Botticelli et la Divine Comédie

Alphonse Germain
Quelques références à consulter sur les dessins de Botticelli:

Nicolas, Alain. "Botticelli et Dante: rencontre au paradis", L'Humanité, 13 décembre 1996
Karlins, N. F. "Botticelli's Dante" (Artnet)
Searle, Adrian. "Vicious Circles", The Guardian, 13 mars 2001
Harding, Jeremy. "At the Royal Academy", London Review of Books, vol. 23, no 7, 5 avril 2001
Lindskoog, Kathryn. "Books & Culture Corner: Spring in Purgatory: Dante, Botticelli, C. S. Lewis, and a Lost Masterpiece" (Christianity Today)

Édition d'art:
La Divine comédie de Dante, illustrée par Botticelli, Éditions Diane de Selliers
    Rien de plus délicat et de plus périlleux que l'illustration d'un livre, soit que l'illustrateur s'attache à suivre le texte de près, soit qu'il préfère l'interpréter librement. Trop littérale, une traduction risque de ressembler à quelque copie d'après photographie; trop selon l'esprit, elle ne sort guère de l'ambiguïté ou du contresens. Un roman abonde-t-il en pages psychologiques, la bonne représentation de ses personnages devient presque impossible; offre-t-il, au contraire, une succession ininterrompue de scènes animées, d'épisodes dramatiques, il entraîne l'artiste au théâtral. Il est enfin des livres qu'on ne peut illustrer, ce sont les poèmes. On devrait toujours se borner à les parer de décorations purement ornementales. Art évocateur par excellence, la Poésie crée ses images comme elle crée sa musique; il est aussi dangereux d'en tirer des illustrations qu'une partition pour piano. Quels dessins s'allieraient dignement à l'Odyssée, au Mahabharata, à l'Enéide, et surtout à la Divine Comédie ?

    Certes, entre tous les poèmes, celui de Dante apparaît comme le plus impossible à illustrer. Mais, d'autre part, il offre une telle abondance de thèmes séduisants et d'effets plastiques (1), les âmes ont, dans ses deux premiers livres, des formes si terrestres, les décors des aspects si naturels, et les allégories finales contiennent tant de motifs curieux qu'un bel imaginatif du crayon sera toujours tenté de le traduire en images malgré les innombrables dangers de l'entreprise. N'y a-t-il pas des défaites qui honorent ? On comprend donc qu'en plein XVe siècle, et sur la terre même d'Alighieri, un maître ès arts du dessin ait cédé à cette tentation.

    Botticelli, ce maître, était alors en pleine possession de son art et en pleine période de succès. Il comptait à son actif deux purs chefs-d'oeuvre : l'Adoration des Mages de S. Maria Novella et l'Assomption de S. Pietro Maggiore (2), - et il venait de travailler avec Ghirlandajo et Cosimo Rosselli, à la décoration de la chapelle élevée par Sixte IV (3). C'est à son retour de Rome, en 1481, qu'il se lança dans l'écrasant labeur que demande une illustration de la Divine Comédie. Et quoique ses finances fussent dans un état lamentable, tant il manquait de sens pratique, on n'en saurait conclure que le désir de gagner de l'argent ait pesé sur sa détermination. Il brûlait d'une si belle passion pour le chef-d'oeuvre de son poète préféré que la joie d'en parer d'images chaque chant pouvait assurément lui faire oublier ses intérêts matériels. Le maître avait l'enthousiasme durable, il le prouva bien lorsqu'il eut pris rang parmi les disciples du vaillant Savonarole.

    Botticelli commença par une série de compositions d'après l'Enfer, et il les « mit en estampes, sans s'occuper d'autre chose », nous apprend Vasari, dont les concepts de valet se trouvaient choqués par le moindre exemple de désintéressement, « ce qui lui occasionna une perte de temps considérable qui jeta sa vie dans une infinité de désordres ». Non content d'illustrer ces chants aimés, il en commenta même plusieurs, car il se targuait d'avoir étudié le Dante. En réalité, Sandro était un presque inculte, mais avide de savoir et en désir de s'intellectualiser (4). Comme tous les artistes entrés par les sentes perdues dans le monde des idées, il se plaisait à la lecture et s'y livrait sans méthode, on s'en doute, fouillant les ouvrages les plus divers, les plus opposés, voire les moins compréhensibles pour lui, passant du sacré au profane et de l'antique au moderne, vagabondant, musardant à travers les textes, et ramenant tout en somme à son art. Il tira quatre motifs décoratifs des Triomphes de Pétrarque et quatre autres des Aventures de Nastagio degli onesti contées par Boccace. Quant à la Divine Comédie, elle lui fournit une occasion unique de déployer ses ressources imaginatives et de satisfaire ce goût pour les compositions symboliques que développaient en lui son ami le Vinci et son admirateur Palmieri.

