Voltaire

1694-30 / 05 / 1778
Biographie de Voltaire (Gustave Lanson, 1857-1934)
«Il était le fils de maître Arouet, notaire au Châtelet, puis payeur des épices de la Chambre des Comptes. La famille, une bonne et une ancienne famille bourgeoise, était originaire du Poitou. François-Marie était le cinquième enfant du ménage Arouet : deux seulement, avec lui, vécurent, Armand, le janséniste, et une fille, qui fut Mme Mignot, mère de Mmes Denis et de Fontaine. Mme Arouet mourut en 1701. En 1704, le jeune Arouet fut mis chez les jésuites au collège Louis-le-Grand. Il y eut pour préfet des études le P. Théulié (le futur abbé d’Olivet), pour professeurs les PP. Porée, Lejay, Tournemine. Il resta toujours bien avec ses anciens maîtres, dont l’influence a été très grande pour la formation de son goût littéraire. Il se fit près d’eux une réputation d’esprit et d’indiscipline : il était très éveillé et très gamin. Il contracta au collège d’utiles et brillantes amitiés avec des fils de grands seigneurs, de ministres, de hauts magistrats : de là datent ses liaisons avec le maréchal de Richelieu, le comte et le marquis d’Argenson, le président Fyot de La Marche, d’Argental et Paul de Veyle, etc. Son parrain, l’abbé de Châteauneuf, l’avait présenté à la vieille Ninon, qui, charmée, paraît-il, de sa précocité, lui légua 2000 écus pour acheter des livres. Au sortir du collège, le petit Arouet commença à se dissiper et à faire des sottises : son père se décida à l’expédier à l’étranger et le fit recevoir parmi les pages du marquis de Châteauneuf, frère de son parrain, ambassadeur du roi en Hollande. Il y avait à La Haye une aventurière, demi-femme du monde, demi-femme de lettres, Mme Dunoyer; elle était mère d’une fille fort délurée, Olympe, Pimpette pour les amis, qui avait dû épouser l’ancien chef des Camisards, Jean Cavalier. Arouet s’éprit de Pimpette, mais un page n’était pas un mari sérieux. Mme Dunoyer fit du bruit à l’ambassade, et au moment où Arouet se disposait à enlever sa belle travestie en cavalier, M. de Châteauneuf le renvoya en France à son père, qui, tout furieux, sollicita une lettre de cachet pour faire enfermer le mauvais garçon, puis se résolut à l’envoyer aux Iles, et enfin le mit tout simplement chez un procureur.

Il n’y resta pas longtemps. Il s’établit dans le grand monde, dont l’abbé de Châteauneuf et ses amitiés de collège lui ont ouvert les portes. Il est reçu chez le grand prieur de Vendôme, au Temple, où s’assemble une société épicurienne, spirituelle et sceptique, chez les Sully, chez la duchesse du Maine, les Villars, les Caumartin. Son esprit, dans ces sociétés, s’échauffe et pétille : sa malice satirique se donne carrière. Il en résulte un ordre d’exil pour des couplets sur le régent. L’exil fut gai, ce fut une villégiature au château de Sully-sur-Loire, en noble et voluptueuse compagnie. De retour à Paris, malgré ses promesses d’être sage, il récidive : pour les J’ai vu, qui n’étaient pas de lui, mais aussi pour le Puero regnante, qui était bien de lui, il passe onze mois à la Bastille (1717). Il y vécut commodément, assez fier d’être à son âge un prisonnier d’État. Il y travailla, achevant Œdipe, commençant la Henriade. Sorti de prison, il voulut dédier sa tragédie au régent et lui lire son poème épique. Le duc d’Orléans lui fit bon accueil et lui donna 1200 livres de pension. Œdipe fut joué le 18 novembre 1718, avec un grand succès, que n’obtint pas Artémise (1720). Les maîtres de la littérature étaient alors Lamotte, Jean-Baptiste Rousseau, Crébillon : Voltaire est auprès d’eux un petit garçon, il les admire et les imite. Merveilleusement souple et actif, et très positif, il suit la gloire avec le plaisir, et l’argent avec la gloire : il veut tout. Il mène une vie charmante, à son gré, de château en château, à Vaux Villars, à Maisons, aux eaux de Forges, à Bélébat chez la marquise de Prie; en 1722, il a connu au château de la Source lord Bolingbroke, alors proscrit. Il vit chez de nobles et belles dames, Mme la marquise de Mimeure, Mme la présidente de Bernières : Mme de Rupelmonde l’emmène aux Pays-Bas. Il paie sa bienvenue en vers charmants, en épîtres flatteuses et spirituelles, sceptiques et voluptueuses (à l’abbé Servien, 1714; à Mme de Gondrin, au duc d’Orléans, 1714; à M. de Vendôme, 1717; à Genonville, 1719; à M. de Sully, 1720; à Mme de Prie et à la reine, 1725). Il donne des lectures de son poème de la Ligue (la Henriade), le fait imprimer à Rouen (1723) et introduire clandestinement à Paris dans les fourgons de son amie Mme de Bernières. La France, en lisant le poème, croyait enfin avoir un poète épique. La tragédie de Mariamne (6 mars 1724), d’abord mal reçue, se relevait. Le Tasse et le Virgile de la France, il était aussi décidément l’héritier des Corneille et des Racine. Par les frères Pâris, dont il avait fait connaissance et qui lui donnaient un intérêt dans certaines affaires, il jetait les bases de sa fortune, la plus considérable sans doute qu’un homme de lettres sous l’ancien régime ait possédée. Enfin la cour s’ouvrait au fils de maître Arouet : il était des familiers de Mme de Prie, la maîtresse du premier ministre, à qui il dédiait sa comédie de L’Indiscret (1725); et la jeune reine, Marie Leszczynska, qu’il amusait, lui disait : « Mon pauvre Voltaire », et lui donnait 1500 livres de pension sur sa cassette. Ainsi tout lui venait, argent, gloire et plaisir. C’était un enchantement.

