Le bon vide et l'autre

Jean-Pierre Bonhomme

Quand les Taoïstes ont recommandé aux citoyens du monde, il y a trois mille ans, de faire silence, soit le vide du bruit, ce n’était pas pour rendre l’humanité insensée. C’était pour lui permettre de bien valoriser la nature dans toutes ses composantes. Écoutons Lao-Tzu :

« Quand il y a du silence on trouve la paix;
Quand il y a du silence on trouve en soi-même son ancrage dans l’univers ».

Il y a deux sortes de vide, aujourd’hui comme hier. Le vide du sens et l’autre, celui de la distraction.

Commençons par nous rappeler que les grands vides immémoriaux dans nos têtes, dans nos personnes, ont toujours été pris en compte; ils ont même été célébrés. Ils ont notamment été vus comme libérateurs parce qu’ils étaient souvent des portes ouvertes sur l’arrivée du sens, de la compréhension, de l’intelligence. Autrement dit on a toujours voulu faire le ménage des âmes pour laisser entrer la matière qu’il faut pour penser.

L’autre vide, c’est celui qu’on a créé pour faire l’économie de la raison, cette raison éclairée par la lumière des faits et des explications. Ce vide-là, qui est très connu au Québec, qui exclut le sens, a pour titres de chapitre « J’veux rien savoir » ou « Y’a rien là » ou encore « J’m’en balance ». On fait ce Grand Vide pour s’acheter de la « tranquillité » apportée sous forme de distractions largement distribuées par les États et les municipalités. Cela assoit les Régimes et produit très souvent de la dégénérescence et de la décadence.

Quand les Taoïstes ont recommandé aux citoyens du monde, il y a trois mille ans, de faire silence, soit le vide du bruit, ce n’était pas pour rendre l’humanité insensée. C’était pour lui permettre de bien valoriser la nature dans toutes ses composantes. Écoutons Lao-Tzu :

« Quand il y a du silence on trouve la paix;
Quand il y a du silence on trouve en soi-même son ancrage dans l’univers ».


Cela n’a pas pour but de se tirer d’affaires en se défilant; c’est précisément pour « Vivre en accord avec la nature, pour ne pas aller contre les forces naturelles ; pour se mouvoir en harmonie avec le moment présent; pour trouver le véritable sens de ce qu’il faut faire ». (Tao Te Ching).
Un millénaire plus tard les paroles de Jésus seront interprétées par un Pape François pour signifier que les fautes, celles qui brisent les ancrages, seront pardonnées par le moyen des « préoccupations pour l’environnement, unies à un amour sincère envers les êtres humains et à un engagement constant pour les problèmes de la société ». (Encyclique Laudato Si). Le bon vide proposé par le taoïsme pourrait ainsi mener implicitement à l’action, celle qui est proposée par l’encyclique papale…

Nous sommes loin, ici, en tout cas, des distractions qui font dérailler les vrais objectifs réfléchis. Je le vois dans les gestes posés par les autorités occidentales, notamment les nôtres, ici au Québec. Lorsque, l’été, par exemple, la Ville de Montréal et l’État organisent un chapelet de Feux d’artifices opulents, ce n’est pas pour emplir la tête et le cœur des citoyens d’un symbolisme pertinent. C’est tout le contraire; c’est pour enlever le sens des choses.

Un feu d’artifice du 14 juillet – le seul - sur les berges de la Seine, lui, a le sens d’une célébration de la liberté acquise de force en 1789. Cela se comprend facilement et c’est estimable. Dans le cas de Montréal, par contre, l’État permet aux conseillers municipaux de faire éclater une série de « feux », parfois deux fois la semaine; mais pas pour célébrer quoi que ce soit. Il ne s’agit surtout pas de commémorer les gestes de survivance de la famille québécoise ou un quelconque désir de vivre. La preuve en est qu’au jour de la fête nationale du Québec, il n’y a pas le moindre feu de camp. Il n’y a rien! Le chapelet des grands feux se produit pendant « la fièvre du samedi soir » ; manifestement l’Autorité distrait son peuple, lequel, la bouche ouverte, consomme. Si celui-ci commémorait quelque chose de communautaire ce pourrait être dangereux; il pourrait s’emplir la tête d’amours et de pensées.

De même, la radio et la télévision - d’État tout autant que privée – parsème ses émissions de grandes vagues de prestations « comiques » qui n’ont aucun rapport avec l’idée de découvrir le sens des choses; c’est une diversion. Les nombreux rigolos des communications, au mieux, ne produisent, en guise de réflexion et d’explications, que de vulgaires tapes sur le ventre.

Pareillement, une course d’auto « électrique », en plein centre-ville, dont un morceau passe sur le parvis d’une église catholique, - qui enterre les sermons du curé - financée par les contribuables au profit d’une organisation internationale privée, n’est qu’une célébration de l’automobile. C’est le seul sens qu’on peut lui donner, elle qui a le simple résultat de faire fuir les familles en banlieue et de faire de la Ville, un simple terrain de jeux pour touristes.

Ne parlons pas de la chaine des « festivals » du domaine public, gérée par le privé, qui a pour objet de répondre aux instincts grégaires d’une population en quête d’oubli et qui exproprie les espaces verts des quelques résidents qui restent.

Soyons sérieux! Lorsque, dans les années 60 le peuple d’ici célébrait sa fête nationale, au pied de Sa montagne, en allumant un grand feu de bois sur la plaine d’en bas, tout le monde en connaissait le sens. Les citoyens d’ici s’emplissaient la tête de mémoire, d’intention de vivre, de rappels de la nature. C’était le 23 juin et pour certains on accueillait l’arrivée naturelle de l’été; pour d’autres on y voyait la lumière du ciel. Tout le monde avait une certaine foi dans l’intelligence de la Terre et s’ouvrait au rituel du soir.

On a éliminé ce « feu de la Saint-Jean » parce qu’il voulait dire quelque chose. De l’avis de votre serviteur c’est parce qu’il fallait faire des citoyens du Québec de simples consommateurs « modernes », émiettés, pour écouler la production technologique et électronique du moment. Finies les croyances et le rêve du meilleur.

Je me suis trouvé à Cusco, la capitale Inca (au Pérou) il y a une vingtaine d’années. C’était le 23-24 juin, au moment de la fête nationale Inca (comme chez nous). Les Quechuas étaient réunis là, par milliers, dans les montagnes d’à côté, pendant quatre ou cinq jours, bien assis et tranquilles, pour célébrer quelque chose. Je voulais comprendre et j’étais bien placé sur une estrade pour bien voir.

Ces autochtones, comme on dit, assistaient là à flanc de montagne, silencieux, à une représentation de leur réalité; ils rendaient hommage à leur foi indigène. Les Incas, manifestement, avaient ainsi la tête pleine de leur symbolisme magnifique. Le sens de l’événement sautait aux yeux : l’Inca (le chef de l’Empire), tout emplumé, siégeait comme le Soleil au milieu du monde et sa femme, la lune, décorée de blanc, marchait tout autour de lui : les tribus de l’univers Inca, elles, diversement costumées selon les régions, représentaient les rayons du soleil, donc le Monde.

Les Incas, signifiaient ainsi, à en arracher les larmes, que leur vie intérieure était emplie de sens; ils célébraient leur désir d’exister en union avec les forces de la Nature.

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