    Les premières compositions d'après l'Enfer furent gravées, pense-t-on, par Baldini pour l'édition florentine de Landini (5). Les dix-neuf estampes que l'on possède présentent des scènes impressionnantes, dont quelques-unes très animées, entre autres les 5e, 13e, 14e et 15e.

    Les démons sont des pantins comiques, mais les damnés souffrent avec un réalisme que n'atténue point le léger archaïsme du dessin.

    Quoique aucun document ne nous renseigne sur l'accueil fait à cette suite de gravures, on peut conjecturer qu'il fut des plus favorables. Cette tentative audacieuse d'un de leurs maîtres favoris avait tout pour plaire aux délicats de Florence. Ce que l'on sait pertinemment, d'ailleurs, c'est que l'un d'eux, membre de la famille Médicis, s'empressa de confier à Botticelli la décoration originale d'un manuscrit de la Divine Comédie qu'il fit exécuter, selon l'ancien usage, spécialement à cette intention.

    De la splendide collection du duc d'Hamilton, ce manuscrit illustré par un maître peintre est passé au Musée de Berlin, dont il enrichit le Cabinet de gravures. Quatre-vingt-huit feuilles gr. in-folio en fin parchemin de chevreau constituent cet ouvrage précieux. Par malheur, il n'est plus complet; du chant Ier jusqu'au chant VIIe et du IXe jusqu'au XVIe de l'Enfer, les illustrations manquent. Sept d'entre elles peuvent être considérées comme perdues; les huit autres, celles des chants I, VIII, IX, X, XII, XIII, XV et XVI ont été retrouvées dans la Bibliothèque Vaticane, avec une composition sur feuille de tête représentant l'ensemble des cercles infernaux. Tous ces dessins se trouvaient dans un volume de mélanges ayant appartenu à la collection de manuscrits de Christine de Suède; découverts par, le Dr Reitzenstein, ils furent révélés par le Dr Strzijgowski (6).

    Le maître n'ayant pas achevé l'illustration des trois derniers chants du Paradis (7), le nombre total des dessins existants est de quatre-vingt-douze, dont quatre-vingt-trois à Berlin. Ébauchés à la pointe d'argent, ces dessins ont été repris partie à la plume et à la même pointe, partie à la plume seule, à l'exception du motif qui correspond au chant XVIII de l'Enfer lequel a été gouaché. Ils sont très supérieurs à ceux des gravures.

    Le texte du poème se lit sur le recto des feuilles, le côté poil « haarseiten ». Chaque chant a été écrit dans le sens de la largeur de la feuille, celle-ci divisée en six colonnes. L'écriture employée par le scribe est celle qu'on appelait « alla moderna » par opposition « alla antica », et qui fut très estimée en Italie à partir du XIVe siècle. Les dessins parent le verso des feuilles, le côté chair « fleischseite ». Et le recueil est disposé de telle manière qu'un texte et son illustration correspondante se trouvent toujours ensemble sous les yeux du lecteur; il n'y a d'exception que pour le chant XXXIV de l'Enfer, dont le motif, un Lucifer gigantesque, s'étale sur une double feuille. On ne peut douter que ces dessins ne soient de la propre main de Botticelli, tant ils portent l'empreinte de son style, tant ils manifestent sa science de décorateur et sa verve. D'autre part, on relève sur le dessin du chant XXVIII du Paradis la signature Sandro di Mariano. Le maître devait tracer aussi les premières initiales de chaque chant, mais il ne trouva jamais le temps de donner suite à ce projet (8). Les places réservées à ces lettres dans le texte sont restées vides.

    Dans son amour, sa piété pour Dante, Botticelli s'ordonna certainement de reproduire toutes les scènes des drames qui se déroulent dans la Divine Comédie. Au lieu de choisir un thème dans chaque chant, il s'ingénia pour représenter les uns à côté des autres sur un seul motif les divers épisodes d'un chant. D'où une répétition, parfois excessive, des effigies de ses protagonistes et de quelques autres personnages dans la même page (9). C'était compliquer la besogne et s'exposer à maints inconvénients. Mais, rompu aux stratagèmes de la composition, il a si bien placé ses figures et leurs doubles, si bien relié entre elles les scènes de chaque acte, qu'il a évité tout ce qui, dans l'ordre décoratif, équivaut à un solécisme. Même les motifs dont l'intérêt est dispersé donnent un effet d'ensemble parce que les lignes qui les constituent plastiquement ont été équilibrées, disposées de manière à assurer leur unité; où l'esprit du lecteur a lieu de se plaindre, l'oeil du spectateur trouve à se satisfaire. Et comment en aurait-il été autrement? On sait avec quel tact Botticelli peintre arrangeait ses groupes; or, les principes de la décoration du livre sont les mêmes que ceux de la décoration murale. Il n'y a qu'une différence d'échelle. La réalisation de l'harmonie s'obtient de la même manière sur toutes les matières.

