Fouquet Nicolas

1615-1680?
"Il est assez difficile de décider si le surintendant aimait les arts par un goût naturel porté vers les belles choses, ou seulement par faste et par ostentation, en financier le plus riche et le plus dépensier de son temps. Quoi qu’il en soit, il voulut surpasser, dans la construction de sa maison de plaisance, tout ce qui avait été fait en France avant lui. Son château de Vaux-le-Vicomte lui coûta, dit-on, dix-huit millions, somme énorme pour ce temps-là, et qui représenterait aujourd’hui trois fois autant. Voltaire remarque avec raison (1) que cette dépense prouve qu’il avait été servi avec aussi peu d’économie qu’il servait le roi.

L’architecte Le Vau avait élevé le château, masse carrée d’une construction lourde, mais imposante. Le Nôtre avait dessiné les jardins, embellis de pièces d’eau et de cascades telles qu’on n’en avait pas encore vue de semblables en France. Charles Lebrun avait peint les appartements, et il avait montré la profondeur de son savoir dans quatre plafonds principaux. L’un représentait la déification d’Hercule, d’une composition toute différente de celle de l’hôtel Lambert. On voyait dans l’autre le Sommeil, Morphée et les songes agréables et funestes. Dans le troisième, le Secret avec tous ses hiéroglyphes, ingénieusement personnifiés. Dans le quatrième, enfin, les Muses, avec tous les attributs qui les caractérisent. Ce dernier passe pour une pièce excellente. Lebrun devait peindre encore, dans le vestibule, le palais du Soleil, le triomphe de Constantin dans Rome, après la défaite de Maxence; il en avait terminé les dessins que le cardinal Mazarin avait vus avec plaisir dans ses visites à Vaux-le-Vicomte. Ces dessins ne furent pas exécutés, à cause de la disgrâce subite du surintendant, pour qui le même artiste avait peint encore, à Saint-Mandé, près de Vincennes, un salon, où paraissait le Soleil levant, précédé de l’Aurore, et mettant la Nuit en fuite (2).

Fouquet avait été tellement satisfait du talent de Lebrun, que, pour l’attacher exclusivement à son service, il lui avait donné, outre le payement de ses ouvrages, douze mille livres de pension. Il l’avait chargé d’inventer et de diriger les fêtes somptueuses et galantes qu’il donnait à la cour, fêtes célébrées en vers et en prose par La Fontaine, Pélisson, Mlle de Scudéry et autres beaux esprits à la solde de ce financier fastueux et libéral jusqu’à la plus extrême prodigalité (3).

La sculpture devait être représentée dignement au château de Vaux. Le père Bougerel rapporte, dans sa Vie de Pierre Puget, qu’un riche amateur, M. Girardin, avait fait exécuter en 1659, à sa terre de Vaudreuil, en Normandie, par le grand artiste marseillais, deux figures colossales en pierre représentant, l’une Hercule, l’autre la Terre couronnant Janus d’oliviers. Le graveur Le Pautre les ayant vues par hasard, s’étonna qu’un homme d’un talent déjà si mûr restât dans l’oubli. Il en parla au surintendant, qui fit venir Puget et lui confia les ouvrages de sculpture qui devaient orner Vaux-le-Vicomte. Mais comme le marbre était alors très rare en France, Fouquet chargea l’artiste d’aller à Gênes en choisir lui-même plusieurs blocs (4). Le château s’acheva donc sans marbres. À peine était-il terminé, que Fouquet voulut y donner à Louis XIV une fête splendide. Elle eut lieu dans le mois d’août 1661. Molière et sa troupe vinrent y donner la première représentation des Fâcheux. « D’abord que la toile fut levée, raconte-t-il lui-même dans l’avertissement qui précède cette pièce, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur la scène en habit de ville, et, s’adressant au roi, avec le visage d’un hommes surpris, fit des excuses, en désordre, sur ce qu’il se trouvait là seul et manquait de temps et d’acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu’elle semblait attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d’eau naturels, s’ouvrit cette coquille que tout le monde a vue; et l’agréable naïade, qui parut dedans, s’avança au bord du théâtre, et, d’un air héroïque, prononça les vers que M. Pélisson avait faits, et qui servent de prologue. » Ces vers étaient la flatterie la plus outrée du jeune roi. On disait de lui :

Qu’il parle ou qu’il souhaite il n’est rien d’impossible,
Lui-même n’est-il pas un miracle visible?
Son règne, si fertile en prodiges divers,
N’en demande-t-il pas à tout cet univers?
Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,
Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste;
Régler et ses États et ses propres désirs;
Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs;
En ses justes projets jamais ne se méprendre;
Agir incessamment, tout voir et tout entendre;
Qui peut cela peut tout, il n’a qu’à tout oser,
Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.

Louis XIV, pour le malheur de Fouquet, ne suivit que trop fidèlement ces conseils de Pélisson. La fête avait été féérique, mais elle avait déplu au maître, qui ne pardonnait pas au parvenu son luxe et son audace cachée sous une humilité apparente, que démentait son insolente devise : Quo non ascendam, écrite et sculptée partout. L’amour et la jalousie excitaient encore plus la haine de Louis XIV : il avait appris que Fouquet avait osé jeter les yeux sur mademoiselle de La Vallière, et lui avait offert deux cent mille livres, qu’elle avait refusées avec indignation, donnant un éclatant démenti à cette affirmation du satirique : «Jamais surintendant ne trouva de cruelles.»

On sait le reste : Fouquet arrêté, poursuivi à outrance par des juges choisis ad hoc, fut condamné, après une longue procédure. Il avait été chaudement défendu, et il fut vivement regretté par tout son entourage. Ces témoignages de sympathie dans le malheur, font l’éloge de son caractère. Colbert devint alors tout puissant, et les artistes qui s’étaient attachés à Fouquet ne furent pas les derniers à rechercher ses bonnes grâces."

Notes
(1) Siècle de Louis XIV, t. II, p. 434, vol. 20e des Œuvres de Voltaire, éd. Lequien, in-8, 1821.
(2) Vie des premiers peintres du roi, par Lépicié. Vie de Lebrun, t. 1, p. 27 et suiv., in-18, éd. De 1752.
(3) Id., ibid.
(4) Vie de Puget, par Zenon Pons; il cite le père Bougerel. – Voyez aussi la Notice sur la vie et les œuvres du Puget, par M. Henri, dans le Bulletin de la Société des sciences et arts de Toulon, 20e année, no 2, p. 129.

Jules Dumesnil, Histoire des plus célèbres amateurs français et de leurs relations avec les artistes. Tome 2. Jean-Baptiste Colbert, 1625-1683. Paris, J. Renouard, 1858, p. 14-19

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