Michel-Ange

Romain Rolland
Évocation de la vie du grand homme.
C’était un bourgeois florentin — de cette Florence aux palais sombres, aux tours jaillissantes comme des lances, aux collines souples et sèches, finement ciselées sur le ciel de violettes, avec les fuseaux noirs de leurs petits cyprès et l’écharpe d’argent des oliviers frisonnants comme des flots —, de cette Florence à l’élégance aiguë, où la blême figure ironique de Laurent de Médicis et Machiavel à la grande bouche madrée rencontraient la Primavera et les Vénus chlorotiques de Botticelli, aux cheveux d’or pâle —, de cette Florence fiévreuse, orgueilleuse, névrosée, en proie à tous les fanatismes, secouée par toutes les hystéries religieuses ou sociales, où chacun était libre et où chacun était tyran, où il faisait si bon vivre et où la vie était un enfer –, de cette ville aux citoyens intelligents, intolérants, enthousiastes, haineux, à la langue acérée, à l’esprit soupçonneux, s’épiant, se jalousant, se dévorant les uns les autres —, de cette ville où il n’y avait pas de place pour le libre esprit d’un Léonard —, où Botticelli finissait dans le mysticisme halluciné d’un puritain d’Écosse –, où Savonarole au profil de bouc, aux yeux ardents, faisait danser des rondes à ses moines autour du bûcher qui brûlait les œuvres d’art —, et où, trois ans plus tard, le bûcher se relevait pour brûler le prophète.

De cette ville et de ce temps, il fut, avec tous leurs préjugés, leurs passions et leur fièvre.


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Il était de grandeur moyenne, large d’épaules, fortement charpenté et musclé. Le corps déformé par le travail, il marchait la tête levée, le dos creusé et le ventre en avant. Ainsi nous le montre un portrait de François de Hollande : debout, de profil, vêtu de noir; un manteau romain sur les épaules; sur la tête, une chappe d’étoffe, et, sur cette chappe, un grand chapeau de feutre noir, très enfoncé. Il avait le crâne rond, le front carré, renflé au-dessus des yeux, sillonné de rides, surtout profondes entre les sourcils très arqués. Les cheveux étaient noirs, peu fournis, ébouriffés et frisottant un peu. Les yeux petits, tristes et forts, étaient couleur de corne, changeants et mouchetés de taches jaunâtres et bleuâtres. Le nez, large et droit, avec une petite bosse au milieu, avait été écrasé par le coup de poing du sculpteur Torrigiani. La bouche était fine; la lèvre inférieure avançait un peu. De maigres favoris, une barbe de faune, fourchue, peu épaisse, et longue de quatre à cinq pouces, encadraient les joues creusées aux pommettes saillantes 1.

Dans l’ensemble de la physionomie, la tristesse, l’incertitude domine. C’est bien une figure du temps de Tasse —, inquiète, anxieuse, rongée de doutes. Ses yeux poignants inspirent, appellent la compassion.


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Qui ne croit pas au génie, qui ne sait pas ce qu’il est, qu’il regarde Michel-Ange. Jamais homme n’en fut ainsi la proie. Ce génie ne semblait pas de la même nature que lui : c’était un conquérant qui s’était rué en lui, et le tenait asservi. Sa volonté n’y était pour rien; et l’on pourrait presque dire: pour rien, son esprit et son cœur. C’était une exaltation frénétique, une vie formidable dans un corps et une âme trop faibles pour la contenir.

Il vivait dans une fureur continue. La souffrance de cet excès de force, dont il était comme gonflé, l’obligeait à agir, agir sans cesse, sans une heure de repos. Il écrivait:
    Je m’épuise de travail, comme jamais homme n’a fait, je ne pense à rien d’autre qu’à travailler nuit et jour.
Ce besoin d’activité maladif ne lui faisait pas seulement accumuler les tâches et accepter plus de commandes qu’il n’en pouvait exécuter : cela dégénérait en manie. Il voulait sculpter des montagnes 2. S’il avait un monument à bâtir, il perdait des années dans les carrières, à faire choix de ses blocs, à construire des routes pour leur transport; il voulait être tout : ingénieur, manœuvre, tailleur de pierres. Il voulait tout faire lui-même, élever des palais, des églises, à lui tout seul. C’était se condamner à une vie de forçat. Il ne s’accordait même pas le temps de manger et de dormir. À chaque instant, dans ses lettres, revient ce lamentable refrain :
    J’ai à peine le temps de manger… Je n’ai pas le temps de manger… Depuis douze ans, je ruine mon corps par les fatigues, je manque du nécessaire… Je n’ai pas un sou, je suis nu, je souffre de mille peines… Je vis dans la misère et dans les peines… je lutte avec la misère… 3
Cette misère — si nous nous en tenons au sens de misère matérielle —, cette misère était imaginaire. Michel-Ange était riche; il se fit riche, très riche. Il laissa à sa mort des sommes considérables; il possédait six ou sept maisons, presque autant de terres 4. Mais il ne faisait rien de toute cette richesse. Il vivait comme un pauvre, attaché à sa tâche, comme un cheval à sa meule. Il eût voulu se dégager, il ne le pouvait pas. Il était l’esclave de cette force, de ce génie (qu’on l’appelle comme on voudra), de cette fureur de travail, qui n’admettait point qu’il se reposât jamais. Personne ne pouvait comprendre qu’il se torturât ainsi. Personne ne pouvait comprendre qu’il n’était pas le maître de ne pas se torturer, que c’était là une nécessité pour lui. Son père même, qui avait beaucoup de traits de ressemblance avec lui, lui faisait des reproches :
    Ton frère m’a dit que tu vis avec une grande économie, et même d’une façon misérable. L’économie est bonne. Mais la misère est mauvaise : c’est un vice qui déplaît à Dieu et aux hommes : elle nuira à ton âme et à ton corps. Tant que tu seras jeune, cela ira encore; mais quand tu ne le seras plus, les maladies et les infirmités qui auront pris naissance dans cette vie mauvaise et misérable sortiront toutes au jour. Évite la misère, vis avec modération, fais attention à ne pas manquer du nécessaire, garde-toi de l’excès de travail.

Et il ajoute quelques conseils d’hygiène, qui montrent la barbarie du temps :
    Avant tout, soigne ta tête, tiens-toi modérément chaud, et ne te lave jamais : fais-toi nettoyer, et ne te lave jamais. 5
Ces derniers conseils, je ne sais pas si Michel-Ange les a suivis : j’ai bien peur que oui; mais les premiers, ceux qui l’engageaient à plus de modération dans le travail et à se donner plus d’aisance, ceux-là ne firent jamais rien. Jamais il ne consentit à se traiter d’une façon plus humaine. Il se nourrissait d’un peu de pain et de vin. Il dormait quelques heures à peine. Quand il était à Bologne, occupé à la statue de bronze de Jules II, il n’avait qu’un lit pour lui et ses trois aides 6. Il se couchait tout habillé et tout botté. Une fois, les jambes enflèrent; il fallut fendre les bottes : en les enlevant, la peau des jambes vint avec.

Cette hygiène effroyable fit que, comme son père l’en avait averti, il fut constamment malade. J’ai relevé dans ses lettres les traces de quatorze ou quinze maladies graves. Il avait des fièvres qui le mirent plus d’une fois près de la mort. Il souffrait des yeux, des dents, de la tête, du cœur. Il était rongé de névralgies, surtout quand il dormait; le sommeil lui était une souffrance. Il fut vieux de bonne heure. À quarante-deux ans, il avait le sentiment de sa décrépitude 7. À quarante-huit ans, il écrit que, s’il travaille un jour, il doit se reposer quatre 8. Il refusait obstinément de se laisser soigner par aucun médecin.