    Le maître se donna tout entier à cette interprétation et son génie s'y manifesta sous toutes ses formes. Mais, pour créer des dessins où revécût le poème, des pages émouvantes et anagogiques, il eût fallu être un Dante du crayon. Génie gracieux, souple, un peu féminin, Botticelli n'avait pas assez d'affinités avec le gran padre Alighieri. C'est au seul point de vue art qu'il convient d'examiner son illustration de la Divine Comédie.

    Certaines compositions ressemblent à des études pour fresque, d'autres à des préparations de gravures; quelques-unes, simples ébauches, ont le charme de croquis enlevés d'un trait preste. Maints personnages exhibent des têtes significatives, mais c'est surtout par les attitudes et les gestes qu'ils sont expressifs. Formes construites et lignes sommaires, tout, dans ces dessins, est indiqué ou écrit avec une énergie parfois brutale; on les dirait d'un caractériste. Et cela ne doit pas étonner d'un idéalisateur délicat comme le maître de la Naissance de Vénus. L'idéalisation est souvent le résultat d'un travail accompli sur la forme notée avec tous ses signes particuliers; les esquisses, les études des vrais idéalisateurs ne laissent aucun doute à ce sujet (10).

    La représentation symbolique des cercles infernaux, laborieux arrangement de motifs minuscules, relève de l'idéographie et n'intéresse guère. Mais dès les premières compositions qui lui succèdent, on est retenu par l'ingénieuse présentation de la mise en scène et par le caractère humain du drame. Ce sont les mouvements d'une populace furieuse que dessinent une partie des damnés assemblés devant la ville de Dité, dans le motif IX; les autres semblent atterrés par quelque catastrophe. Dans le motif X, consacré à cette cité de feu où le regard ne découvre que les sépulcres des hérésiarques et les flammes qui les environnent, les attitudes de Dante et de Virgile suffisent pour communiquer à la scène un parfum de vérité. Le motif XII représente la vallée d'horreur où coule le fleuve de sang dans lequel sont condamnés à gémir ceux dont les violences affectèrent le prochain. Les tyrans sanguinaires et rapaces y croupissent plongés jusqu'aux cils. Des centaures veillent sur les bords étroits de cette fosse et décochent leurs flèches sur les âmes qui cherchent à sortir du fleuve bouillonnant plus que leur condamnation ne le permet. De ce tableau, où l'affre des damnés se devine à la seule indication des têtes, émane l'horreur des scènes de carnage; devant le suivant, on ressent la même impression de surprise et d'angoisse qu'en traversant quelque fourré à l'heure où la nuit jette son mystère transfigurateur. C'est le bois sans sentier où le poète, entendant des cris de toutes parts sans apercevoir une seule âme, vient de s'arrêter épouvanté. Là, les feuilles sont noires et les rameaux « souillés d'épines et de substances vénéneuses » ; chaque tronc sert de prison à une âme de suicidé et les difformes harpies, en becquetant les feuilles des branches, entretiennent les coupables dans une douleur aiguë. Et les lignes brisées, tourmentées, lugubres, du dessin disent la plainte de ces arbres étranges. Sur le motif XV, Dante et son guide, en marche dans l'enceinte du sable enflammé sous la pluie de feu, rencontrent des ombres qui les regardent « ainsi qu'on regarde, le soir, des objets peu éclairés, baissant leurs paupières, comme fait un tailleur affaibli par les ans, pour enfiler son aiguille ». C'est la foule infortunée des âmes qui se livrèrent aux pires dépravations. Cette scène, uniquement composée de figures isolées, présente un prodigieux exemple d'équilibre de vides et de pleins. On ne saurait donner avec plus d'harmonie le spectacle de la confusion. Ces figures ont été modelées en brun comme pour servir de carton; celles de la scène suivante, second tableau du même acte, sont au trait et disposées fort expressivement de la même manière.

    On voit ensuite (XVII) les deux aèdes arriver, sur un Géryon quelque peu théâtral, dans le cercle où les avares sont dévorés « par la douleur qui s'élance de leurs yeux » ; puis, on les retrouve, dans le Malébolge, au milieu de l'amas informe de roches sombres comme du fer où sont punis corrupteurs, séducteurs et flatteurs (XVIII). Ce motif, recouvert d'un ton de sépia, sur lequel s'étalent quelques colorations sourdes, cause un effet puissamment lugubre (11). C'est l'unique page teintée de l’œuvre, mais, sans doute, le maître avait l'intention d'en enluminer plusieurs autres. Les figures du motif X ont été modelées avec le même ton neutre et, d'ailleurs, Botticelli se livrait volontiers à la miniature. On prétend qu'il décora plusieurs missels de la cathédrale de Florence en collaboration avec Monte di Giovanni (12). Si vraiment son projet était de reprendre à la gouache une série de compositions, mieux vaut qu'il n'ait pu le réaliser. Il n'appartenait pas à ce peintre délicat de traduire par le pinceau les colorations farouches et les lumières intenses des tableaux dantesques. Ses moyens d'expression étaient avant tout le trait. Ce n'est que par les physionomies et les attitudes des réprouvés brûlant dans les feux éternels qu'il pouvait donner une idée de ces flammes « plus ardentes que le fer rougi sous la main du forgeron ».

