L'aide au développement

Andrée Mathieu
Cet article contient des précisions sur les institutions, comme le FMI, vouées à l'aide au développement, sur les types d'aide, bilatérale ou multilatérale de même que sur les rapports de force entre les diverses catégories de pays.
L'article original de L'Agora, dont l'essentiel est reproduit ici, avait pour titre Retour sur les institutions de Bretton Woods.
Qu'est-ce que le sous-développement?

Le livre Et si le Tiers-Monde s'autofinançait (Voir les notes) est un excellent outil pour qui désire s'initier à la problématique de l'aide au développement. Éclairées par la lecture de cet ouvrage, les nouvelles internationales prennent une tout autre dimension. Nous nous en sommes largement inspiré, notamment pour décrire le contexte économique international.

Comment définir le sous-développement? L'auteur présente deux façons de répondre à cette question. On peut d'abord le définir à partir de ses symptômes: «la sous-alimentation, la mortalité infantile, l'analphabétisme, le PNB (produit national brut) par habitant, l'endettement et le reste» (p.42). On peut aussi définir un pays sous-développé à partir des mécanismes internes de son économie: c'est « un pays dont les rouages économiques s'engrènent de façon subordonnée dans la mécanique géante de l'économie mondiale» (p. 46). Le sous-développement se caractérise par:

1. «La dépendance financière et monétaire».
La dette (capital et intérêts) est tellement importante que le pays doit compter sur les marchés financiers extérieurs pour la rembourser. Son économie est alors extrêmement sensible à toutes les «fluctuations brusques des taux d'intérêt et de change» (p. 46).
2. «L'extraversion du système économique».
«L'économie des pays sous-développés repose principalement sur l'exportation des matières premières à faible valeur ajoutée, dont ils ne contr8lent pas les prix. Ils ne contrôlent pas non plus les prix des produits manufacturés ou alimentaires qu'ils importent. Ils ne disposent d'aucun moyen efficace pour faire évoluer les termes de l'échange en leur faveur de façon équitable» (p. 47).
3. «La désarticulation de l'économie nationale».
La dépendance financière et l'extraversion commerciale engendrent et entretiennent une société duale. On y trouve d'une part le secteur exportateur, «forcé d'adapter ses produits, sa technologie et sa gestion aux conditions extérieures> (p. 47), et d'autre part les secteurs traditionnels.
4. «La subordination des élites aux intérêts externes» .
Les mécanismes de développement ont donné naissance à une classe de politiciens, de technocrates et de bureaucrates «branchés sur l'aide internationale» . Its ont «contaminé le champ politique qui, arrosé de l'extérieur, peut se passer de ses bases sociales pour survivre> (p. 111). Cette «aidocratie» est le résultat et non la cause de l'inadaptation du système.

L'ordre géopolititique mondial

Classification des pays par le Groupe de la Banque mondiale.


Les principales formes d'aide

1 L'octroi de ressources aux pays sous-développés peut prendre plusieurs formes:
1. L'aide bilatérale implique deux États. Elle consiste en prêts, marges de crédit, investissements, rémunération d'experts et de coopérants, etc. Le pays «donateur» peut « lier» son aide à
l'achat de marchandises, de services ou de technologies. Au Canada l'ACDI est responsable de l'aide bilatérale.
2. L'aide multilatérale se caractérise par sa plurinationalité. «Les pays créanciers sont regroupés dans des institutions dites multilatérales» comme celles de Bretton Woods. «Ces institutions n'agissent pas comme des banques commerciales ou des gouvernements: elles ne prêtent des fonds que dans certains cas et en échange de la garantie d'une utilisation conforme à leurs règlements.»« À l'inverse des bilatérales, les créances multilatérales ne se négocient pas: pas de rééchelonnement, encore moins de remise partielle ou d'annulation.» «A cause de cette rigueur, les créancés multilatérales sont en général le dernier instrument utilisé par un pays en manque de devises.» (Revue Solidaire, juin 1994, n° 123).
3. L'aide privée «comprend les transferts réalisés par des institutions privées sous forme de dons, d'assistance technique, de participations personnelles ou financières les plus diverses ou de prêts bonifiés» (p. 58). Les dons proviennent principalement des Eglises et des ONG.