Son esprit, encore plus que son corps, subit les conséquences de cette vie de travail forcené. Le pessimisme le minait. C’était chez lui un mal héréditaire. Quand il était jeune, il s’épuisait à rassurer son père, qui semble avoir eu, par moments, des accès de délire de la persécution. Michel-Ange était lui-même plus atteint que celui qu’il soignait. Cette activité sans relâche, cette fatigue écrasante, dont il n’arrivait jamais à se reposer, le livraient sans défense à toutes les aberrations de son esprit, qui tremblait de soupçons. Il se défiait de tous et de tout. Tout l’inquiétait; les siens eux-mêmes se moquaient de cette inquiétude éternelle. Plusieurs fois dans sa vie, il fut pris brusquement de terreurs paniques; quand il en était la proie, il s’enfuyait comme un fou, jusqu’au bout de l’Italie. Il y en a deux exemples bien caractéristiques. Le premier, quand il avait dix-neuf ans, au temps des prophéties de Savonarole, peu avant l’expulsion des Médicis par les Florentins : un songe que lui conta un ami le terrifia tellement qu’il s’enfuit jusqu’à Venise. L’autre est bien plus grave encore : c’était à Florence, pendant le siège de 1529; Michel-Ange avait cinquante-quatre ans, il était chargé de défendre les fortifications de la ville, et il s’en acquittait avec une ardeur extrême. Soudain — on ne sait ce qui lui passa par la tête : un mot qu’on lui dit, une hallucination —, il fuit de nouveau, à toutes brides, jusqu’à Venise; il fut sur le point de s’enfuir en France. — Ce n’était point lâcheté. Une fois l’accès passé et c’était l’affaire de quelques jours), Michel-Ange ressentait une honte mortelle; et il revenait, il revenait s’exposer, comme il fit, après sa fuite de Florence assiégée, où il rentra délibérément, pour rester à son poste périlleux jusqu’à la prise de la ville. C’était donc là un phénomène maladif, qui s’explique par les alternatives de surexcitation et de prostration où le jetait sa fièvre.

Ces crises de panique étaient rares sans doute; mais, dans la vie ordinaire, il était toujours, comme il disait lui-même, « dans un état de mélancolie, ou plutôt de folie ». À force de souffrir, il avait fini par prendre une sorte de goût de la souffrance, il y trouvait une joie amère :
    Plus me plaît ce qui plus me nuit…
    E piu mi giova dove piu mi nuoce 9

    Ma joie, c’est la mélancolie…
    La mia allegrez’ è la maninconia 10
Nul être ne fut moins fait pour la joie et mieux fait pour la douleur. C’est elle seule qu’il voyait, elle seule qu’il sentait dans l’immense univers. Tout le pessimisme du monde se résume dans ce cri de désespoir, d’une injustice sublime :
    Mille joies ne valent pas un seul tourment!…
    Mille piacer non vaglion un tormento!11

Il y a une grande différence entre la tristesse d’un Beethoven, pourtant si malheureux, et celle de Michel-Ange. Beethoven fut triste par la faute des circonstances; mais il était gai de nature, il aspirait à la joie. Michel-Ange avait la tristesse en lui. Aussi cette tristesse, non moins que son travail perpétuel, l’isola du reste des hommes. La tristesse fait peur aux hommes, d’instinct ils la fuient. Michel-Ange faisait le vide autour de lui.


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Et pourtant cet homme aimait. Il avait un cœur très tendre et passionné. Combien il devait souffrir de cette opposition entre son besoin d’aimer et son génie sombre et violent «qui le séparait presque complètement, comme dit Condivi, de toute société humaine » —, on le voit, quand on étudie sa vie intime, ses rapports avec sa famille, avec ses amis, avec son fils adoptif, avec ceux qu’il aima.

Sa mère mourut quand il n’avait que six ans. En revanche, il garda longtemps son père, qui vécut fort âgé 12. Il avait quatre frères.

Le père, qui remplit diverses fonctions administratives, n’était pas un mauvais homme; mais il était soupçonneux, irritable, pessimiste, d’une religion triste et inquiète; et ses défauts ne devaient pas s’atténuer avec l’âge: — loin de là.

Des quatre frères, l’un, qui était l’aîné de Michel-Ange, se fit moine, et il disparut de la vie de la famille; il n’y joua aucun rôle 13. Les trois autres : Buonarroto, Giovan-Simone, et Gismondo, étaient les cadets de Michel-Ange, qui prit très au sérieux son devoir de frère aîné et de chef de famille. Ils étaient des plus médiocres : l’un fut paysan, et cultiva ses champs; les autres firent le commerce de draps, quand du moins ils se décidèrent à faire quelque chose; — et ils ne s’y décidèrent pas vite.

Tous, le père comme les trois frères, qui ne vivaient pas en parfaite intelligence, qui se disputaient même parfois entre eux comme des chiens, s’entendaient à merveille sur un point : à savoir que, puisque Michel-Ange avait plus de talent qu’eux, et puisqu’il travaillait davantage, il devait les soutenir tous. Ils vivaient à ses crochets, abusaient de lui, l’obsédaient de récriminations et de demandes d’argent. Michel-Ange mettait son orgueil à ne jamais refuser. Comme il disait, il se serait «plutôt vendu comme esclave» 14. Son père ne cessait de geindre. Michel-Ange devait passer son temps à lui rendre courage, quand lui-même souvent aurait eu bien besoin qu’on lui en donnât.
    Ne vous agitez pas, ce ne sont pas là des choses où la vie soit en jeu… Je ne vous laisserai jamais manquer de rien, aussi longtemps que j’aurai moi-même quelque chose… Quand bien même tout ce que vous avez au monde vous serait pris, vous ne manquerez de rien, tant que j’existerai… J’aime mieux être pauvre et vous savoir en vie qu’avoir tout l’or du monde et que vous soyez mort… Depuis quinze ans, je n’ai pas eu une bonne heure; j’ai tout fait pour vous soutenir, et vous ne l’avez jamais reconnu, ni cru. Dieu vous pardonne à tous! Je suis prêt, dans l’avenir, aussi longtemps que je vivrai, à toujours agir de la même façon, pourvu seulement que le puisse 15.

Les trois frères attendaient de lui de l’argent, une position; ils puisaient sans scrupules dans le petit capital qu’il avait amassé à Florence; ils venaient se faire héberger chez lui à Rome; ils se faisaient acheter, les uns un fonds de commerce, l’autre des terres. Et ils ne lui en savaient aucun gré : il semblait que cela leur fut dû. Michel-Ange savait qu’ils l’exploitaient; mais il les laissait faire. — Les drôles ne s’en tenaient point là. Ils se conduisaient mal, et maltraitaient le père, en l’absence de Michel-Ange. Quand celui-ci venait à l’apprendre, lui qui avait de l’autorité paternelle une idée religieuse, il éclatait de fureur. Il menait ses frères comme des gamins vicieux, à coups de fouet. Il les eût tués, au besoin.

Voici la lettre qu’il écrit à son frère Giovan-Simone, après qu’il vient d’apprendre que Giovan-Simone a brutalisé son père 16:

    GIOVAN-SIMONE,

    On dit que qui fait du bien au bon le rend meilleur, mais que les bienfaits rendent le méchant plus méchant. Voici bien des années que je cherche, avec de bonnes paroles et de bonnes façons d’agir, à te ramener à une vie honnête et en paix avec ton père et avec nous autres, et tu es toujours pire… Je pourrais te parler longuement; mais ce seraient des mots… Pour en finir, sache avec certitude que tu ne possèdes rien au monde, car c’est moi qui te donne l’entretien pour vivre, par amour pour Dieu, parce que je croyais que tu étais mon frère comme les autres. Mais maintenant je suis certain que tu n’es pas mon frère : car, si tu l’étais, tu n’aurais pas menacé mon père. Tu es bien plutôt une bête, et je te traiterai comme une bête. Sache que qui voit son père menacé ou maltraité a le devoir d’exposer sa vie pour lui… Assez là-dessus… Je te dis que tu ne possèdes rien au monde; et si j’entends seulement la moindre chose de toi, je viendrai t’apprendre à dilapider ton bien et à mettre le feu à la maison et aux domaines que tu n’as pas gagnés; tu n’es pas où tu crois. Si je viens de ton côté, je te montrerai des choses qui te feront pleurer des larmes brûlantes et connaître sur quoi tu fondes ton arrogance… Si tu veux t’appliquer à bien agir, à honorer et à révérer ton père, je t’aiderai comme les autres, et, sous peu, je te procurerai une bonne boutique. Mais si tu ne fais pas ainsi, je viendrai, et j’arrangerai tes affaires d’une telle façon que tu connaîtras qui tu es, et que tu sauras exactement ce que tu as au monde… Rien de plus! Où les paroles me manquent, je supplée par les faits.
MICHELAGNIOLO à Rome
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    Deux lignes encore. Depuis douze ans, je mène une vie misérable par toute l’Italie, je supporte toute honte, je souffre toute peine, je déchire mon corps par toutes les fatigues, j’expose ma vie à mille dangers, uniquement pour aider ma maison; - et maintenant que j’ai commencé à la relever un peu, tu t’amuses à détruire en une heure ce que j’ai édifié en tant d’années et avec tant de peines… Corps du Christ! Cela ne sera point! Car je suis homme à mettre en pièces dix mille de tes semblables, si cela est nécessaire. – C’est pourquoi sois sage, et ne pousse pas à bout quelqu’un qui a bien autrement de passions que toi 17.


