Antibiotique
Le terme «antibiotique» désigne une substance d'origine microbienne (sucre, protéine, aminoglycoside, etc.) qui, à très petite dose, empêche la croissance d'autres micro-organismes ou les détruit. Au contraire des simples désinfectants comme le peroxyde d'hydrogène ou la teinture d'iode, les antibiotiques exercent une action spécifique, c'est-à-dire qu'ils dérèglent le métabolisme de certains micro-organismes sans affecter les cellules humaines ou animales. Mentionnons que certaines de ces substances sont aussi employées pour le traitement du cancer, quoiqu'il ne s'agisse pas alors d'un usage antibiotique au sens strict du terme. Dans la nature, les antibiotiques représentent un atout pour les bactéries et les moisissures qui les synthétisent. Cet atout leur permet de nuire à leurs compétiteurs pour mieux s'accaparer les substances nutritives disponibles dans leur environnement.
Qui inventa les antibiotiques? Épineuse question. Les encyclopédies rapportent l'existence en Chine, en Grèce, au Brésil, de recettes ancestrales de pâtes moisies que l'on appliquait sur les plaies infectées. Plusieurs savants, tels Pasteur et Joubert, en 1877, et Vuillemin, en 1889, ont observé que certains micro-organismes en inhibaient d'autres ou combattaient telle ou telle maladie.
Quant au microbiologiste Alexander Fleming, il fut en un sens bien chanceux. Par un matin de 1929, l'une de ses cultures bactériennes, une souche de staphylococcus aureus, était envahie par une moisissure, penicillium notatum. La contamination d'un plat de pétri, fait banal dans la vie d'un microbiologiste, permit à Fleming d'observer que la bactérie ne poussait plus dans la zone où se développait la moisissure. Fleming soupçonna fort justement que celle-ci sécrétait une substance inhibitrice qu'il nomma pénicilline. Il prouva par la suite que la pénicilline n'était pas nocive pour l'homme et suggéra de l'utiliser comme antiseptique (désinfectant appliqué à l'extérieur du corps). Simultanément, René Dubos poursuivait aux États-Unis des recherches qui devaient le conduire en 1939 à la découverte de la gramicidine et de la tyrocidine, deux autres antibiotiques produits, ceux-là, par la bactérie Bacillus brevis. En 1939, Florey et Chain purifièrent la pénicilline G et, avec Abraham et Heatley, démontrent ses vertus comme médicament interne. Le 12 février 1941, un policier d'Oxford, atteint d'une infection bactérienne pénéralisée (septicémie), fut le premier miraculé de la pénicilline. En 1940, Waksman découvrit l'actinomycine, puis, en 1943, la streptomycine. Depuis, la quête de nouveaux antibiotiques se poursuit de plus belle. Quelque 10 000 antibiotiques d'origine naturelle sont connus à ce jour, dont environ 80 % proviennent de bactéries et 20 %, de moisissures. Tous ne sont pas employés, les effets toxiques de certains d'entre eux empêchant leur utilisation en médecine humaine et vétérinaire. La pénicilline, la céphalosporine et leurs dérivés représentent à eux seuls 60 % du marché mondial des antibiotiques.
La finesse d'observation d'un microbiologiste anglais fut donc à l'origine d'une des plus grandes révolutions du monde médical. Après la découverte de l'asepsie par le Hongrois Semmelweis et du vaccin par Pasteur, s'ouvrait l'ère des antibiotiques. L'humanité disposerait désormais de remèdes extrêmement efficaces contre les fléaux qui l'accablaient depuis des millénaires: peste, typhus, diphtérie, tuberculose, syphilis, etc. Mais le miracle antibiotique a ses limites. Comme tous les médicaments, les antibiotiques provoquent chez certains des effets secondaires parfois très graves quoique rares: risque de choc anaphylactique chez les personnes allergiques aux pénicillines et aux céphalosporines; de toxicité aux reins avec la gentamycine; de surdité avec la streptomycine; ou de diarrhées avec les tétracyclines. Répétons-le, ces accidents sont rares.
Élisabeth Gauthier, Les antibiotiques: l'envers du miracle, L'Agora, vol. 1, no 3, 1993