Le réveil fut rude. En décembre 1725, le chevalier de Rohan fait bâtonner Voltaire par ses gens. Le grand monde, qui l’avait tant caressé, trouva l’aventure très plaisante. Voltaire veut se battre en duel avec son insulteur; les Rohan le font mettre à la Bastille (1726). Au bout de cinq ou six semaines, on le relâche à la condition qu’il passe en Angleterre. Merveilleuse idée d’un ministre d’envoyer Voltaire, au moment où il avait pour la première fois le sentiment cuisant d’un abus social, dans le pays où son ressentiment personnel pouvait le mieux s’élargir en philosophie politique. Jusqu’à ce voyage, Voltaire n’est qu’un libertin voluptueux, l’élève de Ninon et de Chaulieu. Il chante le plaisir et ne rejette la religion que comme une entrâve gênante :
Quelques femmes toujours badines,
Quelques amis toujours joyeux,
Peu de vêpres, point de matines,
Une fille, en attendant mieux,

Voilà comme l’on doit sans cesse
Faire tête au sort irrité,
Et la véritable sagesse
Est de savoir fuir la tristesse
Dans les bras de la volupté!
(À l’abbé X***)
Il se fait un dieu des bonnes gens.
Allez, s’il est un Dieu, sa tranquille puissance
Ne s’abaissera point à troubler nos amours.
Vos baisers pourraient-ils déplaire à sa clémence?
La loi de la nature est sa première loi.
À Mme de G***
Il écrit en 1722 une terrible Épître à Julie, que nous n’avons pas; il y parlait du Christ en termes à faire dresser les cheveux sur la tête, nous rapporte Jean-Baptiste Rousseau à qui il lut la pièce à Bruxelles. C’était une fanfaronnade d’impiété, pour suivre la mode. Cependant l’incrédulité chez Voltaire était déjà solide et incurable, sinon très réfléchie et très érudite. Mais si l’impiété de Voltaire était bien formée, il n’avait nulle idée d’une campagne philosophique contre l’Église. Il n’avait jamais eu l’idée non plus d’une réforme des abus sociaux; jusqu’aux coups de bâton du chevalier de Rohan, l’inégalité sociale lui avait été douce; ce petit bourgeois qui, à trente ans, est fêté des duchesses et des reines, consacré grand poète et admis aux profits de la finance, ne pouvait pas trouver que la société fût si mal aménagée.

L’Angleterre fut pour lui une bonne école. Il y passa trois ans. Tout en écrivant son Essai sur la poésie épique (1726) et en lançant la souscription de la Henriade (éd. de Londres, 1728, avec dédicace en anglais), il regardait et profitait. Accueilli par Bolingbroke, il est présenté à la meilleure société anglaise, à lord Peterborough, à lord Hervey, à Pulteney (lord Bath), à la duchesse de Marlborough; il voyait Pope, Swift, Congreve. Il était frappé du contraste économique, social, politique, scientifique, que l’Angleterre présentait avec la France. Quand le comte de Maurepas, en 1729, lui permit de rentrer en France, il grillait d’envie de dire au public ce qu’il avait vu, et les réflexions que ce qu’il avait vu lui suggérait. Cependant il se contient d’abord : il écrit ses Épîtres aux Mânes de Genonville, le cher ami qu’il venait de perdre (1729), sur la Mort de Mlle Lecouvreur (1730), à Cideville et à Formont (1731), et la charmante Épître des Vous et des Tu à une ancienne maîtresse, sans parler de la comédie des Originaux (1732), ni de l’opéra de Samson, ni de Tanis et Zélide (1733). Il fait des tragédies : Brutus, joué le 11 décembre 1730; La Mort de César (jouée au collège d’Harcourt en 1735, imprimé en 1736), Eriphyle (jouée le 7 mars 1732), Zaïre (le 13 août 1732), qui obtient un succès immense d’attendrissement; Adélaïde du Guesclin (18 janvier 1734) : toutes ces pièces révèlent l’impression faite par le théâtre anglais, et surtout par Shakespeare, sur Voltaire. Il fait aussi son Histoire de Charles XII (1731), son Temple du Goût (1733), où il ne ménage pas Jean-Baptiste Rousseau avec qui il est brouillé. Il commence à songer au Siècle de Louis XIV. L’Épître philosophique à Uranie (1732) fait scandale; Voltaire la met sur le compte de l’abbé de Chanlieu. Cependant il vit chez Mme la comtesse de Fontaine-Martel (Épître, 1732) et marie le duc de Richelieu à Mlle de Guise. Enfin il se risque. Une traduction anglaise et une édition française des Lettres sur les Anglais parurent en 1733 et 1734; deux éditions françaises, sous le titre de Lettres philosophiques, furent imprimées à Paris et à Rouen (celle-ci chez Jore et par les soins de Voltaire) et commencèrent à se débiter en avril 1734. Le scandale fut grand. Le Parlement condamna l’ouvrage comme « propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et l’ordre de la société civile ». Il fut brûlé au pied du grand escalier du palais. Le libraire Jore fut mis à la Bastille, et Voltaire, pour éviter le même sort, s’enfuit précipitamment en Lorraine.