Son père, qu’il défendait avec une telle violence, ne reconnaissait guère son amour. Il devenait de plus en plus injuste avec l’âge. Un jour, il s’avisa de s’enfuir de Florence, en accusant son fils de l’avoir chassé. Michel-Ange lui écrivit cette lettre admirable :
    Très cher père, j’ai été bien surpris hier de ne pas vous trouver à la maison; et maintenant que j’apprends que vous vous plaignez de moi, et que vous dites que je vous ai chassé, je m’étonne encore plus. Depuis le jour où je suis né jusqu’à aujourd’hui, je suis certain de n’avoir jamais eu l’intention de faire chose, grande ou petite, qui vous déplût; toutes les peines que j’ai supportées, je les ai toujours supportées par amour de vous. J’ai toujours pris votre parti. Il y a peu de jours encore, je vous disais et je vous promettais de vous consacrer toutes mes forces, aussi longtemps que je vivrais; et je vous le promets de nouveau. Je suis stupéfait que vous ayez si vite oublié tout cela. Depuis trente ans, vous m’avez éprouvé, vous et vos fils, vous savez que j’ai toujours été bon pour vous, autant que je le pouvais, en pensée et en action. Comment pouvez-vous aller répéter partout que je vous ai chassé? Ne voyez-vous pas quelle réputation vous me faites? Il ne me manque plus rien à présent, avec mes autres soucis; et tous ces soucis, je les ai par amour pour vous! Vous m’en récompensez bien!… Mais qu’il en soit ce qui voudra : je veux me persuader à moi-même que je n’ai jamais cessé de vous causer honte et dommage, et je vous en demande pardon, comme si je l’avais fait. Pardonnez-moi, comme à un fils qui a toujours mal vécu, et qui vous a fait tout le mal qu’on peut faire en ce monde. Encore une fois, je vous en prie, pardonnez-moi, comme à un misérable que je suis; mais ne me donnez pas cette réputation que je vous aurais chassé : car ma réputation m’importe plus que vous ne croyez; malgré tout, je suis pourtant votre fils! 18


Tant d’amour et d’humilité ne désarmais qu’un instant l’esprit aigri du vieillard. Quelque temps après, il accusait son fils de le voler. Michel-Ange, poussé à bous, lui écrivit :
    Je ne sais plus ce que vous voulez de moi. S’il vous est à charge que je vive, vous avez trouvé le bon moyen pour vous débarrasser de moi, et vous rentrerez bientôt en possession des clefs du trésor que vous prétendez que je garde. Et vous ferez bien : car chacun sait à Florence que vous étiez un homme immensément riche, que je vous ai toujours volé, et que je mérite d’être châtié : vous serez hautement loué!… Dites et criez de moi tout ce que vous voulez, mais ne m’écrivez plus : car vous ne me laissez plus travailler. Vous me forcez à vous rappeler tout ce que vous avez reçu de moi, depuis vingt-cinq ans. Je ne voudrais pas le dire; mais je suis bien forcé de le dire, à la fin!… Prenez garde… On ne meurt qu’une fois, et on ne revient plus après, pour réparer les injustices qu’on a commises. Vous avez attendu jusqu’à la veille de la mort pour les faire. Dieu vous aide! 19


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Tel était le secours et l’affection que Michel-Ange trouvait chez les siens.

Nul amour ne le consolait.

Il n’était pas beau. Lui-même plaisantait de ses infirmités; et voici le portrait qu’il traçait de lui-même au temps où peignait la voûte de la Sixtine :
    La peine m’a fait un goître, comme l’eau en fait aux chats de Lombardie. Mon ventre pointe vers mon menton, ma barbe se rebrousse vers le ciel, mon crâne s’appuie sur mon dos, ma poitrine est comme celle d’une harpie; le pinceau, en s’égouttant sur mon visage, y a fait un carrelage bariolé. Les lombes me sont rentrées dans le corps, et mon derrière fait contrepoids. Je marche au hasard, sans que je puisse voir mes pieds. Ma peau s’allonge par devant, et se ratatine par derrière : je suis tendu, comme un arc syrien. Mon intelligence est aussi baroque que mon corps : car on joue mal d’un roseau recourbé 20.

Il ne faut pas être dupe de cette bonne humeur. Michel-Ange souffrait d’être laid. Pour un homme, tel que lui, épris plus que personne de la beauté physique, la laideur était une honte 21. On trouve souvent la trace de son humiliation dans ses madrigaux. Son chagrin était d’autant plus cuisant qu’il fut, toute sa vie, dévoré d’amour; et il ne semble pas qu’il ait jamais été payé de retour. Alors il se repliait en lui, et confiait à la poésie sa tendresse et sa peine.

Depuis l’enfance, il composait des vers : ce lui était un besoin impérieux. Il couvrait ses dessins, ses lettres, ses feuilles volantes, de pensées qu’il reprenait ensuite et retravaillait sans cesse. Malheureusement, il fit brûler le plus grand nombre de ses poésies de jeunesse. Le peu qui nous en reste suffit pourtant à évoquer ses passions.

Parmi les plus anciennes poésies, ce fragment, qui semble avoir été écrit à Florence, vers 1505 :
    Comment est-il possible que je ne sois plus à moi?… O Dieu! O Dieu! O Dieu!… Qui m’a arraché à moi-même? Qui peut plus en moi que moi-même?… O Dieu! O Dieu! O Dieu!… 22
De Bologne, sur le dos d’une lettre de 1507, ce sonnet juvénile, que Henry Thode rapproche justement d’une vision de Botticelli :
    Claire et de fleurs bien sertie, qu’elle est heureuse, la couronne sur sa chevelure d’or! Comme les fleurs se pressent à l’envi sur son front, à qui sera la première à le baiser! La robe qui enserre sa poitrine et s’épand au-dessous est heureuse tout le jour. Le tissu d’or n’est jamais las de frôler ses joues et son cou. Plus précieuse est encore la fortune du ruban liséré d’or, qui touche doucement d’une pression légère le sein qu’il enveloppe. La ceinture semble dire : « Je veux toujours l’étreindre…» Ah!… Et que feraient donc mes bras! 23

Dans une longue poésie d’un caractère intime — une sorte de confession 24 qu’on ne peut guère citer exactement ici —, Michel-Ange décrit, avec une crudité singulière d’expressions, ses angoisses d’amour :
    Quand je reste un jour sans te voir, je ne puis trouver de paix nulle part. Quand je te vois, tu es pour moi comme la nourriture pour celui qui est affamé… Quand tu me souris, ou quand tu me salues dans la rue, je prends feu comme la poudre. Quand tu me parles, je rougis, je perds la voix, et soudain mon grand désir s’éteint… 25
Puis ce sont des gémissements de douleur :
    Ah! souffrance infinie, qui déchire mon cœur, quand je pense que celle que j’aime tant ne m’aime point! Comment vivre?… 26
Ces lignes encore, écrites auprès d’études pour la madone de la chapelle des Médicis :
    Seul, je reste brûlant dans l’ombre, quand le soleil dépouille le monde de ses rayons. Chacun se réjouit; et moi, étendu sur la terre, dans la douleur, je gémis et je pleure 27.
Ce cri enfin, le plus poignant de tous :
    J’aime : pourquoi suis-je né?…
    Amando, a che son nato?… 28
L’amour est absent des sculptures et des peintures de Michel-Ange. L’artiste n’y a fait entendre que ses pensées les plus héroïques. Il semble qu’il ait eu honte d’y mêler les faiblesses de son cœur. À la poésie seule il s’est livré. C’est là qu’il faut chercher le secret de ce cœur craintif et tendre, sous une enveloppe rude.