Les institutions de Bretton Woods
Pour corriger les déséquilibres qui avaient conduit au «jeudi noir» (krach boursier de Wall Street en 1929) et à la crise économique qui s'ensuivit, les États-Unis et la Grande-Bretagne songèrent, dès le début des années 40, à établir «un nouvel ordre économique mondial englobant à la fois le contrôle des monnaies, la circulation des capitaux et les échanges commerciaux» (p. 78). En juillet 1944, les États-Unis convièrent les pays alliés à Bretton Woods, use bourgade thermale du New Hampshire, «dans le but de redéfinir les règles du jeu monétaire et commercial de l'après-guerre» . «Les États-Unis contrôlaient alors plus de la moitié de la production industrielle mondiale et 80% des réserves d'or.» Le plan américain s'imposa donc et le centre mondial de l'économie, «qui avait ses assises à Londres depuis plus de deux siècles», déménagea à Washington (p. 79).
La conférence de Bretton Woods donna naissance aux «trois piliers du nouvel édifice de l'économie mondiale» : le Fonds monétaire international (FMI), La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et ses filiales, dont l'ensemble est mieux connu sous le nom de Banque mondiale, suivis, en 1947, du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui vient d'être remplacé, le premier janvier dernier, par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Nous nous concentrerons sur les deux premières institutions.
1. Leurs structures:
Presque tous les pays (179) sont membres du FMI. Il compte 1800 employés à son siège social à Washington.
La Banque mondiale avec ses 154 membres, ses 7 100 employés et ses 15 édifices à Washington, où se trouve son siège social, possède des bureaux dans 65 pays. (source: Gélinas, op. sit.)
2. Leur mandat:
«Le FMI [est initialement] chargé d'instaurer un ordre monétaire international fondé sur la stabilité des monnaies» (p. 79). Son rôle consiste à rééquilibrer les balances de paiements des pays membres qui manquent de liquidités. Lorsqu'un pays «tire une tranche de crédit» sur le Fonds monétaire international, il emprunte en fait temporairement des devises fortes contre sa monnaie nationale et s'engage à racheter cette monnaie nationale en restituant les devises fortes au FMI dans les 3 à 5 ans. L'action du FMI s'inscrit donc dans le court terme. Mais en 1971, le remplacement des taux fixes par le flottement généralisé des monnaies, force le FMI
à trouver une nouvelle vocation :«la restructuration des économie des pays sous-développés dont le niveau d’endettement commence à inquiéter». Ainsi avec l’introduction des programmes d’ajustement structurel imposés aux pays en développement, l’action du FMI s’inscrit de plus en plus dans le long terme.

La Banque mondiale s'est vu confier le mandat de promouvoir le développement économique des pays sous-développés. Mais, bien que «les médias lui attribuent souvent un rôle d'aide, elle-même ne se reconnaît objectivement d'autre finalité que de financer le développement en prêtant de l'argent avec un maximum de profit, selon l'évolution de la conjoncture» (p. 81). «La plupart des prêts de la Banque mondiale servent à financer des projets d'investissements visant à renforcer le capital physique (routes, secteur agricole, eau, barrages, énergie) et humain (enseignement, santé) des pays.» (Solidaire, n°123). Ces prêts devant être remboursés dans un délai maximum de 15 ans, son action s'inscrit dans le plus long terme.
Depuis leur création, une lente érosion a affecté les spécialisations traditionnelles des institutions de Bretton Woods et leurs rôles respectifs sont de moins en moins tranchés.
3. Leur financement:
Le FMI est financé pour l'essentiel par les souscriptions (la quote-part) des 179 pays membres et par quelques emprunts à un groupe de pays riches. La quote-part d'un pays est déterminée par la taille de son économie et son droit de vote est proportionnel aux montants versés. «Ainsi, le groupe de l'OCDE détient environ 60% des droits de vote, les pays du . G7, 45°/a et les États-Unis à eux seuls, 18%. L’influence des pays du Tiers-Monde sur les décisions [du FMI] est donc négligeable» (p. 81).

