L'adulte, mythe ou réalité

Olivier Reboul

Cet article a d'abord paru dans le numéro 9 de la revue Critère, Normalité et maturité, juin 1973.

«Le vingtième siècle sera le siècle de l'enfant»: dans quelle mesure cette prophétie d'Hellen Key s'est elle réalisée, et comment, il est encore trop tôt pour le dire. Ce qu'on sait, en tout cas, c'est qu'elle n'est pas restée lettre morte. La psychologie de l'enfant a renouvelé la connaissance de l'homme. La pédagogie prétend, avec Claparède, avoir accompli sa «révolution copernicienne» en centrant l'éducation non plus sur l'adulte à venir, mais sur l'enfant, sur ses intérêts et son expérience à lui. Autre fait décisif: la découverte du concept de «jeunesse», qui est en passe de devenir l'absolu de la conscience collective du monde moderne. Un auteur du XVIle siècle pouvait écrire que la vie humaine ne commence qu'à vingt ans, quand la raison l'emporte sur l'aveuglement et les passions du premier âge: «Devant ce terme, l'on est enfant, et un enfant n'est pas un homme»1 Aujourd'hui, on tendrait à croire qu'un homme perd toute valeur, toute beauté, tout crédit, voire toute raison d'être à mesure qu'il s'éloigne de ses vingt ans, qu'on cesse d'être homme du moment qu'on cesse d'être jeune. Aujourd'hui, il n'y a plus de grandes personnes. Et c'est pourquoi il est si difficile d'être adulte.

La difficulté vient surtout de ce que l'adulte lui même est incapable de revendiquer son statut, de le définir comme tel, incapable même de savoir ce qui qualifie cette existence qui est la sienne entre la fin de l'adolescence et la vieillesse. A force de nous tourner vers l'enfance, nous finissons par oublier que les concepts d'enfant et d'adulte s'impliquent réciproquement, et qu'en omettant le second on perd toute intelligence du premier. Là où l'adulte échoue à trouver son statut, l'enfant est en péril de perdre le sien. Et j'ajouterai: là où l'on disqualifie la vieillesse, la jeunesse risque d'être elle même flouée, puisque son avenir ne débouche plus sur rien. Dans notre siècle de l'enfant, il est peut être urgent de savoir ce que c'est qu'être adulte.

L'ADULTE POUR LE SENS COMMUN

Le mot adulte n'est pas un terme technique, propre aux sciences humaines ou à la philosophie: il appartient au commun langage, et c'est à ce niveau qu'il faut d'abord le prendre et le comprendre.

Maturité et majorité

Au premier abord, il signifie l'achèvement d'une croissance. Or cet achèvement lui même s'exprime par deux mots qui ne sont pas synonymes: maturité et majorité. La maturité, concept biologique et, par extension, psychologique, signifie l'état d'un organisme qui a atteint son plein développement; le signe le plus clair en est l'aptitude à la reproduction. La majorité, concept d'ordre juridique et social, est l'âge légal où l'on attribue à l'être humain l'entière responsabilité de ses actes, ainsi que les droits qu'elle implique; être majeur, c'est être homme ou femme à part entière, c'est pouvoir exercer les rôles essentiels à la vie sociale, dont les principaux sont le mariage, le métier, la citoyenneté, le plein usage de ses biens et pour l'homme, le service militaire. Il va de soi que l'âge~ de la maturité n'est pas toujours identique à la majorité; dans nos sociétés industrielles, l'âge où l'on peut exercer un métier, l'âge de la production est nettement postérieur à celui de la reproduction; et Rousseau voyait déjà dans ce décalage une des grandes sources de nos misères. Quant à la maturité psychologique, cette sûreté de jugement qu'on n'acquiert que par une longue expérience, elle n'arrive que fort tard, parfois même jamais.