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Ce besoin passionné d’aimer se transformait parfois en des amitiés exaltées, dont l’ardeur d’expression a surpris ceux qui ne connaissent pas bien la pureté brûlante de Michel-Ange 29. Ceux mêmes qui étaient l’objet de cette amitié ne la comprenaient pas toujours. L’exagération et la violence d’un tel amour les effrayait.

Michel-Ange écrivait, au meilleur et au plus noble de ces amis, au jeune gentilhomme romain, Tommaso dei Cavalieri 30:
    Mon cher seigneur, ne t’irrite pas de mon amour, qui s’adresse seulement à ce qu’il y a de meilleur en toi, car l’esprit de l’un doit s’éprendre de l’esprit de l’autre. Ce que j’aime, ce que j’apprends dans ton beau visage, ne peut être compris des hommes ordinaires. Qui veut le comprendre, doit d’abord mourir 31.
C’était une passion mystique, un oubli total de soi, un don de tout son être qui se fond dans l’être aimé. Le vieillard oubliait son âge, sa laideur, et sa peine, pour revivre dans l’heureuse jeunesse et la beauté de l’ami.
    Avec vos beaux yeux je vois une douce lumière, que je ne peux plus voir avec mes yeux aveugles. Vos pieds m’aident à porter un fardeau que mes pieds perclus ne peuvent plus soutenir… Par votre esprit, au ciel je me sens élevé… En votre volonté est toute ma volonté. Mes pensées se forment dans votre cœur, et mes paroles dans votre souffle. Abandonné à moi-même, je suis comme la lune, que l’on ne peut voir au ciel, qu’autant que le soleil l’éclaire 32.
Pour ce grand créateur de formes admirables, qui était en même temps un grand croyant, un beau corps était divin – un beau corps était Dieu même apparaissant sous le voile de la chair. Comme Moïse devant le buisson ardent, il n’en approchait qu’en tremblant. L’objet de son adoration était vraiment pour lui une Idole, comme il disait. Il se prosternait à ses pieds 33, et cette humiliation volontaire du grand homme, qui était pénible au noble Cavalieri lui-même, était d’autant plus étrange que souvent l’idole au beau visage avait une âme vulgaire et méprisable, comme Febo di Poggio 34. Mais Michel-Ange n’en voyait rien… N’en voyait-il rien vraiment? Il n’en voulait rien voir; il achevait en son cœur la statue que la nature n’avait fait qu’ébaucher.

Mais cet amour enivré de la beauté ne peut être analysé en passant, d’une façon superficielle. Il y a là un problème de psychologie complexe, que je préfère étudier à loisir, quelque autre fois. J’aime mieux le laisser de côté ici, pour m’attacher à des sentiments plus simples et plus humains.



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Le sphinx de cet amour ardent et trouble, et chaste malgré tout 35, avait quelque chose d’inquiétant et d’halluciné. À ces amitiés morbides, qui étaient un effort désespéré pour nier le néant de sa vie et pour créer l’amour dont il était affamé, succéda par bonheur l’affection sereine d’une femme, qui sut comprendre ce vieil enfant, seul, perdu dans le monde, et fit rentrer dans son âme meurtrie un peu de paix, de confiance, de raison, et l’acceptation mélancolique de la vie et de la mort.

C’était en 1533 et 1534 que l’amitié de Michel-Ange pour Cavalieri avait atteint son paroxysme. En 1535, il commença à connaître Vittoria Colonna 36.

Elle était de très haute race. Son père était le prince Fabrizio Colonna. Sa mère, Agnès de Montefeltro, était fille du grand Federigo prince d’Urbin. À dix-sept ans, elle avait épousé le marquis de Pescara, Ferrante Francesco d’Avalos, grand général – le vainqueur de Pavie. Elle l’aima; il ne l’aima point. Elle n’était pas belle 37. Les médailles qu’on connaît d’elle montrent une figure virile, volontaire, et un peu dure : haut front, nez long et droit, lèvre supérieure courte et morose, lèvre inférieure légèrement avançante, bouche serrée, menton accusé. Elle était passionnément intellectuelle. Dans un sonnet, elle dit elle-même que « les sens grossiers, impuissants à former l’harmonie qui produit la beauté et le pur amour des nobles âmes, n’éveillèrent jamais en elle plaisir ni souffrance… Claire flamme – ajoute-t-elle – éleva mon cœur si haut, que de basses pensées l’offensent. » En rien, elle n’était faite pour être aimée du brillant et sensuel Pescara; mais, comme le veut la déraison de l’amour, elle était faite pour l’aimer et pour en souffrir. Elle souffrit cruellement, en effet, des infidélités de son mari, qui la trompait dans sa propre maison, au su et au vu de tout Naples. Cependant, quand il mourut, en 1525, elle ne s’en consola point. Elle se réfugia dans la religion et dans la poésie. Retirée à Ischia, elle écrivit ses sonnets, où elle chantait son amour transfiguré, dans la solitude de la belle île.

Depuis 1530, ses poésies se répandirent dans toute l’Italie, et lui conquirent une gloire unique, entre les femmes de son temps. Elle était en relations avec tous les grands écrivains d’Italie, avec l’Arioste, avec Bembo, avec Castiglione, avec Bernardo Tasso. De plus en plus, la religion la prit. L’esprit de réforme catholique, le libre esprit religieux qui tendait alors à régénérer l’Église, en évitant le schisme, s’empara d’elle. Elle fut une des âmes les plus exaltées du petit groupe idéaliste qui rêva l’entente et l’union des catholiques et des protestants. Mais lorsque commença le mouvement de contre-réforme dirigé par Paul IV, elle tomba dans un doute mortel. Elle était, comme Michel-Ange, une âme passionnée, mais faible; elle avait besoin de croire, elle était incapable de résister à l’autorité de l’Église. « Elle se faisait souffrir avec des jeûnes, des haires, tant qu’elle n’avait plus que la peau sur les os. » 38 Son ami le cardinal Reginald Pole lui rendit la paix, en l’obligeant à se soumettre, à humilier l’orgueil de son intelligence, à s’oublier en Dieu. Elle le fit avec une ivresse du sacrifice, appelant la mort comme une délivrance.

Cette femme triste et tourmentée, qui avait toujours besoin de quelqu’un sur qui s’appuyer, n’avait pas moins besoin d’un être plus faible et plus malheureux qu’elle, pour dépenser sur lui tout l’amour maternel dont son cœur était plein. Elle s’appliqua à cacher son trouble à Michel-Ange. Sereine en apparence, réservée, un peu froide, elle lui transmit la paix qu’elle demandait à d’autres. Elle avait quarante-six ans, quand elle le connut; il en avait soixante-trois. Elle habitait à Rome, au cloître de S. Silvestro in Capite, au-dessous de Monte Pincio. Michel-Ange habitait près de Monte Cavallo. Ils se réunissaient, le dimanche, dans l’église San Silvestro, au Monte Cavallo. Le frère Ambrogio Caterino Politi leur lisait les épîtres de saint Paul, qu’ils discutaient ensemble. Le peintre portugais François de Hollande nous a conservé le souvenir de ces entretiens dans ses quatre Dialogues sur la peinture 39. Ils sont le vivant tableau de cette amitié grave et tendre.

La première fois que François de Hollande alla à l’église San Silvestro, il y trouva la marquise de Pescara, avec quelques amis, écoutant la lecture pieuse. Michel-Ange n’était point là. Quand l’épître fut finie, l’aimable femme dit, en souriant, à l’étranger :

— François de Hollande aurait entendu plus volontiers, sans doute, un discours de Michel-Ange que cette prédication

À quoi François, sottement blessé, répondit :

— Quoi! madame, semble-t-il donc à Votre Excellence que je n’aie de sens pour rien autre, et que je ne sois bon qu’à peindre?

— Ne soyez pas si susceptible, messer Francesco — dit un des assistants, Lattanzio Tolomei — , la marquise est convaincue qu’un peintre est bon à tout, tant nous estimons la peinture, nous autres Italiens! Mais peut-être a-t-elle dit cela pour ajouter au plaisir que vous avez eu celui d’entendre Michel-Ange.