Dans les 24 lettres sur les Anglais, Voltaire avait vidé son sac. À la France brutalement réduite à l’unité catholique, il expose (lettres I-VII) l’Angleterre divisée en sectes, et ces sectes vivant en paix, et laissant vivre en paix les déistes. À la France soumise au despotisme royal, où la noblesse est vaine et oisive, le commerce méprisé et le paysan écrasé, il montre la royauté matée par les Anglais, le Parlement souverain, le commerce honoré, le fils d’un lord marchand dans la cité, le paysan riche et fier, l’impôt égal et consenti par ceux qui le payent (lettres VIII-X). À la France attardée dans les querelles théologiques, et dans le spiritualisme ou la physique chimérique de Descartes, il fait connaître les progrès de la saine philosophie chez les Anglais, Bacon et la méthode expérimentale, Locke et le sensualisme, Newton et le vrai système du monde (lettres XII-XVII). Il révèle aussi à la France entichée d’elle-même et ignorante de l’étranger Shakespeare, Addison, Dryden, les comiques de la Restauration, Pope, Swift, Butler, etc. (lettres XVIII-XXII). Mais à la France qui bâtonne les poètes, il rappelle Addison secrétaire d’État, puis ambassadeur, Newton enterré à Westminster, comme l’actrice Mrs Oldfield, qui ne valait pas plus que notre Adrienne Lecouvreur (lettre XXIII). Voilà comme il faut traiter les talents qui honorent une nation. Il trouve moyen aussi de parler aux Français de l’ « insertion de la petite vérole » (lettre XI) et de la fonction des Académies (lettre XXIV). Une vingt-cinquième lettre était remplie de remarques sur les Pensées de Pascal; Voltaire depuis longtemps s’était mis en tête de réfuter l’apologiste le plus vigoureux de la religion chrétienne. On s’explique le scandale des Lettres anglaises : jamais un coup si rude n’avait été porté aux institutions sociales et religieuses de la France; jamais livre n’avait élargi autant d’un seul coup l’horizon intellectuel d’une nation.

Au bout d’un mois, Voltaire revint en France avec une permission tacite. Il s’installe, non à Paris qui lui était interdit, mais en Champagne, au château de Cirey, chez Mme du Châtelet, avec qui, en ces derniers temps, il s’était étroitement lié. C’était une femme savante et galante, ancienne maîtresse du duc de Richelieu, très intelligente, d’esprit philosophique et viril. Les lettres de Mme de Graffigny, qui vint à Cirey en 1738, nous peignent la vie de Voltaire. Voltaire aime le luxe, les habits élégants, les meubles riches; il a des tableaux, des porcelaines, des diamants, des pendules, une magnifique vaisselle d’argent. À table, son valet de chambre est derrière sa chaise, il ne parle qu’à lui, et reçoit tout de ses mains. Voltaire travaille beaucoup, mais le souper, de neuf heures à minuit, est délicieux; il y cause avec un esprit éblouissant, quand il ne boude pas. Et il boude quand Mme du Châtelet veut l’empêcher de boire du vin du Rhin, qui lui fait mal. Il est brusque, plein d’humeur, et d’amour-propre, malade éternel et mourant, se dirigeant à sa fantaisie et buvant force café; il est sensible, jaloux de ses rivaux littéraires, impatient de toute critique, passionné pour le théâtre. Il écrit pour le théâtre de Cirey Le Petit Boursoufle, imprimé en 1761 sous le titre de L’Échange: en vingt-quatre heures, on joue, on répète 33 actes; faute de mieux, à certains jours, on joue les marionnettes. Le séjour de Mme de Graffigny fut abrégé et gâté par une scène terrible que lui firent Voltaire et Mme du Châtelet, la soupçonnant d’avoir envoyé en Lorraine une copie de quelques chants de La Pucelle. Car c’est là le grand souci de Mme du Châtelet : protéger Voltaire contre lui-même, empêcher qu’il ne se mette à des ouvrages compromettants, et, quand ils sont écrits, les tenir sous clef. Par goût d’ailleurs autant que par prudence, elle le détourne vers les études scientifiques. Ils se livrent tous les deux à la physique; Voltaire installe un laboratoire, fait venir des instruments, concourt pour un prix de l’Académie des sciences, en même temps que son amie : ni elle ni lui n’eurent le prix (Essai sur la nature du feu, 1738). Dans un Mémoire présenté à l’Académie des sciences, sur la nature des forces motrices (1741), Voltaire combattait Mme du Châtelet, elle était leibnizienne et lui newtonien. Cependant la science ne l’enlevait pas à la philosophie et aux lettres. Il faisait un Traité de métaphysique (1734), que Mme du Châtelet l’empêchait de publier, et obtenait, après quelques difficultés, la tolérance de gouvernement pour l’impression des Éléments de la philosophie de Newton (1738), que compléta bientôt La Métaphysique de Newton (Amsterdam, 1740). Il prodiguait sa verve en petits poèmes, odes, épîtres; il faut signaler l’innocente plaisanterie du Mondain, que les gens dévots prirent mal, et qui obligea Voltaire d’aller faire un tour en Hollande en 1736. Il composait ses Discours en vers sur l’homme (Épîtres sur le bonheur, 1738-1739); le septième discours ne sera publié qu’en 1745. Dès 1735, des copies et plusieurs chants de La Pucelle couraient dans Paris. Il donnait au théâtre, le 27 janvier 1736, Alxire, tragédie américaine, et, le 10 octobre, L’Enfant prodigue, comédie larmoyante; il imprimait La Mort de César, depuis longtemps composée; en 1740 tombait la malheureuse Zulime qu’il appelait lui-même de la crème fouettée; en 1741, on jouait à Lille, et en 1742, le 9 août, à Paris, Mahomet ou le Fanatisme qui fut arrêté après la 3e représentation, et qu’il imaginera, en 1745, de dédier au pape Benoît XIV pour prévenir les mauvaises, et très véridiques, interprétations; le 20 février 1743, Mérope, son plus grand succès avec Zaïre. L’opéra de Pandore (1740) ne fut jamais joué. Il se passionnait pour l’histoire, il préparait son Siècle de Louis XIV et l’avait bien avancé en 1738; mais en 1739 deux chapitres imprimés dans un Recueil de pièces fugitives attirèrent un arrêt du Conseil supprimant le volume. Il pensait même à une « histoire de l’esprit humain », le futur Essai sur les mœurs, dont Le Mercure, d’avril 1745 à juin 1746, imprimait plusieurs chapitres. Et au milieu de cette prodigieuse activité, il lui restait du temps pour se chamailler avec toute sorte d’ennemis : avec Jean-Baptiste Rousseau, d’abord son ami et maintenant son mortel ennemi (Utile examen des épîtres du sieur Rousseau, 1736); avec l’abbé Desfontaines, qu’il avait jadis arraché à la prison, et qui lançait contre lui (1738) la sanglante Voltairomanie. Voltaire écrivait contre lui L’Envieux (entre 1736 et 1738), et faisait appel aussi au lieutenant de police.

