Essentiel
«Si Dieu est du sexe de l'homme, la ville est du sexe de la femme! À l'origine du moins. Avant la ville, qui n'était au début qu'un village, c'était la vie au jour le jour, l'aventure perpétuelle. Ce monde où les vertus viriles assuraient la survie était caractérisé par des outils et des armes de forme virile eux-mêmes: le javelot, la hache, etc. La femme allait équilibrer les choses en imposant la ville. Qu'est-ce que la ville, initialement, sinon un prolongement du sein maternel, c'est-à-dire une enceinte destinée à protéger les vases qui contiennent la nourriture pour les mois à venir?
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La ville éduque aussi par le dialogue qu'elle rend possible. Dialogue vertical, selon l'axe du temps, avec les morts, à travers les souvenirs qu'ils ont laissés: oeuvres d'art, monuments publics, mais aussi et peut-être surtout humbles maisons désormais dignes de la dignité des générations qui s'y sont succédé. Dialogue horizontal, selon l'axe de l'espace, avec les vivants.
Définir la cité, nous dit Mumford, comme le lieu où il est toujours possible de converser d'une façon stimulante et sensée, n'est-ce pas un des meilleurs moyens de reconnaître toute l'importance de son rôle? ... On découvre Jérusalem dans le livre de Job, Athènes dans les oeuvres de
Platon, de
Sophocle et d'Euripide, et le Londres de la période élisabéthaine dans
Shakespeare, Marlowe, Dekser et Webster. La vie de la cité semble s'exprimer dans ces répliques d'un dialogue dramatique et y découvrir en même temps sa plus profonde justification. Et de même l'absence du dialogue témoigne de l'échec de la cité qui n'arrive pas à former sa personnalité sociale.»
Jacques Dufresne, Mumford ou la cité organique
Enjeux
«On s’inquiète, à juste titre, de l’irresponsabilité avec laquelle la modernité épuise des ressources naturelles fragiles sans souci de limites. Il se peut que par une même insouciance coupable elle ait étiré jusqu’au point de rupture la résistance de cet autre environnement qu’est notre nature sociale : la cité.
Aux efforts qu’il nous faut désormais déployer pour repenser éthique et technique, pour vivre en harmonie avec la nature physique, doivent s’ajouter des efforts tout aussi urgents pour repenser la cité en harmonie avec notre nature sociale. Il est d’ailleurs possible que ces deux défis soient reliés si tant est que le déracinement des populations, entretenu par la mobilité requise par une économie en marche qui se déplace à mesure qu’elle épuise les sols, serait une des causes de la rupture de l’équilibre avec l’environnement, tant physique qu’humain.»
Dominique Collin (suite)