Réactionnaire

Le réactionnaire est celui qui prône un antimodernisme opposant la transcendance à l'athéisme, la hiérarchie à l'égalitarisme, l'aristocratie à la démocratie, l'expérience à l'abstraction, les hommes particuliers à l'humanité en général, la tradition au progrès.

Ces mots de Baudelaire illustrent parfaitement bien l'esprit réactionnaire: « La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges ou antinaturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie (1). » Ce n'est pas un nihilisme destructeur qui sous-tend ces paroles, mais l'angoisse d'assister au crépuscule de la civilisation, et l'espérance de trouver, malgré tout et en toute chose, une parcelle d'éternité.

En France, où ces questions ont plus d'importance dans la définition des enjeux sociaux et politiques qu'ailleurs dans la francophonie, au Québec par exemple, Chateaubriand représente le pôle réactionnaire et Victor Hugo le pôle révolutionnaire et progressiste. Alors que ce dernier évoque le navire du progrès « qui va à l'avenir divin et pur, à la vertu, à la science qu'on voit luire, à la mort des fléaux »,Chateaubriand déplore cette folie du moment: « La folie du moment est d'arriver à l'unité des peuples et de ne faire qu'un seul Homme de l'espèce entière, soit ; mais parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d'un frère. »


Note

1. CHARLES BAUDELAIRE, Fusées, dans Écrits intimes. Texte établi par Jacques Crépet. Introduction par Jean-Paul Sartre. [Paris], Les Éditions du Point du Jour, 1946, pp. 28-29. Coll. « Incidences » # 4.

Essentiel

« Pour le réactionnaire, réagir n'est pas tomber dans un passé mort, mais s'arracher à une maladie qui tue. »

NICOLÁS GÓMEZ DÁVILA, Les horreurs de la démocratie, Monaco, Éditions du Rocher, 2003, p. 244.

Enjeux

Dans le lexique de la modernité, le terme réactionnaire est une insulte. C'est même l'insulte suprême, mais aussi l'insulte la plus courante et la plus galvaudée. Un symptôme de la psychose antiréactionnaire ambiante fut la parution, en 2002, d'un ouvrage de Daniel Lindenberg intitulé Le rappel à l'ordre: enquête sur les nouveaux réactionnaires. Dans cet essai, l'auteur qualifie de réactionnaire tout penseur qui ose critiquer, plus ou moins sévèrement, un aspect ou l'autre de la modernité. Des gens aussi différents que Philippe Muray, Marcel Gauchet, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, Régis Debray, Maurice G. Dantec et François Ricard se sont ainsi retrouvés au banc des accusés. Ces auteurs seraient, selon Lindenberg, les « nouveaux réacs »: la France (et le monde) devrait craindre les écarts de pensée de ce contingent d'écrivains subversifs. Dépourvue de toute rigueur et de toute finesse, la démarche de Lindenberg n'éclaire en rien la compréhension de la pensée réactionnaire: elle ne parvient qu'à l'obscurcir, tout en nous informant qu'il se trouve encore des intellectuels pressés qui préfèrent l'étiquetage inconsidéré à la réflexion articulée.

Le réactionnaire n'est pas celui qui critique un aspect ou l'autre du monde moderne (comme se l'imaginent Lindenberg et ses émules nord-américains), mais celui qui refuse les postulats philosophiques de la modernité. Le réactionnaire est celui qui attaque la modernité dans sa substance même.

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