François se confond alors en excuses, et la marquise dit à un de ses serviteurs :

— Va chez Michel-Ange et dis-lui que moi et messer Lattanzio nous sommes restés, après la fin du service religieux, dans cette chapelle où il fait une agréable fraîcheur; s’il veut bien perdre un peu de son temps, ce sera grand profit pour nous. Mais — ajouta-t-elle, connaissant la sauvagerie de Michel-Ange — , ne lui dis pas que François de Hollande est ici.

En attendant le retour de l’envoyé, ils restent à causer, cherchant par quel moyen ils amèneront Michel-Ange à parler de peinture, sans qu’il s’aperçoive de leur intention : car, s’il la remarquait, il se refuserait aussitôt à poursuivre l’entretien.

Il y eut un petit instant de silence. On heurta à la porte. Nous exprimâmes tous la crainte que le maître ne vînt pas, puisque la réponse était si prompte. Mais mon étoile voulut que Michel-Ange, qui habitait tout près, fût justement en chemin, dans la direction de San Silvestro; il allait par la via Esquilina, en philosophant avec son disciple Urbino. Et comme notre envoyé l’avait rencontré et ramené, c’était lui-même qui se tenait en personne sur le seuil. La marquise se leva et resta longtemps en conversation avec lui, debout, à part des autres, avant qu’elle l’invitât à prendre place entre Lattanzio et elle.

François de Hollande s’assit à côté de lui, mais Michel-Ange ne fit aucune attention à son voisin, ce qui le piqua vivement. François en fit la remarque d’un air vexé :

— Vraiment, le plus sûr moyen de n’être pas vu de quelqu’un consiste à se mettre droit en face de ses yeux.

Michel-Ange, étonné, le regarda et s’excusa aussitôt, avec une grande courtoisie :

— Pardonnez, messer Francesco; en vérité, je ne vous avais pas remarqué, parce que je n’avais d’yeux que pour la marquise.

Cependant Vittoria, après une petite pause, commença, avec un art qu’on ne pouvait assez vanter, à parler de mille choses, d’une façon adroite et discrète, sans toucher à la peinture. On eût dit quelqu’un qui assiège une ville forte avec peine et avec art; et Michel-Ange avait l’air d’un assiégé vigilant et défiant, qui met ici des postes, qui lève là les ponts, qui place ailleurs des mines, et qui tient la garnison en éveil aux portes et sur les murs. Mais enfin la marquise l’emporta. Et vraiment, personne n’aurait pu se défendre d’elle.

— Allons — dit-elle —, il faut bien reconnaître qu’on est toujours vaincu, quand on attaque Michel-Ange avec ses propres armes, c’est-à-dire avec la ruse. Il faudra, messer Lattanzio, que nous parlions avec lui de procès, de brefs du pape 40, ou bien… de peinture, si nous voulons le réduire au silence et avoir le dernier mot.

Ce détour ingénieux amène la conversation sur le terrain de l’art. Vittoria entretient Michel-Ange d’une construction pieuse, qu’elle a le projet d’élever; et aussitôt Michel-Ange s’offre à examiner l’emplacement, pour ébaucher un plan :

— Je n’aurais pas osé vous demander un si grand service — répond la marquise —, bien que je sache que vous suivez en tout l’enseignement du Sauveur, qui abaissait les superbes et élevait les humbles… Aussi ceux qui vous connaissent estiment la personne de Michel-Ange plus encore que ses œuvres, au lieu que ceux qui ne vous connaissent pas personnellement célèbrent la plus faible partie de vous-même, c’est-à-dire les œuvres de vos mains. Mais je ne loue pas moins que vous vous retiriez si souvent à l’écart, fuyant nos conversations inutiles, et qu’au lieu de peindre tous les princes qui viennent vous en prier, vous ayez consacré presque toute votre vie à une seule grande œuvre 41.

Michel-Ange décline ces compliments, et exprime son aversion pour les bavards et les oisifs — grands seigneurs ou papes — , qui se croient permis d’imposer leur société à un artiste, quand il n’a pas assez de sa vie pour accomplir sa tâche :

— Quand un homme est ainsi fait qu’il haïsse les cérémonies et méprise l’hypocrisie, il n’y a pas de bon sens à ne pas le laisser vivre comme il lui convient. S’il ne vous demande rien et ne cherche pas votre société, pourquoi cherchez-vous la sienne? Pourquoi voulez-vous l’abaisser à ces niaiseries qui répugnent à son éloignement du monde? Celui-là n’est pas un homme supérieur, qui pense à plaire aux imbéciles plutôt qu’à son génie.

Puis l’entretien passe aux plus hauts sujets de l’art, que la marquise traite avec une gravité religieuse. Une œuvre d’art, pour elle, comme pour Michel-Ange, est un acte de foi :

— La bonne peinture — dit Michel-Ange – s’approche de Dieu et s’unit à lui… Elle n’est qu’une copie de ses perfections, une ombre de son pinceau, sa musique, sa mélodie. Aussi ne suffit-il point que le peintre soit un grand et habile maître. Je pense bien plutôt que sa vie doit être pure et sainte, autant que possible, afin que le Saint-Esprit gouverne ses pensées.

Ainsi le jour s’écoule, en ces conversations vraiment sacrées, d’une sérénité majestueuse, dans le cadre de l’église San Silvestro — à moins que les amis ne préfèrent continuer l’entretien dans le jardin que nous décrit François de Hollande, «près de la fontaine, à l’ombre des buissons de lauriers assis sur un banc de pierre adossé à un mur tout tapissé de lierre», d’où ils dominaient Rome, se déroulant à leurs pieds.

Ces beaux entretiens ne durèrent malheureusement point. La crise religieuse par laquelle passait la marquise de Pescara les rompit brusquement. En 1541, elle quitta Rome pour s’enfermer dans un cloître, à Orvieto, puis à Viterbe. Mais souvent elle revenait à Rome, pour voir Michel-Ange. «Il était épris de son divin esprit, et elle le lui rendait bien — dit Condivi. — Il reçut d’elle et garda beaucoup de lettres, pleines d’un chaste et très doux amour, comme cette âme noble pouvait les écrire.» — Ces lettres ont malheureusement disparu presque toutes; très probablement, Michel-Ange les a brûlées peu avant de mourir. Nous avons du moins quelques-uns des sonnets qu’ils échangeaient.

En 1544, Vittoria revint habiter à Rome, dans un cloître, et elle y resta jusqu’à sa mort. Michel-Ange allait souvent la voir. Elle pensait affectueusement à lui, elle cherchait à mettre un peu d’agrément et de confort dans sa vie, à lui faire en secret quelques petits cadeaux. Mais l’ombrageux vieillard, qui ne voulait accepter de présents de personne, même de ceux qu’il aimait le mieux, refusait de lui faire ce plaisir.

Elle mourut 42. Il la vit mourir; et il dit ce mot touchant 43, qui montre quel avait toujours été le caractère chaste et réservé de leur grand amour :

— Rien ne me désole tant que de penser que je l’ai vue morte, et que je ne lui ai pas baisé le front et le visage, comme j’ai baisé sa main.

«Cette mort — dit Condivi — le rendit pour longtemps tout à fait stupide; il semblait avoir perdu le sens.»