Différents l'un de l'autre, ces deux concepts sont, chacun, relatifs. La maturité biologique varie avec les époques et les climats. Quant à la majorité, chaque civilisation et même chaque période de l'histoire la déterminent à leur manière. Dans les sociétés archaïques, l'accès à l'état
adulte ne va pas de soi; l'individu doit authentifier son changement d'âge par des rites de passages, épreuves douloureuses et dangereuses, qui symbolisent à la fois la mort de l'enfant et la naissance de l'homme. Si dans notre civilisation les rites de passages (examens, initiations, service militaire, etc.) sont moins précis, il reste que l'état adulte est déterminé par un code, juridique ou moral; comme le dit Philibert 2 l'échelle des âges n'est jamais un tapis roulant. Il faut passer à l'âge adulte, et ce passage n'est pas garanti pour tous également. Ainsi, dans les civilisations antiques, il semble qu'on est plus ou moins «majeur» selon la fonction sociale qu'on assume; lorsque Platon affirme qu'il faut cinquante ans pour faire un homme,3 cet homme fait se limite à la caste des gardiens philosophes; les autres terminent leur éducation bien plus tôt et sont par là même moins adultes puisque, n'ayant pas accès aux vertus supérieures (courage, sagesse), ils ne disposent pas de l'autorité qu'elles confèrent. Chez Aristote, le maître est plus adulte que l'esclave, le contemplateur que l'artisan, le sage que l'intempérant, le vieillard que le jeune homme, le mari que la femme. Notre civilisation a sans doute «démocratisé» le concept d'adulte, mais plus dans les institutions que dans les consciences; on entend souvent dire que les prolétaires ne sont pas mûrs, que les femmes ne sont pas majeures, que les indigènes sont de grands enfants. Le plus révoltant dans ce genre d'affirmation est la part de vérité qu'elle comporte; une société qui traite toute une catégorie d'hommes en irresponsables peut se justifier ensuite en arguant de leur infantilisme. Et si tant d'opprimés s'avèrent finalement plus mûrs que leurs oppresseurs, ce n'est pas tant grâce à la société où ils vivent que contre elle.

Un concept ambigu


Concept relatif, l'être adulte est aussi un concept ambigu. Etymologiquement, adultus signifie «qui a cessé de croître», par opposition à adulescens. Or cette idée d'achèvement, si claire quand il s'agit d'un animal, risque d'occulter la notion même de l'homme. Un homme fait, ce peut être un homme parfait, qui a atteint sa stature; ce peut être un homme fini, dont on n'a plus rien à attendre, sinon qu'il répète indéfiniment les mêmes gestes et s'enferme à jamais dans son rôle. Ainsi le sens commun définit il l'adulte par des caractères, ou des critères, qui s'accordent mal entre eux. On le veut raisonnable et en même temps respectueux d'institutions et de traditions par essence étrangères à la raison. On le veut responsable, mais on le corsette dans des rôles dont il ne peut sortir sans déroger aussitôt à sa dignité de grande personne. On le veut créateur, mais on lui impose un tel conformisme que les rares créateurs qui surgissent dans notre civilisation passent presque toujours pour des excentriques ou des inadaptés. On le veut achevé, et ce terme lui même, en son double sens d p accompli et de terminé, exprime bien l'idée d'une réussite qui peut être le pire échec. Comme le dit (en substance) Hegel: «A la hauteur où un homme a cessé de croître, je mesure la profondeur de sa chute».

Mais la difficulté majeure tient au type même d'existence qu'on attribue à l'être adulte. S'agit il d'une réalité ou d'un idéal? Une réalité: il est bien évident pour tout le monde qu'on peut vivre toute une vie sans être vraiment adulte, «pourrir avant d'avoir mûri»4. Un idéal, une valeur limite que nul homme n'atteindrait jamais tout à fait, mais qui resterait comme l'idée régulatrice de toute croissance? Le commun langage ne va pas jusque là: «Tu es un homme; cesse donc de faire l'enfant». C'est qu'il faut être un homme pour faire l'enfant; l'infantilisme n'est pas de l'enfant, mais de l'homme. Ce terme est sans doute le plus propre à nous faire comprendre, par antonymie, ce qu'on attend de l'adulte.