Le séjour de Voltaire à Cirey fut coupé de divers voyages : la fuite en Hollande après Le Mondain en 1736; un séjour à Bruxelles en 1739 pour les affaires de Mme du Châtelet. En juillet 1739, Voltaire arrive à Paris, d’où il retourne à la fin de l’année à Bruxelles. En 1740, il va à La Haye : le prince de Prusse Frédéric, avec qui il était depuis 1746 en relations d’amitié et de correspondance, y faisait imprimer un Anti-Machiavel, quand la mort de son père le fit roi. Son point de vue sur Machiavel se trouvant changé, il voulut retirer l’ouvrage des mains du libraire. Voltaire alla négocier à La Haye, et ne put obtenir du libraire que le droit de faire une édition corrigée et atténuée. Il rencontrait pour la première fois Frédéric près de Clèves, le 11 septembre 1740, et venait bientôt faire une courte visite à Berlin. Il y retourna en 1743 avec une mission politique: Frédéric le fêta, le berna, et essaya de le brouiller avec la cour de France, pour en orner son palais et son Académie de Berlin. Voltaire se retrouve à Bruxelles au début de 1744 et revient à Cirey avec Mme du Châtelet.

Cependant son ancien camarade le marquis d’Argenson était arrivé au ministère; le duc de Richelieu, son vieil ami, qui était en grande faveur, eut l’idée de lui commander un divertissement pour la mariage du Dauphin. Voltaire fit La Princesse de Navarre (1745), qui, avec les poèmes historiques sur les événements de 1744 et sur Fontenoy, le mirent bien en cour. Le voilà favori de Mme de Pompadour, et supporté du roi. Aussitôt les honneurs pleuvent sur lui. Il devient académicien (1746), après cinq échecs, historiographe du roi, gentilhomme de la chambre; il revend bientôt cette dernière charge, et obtint permission de garder le titre. On l’emploie à chanter la grandeur de Louis XV (Le Temple de la Gloire, 1745), à mettre en beau français des pièces politiques (manifeste du roi Charles-Édouard), à négocier encore avec le roi de Prusse. Mais ce beau temps ne dure guère : le terrible esprit de Voltaire qui à chaque instant franchit les bornes du respect et de l’étiquette, le fait tomber dans la disgrâce du roi et de sa maîtresse (fin 1746). Il s’en console en chantant les petites cours qui imitaient de loin Versailles; il s’établit un temps chez la duchesse du Maine, à Sceaux et à Anet, il y joue la comédie (la comédie de La Prude écrite depuis 1739-1740, et Rome sauvée), y lit des vers et des romans; un peu plus tard, il s’en va avec les du Châtelet à Lunéville, chez le roi Stanislas. Il y fait jouer sa comédie de La Femme qui a raison. C’est là qu’un jeune officier, le marquis de Saint-Lambert, rend Mme du Châtelet infidèle à Voltaire : une grossesse dangereuse à l’âge qu’elle avait amène un dénouement fatal (septembre 1749). Voltaire la pleure sincèrement.

Puis il vient s’installer à Paris, prenant avec lui sa nièce, la grosse Mme Denis, pour tenir sa maison. Il installe un théâtre dans sa maison, et c’est là que débute Lekain, qui sera le grand tragédien du siècle.