    Le motif qui correspond au chant XIX, où éclate la magnifique colère de Dante, n'a rien d'impressionnant; il montre le supplice des simoniaques, enfoncés, jambes en l'air, dans des trous plein de flammes, et l'on doit reconnaître qu'un pareil thème se prête mal, en dessin, à une interprétation dramatique. Par contre, on s'apitoie devant les devins dont le visage tourné du côté des épaules grimace une désolation muette (XX). Par des indications très sobres, le maître a exprimé l'abattement, la navrance de ces âmes qui s'avancent à pas lents « plongées dans un silence entremêlé de pleurs ». Ailleurs, près de la fosse où les âmes vénales cuisent dans un bitume épais, les deux poètes se trouvent menacés par une horde de démons furieux comme des dogues qui attaquent un pauvre (XXI). La luxuriante imagination de Botticelli s'est déployée dans la portraiture de ces diables, mais sans réussir à leur donner un air réellement féroce, ni des regards perfides. Il les a plutôt faits à l'image de ce Barbariccia gouailleur, voyou et simiesque, qui guidait son escouade aux sons d'une trompette « insolente et fétide », selon la traduction courtoise du chevalier Artaud de Montor (12). Même interprétation bouffonne dans le motif XXII, où certain Malebranche harponne un réprouvé par le bas du dos. Puis, c'est la procession du « collège douloureux des hypocrites », dont chaque membre, revêtu d'une chape plombée, se traîne péniblement sur le chemin en travers duquel Caïphe se tord crucifié par trois pals (XXIII); la course affolée des voleurs qu'étreignent et châtient des reptiles (XXIV et XXV) (13); et toutes ces scènes présentent des groupes extraordinairement animés.

    Deux compositions vides leur succèdent, ce sont celles qui montrent la sombre vallée où les colériques s'agitent, invisibles, au milieu des flammes. On n'y voit, par conséquent, que des feux, sauf dans la XXVIIe où se tordent quelques vagues profils. Mais à partir du motif XXVIII, reparaissent les tableaux mouvementés ou pathétiques. Sur le chemin des pleurs, les spectres de ceux qui semèrent la discorde parmi les hommes exhibent leurs atroces mutilations, leurs plaies livides. On distingue Mahomet fendu depuis le menton jusqu'aux entrailles, qui retombent sur ses jambes, et son cousin Ali, dont la tête est ouverte de haut en bas. A d'autres, il manque le nez ou les mains; quelques-uns ont la bouche tailladée. Curion n'a plus de langue, Bertrand de Born tient sa tête à la main « suspendue comme une lanterne ».

    Dans un coin du cercle empesté, affecté aux faussaires et aux perfides, des maudits labourent de leur ongles crochus, avec des gestes significatifs, les croûtes lépreuses dont ils sont couverts (XXIX). Dans un autre coin, sur une page très effacée, on reconnaît à son effrayante hydropisie, maître Adamo de Brescia, et l'on devine, non loin de lui, la femme de Putiphar et le fourbe Sinon aux corps fumant « comme des mains mouillées pendant l'hiver » (XXX).

    Sur le bord du dernier abîme, lieu de punition des orgueilleux, quelques géants enchaînés se dressent menaçants encore, le regard chargé de défi (XXXI); et, tout au fond du puits obscur où ils grelottent dans le « bouillon de glace », les meurtriers, les traîtres et autres méchants, forment d'étonnants assemblages (XXXII et XXXIII). Au milieu de cette multitude, isolés dans une fosse, Ugolin et Ruggieri subissent leur peine, le premier rongeant le crâne du second. Quant aux motifs XXXIV et XXXIVa, consacrés à la figuration du Souverain de l'horrible contrée des pleurs, il faut les regarder avec indulgence. Botticelli n'était pas en puissance de créer du monstrueux.

