Merveilles des jardins abbassides
Mercredi le 28 novembre 2001
Reproduit de: Le livre des Mille Nuits… Traduction de J.-C. Mardrus. Paris, 1900, tome II, p. 247-248
Ali-Nour avait vu à Bassorah de bien beaux jardins, mais il n’en avait jamais même rêvé de semblable à celui-ci. La grande porte était formée d’arcades superposées, du plus bel effet, et couverte de vignes grimpantes qui laissaient pendre lourdement de magnifiques grappes, les unes rouges comme des pierres de rubis, les autres noires comme l’ébène. L’allée où ils pénétrèrent était ombragée d’arbres fruitiers, qui pliaient sous le poids de leurs fruits mûrs. Sur les branches, les oiseaux gazouillaient dans leur langue des motifs aériens. Le rossignol modulait ses airs; le tourtereau roucoulait sa plainte d’amour; le merle sifflait de son sifflet humain; le pigeon à collier répondait, comme enivré de liqueurs fortes. Là, chaque arbre fruitier était représenté par ses deux meilleures essences; il y avait des abricotiers avec des fruits à amande douce et des fruits à amande amère; il y avait même des abricotiers du Khorassan; des pruniers aux fruits couleur des lèvres belles; des mirabelles douces à enchanter; des figues rouges, des figues blanches et des figues vertes, d’un aspect admirable. Quant aux fleurs, elles étaient comme les perles et le corail; les roses étaient plus belles que les joues des plus belles; les violettes étaient sombres comme la flamme du soufre brûlé; il y avait les blanches fleurs du myrte; il y avait des giroflées et des violiers, des lavandes et des anémones. Toutes leurs corolles se diadémaient des larmes des nuées; et les camomilles souriaient de toutes leurs dents au narcisse; et le narcisse regardait la rose avec des yeux profonds et noirs; le cédrat arrondi était comme la coupe sans anse ni goulot; les limons pendaient comme des boules d’or. Toute la terre était tapissée de fleurs aux couleurs par milliers, car le printemps était roi et dominait tout le bocage; car les fleuves féconds s’enflaient et les sources tintaient, et l’oiseau parlait et s’écoutait; car la brise chantait comme une flûte, le zéphyr lui répondait avec douceur, et l’air résonnait de toute la joie!