La quote-part détermine aussi «les futurs crédits négociables auprès de l'institution. La première tranche, dite tranche_ de réserve, représente 25% de la quote-part du pays et n'est assujettie à aucune condition. Le pays peut ensuite "tirer" quatre tranches de crédits de 25% chacune. La première est , peu conditionnelle, mais la deuxième et les suivantes sont synonymes de programmes d'ajustement structurel. Un pays peut ainsi obtenir jusqu'à 125% de sa quote-part» (Solidaire, n° 123). Toutefois, depuis les années 80, le FMI a étendu ses possibilités de prêts au-delà de cette limite, (un pays pourrait solliciter 300% de sa quote-part, par exemple), mais ces crédits sont à très haute conditionnalité. Le déblocage de chaque nouvelle tranche est toujours subordonné au respect du calendrier de remboursement des tranches précédentes, car les statuts du FMI lui interdisent d'octroyer de nouveaux prêts à des pays qui sont en retard dans leurs paiements.
La Banque mondiale a deux composantes principales et quelques filiales. Il y a d'abord la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), qui «se finance essentiellement par des emprunts réalisés sur les a marchés financiers à des conditions avantageuses grâce à son statut de créancier préférentiel. Pour cette raison, ses prêts sont généralement accordés aux pays en développement à de meilleures conditions que celles des banques commerciales». (Solidaire, n° 123). Ensuite, il y a l'Association de développement international (ADI), qui dispose de budgets destinés aux pays les plus pauvres, c'est-à-dire aux pays dont le PNB ' per capita. est inférieur à 580 $ par année. De plus en plus de pays du Tiers-Monde y sont éligibles, c'est pourquoi la -: Banque mondiale cherche à augmenter substantiellement ce fonds.
4. Leur philosophie :
Le Petit Robert définit un pays en voie de développement comme celui «dont l'économie n'a pas atteint le niveau de l'Amérique du Nord, de l'Europe occidentale, etc.» (sub verbo: «développement»). Ainsi, « le [pays] sous-développé ne peut se situer et se comprendre lui-même que par rapport à un [pays] développé» (p. 36). Cette dichotomie fut à l'origine de l'aide au développement. En partant du principe que les pays sous-développés étaient tout simplement «retardataires», il devint nécessaire de développer des instruments économiques pour leur permettre de « rattraper» le niveau de production et de consommation des pays industrialisés.
«L'idéologie de l'aide au développement repose sur un [autre] postulat apparemment incontestable, à savoir que l'épargne intérieure dans les pays sous-développés, si tant est qu'elle existe, demeure une quantité négligeable en regard de leur immense retard et de leurs énormes besoins» (p. 139). Les institutions de Bretton Woods furent créées pour pallier cette carence et pour financer leur développement.
Une autre doctrine inflexible fut à l’origine de ces institutions : celle du libre-échangisme. «Ce principe donnait la priorité absolue au marché comme mécanisme d’assignation des ressources et de distribution de la richesse» (p.79) On allait, selon la formulation plus explicite d’un représentant de la Banque mondiale, «libérer les mécanismes du marché et renforcer le rôle de ce dernier dans le développement économique...». La croissance économique deviendrait alors le principal moyen de soulager la pauvreté, conformément à la théorie selon laquelle la richesse finit toujours par atteindre les plus pauvres.
Enfin, il est intéressant de noter que les deux institutions fonctionnent sous le couvert de la confidentialité et qu'il nous est, par exemple, impossible de savoir comment le Canada utilise son droit de vote au FMI.