    C'est encore et surtout par l'arrangement des personnages et des masses qu'intéressent les compositions du Purgatoire. Les premières, où s'entassent les âmes nouvellement débarquées, sont d'une eurythmie agréable ; et le motif II, avec son ange bénissant au geste majestueux d'onction, dégage un charme indicible. L'espérance plane sur ces décors. Les ombres qui accourent vers les deux poètes (V), tandis qu'ils gravissent la montagne, ont servi de prétexte à des effets perspectifs audacieux (14); celles qui se jettent, en foule, sur Dante en implorant ses prières (VI) rappellent par leur grouillement plein de vie, par leur harmonie agitée, certains bas-reliefs de la cathédrale de Bourges. La rencontre du Mantouan Sordello (VII) a donné lieu à quatre groupes ordonnés avec beaucoup de bonheur; la chasse donnée au serpent par les anges aux ailes verdoyantes (VIII) a fourni le sujet d'une scène animée (15), et c'est un petit tableau d'une immense pitié (IX) qui raconte l'arrivée de Dante devant l'ange chargé de marquer sept fois sur son front la lettre P (16).

    Nous sommes à présent en plein Purgatoire. Les bas-reliefs taillés sur une paroi du mont occupent presque tout le motif X; la suave Annonciation, le char de l'arche sainte et les chœurs sacrés, l'épisode de Trajan promettant son appui à la veuve, tout est silhouetté d'un dessin ferme et pur. Aussitôt après, paraît l'armée des âmes qui se purifient du péché d'orgueil (XI) ; courbées sous des poids écrasants, elles s'épuisent dans des efforts sans cesse renouvelés et leurs faces disent leurs ahans. Puis, s'ouvre une autre route couverte de sculptures à enseignements, d'un dessin lâché, celles-là, mais très expressif (XII) ; Troie en ruines, Nimroud pris de furie, au pied de la Tour de Babel, Saül percé de sa propre épée, Satan après sa chute (17). Et voici le cercle où l'on se lave des péchés d'envie. Des âmes dont les yeux sont cousus se tiennent assises, serrées les unes contre les autres; se soutenant mutuellement tels des aveugles à la porte des maisons de pardon (XIII et XIV). Leurs manteaux sont couleur livide comme le rocher le long duquel elles demeurent, et, sans le secours des teintes, Botticelli a rendu la navrance de cette monochromie. On chercherait en vain dans l’œuvre de Callot ou de quelque autre chantre de l'humaine misère des scènes d'où suinte plus de tristesse, des types inspirant autant de compassion.

    C'est ensuite le cercle où l'on se purifie, dans une fumée « noire comme la nuit », des péchés de colère. Un ange indique aux deux poètes le sentier qu'ils doivent suivre (XV); le motif suivant les montre au milieu d'ombres bien hurlantes, parmi lesquelles la physionomie de Marc le Lombard, tout souriant d'avoir rencontré son ami, jette une note attendrissante.

    Une foule immense d'âmes expiant les péchés de paresse emplit le motif XVIII et l'anime de sa course. Le mouvement du groupe central, où presque toutes les ombres se mordent, suffirait pour en faire une des très belles pages de cette illustration.

    Ailleurs, sur les feuilles d'un diptyque fort affectif (XIX et XX), les âmes de ceux qui furent avares soupirent renversées sur le sol où les rive leur ancienne passion. Et comme Dante assignait à la prodigalité le même lieu d'expiation qu'à la parcimonie, c'est près de ces roches désolées qu'apparaît l'âme délivrée de Statius Papinius (XXI). Les trois poètes vont désormais cheminer de compagnie jusqu'à la fin du second livre. Au motif XXII, ils arrivent devant l'arbre de la tempérance dont le tronc s'amenuise à mesure qu'il se rapproche du sol. Sous ses rameaux chargés de fruits doux-odorants, les âmes qui ont abusé des plaisirs de la table expient en supportant la faim et la soif. Quelques-unes de ces ombres sont si décharnées que leurs yeux paraissent « des chatons privés de leurs pierres ». Leur troupe famélique exhibe ses formes vraiment « deux fois mortes », ses faces inoubliables, ses gestes lamentables, dans les motifs XXIII et XXIV.

    Au motif XXV, le trio des aèdes pénètre dans le dernier cercle, où la montagne vomit des flammes que repousse le vent. Là, brûlent dans la soif et dans le feu les âmes des luxurieux (XXVI), et celles-là aussi obligent à se condouloir. Après avoir traversé cette région embrasée (XXVII), Dante et ses guides gagnent la forêt divine aux frais ombrages et aux fleurs délicieuses. Ils y écoutent la vierge si belle qui s'embrase « à des rayons d'amour », et c'est le délicieux motif XXVIII qu'on pourrait prendre pour une ébauche de fresque. Alors, à travers la prée fleurie, aux accents d'une mélodie ineffable, s'avance la blanche et mystérieuse procession du char de l'Église. Sept candélabres d'or dont les flammes s’irisent et de nobles vieillards couronnés de lys précèdent le char, qu'entourant le Tétramorphe évangélique et des femmes symbolisant les vertus. D'autres vieillards vénérables et des personnages diadémés de fleurs ferment la marche. La tête de cette procession se déroule, non sans majesté, dans le motif XXIX ; Mathilde, la vierge belle, s'y profile sur le plan de gauche, avec un naturel charmant (18).

