Jardin
BENOIST-MÉCHIN, L’homme et ses jardins ou les métamorphoses du Paradis terrestre, Paris, Albin Michel, 1975.
Petite histoire du jardin, de la Renaissance au tournant du XXe siècle
«Au Moyen Âge, la nature étant omniprésente (quoique souvent objet de méfiance), les jardins sont plutôt sommaires. Dans les monastères, ce sont en fait des potagers où l'on cultive des plantes utiles : arbres fruitiers, légumes, plantes médicinales. Mais cette nature omniprésente irradie partout dans les réalisations humaines. Vues comme des microcosmes, les églises et, par extension, la liturgie mettent en valeur la lumière, la pierre, l'eau (dans les fonts baptismaux), l'air (avec l'encens). Des décorations s'inspirent des formes végétales réinterprétées avec grande fantaisie.
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— Renaissance
C'est vraiment la Renaissance et particulièrement la Renaissance italienne qui invente le jardin et le considère déjà comme un art véritable. Stimulé et soutenu par la richesse des villes telle Florence et un nouvel esprit humaniste, l'art du jardin est né de la rencontre de nombreux artistes qui, se regroupant en équipes multidisciplinaires avant la lettre!, collaborent ensemble pour créer des jardins autour de somptueuses villas. Ces jardins sont basés sur la géométrisation des formes (tant des aménagements que des arbres et arbustes), la présence de l'eau (notamment sous la forme de fontaines), l'idée d'une vaste perspective donnant sur la campagne environnante, l'intégration de nombreuses sculptures ainsi que la création de grottes. Ce modèle inspire directement les jardins français de la Renaissance et sera la base de ceux de l'époque suivante. Toutefois, certains traits français se dessinent déjà : géométrisation accrue, arbres relégués en bordure pour marquer la limite entre l'art et la nature, utilisation des canaux de drainage à des fins décoratives.
La nature étant alors considérée comme inquiétante sinon hostile, il est possible que sa version «domestiquée», les jardins, ait constitué pour plusieurs personnes l'occasion d'un premier pas vers elle, d'une première communion avec elle.
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— Le jardin anglais
Aux côtés d’une nature sauvage, le modèle dominant du jardin de cette période est le jardin à l’anglaise. Inspiré par les idées de Locke sur la psychologie humaine, ce type de jardin cherche à imiter la nature et à recréer l’effet produit par celle-ci. Fondé sur les contrastes et les surprises, ce jardin inclut des boisés, des fourrés et des ruines décoratives qui en accentuent les traits irréguliers. La promenade n’y est pas balisée par des allées bien démarquées : elle est plutôt un cheminement aléatoire, une sorte d’errance poétique. Or le jardin à la française procédait d’une toute autre esthétique, rattachée à un univers socio-politique que la Révolution française avait rendu désuet. En France, le choc révolutionnaire bouleversa si profondément les sensibilités et les préoccupations qu’il fallut quelques décennies avant de reformuler un lien original à la nature avec le mouvement impressionniste.
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— Le jardin français
Les irrégularités des nouveaux jardins à l’anglaise allaient bientôt évoquer les nouvelles libertés alors que des commentateurs soutenaient que la ligne droite fondamentale dans le jardin à la française représentait le despotisme uniformisant d’un régime politique déchu. Inspiré en réalité de modèles italiens, le jardin à la française, dit aussi jardin formel ou jardin régulier, marque effectivement cette époque précédente. Basé sur des lignes géométriques épurées et symétriques, il donne la vedette aux perspectives grandioses définies par de vastes terrasses et de grandes allées; il se sert abondamment de la taille afin de créer des formes régulières introuvables en nature; il formalise de même l’eau dans des fontaines, des canaux et des bassins : bref, il force la nature, lui impose des formes qui ne sont pas les siennes pour bien montrer, selon le mot de Descartes, que le "Roi est devenu son maître et possesseur".
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— Au tournant des XIXe et XXe siècles
À cette époque, les avancées conquérantes de la Révolution industrielle avaient transformé la vision de la nature en Europe. En crachant leur fumée, les usines rétrécissent l'espace et les trains raccourcissent le temps. Déracinant impitoyablement les gens, cette vague provoque une rupture avec la terre. Les mieux nantis privatisent la nature en créant des espaces verts pour leur usage dans les villes et les nouvelles banlieues. Mais aussi, plusieurs de ces agglomérations aménagent des jardins et parcs publics qui deviennent de véritables poumons. Même les cimetières se modèlent sur le jardin, tel celui du Père-Lachaise de Paris dont les premiers plans datent de 1812. Paradoxalement, jamais la nature n'a paru si belle. Pour les Européens et les Français en particulier, seule l'Amérique, jeune, peu peuplée encore est perçue comme un Éden. C'est de tout ce mouvement que témoigne la peinture impressionniste où jardins et parcs prennent la place de la nature sauvage.»
ANTOINE OUELLETTE, "Oiseaux et jardins musicaux de France, L'Agora, vol 10 no 1. printemps 2003 (voir texte intégral)