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Dès lors, comme Beethoven, il concentra son besoin d’affection sur ses neveux orphelins, sur les enfants de Buonarroto, son frère, mort de la peste, dans ses bras, pendant le siège de Florence. Ils étaient deux: une fille, Cecca (Francesca), et un garçon, Lionardo. Michel-Ange plaça Cecca dans un couvent; il lui constitua un trousseau, il payait sa pension, il allait la voir; et, quand elle se maria, il lui donna en dot un de ses biens. – Il se chargea personnellement de l’éducation de Lionardo, qui avait neuf ans à la mort de son père. Une longue correspondance, qui rappelle souvent celle de Beethoven avec son neveu, témoigne du sérieux avec lequel il remplit sa mission paternelle. Ce ne fut pas sans de fréquentes colères. Lionardo mettait souvent à l’épreuve la patience de son oncle; et cette patience n’était pas grande. La mauvaise écriture du jeune garçon suffisait à jeter Michel-Ange hors des gonds. Il y voyait un manque d’égards envers lui.
    Jamais je ne reçois une lettre de toi, que la fièvre ne me vienne avant que je puisse la lire. Je ne sais pas où tu as appris à écrire. Peu d’amour!… Je crois que, quand tu aurais à écrire au plus grand âne du monde, tu y mettrais plus de soin… J’ai jeté ta dernière lettre au feu, parce que je ne pouvais pas la lire; je ne peux donc pas y répondre. Je t’ai déjà dit et répété à satiété que, chaque fois que je reçois une lettre de toi, la fièvre me vient avant que je réussisse à la lire. Une fois pour toutes, ne m’écris plus à l’avenir. Si tu as quelque chose à me faire savoir, trouve quelqu’un qui sache écrire, car j’ai besoin de ma tête pour autre chose que pour m’épuiser à déchiffrer tes grimoires 44.
Défiant de nature, et rendu plus soupçonneux encore par ses déboires avec ses frères, Michel-Ange se faisait peu d’illusion sur l’affection humble et flagorneuse de son neveu : cette affection lui semblait surtout s’adresser à son coffre-fort, dont le petit savait qu’il hériterait. Michel-Ange ne se gênait pas pour le lui dire. — Une fois, étant malade et en danger de mort 45, il apprend que Lionardo est accouru à Rome et y a fait quelques démarches indiscrètes; il lui écrit, furieux :
    Lionardo! J’ai été malade, et tu as courus chez ser Giovan Francesco pour voir si je ne laissais rien. N’as-tu pas assez de mon argent à Florence? Tu ne peux pas mentir à ta race, et manquer de ressembler à ton père, qui m’a chassé, à Florence, de ma propre maison. Sache que j’ai fait un testament de telle sorte que tu n’as plus rien à attendre de moi. Donc va avec Dieu et ne te présente plus devant mes yeux, et ne m’écris plus jamais! 46
Ces colères n’émouvaient guère Lionardo, car elles étaient généralement suivies de lettres affectueuses et de cadeaux. Un an plus tard, il se précipitait de nouveau à Rome, alléché par la promesse d’un présent de trois mille écus. Michel-Ange, blessé de son empressement intéressé, lui écrit :
    Tu es venu à Rome avec une hâte furieuse. Je ne sais pas si tu serais venu aussi vite si je m’étais trouvé dans la misère, et si le pain m’avait manqué!… Tu dis que c’était ton devoir de venir, par amour pour moi. — Oui! l’amour d’un perce-bois 47! Si tu avais de l’amour pour moi, tu m’aurais écrit : « Michel-Ange, gardez les trois mille écus, et dépensez-les pour vous : car vous nous avez tant donné que cela nous suffit. Votre vie nous est plus chère que la fortune… » Mais, depuis quarante ans, vous avez vécu de moi; et jamais je n’ai reçu de vous seulement une bonne parole 48.
Une grave question fut celle du mariage de Lionardo. Elle occupa l’oncle et le neveu pendant six ans. Lionardo, docile, ménageait l’oncle à héritage; il acceptait toutes ses observations, le laissait choisir, discuter, rejeter les partis qui s’offraient; il semblait indifférent. Michel-Ange se passionnait, au contraire, comme si c’était lui qui devait se marier. Il regardait le mariage comme une affaire sérieuse, dont l’amour était la moindre condition; la fortune n’entrait pas beaucoup plus en ligne de compte : ce qui importait, c’était la santé et l’honorabilité. Il donnait de rudes conseils, dénués de poésie, robustes et positifs :
    C’est une grosse décision; souviens-toi qu’entre l’homme et la femme il doit toujours y avoir une différence d’âge de dix ans; et fais attention à ce que celle que tu choisiras ne soit pas seulement bonne, mais saine… On m’a parlé de plusieurs personnes : l’une m’a plu, l’autre non. Si tu y penses, écris-moi donc, au cas que tu aies plus de plaisir à l’une qu’à l’autre. Je t’en dirai mon avis… Tu es libre de prendre l’une ou l’autre, pourvu qu’elle soit bien élevée, et plutôt sans dot, qu’avec une grosse dot — afin de vivre en paix… Un Florentin m’a dit qu’on t’a parlé d’une fille de la maison Ginori, et qu’elle te plaît. Il ne me plaît pas à moi, que tu prennes pour femme une fille que le père ne te donnerait pas s’il avait assez pour lui constituer une dot convenable. Je désire que celui qui veut te donner une femme la donne à toi, et non à ta fortune… Tu as uniquement à considérer la santé de l’âme et du corps, la qualité du sang et des mœurs, et, de plus, qui elle a pour parents : car cela est de grande importance… Donne-toi la peine de trouver une femme qui n’ait pas honte de laver les plats, en cas de nécessité, et de s’occuper des choses du ménage… Quant à la beauté, comme tu n’es pas précisément le plus beau jeune homme de Florence, ne t’en inquiète pas, pourvu seulement qu’elle ne soit pas estropiée, ou repoussante… 49

Après bien des recherches, il semble qu’on ait mis la main sur l’oiseau rare. Mais, au dernier moment, voici qu’on lui découvre un vice rédhibitoire :
    J’apprends qu’elle a la vue basse, ce qui ne me paraît pas un petit défaut. Aussi je n’ai rien promis encore. Puisque tu n’as rien promis non plus, mon avis est que tu te dégages, si tu es certain de la chose 50.
Lionardo se décourage. Il s’étonne de l’insistance que son oncle met à vouloir le marier. Michel-Ange répond :
    Cela est vrai, je le désire : cela est bon, pour que notre race ne finisse pas avec nous. Je sais bien que le monde n’en serait pas ébranlé; mais enfin chaque animal s’efforce de conserver son espèce. C’est pourquoi je désire que tu te maries 51.

Enfin Michel-Ange lui-même se lasse; il commence à trouver ridicule que ce soit lui qui s’occupe toujours du mariage de Lionardo, et que celui-ci ait l’air de s’en désintéresser. Il déclare qu’il ne s’en mêlera plus :
    Depuis soixante ans, je me suis occupé de vos affaires; maintenant, je suis vieux, et je dois penser aux miennes.

Juste à ce moment, il apprend que son neveu vient de se fiancer avec Cassandra Ridolfi. Il se réjouit, il le félicite, et lui assure une belle dot. Lionardo se marie 52. Michel-Ange envoie ses souhaits aux jeunes époux, et promet un collier de perles à Cassandra. La joie ne l’empêche pas toutefois d’avertir son neveu que, « quoiqu’il ne se connaisse pas très bien à ces choses, il lui semble que Lionardo aurait dû régler très exactement toutes les questions d’argent avant de conduire la femme dans sa maison : car il y a toujours dans ces questions un germe de désunion. » Il termine par cette recommandation goguenarde :
    Allons!… Et maintenant, tâche de vivre; et penses-y bien : car le nombre des veuves est toujours plus grand que celui des veufs.
Deux mois après, au lieu du collier promis, il envoie deux bagues à Cassandra – l’une ornée d’un diamant, l’autre d’un rubis. Cassandra, en remerciement, lui envoie huit chemises. Michel-Ange écrit :
    Elles sont belles, surtout la toile, et elles me plaisent fort. Mais je suis fâché que vous ayez fait cette dépense, car il ne me manquait rien. Remercie bien Cassandra pour moi, et dis-lui que je suis à sa disposition pour lui envoyer tout ce que je pourrai trouver ici, en fait d’articles romains ou autres. Cette fois, j’ai envoyé seulement une petite chose; une autre fois, nous ferons mieux, avec quelque objet qui lui fasse plaisir. Avertis-moi seulement.

Viennent bientôt les enfants : le premier, appelé Buonarroto, sur le désir de Michel-Ange; le second, nommé Michel-Ange, et qui meurt peu après sa naissance. Et le vieil oncle, qui invite le jeune couple à venir parfois chez lui, à Rome, ne cesse de prendre part affectueusement aux joies comme aux douleurs de la famille, mais sans jamais permettre aux siens de s’occuper de ses affaires, ni même de sa santé.



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Quand il eut ainsi casé son neveu et sa nièce, déchargé de tout devoir domestique, il tourna son besoin d’aimer vers les pauvres et les misérables.