    Le cortège entier entoure le char sur la composition suivante, un peu trop chargée de figures, attachante néanmoins et d'un curieux travail de gravure. Là, Béatrice, la tout exquise, la céleste, fait son apparition,
      Sovra candido vel, cinta d'oliva,
      :... sotto verde manto,
      Vetita di color di fiamma viva (19).
    Bientôt les vertus cardinales amènent Dante devant elle, et, après l'apostrophe au poète, celui-ci est submergé par Mathilde dans le fleuve purificateur. Ces deux épisodes sont interprétés l'un à côté de l'autre avec une ingéniosité décorative dans la composition XXXI. Mais à partir de ce moment, les incidents se succèdent de telle sorte qu'il devient impossible de les noter en une seule page. Tandis que les yeux de l'aède purifié se fixent, « murés », sur l'Aimée, la procession se remet en marche. Elle est remontée au ciel, et il ne reste plus dans la forêt que Béatrice, les vertus, Mathilde, Statius et Dante lorsque l'aigle, image de l'Empire, s'abat sur le char et le remplit de ses plumes. Surgissent ensuite le renard de l'hérésie, puis le dragon infernal qui, de sa queue, démolit une partie du char et, enfin, cette prostituée et son géant dont on ignore l'exacte signification. En voulant traduire tout cela (XXXII), Botticelli, malgré sa virtuosité, est tombé dans la confusion. On retrouve avec joie un motif simple. Sur le XXXIII, les Vertus, affligées par le spectacle qu'elles viennent de voir, se groupent en des attitudes très typiques, et si le paysage y avait plus d'importance, ce tableau ne serait pas loin de compter parmi les excellents; mais il ne semble pas que l'opulent décor de l'Eden, si prestigieusement décrit par Dante, ait inspiré à l'illustrateur le désir de reproduire quelque beau site.

    L'illustration des chants du Paradis présente au dessinateur toute la gamme des difficultés. Le long dialogue théologique entre Dante et sa pieuse conductrice ne peut être interprété que par une série d'attitudes, et l'apparition des âmes bienheureuses sous l'aspect de lumières éblouissantes ne se prête qu'à de bien pâles effets de dégradations de teintes. Botticelli n'a, d'ailleurs, pas essayé d'obtenir de tels effets à la pointe d'argent, et ce nous est une raison de plus pour croire qu'il se proposait d'enluminer certaines compositions; il a préféré donner aux âmes une forme en analogie avec leur état. C'est ainsi que les saintes lueurs qui se meuvent entre les rayons d'or ensoleillé de l'échelle de Jacob sont transformées en amours (XXI), parce qu'une ardente lumière de charité les enveloppe (20). Plus loin (XXIII), le jardin mystique composé par les bienheureux, ce jardin d'allégresse où resplendit la rose belle entre toutes dans laquelle le Verbe Divin se fit homme, est suggéré par de traditionnelles flammes, chaque âme ayant apparu au poète comme une lueur. Quant à la substance éblouissante que Dante aperçut à travers une photosphère et qui n'était autre que le Saint Aspect, « la sapience et la puissance qui ouvrirent, entre le ciel et la terre, la voie si ardemment désirée », le maître l'a figurée très heureusement par la tête du Divin Sauveur au centre d'un soleil. Enfin, quelques lueurs, plus lumineuses que celles des autres bienheureux, ne pouvant être indiquées d'une manière compréhensible par des galbes flamboyants, Botticelli a pris le parti d'écrire au-dessous le nom des âmes qu'elles revêtent. Le nom de Piero se lit sous une langue de feu dans le motif XXIV. On le retrouve dans le XXV avec les noms de Giovani et de Jacopo, et celui d'Adamo s'ajoute, dans le XXVI, à celui des trois apôtres. Ces noms étant tracés en caractères menus ne détonnent point dans l'ensemble.

    Avec une délicatesse merveilleuse, Botticelli a varié les attitudes et les gestes de ses protagonistes pendant les vingt-sept premiers motifs. Dans le XXVIe, c'est avec un mouvement admirable que Dante couvre d'une main son visage ébloui par l'éclat de S. Jean. Dans le XXVIIe, les deux figures répétées de Béatrice et du poète se relient agréablement. Certes, l'harmonie qui s'en dégage reflète mal l'immense joie qui déborde du vibrant Gloria Patri entonné par l'église triomphante; mais une illustration adéquate exigerait des dons si spéciaux ! Seul, peut-être, l'Angelico eût réussi à dire sur le vélin la sainte ivresse, le ravissement des élus plongés dans la béatitude; seul, assurément, le moine de Fiesole eût pu retracer, en de radieuses enluminures, les ciels embrasés, les esprits enflammés d'amour et les visages éclairés « col lume d'un sorriso » (21).