La naissance des Programmes d'ajustement structurel

Durant de nombreuses années, la Banque mondiale accorde des prêts et du financement à toutes sortes de projets de développement, dont la qualité est parfois douteuse. Pendant ce temps, le FMI joue son rôle de «prêteur en dernier ressort» pour les pays en manque de devises qui se voient refuser l'accès aux crédits commerciaux. Ces pays accumulent continuellement de nouvelles dettes pour effacer les anciennes. Pire encore, ayant un urgent besoin de devises étrangères pour rembourser ces dettes, ils sacrifient une large partie de leurs activités traditionnelles au profit des secteur! d'exportation, rendant leur économie plus sensible aux facteurs externes tels que la hausse du prix du pétrole, la hausse des taux d'intérêts, le retard dans les versements de l'aide publique ou privée, etc. Ainsi, plusieurs pays délaissent leur agriculture vivrière «au profit des cultures d'exportatior avec, comme résultats, la dépendance alimentaire, la sous alimentation [et] souvent la famine...» (p. 70). «C'est le règne de l'absurdité: les mêmes bateaux qui apportent l'aide alimentaire repartent souvent chargés d'arachides, de viande, de cacao, de café et de bananes» (p. 188). Par ailleurs, les paiements d'intérêts ayant accaparé une trop grande part des revenus d'exportation, il reste moins d'argent pour les importations, de sorte que l'industrie et l'agriculture locales, de même qúe les secteurs de la santé et de l'éducation, sont durement éprouvés par le manque de biens essentiels.
À la fin des années 80, le flux de capitaux s'inverse: les pays du Tiers-Monde envoient plus d'argent aux pays industrialisés qu'ils n'en reçoivent d'eux. «Le 13 août 1982, le Mexique annonce au monde qu'il se trouve dans l'impossibilité de respecter ses obligations concernant le service de sa dette extérieure. C'est la première fois, depuis le lancement du développement à crédit, qu'un pays se déclare en faillite
virtuelle. Ce n'est qu'un début. D'autres pays parmi les plus endettés, comme l'Argentine et le Brésil, suivent bientôt. Et l'on constate, après la stupéfaction des premiers moments, que l'amoncellement inconsidéré de dettes dans la plupart des pays du Tiers-Monde conduira, à plus ou moins brève échéance, au même résultat: l'insolvabilité. L’équilibre du système monétaire et bancaire international se trouve menacé» (p. 67). Attribuant l'échec de leur politique de développement à la mauvaise gestion des gouvernements des pays sous-développés, les jumeaux de Bretton Woods, qui font « oeuvre de syndic de faillite pour le compte des banques commerciales et des gouvernements créanciers, se trouvent dans une position idéale pour intervenir efficacement sur les structures économiques [de ces] pays» (p. 88). Pour s'en sortir, ces pays ont besoin de crédits supplémentaires, qu'ils ne pourront désormais obtenir qu'en obtempérant aux exigences du FMI. Ces exigences «peuvent se résumer en deux traits: exporter plus, dépenser moins» (p. 91). Exporter plus dans le but d'obtenir les devises nécessaires à l'acquittement de la dette, et comprimer les dépenses de l'État pour réduire le déficit budgétaire du pays.

Les exigences du FMI portent le nom de Programmes d'ajustement structurel (PAS). Elles visent à assurer l'intégration des économies du Tiers-Monde dans l'ordre économique mondial en appliquant des mesures telles:

1. l'ouverture des frontières et la libéralisation des prix pour éliminer les productions non rentables en raison de la concurrence internationale;

2. la privatisation et la dérèglementation pour rendre l'économie nationale plus concurrentielle;

3. la réduction de la demande intérieure pour dégager une plus grande partie de la production nationale pour l'exporta tion. Pour réduire le pouvoir d'achat national, le FMI utilis des moyens comme la suppression des subventions aux denrées de base (agricoles en particulier), la suppression du salaire minimum, la chute des salaires, les dévaluations monétaires, etc.

