main, elles font un point de temps en temps...
Elles tournent continuellement les yeux du côté de la rue et si quelque jeune homme vient à entrer, la jeune fille abandonne son ouvrage. Elle s'assoit alors le plus près possible du jeune homme, cause et bavarde avec lui, sourit et pouffe de rire, et la langue marche comme les ailes de l'hirondelle, sinon plus rapidement. Toute la journée s'écoule de la sorte sans que la jeune fille s'adonne au plus léger travail. Elle reste assise et bavarde avec les jeunes gens. Même à l'intérieur des maisons, les jeunes filles s'habillent chaque jour de magnifique façon, comme si elles étaient invitées à dîner chez le gouverneur général. Elles portent sur elles toute leur fortune, et même parfois davantage, rien que pour être splendides. De nombreux Français viennent à Québec avec leur navire, tombent parfois amoureux et se marient. Ces mêmes hommes montent rarement jusqu'à Montréal. »
Ce genre d’observation se répètera un siècle et demi plus tard quand le journaliste autrichien Stefan Sweig écrira lors de son escale à Québec en 1911 vers la fin de son voyage en Amérique du Nord : « D’un seul coup on oublie qu’on est en Amérique. Les gens ici ne sont pas en proie à la même précipitation agaçante, ils sont polis […] pour la premièrefois depuis des semaines, j’ai de nouveu entendu ici de vrais rires, francs et naturels … » (cité p. 317 dans La raison et la vie par Jacques Dufresne)
Sur les Montréalaises
« Une grande partie des Français venus s'installer en Nouvelle-France accusent les femmes de Montréal de manquer, dans une grande mesure, de la bonne éducation et de la politesse des Françaises d'origine. Les personnes du beau sexe, à Montréal, semblent poussées par un certain orgueil et comme contaminées par l'esprit imaginatif des Sauvages d'Amérique. On leur trouve une sorte de fierté sauvage. Le matin, elles se lèvent avant le diable en personne. Le soir, les femmes, les jeunes filles et les garçons se promènent dans les rues, bras dessus bras dessous, en plaisantant et badinant entre eux, avec une gaieté folle. En général, ces dames sont plus jolies que celles de Québec…
De plus, elles les surpassent dans le domaine de la chasteté ! Les jeunes Montréalaises cousent et mettent la main aux travaux ménagers. Elles ne pouffent pas de rire autant que les Québécoises, bien qu'elles soient assez enjouées et aimables. Personne ne peut dire qu'elles soient dépourvues de charme et d'intelligence. Les Montréalaises se marient ordinairement plus tard que les Québécoises. »
Concluons que les habitudes, le contrat social et la condition des femmes ont bien changé au Québec, probablement plus rapidement que partout ailleurs, et pour le mieux. Peu de nations, sauf peut-être en Scandinavie, offrent présentement autant d’opportunités d’épanouissement au sexe féminin. Les observations de Kalm font partie de notre histoire, de nos racines, et contribuent à savoir d’où l’on vient.
Sources
Nichole Ouellette, site web https://www.florelaurentienne.com/flore/NotesUsages/KalmNouvelleFrance.htm consulté en janvier 2020
Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, traduction J Rousseau et G Bethune, Ed. Pierre Tisseyre, Montréal, 1977