    Dans l'impossibilité d'esquisser les splendeurs du Paradis, Sandro a bien soigné ses arrangements de figures avec une tendre sollicitude ; par malheur, il n'a pas toujours écrit les expressions faciales avec le style désirable. Même plusieurs faces choquent par leur vulgarité; celles de Riccarda et de ses compagnes, par exemple (III) et, parfois, hélas! celle de Béatrice. On s'étonne que l'auteur de la Primavera, que le portraitiste de la Simonetta, n'ait pas doté de physionomies plus gracieuses les habitants du céleste royaume et qu'il ne se soit pas fait un devoir d'indiquer les embellissements progressifs de la donna di virtu (22). Il faut, encore une fois, considérer ces dessins comme une préparation; on ne saurait admettre que le maître au trait charmeur n'ait pas résolu de reprendre toutes les têtes hâtivement construites.

    Éminemment décorateur, Botticelli a triomphé toutes les fois qu'il a dû grouper quelques personnages ou mettre en place des légions, équilibrer des lignes ou arabesquer sur l'espace d'expressifs contours. Les âmes du motif IV (les mêmes qu'il a si fâcheusement portraiturées dans le III) s'envolent avec un élan gentiment aérien. Les chœurs des Anges évoluent dans une composition réellement grandiose (XXVIII), très évocatrice du temple incomparable qui n'a pour confins que lumière et amour. Et quelques rangs de cette céleste armée décrivent d'augustes paraboles dans le motif XXIX. Quant à la dernière scène achevée, elle a, quoique allégorique, le charme d'un décor agreste. Sur l'une des rives du fleuve de lumière qu'égaye un printemps sans fin, et d'où ne cessent de jaillir d'étincelantes topazes, se dressent des fleurs aux volutes si naturellement ornementales qu'on ne voit qu'elles.

    L'œuvre tracée par Botticelli à la gloire de Dante est, on le voit, inégale, mais très originale, et ses bonnes pages ne suscitent que des éloges. Toutes sont expressives par des moyens aussi simples qu'harmonieux, toutes ont des traits, des linéatures, à valeur de nuances, et l'on oublie facilement en les regardant loin du texte inspirateur qu'il leur manque le souffle dantesque. Un autre maître eût-il exécuté avec plus de succès cette redoutable illustration? C'est, en vérité, peu probable. Michel-Ange orna de dessins, lui aussi, et pour sa propre satisfaction, un manuscrit de la Divine Comédie, dont il était possesseur, et l'on sait, par Lanzi, sa partialité pour Dante (23). Mais, si Botticelli n'avait pas assez de terribilita pour bien illustrer l'Inferno, Buonarotti était certainement trop dépourvu de tendresse, de grâce, pour bien illustrer le Paradiso. D'ailleurs, l'individualité puissante, dominatrice, du transfigurateur de la Sixtine pouvait-elle s'accommoder d'un rôle de collaborateur, et n'est-il pas à craindre que son esprit, si peu chrétien, ne se soit substitué souvent à celui du gran padre? Ne regrettons pas trop la perte de son manuscrit; regrettons plutôt qu'il ne se soit pas trouvé trois artistes pour se consacrer, chacun selon ses dons, à l'interprétation d'un des livres du Poème sacré, et réjouissons-nous de ce que les dessins de Botticelli aient échappé à la destruction. S'ils ne réalisent pas l'illustration idéale, du moins sont-ils un rare exemple d'illustration artiste, de décoration du livre. Ils prouvent l'inanité de l'image à effet théâtral et de la vignette à prétentions de tableau. Ils démontrent, avec l'éloquence du génie, que rien ne pare mieux un texte que la composition ordonnée comme une décoration murale et travaillée comme une étude. Méditez-le,
      O voi, ch'avete gl'intelletti sani (24).