Mme de Pompadour, depuis sa brouille avec Voltaire, s’était engouée de Crébillon, dont elle faisait jouer les pièces. Alors un duel s’établit entre les deux tragiques. Voltaire reprend les sujets de Crébillon, Sémiramis (29 août 1748), Oreste (12 janvier 1750), et Rome sauvée (1750). Cette dernière tragédie, jouée sur le théâtre de Sceaux, ne sera présentée au public par la Comédie-Française qu’en 1752. Oreste marque un retour de Voltaire aux Grecs, contre Shakespeare. En 1749 (16 juin), la comédie larmoyante de Nanine est une reprise du sujet de Paméla, manqué naguère par La Chaussée. En 1747, sous le titre de Memnon, en 1748 sous son titre définitif de Zadig, a paru le premier des romans de Voltaire, inaugurant un nouveau mode d’expression de sa pensée philosophique. À cette date, poussé par le mouvement du siècle, peut-être aussi libéré de la tutelle affectueuse et prudente de Mme du Châtelet, Voltaire paraît disposé à dire son mot plus nettement sur toutes les affaires du monde, sur les matières de police et de gouvernement (Lettre à M. de Machault à l’occasion de l’impôt du vingtième, non imprimé, 1749; Des Embellissements de Paris, 1750; Remerciement sincère à un homme charitable (contre les Nouvelles ecclésiastiques à propos de L’Esprit des lois, 1750); Extrait du décret de la Sacrée Congrégation de l’inquisition de Rome à l’encontre d’un libelle intitulé « Lettres sur le vingtième », 1750). Cependant Frédéric l’invita à s’établir à Berlin. Craignit-il d’être inquiété ou gêné en France dans ses polémiques? Fut-il simplement touché dans sa vanité, et céda-t-il au désir de montrer à Louis XV comment un vrai roi, un grand roi savait apprécier le mérite? Il accepta. Louis XV sentit la leçon, et fut piqué. Il donna à Voltaire l’autorisation demandée d’entrer au service du roi de Prusse, mais il décida de ce jour que, lui vivant, Voltaire ne rentrerait pas à Paris.

Aux ouvrages que j’ai cités, il faut ajouter pour la période de 1733 à 1750 : l’Épître sur la calomnie (1733); épîtres à Uranie (1734); à Mme du Châtelet (1734, 1736); au prince royal, puis au roi de Prusse (1736, 1738, 1741, 1742, 1744, 1745); au comte Algarotti (1747); à Mme Denis (1748) (sur la vie de Paris); Le Monde comme il va, Le Crocheteur borgne, Cosi-Sancta (contes, 1746); un écrit sur les Mensonges imprimés (1749), où il contestait l’authenticité du Testament du cardinal de Richelieu, etc.

Voltaire arriva à Potsdam le 10 juillet 1750. Ce fut d’abord un enchantement (Lettre à d’Argental du 24 juillet 1750, Mémoires de Voltaire). Les soupers du roi étaient délicieux : plus d’étiquette, et le droit de tout dire. Voltaire eut 20 000 livres de pension, le titre de chambellan, la croix de l’ordre du roi. On représentait ses pièces sur le théâtre de Potsdam. Les frères du roi jouaient un Duc d’Alençon qui était une refonte d’Adélaïde du Guesclin, sans femmes, tandis qu’un autre remaniement du même sujet était offert à la Comédie-Française sous le titre d’Amélie ou le duc de Foix.

Il faisait des madrigaux pour la princesse Ulrique, il célébrait surtout une autre sœur du roi, Wilhelmine, la margrave de Bayreuth.

Voltaire travaillait beaucoup au milieu des fêtes et de la cour. Il achevait son Siècle de Louis XIV (1751), qu’il publiait à Berlin sous le nom de M. de Francheville, conseiller aulique de S. M. le roi de Prusse (autre édition augmentée, Dresde, 1753). La Beaumelle s’étant avisé d’en donner une édition contrefaite enrichie d’une aigre critique, Voltaire en obtint la saisie à Paris et l’arrestation de La Beaumelle, qui fut mis à la Bastille; il répondit à la critique par le supplément du Siècle de Louis XIV (1753), qui provoqua une Réponse de La Beaumelle. À peine hors du grand travail du Siècle de Louis XIV, Voltaire s’était mis à l’Histoire universelle, dont il avait publié les premiers fragments en 1745. Deux volumes d’un abrégé de l’Histoire universelle parurent en 1753 chez Neaulme à La Haye, Voltaire les désavoua, et donna lui-même le 3e volume (Dresde, 1754); l’ouvrage trouvera sa forme à peu près définitive en 1756: Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours (7 volumes comprenant le Siècle de Louis XIV). Sans parler de diverses épîtres et poésies, Voltaire écrivit encore en Prusse son roman de Micromegas, commença le poème sur la Loi naturelle, et excité sans doute par les libres entretiens des soupers du roi, jetait sur le papier ou laissait imprimer de petites pièces amusantes et hardies où les institutions et les croyances n’étaient pas ménagées (Dialogues entre un philosophe et un contrôleur des finances, entre un plaideur et un avocat, entre Marc-Aurèle et un récollet, Pensées sur le gouvernement, Défense de Milord Bolingbroke, 1751-1752).

Mais le ciel de Potsdam s’obscurcissait. Un démêlé de Voltaire avec le juif Hirsch (spéculation sur des billets de la banque saxonne, suivie d’un procès) indisposait Frédéric. Des commérages et des rapports troublaient l’amitié du roi et du poète, qui ne savaient pas plus l’un que l’autre tenir leur langue. Frédéric dans une ode à Baculard d’Arnaud le traitait de soleil levant, Voltaire n’était que le soleil couchant. Le roi avait dit, expliquant l’usage qu’il voulait faire du grand homme : « On presse l’orange et on la jette quand on a avalé le jus ». Voltaire, après la mort de La Mettrie, avait dit : « La charge d’athée du roi est vacante »; et le roi ne voulait pas qu’on formulât tout haut certaines vérités. Il avait dit aussi à un officier qui lui apportait des vers à corriger : « J’ai bien assez à faire de blanchir le linge sale de votre maître ». La raillerie du roi était coupante et sèche, elle n’épargnait pas Voltaire qui tout de même ne pouvait riposter sans égards, et enrageait. Cependant, il était arrivé à faire éloigner d’Arnaud : il se heurta à Maupertuis, et sa faveur s’y brisa. Maupertuis, président de l’Académie de Berlin, était en querelle avec le Hollandais Koenig, membre de l’Académie, dont il le fit exclure comme faussaire. Voltaire prit le parti de Koenig. Il fit contre Maupertuis la Diatribe du Docteur Akakia, dont le roi, après en avoir ri à huis clos, brûla la première édition dans sa chambre, et fit brûler la seconde par le bourreau dans les carrefours de Berlin. Voltaire ne le lui pardonna pas. Le roi consentait à se moquer de Maupertuis dans l’intimité; mais il avait trop le sens de l’autorité pour laisser livrer à la risée publique le président de son Académie, un fonctionnaire.