Les effets des Programmes d'ajustement structurel

«Mis à genoux par les problèmes issus de l'endettement», le Tiers-Monde se voit forcé d'accepter les dures conditions du Fonds monétaire international. Dans un document publié en 1991 par le Fonds inter-Églises pour le développement international, le Conseil canadien des Églises décrit l'impact des Programmes d'ajustement structurel dans plusieurs pays. En voici quelques extraits:

- en Guyane:

«L'ajustement structurel a pour effet de rendre la majorité des Guyanais incapables de produire et de consommer. [...] Les vols privés ont remplacé les vols publics vers la plupart des régions de l'intérieur, laissant les Amérindiens se débrouiller comme ils peuvent. De rapides hors-bord ont remplacé les bacs, les taxis privés ont remplacé les microbus, qui avaient eux-mêmes reriiplacé le transport public; les services de courrier privés remplacent la poste publique et des soins de santé financés par le privé remplacent les services de santé publique, mais sont progressivement hors de la portée de la majorité des gens. Même les services du système bancaire desservent mal les gens qui ont des petits comptes» (p. 36).

- aux Philippines:

«La levée des barrières commerciales sur les fertilisants et les pesticides (demandée par le FMI et les États-Unis) a permis l'entrée de produits étrangers moins dispendieux (du Canada et d'ailleurs) mais a éliminé à toutes fins utiles les petits et moyens producteurs philippins de fertilisants» (p. 47).

- au Costa Rica:

«Durant la période des PAS, les salaires réels ont baissé de 6,6%... la seule période dans toute l'histoire du Costa Rica où la production a augmenté en même temps que les salaires réels baissaient» (p. 47).

Un autre document, publié conjointement par l'Association québécoise des orgade coopération internationale et le Centre international de solidarité ouvrière, donne d'autres exemples:

- au Niger:

«L’essentiel des revenus de l'État au Niger est lié à la vente de l'uranium: les recettes issues du secteur de l'uranium finançaient 40% du budget en 1979 alors qu'en 1992, il n'en représente plus que 8%. Par ailleurs, les dépenses globales ayant connu une légère augmentation jusqu'en 1991, le déficit

budgétaire n'a cessé de s'accroître. [...] L'État a décidé de préserver les acquis dans la fonction publique et pour ce faire a opéré des compressions sévères dans les dépenses de fonctionnement, tout particulièrement dans le secteur social. [...] Cela signifie, en langage clair, de plus en plus de personnel

avec de moins en moins de moyens de fonctionnement (pas de renouvellement de matériel scolaire, pas de construction ou de réparation des écoles au primaire, pas d'achat de matériel médical, coupures dans les services de santé)> (p. 5).

- en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, en Bolivie et au Pérou:

«Bien que ces pays soient touchés à des degrés divers, partout on y perçoit les effets des ajustements structurels:

- dévaluation monétaire - suppression des contrôles de prix

- hausse des taux d'intérêts - hausse des prix des services publics - hausse des prix à la consommation - diminution du pouvoir d'achat - privatisation des entreprises d'État et des services publics

- - mises à pied et limitation des salaires des employés d'État;
e (p.16).

Comme l'affirme le Conseil canadien des Églises dans son document: «Nous ne nions pas que des réformes majeures soient très souvent nécessaires et que les choses auraient sans doute été pires si rien n'avait été fait, mais cela ne doit pas nous cacher toute la dureté qui va de pair avec les politiques du FMI» (p. 27).