    Notes
    (1) Dante avait une vision d'artiste et il n'est pas inutile de rappeler que Giotto lui apprit à dessiner. Dans la Vita nuova, le poète parle d'une Annonciation exécutée par lui-même.
    (2) Dans l'Adoration des Mages, à présent aux Uftizzi, se trouve la Madone la plus délicate que Botticelli ait modelée. L'Assomption souleva une vive émotion parce qu'elle avait été inspirée par l'hérésie d'Origène. D'après cette hérésie, les Anges restés neutres entre Dieu et Satan seraient devenus des créatures humaines et, partant, auraient pu se réhabiliter par le bon usage de leur liberté. Mais ce n'est pas Botticelli qui eut l'idée de cette composition, elle lui fut dictée et imposée par un de ses patrons, le néo-platonicien Matteo Palmieri, ambassadeur de la République auprès du St-Siège et auteur de la Cité de la vie. Ce poète-diplomate, que séduisait l'erreur du grand docteur Alexandrin, tenait à la voir figurée dans sa chapelle paroissiale. Malgré la haute admiration que l'on avait pour Botticelli et malgré la beauté de son oeuvre, on dut dissimuler aux regards cette Assomption si subtilement hétérodoxe. Elle est devenue la propriété de la National Gallery.
    (3) C'est pour ce sanctuaire qu'il exécuta la Tentation du Christ dans le désert, le Châtiment de Nathan et d'Abiron, et cette Vie de Moïse qu'illumine le délicieux épisode des filles de Jethro, «lange de poésie héroïque et de poésie pastorale », a fort bien dit Rio.
    (4) Un de ses voisins, auquel il venait de jouer certaine farce d'un goût douteux, lui reprocha avec véhémence de se mêler, ignorant comme il l'était, de commenter le Dante.
    (5) Le maître fit aussi de la gravure, mais peut-être ne se sentait-il pas alors de force à tailler lui-même les planches de cette édition.
    (6) Kunstchronik, 21e année, no 28. - Ces dessins ont été reproduits avec ceux provenant de la collection Hamilton dans une belle édition due aux soins de Friedrich Lipmann . Zeichnungen von S. Botticelli zu Dante's Gottlicher Komodie, Berlin, 1887. Les feuilles sont hautes de 32 centimètres environ et larges de 47 cent. Au verso de la Table du chant XXXII du Paradis, se trouve un facsimile du texte manuscrit du chant XXXI. Une notice accompagne l'album de photogravures. On peut encore lire une description des dessins dans Waagen: Treasures of art in England, vol. III, p. 307.
    (7) On a l'ébauche du motif XXXII qui devait représenter les personnages vus sur les feuilles de la rose mystique, la milice sainte « che nel suo sangue Cristo fece sposa ». Il n'y a d'indiqué que les lignes générales et trois minuscules figures, dont l'une est celle de S. Bernard, chargé de faire connaître au poète les principaux de ces personnages.
    (8) Botticelli (Sandro di Mariano Filipepi) vécut jusqu'en 1510, peut-être jusqu'en 1518, mais il ne faut pas oublier qu'il cessa de s'occuper de son art après son adhésion aux idées de Savonarole.
    (9) Dans le motif I de l'Enfer, Dante paraît cinq fois. Botticelli avait, d'ailleurs, usé de ce système, à l'instar de ses devanciers, dans la Vie de Moïse et la Tentation de Jésus. Il y a presque autant d'épisodes que de plans dans ces compositions.
    (10) Pour s'en convaincre que l'on examine particulièrement les études du Vinci, de Raphaël et d'lngres.
    (11) Le costume de Dante présente un rapprochement de vert et de carmin, celui de Virgile une harmonie en violet et bleu: les démons sont teintés d'un orangé lugubre. Quant aux damnés, Botticelli ne leur a pas donné la moindre teinte, afin de bien manifester leur état d' « ombre ». Déjà, dans le motif X, on remarque que les vêtements du poète sont beaucoup plus modelés et chargés de sépia que ceux des âmes qu'il interroge.
    (11) En somme, aucun mode de décoration ne laissa le maître indifférent. Il s'était associé avec Ghirlandajo et Gherardo pour doter de mosaïques la chapelle de S. Zenobi.
    (12) Ce Barbariccia se trouve à droite dans la composition.
    (13) A gauche, dans le motif XXV, se voit l'étonnante métamorphose d'un homme en serpent et du serpent en homme.
    (14) Ces ombres sont disposées de manière à dessiner des lignes brisées en concordance avec celles du décor.
    (15) Cette composition est très effacée.
    (16) L'ange trace avec son glaive ces lettres qui symbolisent les péchés capitaux. A gauche de cette page, en bas et en haut, volent les aigles, très décoratifs, que Dante vit en songe.
    (17) En haut de cette composition, un ange efface, d'un coup d'aile, une des lettres tracées sur le front du poète, indiquant ainsi que celui-ci se trouve purifié du péché d'orgueil.
    (18) Dans ce motif, le char n'a qu'un contour passé à l'encre.
    (19) Purg. XXX, 31-33.
    (20) Pour la même raison, ce sont encore des amours qui figurent, dans le motif XXX, les étincelles lancées par le fleuve de lumière sur les fleurs du rivage, ces étincelles étant un emblème de la milice angélique. Dans ce motif, comme dans le XXI, ces amours sont un peu maigres.
    (21) Paradiso, XVIII, 19.
    (22) La beauté de Béatrice s'accroît, en effet, à mesure qu'elle monte les degrés du palais éternel.
    (23) Lanzi, t. II, p. 131.
    (24) Enfer, IX, 61.

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