Voltaire, donc, le 1er janvier 1753, renvoya à Frédéric le brevet de pension, la clef de chambellan et la croix de ses ordres. Une réconciliation plâtrée ne le retint pas, et il obtint de partir le 26 mars. Il passa quelque temps chez la duchesse de Gotha, pour laquelle il composa rapidement les Annales de l’Empire (1753), puis chez le landgrave de Hesse. Il eut à Francfort une mésaventure : le résident du roi de Prusse le retint pendant quelques jours avec Mme Denis, jusqu’à ce qu’il eût rendu l’exemplaire des Poésies de Frédéric, qu’il avait emporté : le roi de Prusse craignait la divulgation de ces poésies, pleines de personnalités à l’adresse des souverains et des ministres de l’Europe, tirées à un très petit nombre d’exemplaires qu’il n’avait remis jusque-là qu’en des mains sûres. Enfin Voltaire arrive en Alsace, s’arrête trois semaines à l’abbaye de Senones pour travailler auprès de dom Calmet à son Histoire universelle, puis il va aux eaux de Plombières. Il ne sait où se fixer : Paris lui est fermé. L’Église lui donne des inquiétudes. Il croit prudent de faire ses Pâques. Il va à Lyon, où le public l’accueille avec enthousiasme. Alors il se décide à se fixer hors de France, près de la frontière : il achète auprès de Genève la propriété de Saint-Jean, qu’il baptise Les Délices, et à Monrion, près de Lausanne, une maison pour l’hiver (1755), bientôt une maison à Lausanne même (1757). Il joue la comédie avec fureur, aux Délices, à Lausanne, chez lui, et chez un voisin de Lausanne, qui a installé un théâtre dans sa maison de Monrepos. Des tracasseries à Lausanne, à propos du libraire et contrefacteur Grasset; à Genève, à propos de la comédie où les magistrats et les pasteurs ne lui pardonnaient pas de convier l’aristocratie de la ville, décidèrent Voltaire à revenir en territoire français. Il achète la terre de Ferney (1758) et y joint, pour le titre, le comté de Tournay dont il devient locataire à vie. Le propriétaire était le président de Brosses avec qui il se brouilla pour quelques voies de bois qu’il ne voulait pas et qu’il dut payer : il ne le pardonna jamais au président, qu’il empêcha d’entrer à l’Académie. Il fit de Ferney sa résidence ordinaire à partir de 1760.

Depuis son retour de Prusse, Voltaire, par la singularité de ses aventures, par l’éclat de son esprit, par sa brillante universalité, par ses chefs-d’œuvre tragiques et historiques, par la hardiesse croissante de ses écrits philosophiques, occupe passionnément l’attention publique, il devient le roi de l’opinion. Son immense fortune, qui lui permet un large train de vie (il a trente personnes à nourrir et douze chevaux) et lui fournit le moyen d’exercer une large hospitalité, contribue à sa popularité. Il sera de mode de visiter l’hôte des Délices et de Ferney : depuis les comédiens jusqu’à des princes, toutes sortes de gens viendront chercher auprès de Voltaire la consécration de leur réputation artistique, littéraire ou mondaine. Lekain, Mlle Clairon, Mme d’Épinay, le jésuite italien Bettinelli, l’Anglais Gibbon, Marmontel, le duc de Villars, le duc de Lauraguais, le chevalier de Boufflers, La Harpe, Grétry, Mme Stuard, Mme de Genlis, des seigneurs et des princes d’Allemagne et du Nord sont successivement les hôtes de Voltaire. La tradition est si bien établie que quand Joseph II, voyageant sous le nom de comte de Falkenstein, passe près de Ferney sans s’y arrêter, c’est comme un soufflet sur la joue de Voltaire. Quelques-uns de ses visiteurs nous ont laissé le tableau de sa vie et de son humeur. Voltaire est très bourgeois et passablement « bourgeois gentilhomme ». Il a l’orgueil de sa richesse. Il est très seigneur de village. Il aime à montrer ses châteaux, ses jardins, ses granges, ses champs, ses bois, ses chevaux, son taureau, ses charrues à semoir. Il aime à s’habiller richement les jours de cérémonie. Il a bâti une église et il va à la messe le dimanche, escorté de deux gardes-chasse qui portent des fusils. Il tient à tous ses privilèges et droits féodaux. Il est toujours malade, mourant et infatigable, pétillant de jeunesse, de verve et d’activité. Il a l’humeur inégale, il est capricieux et têtu, boudeur, irascible, passionné, rancunier et pourtant prompt au pardon, quand le coupable demande grâce et revient. On a fort exagéré son avarice : il est, au contraire, libéral dans les occasions; mais il administre avec beaucoup de sens pratique ses grands biens, et dans les moindres différends, il veut avoir raison : s’il dispute sur trois écus, ce n’est pas aux trois écus qu’il tient, c’est à ne pas avoir le dessous. Il fait beaucoup de bien. En 1760, sur un appel du poète Lebrun, il recueille Marie Corneille, arrière-petite-cousine du grand poète, la dote avec le produit du commentaire sur Corneille, la marie à un bon gentilhomme, Dupuis. Dans les derniers temps, il prend chez lui une orpheline, Mlle de Varicourt et la marie au marquis de Villette. Il héberge un jésuite, le P. Adam, après la dissolution de la Compagnie, et l’emploie à faire sa partie d’échecs. Pendant quelque temps, il a chez lui le petit Florian, qu’il nomme Florianet. S’il était un peu trop « seigneur de village », du moins il était le bon seigneur. Il chassait la misère de Ferney. Il y établissait des fabriques de montres, et il employait sa popularité européenne à en placer les produits. Ferney, quand il arriva, avait 50 habitants et 1200 quand il mourut.