Un constat d'échec

«Depuis la crise de la dette qui a éclaté en 1981, les institutions de Bretton Woods ont été appelées à jouer les pompiers du système financier international. Après avoir permis temporairement de sauver de la débâcle les créanciers du Nord, ces institutions se trouvent maintenant elles-mêmes enchaînées à la problématique de la dette, prêtant toujours j plus pour être remboursées.» (Solidaire, no 123). On se retrouve devant une explosion des retards de paiements accumulés par les pays sous-développés. Mais, comme on l'a s vu précédemment, les statuts du FMI lui interdisent d'octroyer de nouveaux prêts à des pays qui sont en retard dans Q leurs paiements. Et les banques commerciales attendent á généralement le sceau d'approbation du FMI pour prêter ï (crédits privés). Alors, les pays lourdement endettés sollicitent de plus en plus fréquemment l'aide bilatérale des pays industrialisés pour se sortir de cette impasse. Mais cela `; diminue d'autant l'argent disponible pour des projets de coopération au développement. De plus, à l'heure des compressions budgétaires dans les pays « prêteurs», il est peu envisageable que cette situation dure ad vitam aeternam. «La dette multilatérale est en passe de devenir un problème majeur, annonçant peut-être une nouvelle crise de la dette.»

(Solidaire, n°123). - j

Le Mexique a bien failli en être à nouveau le déclencheur. j Ainsi, au début de février, la crise de liquidités provoquée' par une brusque dévaluation du peso a forcé le gouvernement mexicain à solliciter l'aide multilatérale. Le plan de sauvetage présenté par le président Clinton, a mobilisé une . somme 50,8 milliards $ US provenant principalement du FMI, du Trésor américain et de la Banque des règlements internationaux. Cette aide internationale est toutefois soumise à des conditions très sévères, notamment en ce qui concerne les revenus pétroliers du Mexique, ce qui laisse planer une menace sur sa souveraineté politique.

Des pistes de solutions

«Face aux nombreuses critiques que lui ont valu ses poli- ,. tiques de stabilisation et d'ajustements structurels et à plus forte raison face à l'accroissement des arriérés multilatéraux dans de nombreux pays, le FMI a réagi en introduisant des
facilités de crédit allégées, plus ou moins conditionnelles à de nouveaux ajustements> Mais ces mesures ne sont pas suffisantes. Le duo de Bretton Woods ainsi que de nombreux auteurs, parmi lesquels plusieurs ONG, ont cherché des solutions à ce problème. Ces solutions varient de quelques aménagements techniques à l'abolition pure et simple de la Banque mondiale et du FMI, en passant par la démocratisation de ces institutions. Il est à prévoir que plusieurs de ces pistes de solutions seront examinées lors du prochain sommet du G7, qui se tiendra à Halifax, du 15 au 17 juin prochains.

Les aménagements techniques: (source: Solidaire, n° 123)

- La suppression du statut préférentiel des institutions de Bretton Woods: ce statut préférentiel étant un des piliers centraux de la stabilité des marchés financiers internationaux, cette solution risquerait de provoquer une forte réaction. Il faudrait éviter que le remède ne soit piré que le mal.

- Une émission spéciale de Droits de tirage spéciaux: les pays industrialisés mettraient à la disposition du FMI des devises supplémentaires sur une base volontaire.

- La vente de réserves d'or du FMI: la quantité d'or à vendre nécessaire pour annuler la dette multilátérale des pays fortement endettés à revenu faible d'Afrique, par exemple, ne représenterait que 10 à 12% des réserves totales du FMI.

-L'utilisation de provisions et de réserves accumulées: la plupart des créanciers multilatéraux ont prudemment accumulé des réserves substantielles pour se protéger des mauvais payeurs.

- L'annulation de dettes et de sommes promises mais non déboursées liées à de mauvais projets: une partie des créances pour des projets qui n'ont jamais été terminés n'a pas été déboursée. Pourtant, les pays emprunteurs paient aussi le service de ces dettes. Elles pourraient être rapidement annulées.

En février 1992, la Banque mondiale a institué «une Commission spéciale chargée d'examiner la qualité des crédits et des prêts alloués par l'institution. Les conclusions du rapport prësenté en juin 1992 par son président, Willy Wapenhans, . ont constitué une confirmation alarmante des critiques portées depuis de nombreuses années par les ONG et certains fonctionnaires de la Banque. Le rapport note d'abord une grave dégradation de la qualité des projets financés. [...]. [Il) dénonce aussi des carences sur tout le cycle des projets: en amont, lors de la conception ou de la préparation du projet, lors de sa mise en oeuvre, enfin lors de sa gestion> (Solidaire, no 123).