L'infantilisme

Qu'est ce que l'infantilisme? Le fait de se conduire comme un enfant quand on a cessé de l'être. C'est d'abord l'impuissance à voir les choses telles qu'elles sont, ou le refus de les prendre pour ce qu'elles sont, de distinguer ce qu'on sait de ce qu'on croit; c'est prendre ses désirs pour la réalité. C'est par là même l'inaptitude à s'abstraire du présent, à vouloir les moyens des fins que l'on désire, à se soucier des conséquences réelles, c'est-à dire lointaines, de ses actes, ce qui ramène ceux ci au niveau ludique. C'est, dans le domaine affectif, un égocentrisme foncier, un narcissisme non surmonté qui explique que, dans ses amours comme dans ses haines, l'individu n'a jamais affaire qu'à soi, s'avère incapable de rencontrer l'autre comme autre et d'assumer cette rencontre. Enfin l'infantilisme se traduit par une soumission ou par un refus, également fanatiques, à l'égard de toute autorité; attitudes propres à des sujets qui n'ont pas surmonté les autorités subies durant leur enfance, qui n'ont pas su concilier l'obéissance extérieure et l'autonomie intime; aussi leur soumission ou leur révolte ne provient elle pas de ce que les autorités de fait sont réellement justes ou injustes, mais de ce qu'ils transfèrent sur elles la cause d'une impuissance non surmontée. Etre infantile, c'est être irresponsable.

Bref, le commun langage reconnaît à l'état adulte un double caractère: un caractère de fait, ne plus être enfant; un caractère de droit, ne pas être infantile. Or tout ce qui s'oppose à l'infantilisme peut se résumer d'un mot, le sérieux. Sérieux, cela s'oppose tout ensemble à dérisoire, futile, frivole, amusant, comique, inconséquent, débauché, puéril! Sérieux, c'est le propre d'une entreprise qui a des conséquences tant pour autrui que pour soi même, d'une décision dont on sait qu'elle sera maintenue, d'une situation difficile, dont on ne peut se moquer et dont il faut pourtant venir à bout: insurmontable, la situation ne serait plus sérieuse, mais tragique. Sérieux, c'est ce qui oppose l'adulte, non pas à l'enfant, mais à l'adulte qui fait l'enfant. Un romancier contemporain écrit ainsi:

Je me demande si la guerre n'éclate pas dans le seul but de permettre à l’adulte de faire l'enfant, de régresser avec soulagement jusqu'à l'âge des panoplies et des soldats de plomb ( ... ) Le drame, c'est que cette régression est manquée. L'adulte reprend les jouets de l'enfant, mais il n'a plus l'instinct de jeu et d'affabulation qui leur donnait leur sens originel ( ... ) Le sérieux meurtrier de l'adulte a pris la place de la gravité ludique de l'enfant dont il est le singe, c'est à dire l'image inversée.5


Le sérieux de l'enfant


Il existe un sérieux de l'enfance, mais il est difficile de le situer. L'enfant connaît des souffrances terribles, mais son impuissance même à les surmonter les rend moins sérieuses que tragiques. D'autre part, l'enfant peut s'engager à fond dans ses jeux: est ce à dire qu'ils sont sérieux? Quoi qu'on puisse penser du jeu, puéril ou viril, on s'interdit d'y rien comprendre si l'on ne voit pas que toute la beauté, toute la vérité du jeu vient de ce qu'il s'oppose au sérieux. Le jeu est gratuit: on ne joue pas pour gagner quelque chose, mais pour jouer. Le jeu est libre: forcé, il cesse ipso facto d'être amusant. Le jeu est hors de la vie: il se déroule dans un espace clos (le terrain, la table, l'échiquier) et dans un temps distinct. Le jeu est autonome: ses règles ne sont pas imposées, mais posées, ou du moins acceptées, par les joueurs. Une question difficile est de savoir ce qui distingue le puer ludens de l'homo ludens; peut être l'enfant qui joue est-il, comme le suggère Piaget6 bien plus tôt adulte que l'enfant à l'école et même bien plus adulte que les grandes personnes dans leur vie professionnelle, sociale, familiale, où elles ont si peu l'occasion de pratiquer l'autonomie et la démocratie telles qu'elles fleurissent dans une partie de billes ... Une chose en tout cas me paraît certaine, c'est que le jeu est le domaine privilégié, le seul peut être, où sur un pied d'égalité le père puisse rencontrer le fils, le maître l'élève, l'adulte l'enfant; le domaine où chacun, en se récréant, puisse se recréer, récapituler tous les âges de sa vie. Divertissement? Mais le divertissement de Pascal ou de Heidegger, c'est surtout le travail, le souci, la passion, tout ce par quoi nous tentons de nous masquer notre misère et notre angoisse, tout ce qui nous permet de nous prendre au sérieux. Le jeu refuse de se prendre au sérieux; il est le divertissement qui se donne pour tel; toute la vérité du jeu est
de reconnaître, comme dit si bien l'enfant, que «ce n'est pas pour de vrai».