Pendant les vingt-trois dernières années de sa vie, la fécondité de Voltaire est incroyable. Il occupe sans cesse le public de sa personne et de ses ouvrages; il n’y a pas un genre où il ne veuille primer : prose, vers, rien ne semble lui coûter. Mais quel que soit le genre, l’esprit philosophique met partout sa marque. Sa grande affaire, sans se désintéresser des lettres, est devenue la lutte contre les abus de l’ordre social et contre l’Église. Il faut le suivre année par année dans cette production variée et prodigieuse, dont je ne signalerai que les pièces importantes.

1755. Épître de M. de V. en arrivant dans sa terre près du lac de Genève en mars 1755. L’Orphelin de la Chine, tragédie, jouée le 20 août à Paris; La Pucelle d’Orléans, poème héroï-comique, en 14 chants. Voilà cette fameuse Pucelle dont des copies plus ou moins complètes se multipliaient depuis 1735. Elle aura bientôt 15 chants, puis 16, puis 18 en 1756, 24 en 1757, 20 en 1762 dans la 1ère édition donnée par Voltaire. Un chant détaché supplémentaire, La Capilotade, parut en 1764. La Pucelle fut condamnée en cour de Rome, brûlée à Genève, pourchassée à Paris : mais la société du XVIIIe siècle en fit ses délices; elle est vraiment de moitié avec Voltaire dans La Pucelle.

1756. Poèmes sur le désastre de Lisbonne et sur la loi naturelle. Ce dernier poème, intitulé d’abord Sur la Religion naturelle, avait été commencé à Berlin en 1752. Le Poème sur le désastre de Lisbonne est une vive attaque à la doctrine de la Providence. Il met aux prises Voltaire et Jean-Jacques. À mesure que se développait Rousseau, l’opposition de sa nature à celle de Voltaire éclatait; peut-être aussi Voltaire trouva-t-il que Rousseau occupait trop le public. Après le Discours sur l’inégalité, il lui en accusa réception par une lettre d’un persiflage exquis et encore amical (30 août 1755). Rousseau, de son côté, répondit au Poème sur le désastre de Lisbonne par une lettre à Voltaire d’une discussino ardente et serrée. En 1760, il lui écrivit une lettre de rupture, violente et injurieuse. Voltaire s’en moqua et en garda une forte rancune qui se traduisit par toutes sortes de tracasseries à Genève et de diatribes ou de railleries contre le malheureux Rousseau, à qui toutes ces piqûres étaient sensibles.

1756. Dialogues entre Lucrèce et Posidonius; Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit de nations.

1759. Précis de l’Ecclésiaste et Cantique des Cantiques, en vers; Candide ou l’Optimisme, traduit de l’allemand de M. le docteur Ralph. Bien entendu, cette prétendue traduction est une œuvre entièrement originale; Socrate, ouvrage dramatique, prétendu traduit de M. Tompson; Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire (impr. En 1784); Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand, t. I. Il y songeait dès 1737. Il demandait en 1745 des documents à la tsarine Elisabeth. Il publia en 1748 des Anecdotes sur Pierre-le-Grand. En 1757, le comte Michel Bestoujef, ambassadeur de Russie à Paris, l’encouragea à écrire l’Histoire de Russie, et le comte Jean Schouvalov lui envoya des renseignements.

1760. Les Quand, notes utiles sur un discours prononcé devant l’Académie française le 10 mai 1760; La Vanité, satire en vers, par un frère de la doctrine chrétienne, contre Le France de Pompignan; Le Pauvre Diable, Le Russe à Paris, satires en vers; Le Caffé ou l’Écossaise, comédie par M. Hume, traduite en français (jouée le 26 juillet 1760). À la représentation, Frelon (Frélon) était appelé Wasp. Voltaire, dans sa prétendue traduction de Hume, se déguisa sous le nom de Jérôme Carré; Recueil des facéties parisiennes pour les six premiers mois de l’an 1760, édité par Voltaire et composé de pièces qui ne sont pas toutes de Voltaire : il y en a de l’abbé Morellet et de La Condamine. Le recueil est dirigé contre Pompignan, Fréron et contre Palissot qui venait de donner sa comédie satirique des Philosophes; Tancrède, tragédie en vers croisés, jouée le 3 septembre 1760. Cette œuvre, qui marque un effort de Voltaire pour renouveler la tragédie, fut donnée au moment où la scène venait d’être débarrassée des spectateurs qui interdisaient les grands effets de spectacle et de mise en scène (voir la lettre de Voltaire à Mlle Clairon du 16 octobre 1760); Dialogues chrétiens ou préservatif contre l’Encyclopédie : contre le ministre Vernet. Le consistoire de Genève fit brûler l’ouvrage par les mains du bourreau.