Cet homme, que ses ennemis 53 accusaient d’avarice, ne cessa, toute sa vie, de combler de ses libéralités les malheureux, connus et inconnus. Non seulement il témoigna toujours la plus touchante affection pour ses vieux serviteurs et pour ceux de son père : — pour une certaine Mona Margherita, qu’il recueillit après la mort de son père, et dont la mort lui causa, dit-il, « plus de peine que si c’était une sœur »; — pour un humble menuisier, qui avait travaillé à l’échafaudage de la chapelle Sixtine, et dont il dota la fille 54; mais il donnait constamment aux pauvres, surtout aux pauvres honteux. Il aimait à associer à ces aumônes son neveu et sa nièce, à leur en inspirer le goût, à les faire accomplir par eux, sans le nommer lui-même : car il voulait que sa charité demeurât secrète. — Par un trait d’exquise délicatesse, il pensait surtout aux jeunes filles pauvres; il cherchait à leur faire remettre en cachette de petites dots, pour leur permettre de se marier, ou d’entrer au couvent. Il écrit à son neveu :
    Tâche donc de connaître un bourgeois dans le besoin, qui ait une fille à marier, ou à mettre au couvent. (Je parle de ceux qui, dans le besoin, ont honte d’aller mendier.) Donne-lui l’argent que je t’envoie, mais en secret; et fais en sorte de ne pas te laisser tromper…

Et ailleurs :
    Informe-moi si tu connais encore quelque autre noble bourgeois, dans un très grand besoin, surtout s’il a des filles à la maison : il me serait agréable de lui faire quelque bien, pour le salut de mon âme 55.


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Il habitait au Macel de Corvi, sur le forum de Trajan. Il avait là une maison, avec un petit jardin. Il l’occupait avec un valet, une servante et ses animaux familiers, ses poules et ses chats. Il n’avait pas la main heureuse avec ses domestiques. « Ils étaient tous négligents et malpropres», dit Vasari. Il en changeait souvent et s’en plaignait amèrement. Ses Ricordi, comme les Cahiers de conversation de Beethoven, gardent encore la trace de ces querelles de ménage : — Oh! qu’elle n’ait jamais été ici!…» écrit-il, en 1560, après avoir renvoyé une servante, Girolama.

Sa chambre était sombre comme un tombeau 56. «Les araignées y créaient mille travaux et dévidaient leurs petits fuseaux » 57. — Au milieu de l’escalier, il avait peint la Mort, portant sur l’épaule un cercueil 58.

À mesure qu’il devenait plus vieux, il s’enveloppait de plus de solitude; ce lui était un besoin, quand tout dormait dans Rome, de se réfugier dans le travail nocturne. Le silence lui était un bienfait, et la nuit une amie 59. Vasari fit, une fois, visite au vieil homme, seul, dans sa maison déserte, en tête à tête avec sa tragique Pietà et ses méditations :

Quand Vasari frappa, Michel-Ange se leva et vint à la porte, un chandelier à la main. Vasari voulut contempler la sculpture; mais Michel-Ange laissa la lumière tomber et s’éteindre, afin qu’il ne pût rien voir. Et pendant qu’on allait en chercher une autre, le maître se tourna vers Vasari, et dit : « Je suis si vieux que souvent la mort me tire par mes chausses, pour que je vienne avec elle. Un jour, mon corps tombera, comme ce flambeau, et, comme lui, s’éteindra la lumière de ma vie. »

C’était une inquiétude perpétuelle pour ses amis de le savoir seul, avec des domestiques négligents et peu scrupuleux. Il avait eu déjà une attaque 60, et il pouvait, d’un moment à l’autre, être de nouveau frappé. Mais il n’y avait pas moyen d’intervenir. Le vieillard n’admettait point, sous quelque prétexte que ce fût, qu’on s’occupât de lui.

Lionardo avait reçu jadis de si rudes rebuffades, quand il avait voulu venir à Rome, pour la santé de son oncle, qu’il n’osait plus s’y risquer. En juillet 1563 – six mois avant la mort de Michel-Ange — , il lui fit demander s’il lui serait agréable de le voir; et, pour prévenir les soupçons que sa venue intéressée aurait pu inspirer à l’esprit défiant de Michel-Ange, il fit ajouter que ses affaires allaient bien, qu’il était riche, et qu’il n’avait plus besoin de rien. Le malin vieux ne fut pas dupe; il fit répondre que, puisqu’il en était ainsi, il en était enchanté, et qu’il donnerait le peu qu’il possédait aux pauvres.

Un mois plus tard, Lionardo, très peu satisfait de la réponse, revint à la charge, et lui fit exprimer les inquiétudes qu’il éprouvait au sujet de sa santé et de son entourage. Cette fois, Michel-Ange lui expédia une lettre furibonde, qui montre l’étonnante vitalité de cet homme, à quatre-vingt-huit ans — quelques mois avant sa mort :
    Je vois, d’après ta lettre, que tu ajoutes foi à certains envieux coquins, qui, parce qu’ils ne peuvent pas me voler, ni faire de moi ce qu’ils veulent, t’écrivent un tas de mensonges. C’est un ramassis de gredins; et tu es si bête que tu as foi en eux au sujet de mes affaires, comme si j’étais un enfant. Envoie-les promener : ce sont des gens qui n’apportent avec eux que des ennuis, qui ne font qu’envier, et qui mènent une vie de gueux. Tu m’écris que je souffre sous le rapport du service; et moi, je te dis que je ne pourrais pas être plus fidèlement servi, ni mieux traité à tous égards. Et quant aux craintes de vol auxquelles tu fais allusion, je te dis que les gens qui sont dans ma maison sont de telle sorte que je puis être en paix là-dessus et avoir confiance en eux. Donc, pense à toi-même, et ne pense pas à mes affaires, car je sais me défendre en cas de besoin, et je ne suis pas un enfant. Porte-toi bien! 61

Ainsi il resta, seul, indomptable jusqu’à la fin. Il travaillait toujours. Jusqu’à la dernière semaine de sa vie, il continua de sculpter, par besoin, par plaisir, par hygiène comme il disait 62.

Il se relevait la nuit, pour travailler avec le ciseau. Il s’était fabriqué un casque de carton, et il portait au milieu, sur sa tête, une chandelle allumée, qui, de cette façon, sans lui gêner les mains éclairait son travail 63.

Le 12 février 1564, il passa tout le jour, debout, à sa Pietà 64. Le 14, il fut pris de fièvre. Son ami Tiberio Calcagni, prévenu, accourut, et ne le trouva pas chez lui. Malgré la pluie, il était allé se promener à pied dans la campagne.

Quand il revint, Calcagni lui dit que ce n’était pas raisonnable, qu’il n’eût pas dû sortir par un temps pareil.

— Que voulez-vous! — répondit Michel-Ange — je suis malade, et je ne puis nulle part trouver de repos 65.

Le 15 février, pour secouer la torpeur qui l’accablait, il voulut encore sortir à cheval, « comme il avait l’habitude de le faire, chaque soir, quand le temps était beau ». Les forces lui manquèrent; il dut rebrousser chemin. Alors il s’assit dans un fauteuil, près de sa cheminée, refusant de se coucher. Ce ne fut que la veille de sa mort qu’il consentit à se mettre au lit; il garda sa pleine conscience jusqu’à la fin, et, le vendredi 18 février 1564, à quatre heures trois quarts de l’après-midie, il mourut, ayant auprès de lui son fidèle ami Tommaso dei Cavalieri.