' Qu'est ce qui est «pour de vrai»? Le sérieux de l'enfant, n'est ce pas sa croissance même, cet élan par lequel il se dépasse sans cesse et oublie chaque jour l'enfant qu'il était la veille? Le sérieux de l'enfant, c'est de grandir, et il n'y a pas d'autres sérieux au monde, peut être; car le reste: l'importance du rôle qu'on joue, de la tâche qu'on accomplit, c'est le sérieux extérieur. En fait, la véritable ambiguïté du mot sérieux vient de ce qu'il s'applique aussi bien aux choses qu'à l'homme, à la maladie qu'au médecin, à la tiare qu'au Pape. Se prendre au sérieux, c'est s'identifier à l'importance des choses, à son costume, à son rôle, à sa réussite.

Le sérieux de l'adulte

Etre adulte, c'est plus qu'être sorti de l'enfance, c'est surmonter l'infantilisme. C'est être sérieux, mais en évitant de se prendre au sérieux, autre forme d'infantilisme. Voilà semble t il ce que nous enseigne le commun langage. Est ce suffisant? Les sciences humaines peuvent elles nous donner une connaissance plus objective et plus précise de l'être adulte?

L'ADULTE ET LA PSYCHOLOGIE GÉNÉTIQUE


Dans les limites de cet article, je ne retiendrai des sciences humaines que la psychologie génétique, celle qui explique les structures par leur genèse, l'homme à partir de l'enfant qu'il a été. Et je me bornerai à ses deux grandes figures, Piaget et Freud.

Jean Piaget et l'adulte

On connaît les grands principes de Piaget: l'affirmation que l'enfant passe nécessairement par des stades, dont chacun constitue un équilibre, mais incomplet, et qui par là même exige l'accès à un stade supérieur; l'idée que l'intelligence est liée nécessairement à l'action et à la coopération; enfin le postulat d'un parallélisme, d'ailleurs assez imprécis, entre l'ontogenèse et la psychogenèse, qui permettrait de rapprocher la pensée de l'enfant de celle du primitif. Dans cette perspective, qu'en est il de l'adulte?

Intelligence et morale adultes


C'est au sujet de l'intelligence que Piaget s'explique le plus clairement. L'intelligence achevée se caractérise par un équilibre stable; alors qu'aux premiers stades, le passage à un nouvel équilibre détruisait les précédents, au stade opératoire, chaque acquisition s'intègre aux précédentes; de même en science, un nouveau principe conserve les anciens, au moins à titre d'approximations valables à une échelle donnée: «On retrouve le même phénomène, mais en petit, dans la pensée de tout homme équilibré».7 L'intelligence achevée est aussi un équilibre mobile, faits d'échanges qui se balancent, de transformations compensées; elle n'a rien à voir avec la stabilité rigide, qui serait plutôt un signe de sénilité. L'intelligence achevée est réversible: elle retrouve les parties dans le tout, la cause dans l'effet, le passé dans le présent, capable ainsi «de remonter le cours du temps, et de s'affranchir de celui ci pour atteindre l'implication logique pure»;8 c'est encore la science qui nous fournit l'exemple parfait de concepts et d'opérations réversibles, comme l'espace, le nombre, la conservation de l'énergie, les classifications, etc. L'intelligence achevée est décentrée; surmontant l'égocentrisme enfantin, elle peut juger en faisant abstraction du corps, de l'ici et du maintenant, du point de vue; tout progrès scientifique n'est il pas d'abord une décentration, comme Galilée par rapport au géocentrisme? Enfin l'intelligence achevée est réciproque: égocentrique, l'enfant ne peut admettre d'autres points de vue que le sien, puisqu'il ignore que c'est un point de vue; la conscience du «je pense» passe par celle du «tu penses», l'opération par la coopération.9 Posons dès maintenant la question: cette intelligence achevée est elle celle de l'adulte ou celle du savant?

