Rembrandt et Comenius contre Rubens: la lumière d'Agapè

Karel Vereycken
A mon ami Torbjorn.
Sache que tes recherches ont fertilement irriguées les miennes!

Prologue



Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Ne comptez pas sur moi pour vous raconter ici sa vie en quelques lignes! A prime abord il semble que depuis l'époque romantique, tout, et presque trop, ait été dit et écrit au sujet de ce maître hollandais de la lumière, tombé dans l'obscurité par un néoclassicisme à la dérive.

La tâche qui m'incombe est donc celle d'un Appelles, ce peintre grec qui, mis au défi, s'appliqua à peindre une ligne encore plus fine sur la très fine ligne peinte par son rival. Pour tracer cette ligne, je dessinerais les horizons de la bataille politique et philosophique de l'époque afin de mettre en lumière trois aspects généralement ignorés permettant de jeter un coup de projecteur inattendu sur la démarche de notre peintre-philosophe.

Tout d'abord, nous allons montrer que Rembrandt (1606-1669) est un peintre de la «guerre de Trente Ans» (1618-1648), une guerre qui se déroule exactement pendant une partie importante de sa vie et définira son engagement politique, philosophique et religieux en faveur de la paix et de l'unité.

Ensuite, nous chercherons à identifier l'origine de cette vision du monde. Rembrandt a-t-il connu l'œuvre et la personne de l'humaniste tchèque Jan Amos Komensky (Comenius) (1592-1670), un des acteurs de la révolte de la Bohème? Ce militant pour la paix, précurseur de Leibniz, se rend souvent au Pays-Bas et s'installe définitivement à Amsterdam en 1656. Une forte communion d'idées unit de fait le peintre avec ce grand pédagogue morave. Aussi, n'est-il pas étonnant que les Traités de Westphalie qui mirent fin à cette guerre sont précisément basés sur cette notion de repentir et de pardon si chère à Comenius que Rembrandt évoquera subliment dans sa peinture.

Enfin, nous comparerons la vie et l'œuvre de Rembrandt à celle d'un peintre du parti de la guerre: Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Rembrandt, allergique à toute quête de gloire terrestre, ne pouvait qu'inscrire son œuvre en faux contre celle de ce peintre-courtisan flamand à la mode qui mobilisa tout sa virtuosité au service de la croisade de la Contre-Réforme et le fanatisme conquérant des Jésuites de cette époque.

Ainsi, ce que Rembrandt affirmait au sujet de ses tableaux s'applique aussi pour une vue sur sa vie: le nez collé sur la toile, les odeurs toxiques nous irritent le nez et nos yeux picotent, mais avec un peu de recul, une beauté sublime nous envahit pour rester gravée en nous pour toujours.


Quel art?
Depuis le triomphe de la thèse moderniste d'Emmanuel Kant , la «Critique de la faculté de juger», il n'est pas «politiquement correct» d'affirmer que l'art possède une dimension politique. Et pour cause! Si l'art peut infléchir le cours de l'histoire et la façonner par son pouvoir, c'est qu'elle serait vecteur d'idées! Une impossibilité selon la thèse kantienne, car l'art est un acte gratuit, libre de tout, y compris de sens. Voilà l'ultime liberté! On aime où on n'aime pas, c'est uniquement une question de goût.

Reprenant ici le flambeau du poète allemand Friedrich Schiller, nous nous efforcerons de vous convaincre du contraire, et d'abolir la tyrannie du goût. Pour nous, l'art est un acte éminemment politique, bien que l'œuvre d'art n'a rien de commun avec un simple manifeste politique et que l'on ne peut en aucun cas réduire l'artiste à un «activiste» ordinaire. Son domaine, celui du poète, du musicien ou de l'artiste plastique, c'est d'être un guide des hommes. Permettre aux hommes d'identifier en eux-mêmes ce qui les rend humain, c'est-à-dire conforter cette parcelle d'âme, de créativité divine qui les place entièrement au zénith de leur responsabilité pour la création toute entière. Pour y arriver, et nous le développerons ici, ce qui compte dans l'art c'est le type de conception d'amour qu'il communique. En rendant sensible un universel, un art sublime rend accessible les plus hautes conceptions d'amour. Cet art là, celui qui nous fait réfléchir, mobilisera surtout des énigmes, des ambiguïtés et des ironies pour nous faire accéder à l'idée au-delà du visible. Car un art se limitant à la théâtralité et à la beauté des formes sombre dans un amour érotique et romantique, privant l'homme de son humanité et donc de son pouvoir révolutionnaire.

Rubens sera l'ambassadeur virtuose de grandes impuissances de son époque: la gloire de l'empire et le pouvoir de l'argent incarné par «la bulle des tulipes». En bref, l'oligarchie. Rembrandt, lui, sera l'ambassadeur des dépossédés: les faibles, les malades, les humiliés, les réfugiés, en bref il sera à l'image du Christ un ambassadeur de l'humanité.

Il peut sembler bizarre d'appeler Rembrandt un «peintre de la guerre de Trente Ans». Mais c'est peut-être seulement face à de très grands défis que l'homme trouve en lui-même la motivation et les ressources pour mobiliser son génie. Bien que Henry Kissinger et Javier Solana veulent nous faire entrer dans une ère «post-Westphalienne», nous ferons tout pour empêcher leur» nouvelle guerre de trente ans». Rembrandt sera une de nos armes.

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