La France entre Hugo et Chateaubriand

Jacques Dufresne
De même que Pascal et Descartes représentent les deux France philosophiques, de même Hugo et Chabeaubriand représentent les deux France politiques, la France universelle et la France identitaire.
L’affaiblissement des nations n’est donc pas une chose qu’il faut prendre à la légère. Les Français, hier encore cosmopolitiques, sont les premiers à s’en rendre compte. Ils commencent à comprendre cette pensée de l’écrivain québécois Jean Bouthillette : «Le nationalisme est volonté de puissance chez les peuples forts et volonté d’identité chez les peuples faibles ». Ayant compris et senti qu’ils font désormais partie des peuples faibles, ils hésitent désormais à appliquer à leur population d’immigrants la philosophie universelle des droits de l’homme, qu’ils ont eux-mêmes proclamée alors qu’ils étaient au sommet de leur force.
Voici comment, au moment où la France était au sommet de son cosmopolitisme, le poète national, Victor Hugo, voyait l’avenir.
«Donc nous aurons l'Europe République.
Comment l'aurons-nous ?
Par une guerre ou une révolution.
Par une guerre, si l'Allemagne y force la France. Par une révolution, si les rois y forcent les peuples. Mais, à coup sûr, cette chose immense, La République européenne, nous l'aurons.
    Nous aurons ces grands Etats-Unis d'Europe, qui couronneront le vieux monde comme les Etats-Unis d'Amérique couronnent le nouveau. Nous aurons l'esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l'éducation sans l'abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l'échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l'enfer, l'amour sans la haine. L'effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l'isthme affreux qui sépare ces deux mers : Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu'est-ce que c'est que toute cette lumière ? C'est la liberté. Et qu'est-ce que c'est que toute cette liberté ? C'est la paix.»

Actes et Paroles III, 2ème partie, Chapitre XII,
Lettre aux membres du Congrès de la Paix, à Lugano, 20 septembre 1872.

Jadis, les Français adhéraient avec ferveur à cet optimisme humanitaire de Victor Hugo. Leur adhésion est de plus en plus réservée. Qu’ils l’avouent ou non, les mêmes Français se demandent maintenant si le moment n’est pas venu pour eux de donner raison au jugement de Chateaubriand sur la «société universelle »:
«La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul Homme de l’espèce entière, soit ; mais parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d’un frère. Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour ses moeurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats Chateaubriand, Les Mémoires d’outre-tombe..

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