L’Affaire Poggiolini. Comment la racaille parvient au sommet
LA VERSION DE DUKES ET COLL.
Il faut lire Pharmaceuticals, Corporate Crime and Public Health par les experts en politique du médicament Graham Dukes, John Braithwaite et J. P. Moloney, publié en 2014 chez Edward Elgar Publishing et gratuit en ligne, pour se renseigner sur dossier noir de la pharmacie européenne moderne. Dukes jouit d’une enviable réputation d’intégrité et fut l’un des pères de la pharmacovigilance.
http://johnbraithwaite.com/wp-content/uploads/2016/06/pharmaceuticals-corporate-cri.pdf
Le Pr Duilio Poggiolini est nommé en 1973 directeur des services pharmaceutiques italiens responsables des autorisations de mise sur le marché (ci-après AMM), des remboursements et des prix, avant d’être nommé en 1991 directeur du comité (dit le CPMP) qui homologue les nouveaux médicaments à l’échelle de la communauté européenne.
En septembre 1993 on arrête Poggiolini à Lausanne pour corruptions et fraudes au cours de ses fonctions en Italie ; on découvre alors 15 milliards de lires dans un compte au nom de sa femme Maria ; en fouillant leur villa suisse on trouve lingots d’or et d’argent, monnaies anciennes rares, objets en or, bijoux et pierres précieuses. Les différentes firmes pharmaceutiques associées à cet enrichissement ont bénéficié d’autorisations facilitées et d’augmentations de leurs prix.
Arrestation du professeur Duilio Poggiolini (1993)
Après une détention préventive, l’éminent professeur est condamné en 2000 à sept ans et demi de prison, et son épouse à quatre ans pour complicité. Bien que les sentences soient éventuellement réduites, un part substantielle de sa fortune est confisquée. La cour suprême italienne exige en 2012 la somme de 5 M€ pour compenser la corruption exercée entre 1982 et 1992. Il est révoltant qu’un tel personnage, si corrumpu, ait été élu (ou parachuté…) à la tête de la Commission européenne du médicament en 1991. Est-ce l’industrie qui tire les ficelles au parlement européen et à son Agence du médicament ? Poser la question… L’arrestation de Poggilioni a mis en évidence un système de corruption généralisée.
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LA VERSION DE MARC GIRARD
L'expert pharmaceutique français Marc Girard en brosse en 2017 un tableau plus incisif dans un de ses blogues qu’il sait toujours rendre provocants avec sa plume très aiguisée :
http://www.rolandsimion.fr/spip.php?article389:
« Globalement, savoir si les médicaments dits innovants le sont tant que ça est une question ancienne… qui renvoie forcément à la crédibilité plus que problématique des évaluations opérées par les agences sanitaires nationales ou internationales...
Juste pour rire un peu, et rafraîchir la mémoire des médias dont la fonction la plus naturelle devrait être d’entretenir la nôtre, rappelons que lorsqu’en septembre 1993, l’éminent professeur Poggiolini qui présidait aux destinées de la Commission d’AMM de l’Agence européenne du médicament, est sorti de chez lui en compagnie de son épouse les menottes aux mains et entre deux carabiniers (après une perquisition ayant notamment mis au jour le fabuleux trésor rassemblé en son domicile -- il a fallu aux policiers pas moins de douze heures rien que pour faire l’inventaire des bijoux, monnaies précieuses et autres objets de luxe dissimulés jusque dans les coussins du sofa -- en sus du non moins fabuleux montant des sommes placées sur le compte suisse de son épouse, soit 15 milliards de lires)…
Il a suffi d’une petite journée de travail audit CPMP (la commission d’autorisation), sous l’énergique influence de son successeur (le non moins éminent professeur Alexandre1), pour ‘vérifier’ que les évaluations précédentes de la commission d’AMM n’avaient en rien été corrompues par les liens de son ancien président : cette absolution express du CPMP européen laissant ouverte la question de savoir au nom de quoi l’intéressé a finalement été condamné à 7 ans et demi de prison ferme (4 pour son épouse) adjoints d’une amende de 5 164 569 € – après confiscation de sa fortune, cela va de soi.
Malgré sa relative ancienneté, j’ai gardé un souvenir assez vif de cette histoire et me rappelle, notamment, mon incrédulité stupéfaite devant l’empressement quasi unanime du milieu à agréer une absolution de l’administration européenne aussi invraisemblable dans ses modalités que dans ses conclusions : il fallait admettre, en effet, que les leaders de Big Pharma avaient été assez cons pour couvrir d’or et de bijoux le numéro un de l’évaluation européenne sans que celui-ci ne leur accorde le moindre avantage en retour… »
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LA VERSION DE PASCAL SACRÉ
Le médecin belge Pascal Sacré nous rappelle en 2010 quelques faits contextuels:
https://www.mondialisation.ca/pand-mie-de-grippe-h1n1-cru-2009-quoi-de-neuf-docteur/18756
« En 1991, Francesco de Lorenzo, ministre italien de la santé, a touché de nombreux pots de vin de plusieurs laboratoires, dont SmithKline Beecham. Le pdg de ce labo qui fabrique le vaccin anti-hépatite B a avoué avoir donné au ministre 600 M de lires quelques mois avant que ce dernier rende la vaccination obligatoire dans son pays. Francesco de Lorenzo a été inculpé et condamné à plusieurs années de prison ferme ainsi que Paolo Cirino Pomicino, ancien ministre du budget et le Pr Duilio Poggiolini, à la tête de la Direction du médicament. Celui-ci avait été président de l’Ordre des médecins, mais aussi membre influent des instances européennes du Médicament. Le journal Scrip n’a pas hésité à publier les montants des pots-de-vin généreusement distribués par Glaxo, Pfizer, Schering et SmithKline. À lui seul, le PrPoggiolini aurait touché plus de 60 M $.»
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LE MOT DE LA FIN
Les anglophones ont une expression qui convient parfaitement à l’affaire Poggiolini et à la scène médico-pharmaceutique: « Scum often rises to the top ». Si la racaille parvient souvent au sommet, il convient maintenant poser la question : pourquoi ?Quand on demandait à John Saul ‘la question qui tue’ (Qui sont les principaux clients des infâmes fabricants et trafiquants d’arme?), il répondait : Les gouvernements.
Note
1 Relié au scandale du Mediator par son association avec Servier.