S'inspirant du rapport Wapenhans, deux organismes suisses ont proposé les solutions suivantes:

- La création d'une instance de recours indépendante de la Banque, destinée aux personnes ou aux organisations affectées par un projet.

- L'évaluation indépendante des projets.

Enfin, de l'avis des ONG, au lieu d'imposer des politiques macro-économiques uniformes partout dans le monde, le temps est venu de centrer le développement sur les personnes d'abord. Pour Marcos Arruda, coordonnateur du Conseil international des agences bénévoles (ICVA), une politique de développement centrée sur les personnes doit «renforcer le développement et l'équilibre intérieurs de l'industrie, de l'agriculture, des services, de l'infrastructure économique et sociale, ainsi que du marché de consommation locale>. L'ensemble des solutions proposées par les ONG pour atteindre cet objectif ont été résumées dans le feuillet publicitaire de la campagne «50 ans, ça sufht! »:

1. Remplacer les Programmes d'ajustement structurel par des politiques et des projets qui répondent aux besoins des populations pauvres et favorisent un développement équitable, durable et coopératif.

2. Annuler ou diminuer considérablement la dette multilatérale, particulièrement pour les pays les plus pauvres, et augmenter le soutien en vue de la réduction de la dette 'commerciale et bilatérale. Le principal argument qui milite contre la réduction de la dette multilatérale est qu'une telle action pourrait «récompenser» les pays qui ne s'engagent pas à fond dans l'ajustement de leurs économies. Mais le vrai danger ne serait-il pas plutôt de laisser les créanciers multilatéraux complètement épargnés par les conséquences de leurs politiques souvent décriées et de leurs mauvaises décisions de prêts?

3. Démocratiser la Banque mondiale et le FMI et les rendre responsables face aux populations que visent leurs projets et politiques. Cette action demande une répartititon démocratique du droit de vote, une meilleure transparence et l'accès à l'information, ainsi que la participation à toutes les étapes des projets, programmes et politiques.

L'Agora pense que les contribuables québécois doivent être conscients que les fonds publics servent à financer des politiques qui ont pour résultats l'affaiblissement des systèmes de santé et d'éducation et l'accroissement de la dette du Tiers-Monde. Serons-nous un jour victimes de ces mêmes politiques?

Remerciements

Nous remercions Monsieur Roger Saucier, chargé de projet au Centre international de solidarité ouvrière(CISO) pour sa précieuse collaboration.

Bibliographie

1. Feuillet publicitaire de la campagne «50 ans, ça suffit»
2. Notre avenir s'assombrit, L ACDI, quatre ans après le Rapport Winegard, Fonds interÉglises pour le développement international, Conseil canadien des Églises, Octobre 1991
3. Les programmes d'ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI: Que faire?, Les Actes de la journée du 2 avril 1993. On peut se procurer des copies de ce dossier au CISO, au coût de 3$.
4. Marcos Arruda, Texte intitulé Cessons de presser le citron de l'économie: une solution de rechange à l'ajustement structurel
5.Revue Vers un développement Solidaire, Déclaration de Berne, Juin 1994, numéro 123, Suisse
6.Jacques B. Gélinas, Et si le Tiers Monde s'autofinançait - De l'endettement à l 'épargne, Les Éditions Écosociété, Montréal, 1994
7.Les lecteurs qui s'intéressent au phénomène de l'«aidocratie» liront avec avantage:Graham Hancock, Les nababs de la pauvreté - Le «busi
ness»multimilliardaire de l'aide au Tiers Monde: incohérence et gaspillage, privilèges et corruption, Éditions Robert Laffont S.A., Paris 1991

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