Un autre domaine significatif est celui de la morale. Le jugement moral s'élabore chez l'enfant selon les mêmes stades que l'intelligence. On connaît l'étude pénétrante de l'auteur à propos des règles du jeu de billes; ce n'est qu'à partir de huit ans que les enfants prennent conscience que les règles ne sont pas des tabous, qu'elles viennent des joueurs eux mêmes, et qu'on peut les changer à condition de les respecter une fois posées; vers l'âge de 12 ans, la morale de la coopération remplace celle de la contrainte, le respect mutuel remplace le respect unilatéral envers l'adulte; la faute n'est plus comprise comme un écart, mais comme une tricherie; la responsabilité n'est plus extérieure, mais subjective. Disons que les joueurs de billes de 12 ans comprennent et pratiquent l'autonomie morale, la réciprocité et la démocratie, préfigurant ainsi ce qu'est ou devrait être la morale adulte.

«L'étalon adulte»

On a fait à Piaget deux critiques opposées. La première lui reproche de surévaluer l'enfant au détriment de l'adulte.10 Est il vrai que la société des enfants qui jouent soit plus autonome et démocratique que le monde adulte, et peut on fonder là dessus, comme le prétend l'auteur, une pédagogie active, coopérative, antiautoritaire? Pourtant les jeux de l'enfant ne sont pas si harmonieux; on y rencontre pas mal de violence, de domination et d'ostracisme. Une seconde critique11lui reproche au rebours de juger du niveau des enfants en prenant l'adulte pour norme, un adulte étalon (sans jeu de mots ... ), rigide et conventionnel, à l’esprit déterministe, antifinaliste, mécaniste, matérialiste et , last but not least, disciple de F. de Saussure; c'est méconnaître non seulement la richesse de l'enfance, mais encore ce que le génie adulte doit à une enfance conservée; sans la participation et le syncrétisme enfantin, connaîtrions nous le sentiment, l'art, la poésie?

Adulte étalon ou enfant étalon? Piaget dirait sans doute que le problème est mal posé. Dans le cas de l'intelligence, il prend comme étalon non pas la pensée adulte mais la logique scientifique et constate qu'elle est inaccessible à l'enfant tant qu'il n'en a pas franchi les étapes préliminaires. Dans le cas de la morale, il pose comme étalon une éthique rationnelle, autonome et démocratique, et constate qu'elle est pratiquée davantage dans les jeux que dans la vie. Il reste que, s'il a défini très précisément les stades de l'enfant par rapport à ces étalons théoriques, il nous laisse perplexes quant au niveau propre à l'adulte.

Pour l'intelligence, il semble que Piaget en détermine le stade final par des performances dont peu d'hommes mûrs sont en fait capables. Ainsi, dans sa belle étude sur la genèse de l'idée de hasard," il montre que l'adolescent acquiert le concept de probabilité, mais ne comprend pas la loi des grands nombres. En va t il autrement chez la plupart des adultes? L'idée de chance et de malchance, la floraison des horoscopes, montrent que ceux ci ne possèdent que rarement le concept de compensation statistique. De même lorsqu'il reproche à Aristote de «revenir au sens commun» dans sa doctrine de la causalité, Piaget omet de dire que peu d'adultes sont capables, aujourd'hui encore, de dépasser la fameuse doctrine aristotélicienne des quatre causes.13 Entre la pensée adolescente (stade des opérations formelles) et la pensée scientifique s'ouvre un formidable hiatus, et c'est dans ce hiatus que se situe le sens commun, le commun langage, la pensée de l'adulte moyen: autrement dit la vôtre et la mienne dès que nous cessons d'être spécialistes.

Adulte: norme ou fait?

En tout cas, la maturité apparaît chez Piaget tantôt comme une norme, tantôt comme un fait. Une norme: il écrit ainsi, en opposant la pensée adulte au «réalisme intellectuel» de l'enfant: «Pour nous, (la) réalité est donnée par l'expérimentation, et ses lois sont contrôlées incessamment». 14

Ce pour nous désigne les hommes mûrs. Mais Piaget affirme par ailleurs:

Il existe des adultes restés égocentriques dans leur manière de penser. Ce sont des êtres qui interposent entre eux et le réel un monde imaginaire ou mystique et qui ramènent tout à ce point de vue individuel.15


Comment expliquer ce décalage entre l'adulte idéal, à l'esprit scientifique, objectif, décentré, et, les adultes de fait? Peut être trouvons nous un embryon de réponse dans La Psychologie de l'intelligence, qui dit qu'un équilibre final est atteint «lorsque la société n'exerce plus de contrainte déformante sur l'individu, mais anime et entretient le libre jeu de ses activités mentales» (p. 198).