1761. Lettres sur la nouvelle Héloïse, ou Aloisia de Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, sous le nom de marquis de Ximmez; Anecdotes sur Fréron, envoyées à Voltaire par Thieriot et retouchées par Voltaire; Appel à toutes les nations de l’Europe des jugements d’un écrivain anglais, réponse à des articles du Journal encyclopédique des 15 octobre et du 1er novembre, qui instituaient des parallèles entre Shakespeare et Corneille, entre Otway et Racine. L’ouvrage de Voltaire s’appela plus tard : Du Théâtre anglais par Jérôme Carré; Rescrit de l’empereur de la Chine, à propos de l’Extrait du projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre par J.-J. Rousseau; Sermon du rabbin Akib.

1762. Le Droit du seigneur, comédie en vers, jouée le 18 janvier 1762 sous le titre : L’Écueil du sage; Sermon des cinquante, vive attaque à la religion chrétienne. Voltaire ne pardonnera pas à Rousseau d’avoir révélé qu’il en était l’auteur.

1762. Extrait des sentiments de Jean Meslier, curé d’Étrepigny et de But-en-Champagne, mort en 1729 ou 1733; Éloge de M. de Crébillon, éloge passablement malveillant; Olympie, tragédie, jouée à Ferney le 24 mars 1762 et à Paris seulement le 17 mars 1764; Idées républicaines, par un membre d’un corps, critique de quelques endroits du Contrat social; Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse. Marc-Antoine Calas ayant été trouvé pendu le 13 octobre 1761, le capitoul David de Beaudrigue, cédant au fanatisme populaire, fit arrêter le père, Jean Calas, et un de ses fils, Pierre, la mère, la servante et deux amis de la famille. Le Parlement, sur un appel du jugement des capitouls, condamna Jean Calas à être roué, le 9 mars 1762, ce qui fut exécuté le lendemain. Voltaire, averti, se renseigna soigneusement, puis, convaincu de l’innocence de Calas, voyant ses amis du ministère fort mous et indifférents, il se décida à en appeler à la France et à l’Europe pour forcer la main au gouvernement. Il réussit à obtenir la revision du procès, et, le 9 mars 1765, un arrêt rendu par les maîtres des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi réhabilita Calas; À Monseigneur le chancelier; Requête au roi en son conseil; Mémoire de Donat Calas pour son père, sa mère et son frère; Histoire d’Elisabeth Canning et de Jean Calas.

1763. Saül, tragédie tirée de l’Écriture Sainte, facétie antibiblique; Catéchisme de l’honnête homme ou Dialogue entre un caloyer et un homme de bien; Éclaircissements historiques, contre Nonotte qui avait publié les Erreurs de M. de Voltaire; Relation de voyage de M. de Pompignan; Instruction pastorale de l’humble évêque d’Aletopolis; Lettre d’un quaker : contre Pompignan; Histoire de Russie, tome II; Omer Joly de Fleury étant entrés, ont dit… : Voltaire se moque du Parlement et de son avocat général qui interdisaient l’inoculation de la petite vérole; Traité sur la tolérance, à l’occasion de la mort de Jean Calas, condamné par décret de la cour de Rome, le 3 février 1766. C’est un des chefs-d’œuvre qui font honneur à la raison et au cœur de Voltaire.

1764. Dictionnaire philosophique portatif. La plan en avait été conçu à Berlin en 1752. L’ouvrage, contenant 73 articles, fut brûlé à Genève le 16 septembre 1764, condamné par le Parlement de Paris le 19 mars 1765 et par la cour de Rome le 8 juillet 1765; Théâtre de Corneille avec commentaires, contenant la traduction de Jules César de Shakespeare et de l’Héraclius de Calderon. L’ouvrage fut publié par souscription et servit à constituer une dot à Marie Corneille. Voltaire s’y montre sévère jusqu’à l’injustice pour Corneille dont il juge les procédés dramatiques avec un dogmatisme étroit et peu de sens historique; Contes de Guillaume Vadé, en vers, avec divers contes et morceaux en prose, Le Blanc et le Noir, roman, le délicieux Jeannot et Colin; le Discours aux Welches par Antoine Vadé, etc.; Doutes nouveaux sur le Testament attribué au cardinal de Richelieu; Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne, sur le même sujet. Il y avait vingt ans que Voltaire niait l’authenticité du Testament (Conseils à un journaliste, Mercure de novembre 1744; Des mensonges imprimés, 1749); Octave et le jeune Pompée ou le Triumvirat, tragédie jouée le 5 juillet 1764, sans aucun succès, imprimée en 1767 avec des notes historiques intéressantes; Le Sentiment des citoyens, virulente brochure contre Rousseau à l’occasion des Lettres écrites de la Montagne. Voltaire y avait si bien imité le style calviniste que Rousseau persista à attribuer ce fâcheux écrit à son ancien ami Vernes.

1765. Mandement du révérendissime père en Dieu Alexis, archevêque de Novgorod la Grande; Questions sur les miracles à M. le professeur Cl… par un professeur, suivies à courts intervalles de 15 autres lettres; l’édition complète de 1765 contient 20 lettres. Le pasteur et professeur Claparède avait répondu aux difficultés élevées sur les miracles par J.-J. Rousseau dans sa troisième Lettre écrite de la Montagne. Voltaire, qui s’acharnait après la personne de Rousseau, combattit la doctrine de son adversaire Claparède. Sur la polémique avec Claparède se greffa une discussion avec le jésuite irlandais Needham. Les Anciens et les Modernes ou la Toilette de Mme de Pompadour, dialogue; La Philosophie de l’histoire par feu l’abbé Bazin, qui devint en 1769 le Discours préliminaire de l’Essai sur les mœurs.

1766. Lettre pastorale à M. l’archevêque d’Auch J.-F. de Montillet, qui, dans son mandement du 23 janvier 1764, avait, en d

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