Il reposait, enfin. Il avait atteint le but de ses désirs : il était sorti du temps :
    Beata l’alma, ove non corre tempo! 66

Notes
1. Cette description s’inspire des divers portraits de Michel-Ange : surtout de celui de Marcello Venusti, qui est au Capitole –, de la gravure de François de Hollande, qui date de 1538-1539 –, de celle de Giulio Bonasoni, qui est de 1546 –, et de la description de Condivi, faite en 1553.
2. « Un jour qu’il parcourait à cheval le pays de Carrare, il vit un mont qui dominait la côte : le désir le saisit de le sculpter tout entier, de le transformer en un colosse, visible de loin aux navigateurs. Il l’eût fait, s’il avait eu le temps et si on le lui avait permis. » (Condivi)
3. Lettres de 1507, 1509, 1512, 1513, 1525, 1547.
4. On trouva, après sa mort, dans sa maison de Rome, 7 à 8000 ducats d’or, évalués à 4 ou 500 000 francs d’aujourd’hui. De plus, Vasari dit qu’il avait déjà donné, en deux fois, à son neveu, 7000 écus, et 2000 à son serviteur Urbino. Il avait de grosses sommes placées à Florence. La Denunzia de’ beni de 1534 montre qu’il possédait alors six maisons et sept terres à Florence, Settignano, Rovezzano, Stradello, S. Stefano de Pozzolatico, etc. Il avait la passion de la terre. Il en achète constamment : en 1505, 1506, 1512, 1517, 1518, 1519, 1520, etc. C’était là chez lui une sorte d’instinct, une hérédité de paysan. D’ailleurs, s’il amassait, ce n’était pas pour lui : il dépensait pour les autres, et se privait de tout.
5. 19 décembre 1500.
6. Lettres, 1506.
7. Ibid., juillet 1517.
8. Ibid., juillet 1523.
9. Poésies, Édition Carl Frey. XLII.
10. Ibid. LXXXI.
11. Ibid. LXXIV.
12. Quand son père mourut, Michel-Ange avait cinquante-neuf ans. – Il est remarquable qu’il ne fut « émancipé » par son père qu’à l’âge de trente-trois ans, en 1508. (Acte officiel, enregistré le 28 mars 1508, à Florence.)
13. Lionardo, frère aîné de Michel-Ange, était plus âgé que lui de deux ans. – Il se fit moine, et fut Savonaroliste.
14. Lettres, 19 août 1497.
15. Lettres de 1509 à 1512
16. Remarquez que Giovan-Simone était alors un homme de trente ans, et que Michel-Ange n’avait que quatre ans de plus que lui.
17. Lettres. Daté par Henry Thode : printemps 1509 (dans l’édition Milanesi : juillet 1508). D’autres lettres, à peu près analogues, sont adressées aux deux autres frères : à Gismondo, en octobre 1509; à Buonarroto, en juillet 1513. Ils le harcelaient sans pitié. Michel-Ange écrivait à Buonarroto :
    Quand un cheval court autant qu’il peut, il n’est pas bon de lui donner de l’éperon, pour qu’il coure plus qu’il ne peut. Mais vous ne m’avez jamais connu, et vous ne me connaissez pas. Que Dieu vous pardonne! C’est lui qui m’a accordé la grâce de suffire à tout ce que j’ai fait pour vous aider. Mais vous ne le reconnaîtrez que quand vous ne m’aurez plus.
18. Lettres. – Daté par Henry Thode : 1521 (Milanesi : 1516).
19. Lettres. Juin 1523.
20. Poésies. Éditions Frey, IX (juin-juillet 1510).
21. Henry Thode a mis très justement ce trait en lumière dans son remarquable ouvrage sur Michelangelo und das Ende der Renaissance (Berlin, 1902).
22. Poésies. Édition Frey. VI.
23. Ibid. VII.
24. L’expression est de Carl Frey, qui date la poésie, sans raison suffisante à mon sens, de 1531-1532. Elle me semble beaucoup plus jeune.
25. Poésies. Édition Frey. XXXVI.
26. Ibid. XIII.
27. Poésies. XXII.
28. Ibid. CIX-35.
29. Déjà, le petit-neveu de Michel-Ange, dans sa première édition des Rime, en 1623, n’osa pas publier exactement les poésies à Tommaso dei Cavalieri : il laissait croire qu’elles étaient adressées à une femme. Jusqu’aux récents travaux de Scheffler et Symmonds, Cavalieri passait pour un nom supposé, qui cachait Vittoria Colonna.
30. « Par-dessus tous les autres, sans comparaison, il aima – dit Vasari – Tommaso dei Cavalieri, gentilhomme romain, jeune et passionné pour l’art. Il fit sur un carton son portrait grandeur nature – le seul portrait qu’il ait dessiné : car il avait horreur de copier une personne vivante, à moins qu’elle ne fût d’une incomparable beauté. »

Cavalieri resta fidèle à Michel-Ange jusqu’à sa dernière heure, à laquelle il assista. Il garda sa confiance; il était le seul qui passât pour avoir de l’influence sur lui; et il eut le rare mérite d’user toujours de cette influence pour le bien et la grandeur de son ami. Ce fut lui qui décida Michel-Ange à terminer le modèle de bois de la coupole de Saint-Pierre. Ce fut lui qui nous a conservé les plans de Michel-Ange pour la construction du Capitole, et qui travailla à les réaliser. Ce fut lui enfin, qui, après la mort de Michel-Ange, veilla à l’exécution de ses volontés.
31. Poésies. Édition Frey. XLV
32. Ibid. CIX. 19.
33. La réponse que fit Michel-Ange à la première lettre de Cavalieri, le jour même où il la reçut (1er janvier 1533), est délirante. Nous en avons trois brouillons fiévreux. Michel-Ange appelle Cavalieri « un puissant génie… un miracle… la lumière de notre siècle… »; il le supplie « de ne pas le mépriser, parce qu’il ne peut se comparer à Cavalieri, à qui personne n’est égal… »
34. L’amitié pour Cavalieri ne fut pas exclusive et unique. Michel-Ange s’attacha d’abord à Gherardo Perini, vers 1522, puis à Febo di Poggio, en 1533, peu de temps après qu’il avait fait la connaissance de Cavalieri. Enfin la mort prématurée de Cecchino dei Bracci, à Rome, en 1544, lui inspira quarante-huit épigrammes funéraires, d’un idéalisme idolâtre, si l’on peut dire, et dont quelques-unes sont d’une sublime beauté.
35. Il foco onesto, che m’arde… (Poésies. L.)
La casta voglia, che’l cor dentro infiamma (Ibid. XLIII)
36. Voir sur Vittoria Colonna l’ouvrage d’Alfred de Reumont (V. C., Fribourg, 1881) et le second volume du Michelangelo de Henry Thode.
37. Les beaux portraits où l’on a prétendu la reconnaître n’ont aucune authenticité.
38. Déposition de Pietro Carnesecchi devant l’Inquisition, en 1566. – Plusieurs des amis de Vittoria passèrent ouvertement au protestantisme : ainsi Bernardino Ochino. Un autre, Carnesecchi, fut brûlé par l’Inquisition, en 1567.
39. François de Hollande, Quatre entretiens sur la Peinture, tenus à Rome en 1538-1539, composés en 1548 et publiés par Joachim de Vasconcellos. Traduction française dans Les Arts en Portugal, par le comte A. Raczynski (Paris, Renouard, 1846).
40. Allusion aux continuels procès de Michel-Ange (au sujet du monument de Jules II) et à l’intervention des papes dans ces procès.
41. Sans doute les peintures de la Sixtine, dont Michel-Ange était encore occupé, à cette époque.
42. Le 25 février 1547.
43. Dans un entretien avec Condivi.
44. Lettres. 1546-1548.
45. En 1544.
46. Lettres, 11 juillet 1544.
47. « L’amore del tarlo!… »
48. Lettres, 6 février 1546.
49. Lettres, 1547-1552.
50. Ibid., 19 décembre 1551.
51. Il ajoute pourtant : « Mais si tu devais ne pas te sentir assez sain, alors il est mieux de te résigner à vivre, sans mettre au monde d’autres malheureux. » (Lettres, 24 juin 1552).
52. En mai 1553.
53. L’Arétin, Bandinelli. – Vasari proteste avec indignation contre ces calomnies, et fait une liste des largesses de Michel-Ange envers ses amis.
54. Et je ne parle pas ici de son fidèle Urbino, celui de ses aides qu’il aima le mieux, et dont la mort, en 1555, lui inspira ces admirables lettres à Lionardo et à Vasari, qui sont dans toutes les mémoires.
55. Lettres de 1547 et 1550.
56. La mia scura tomba (Poésies, éd. Frey. LXXXI).
57. … Dov’è Aragn’e mill’opre et lavoranti
Et fan di lor filando fusaiuolo (Ibid.)
58. Ibid. CXXXVII.
59. Voir l’admirable poésie sur la nuit (ibid. LXXVIII).
60. En août 1561.
61. 21 août 1563.
62. « Il faisait cela par amusement, et, comme il disait, parce que l’exercice physique que lui procurait le travail du ciseau le maintenait en bonne santé. » (Vasari)
63. Vasari.
64. La Pietà inachevée du palais Rondanini.
65. Lettre de Tiberio Calcagni à Lionardo (14 février 1564).
66. « Heureuse l’âme, où ne court plus le temps! » (Poésies, LIX).

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