Quelle société? Ici il faut se reporter au jugement moral. Comment se fait il, demande l'auteur, que la pratique de la démocratie soit si avancée chez les joueurs de billes de 12 ans alors qu'elle est ignorée de l'adulte en bien des domaines? C'est que la morale de la coopération n'est possible que dans certaines limites; l'homme, même le plus raisonnable, est enserré dans une foule de règles qu'il ne peut mettre en question. D'autre part, si la société des enfants est relativement homogène et égalitaire, si l'enfant qui joue n'a pas d'aîné, chaque génération adulte se heurte au poids des générations passées et doit se plier à leurs habitudes, traditions, institutions. Enfin si, hors du jeu, le réalisme moral de l'enfant persiste parfois durant toute la vie, c'est qu'il est renforcé et fixé dès le départ par l'autoritarisme des parents et des maîtres, qui prétendent faire sentir à l'enfant «une volonté au dessus de la sienne»; devenu à son tour une grande personne, il reprendra la même attitude à l’égard des jeunes.16

Bref, on pose un adulte idéal, logicien, scientifique, objectif, autonome et démocrate, qui n'est pas l'adulte véritable. Piaget laisse entrevoir cet écart sans en préciser la cause, sans en mesurer la portée. Il constate que la famille est souvent possessive et répressive, sans se demander si ce n 1 est pas là son essence; il remarque en passant que la société n'est pas encore très démocratique, ni même très logique, mais sans en chercher les causes réelles. Cette psychologie de l'intelligence, qui réussit sûrement à en déterminer les étapes, échoue à en saisir le drame.

L'adulte chez Freud

Le drame, nous le trouvons dans toute sa dimension dans l'œuvre de Freud. La découverte de la sexualité infantile, de, ses étapes et du complexe d'Oedipe, nous montre en effet que devenir adulte est non seulement difficile, mais dramatique. A ce point qu'on se demande même si l'on y parvient jamais. Freud écrit:

On pourrait définir le traitement psychanalytique comme une éducation progressive pour surmonter chez chacun de nous les résidus de l'enfance.17


Mais il affirme aussi d'autre part:

Quand l'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné à rester à jamais un enfant, qu'il ne pourra jamais se passer de protecteur ... 18


Bref, il s'agit de savoir non seulement ce que c'est qu'être adulte, mais s'il est possible de l'être. Pour mieux cerner le problème, j'aborderai le concept d'adulte chez Freud par quatre pistes d'approche: les perversions, le meurtre du père, la distinction entre principe de plaisir et principe de réalité, le surmoi et la morale.

1- La sexualité adulte et les perversions

Les Trois essais sur la théorie de la sexualité nous indiquent ce que peut être la sexualité adulte en partant de l'étude des perversions et de la sexualité infantile. Les perversions, qu'elles portent sur l'objet sexuel (e.g. l'homo sexualité) au profit d'une d'entre elles, qui, de moyen ou d'étape, devient la fin de la vie sexuelle. Cette dissolution est en fait une régression. C'esl que la sexua¬lité est un complexe qui s'édifie durant toute l'enfance en passant par des stades; de même que, chez Piaget, l'intel¬ligence logique passe nécessairemenl par îles étapes pré logiques, les stades de la sexualité enfantine SOni considé¬rés par Freud comme la préparation nécessaire a la sexua lité adulte complète. Le plaisir «erotique» de l'enfanl (e.g. le baiser, qui correspond au stade «oral»), va demeurer dans la sexualité «génitale» adulte a titre de plaisir pré liminaire, qui ne se termine pas en lui même mais crée au contraire une tension plus forte et plus pénible, jusqu'à la décharge finale de l'acte sexuel.19Dans les perversions, le sujet ne peut dépasser ce plaisir préliminaire, il y de¬meure bloqué. Ainsi le voyeur fait-il, de ce qui n'en est nor-malement qu'une étape, le but de sa vie sexuelle. Ces per¬versions ne sont pas des péchés, mais des maladies, car elles constituent un retour ou une fixation de la libido à un stade infantile, une sexualité qui est de l'adulte mais qui n'est pas adulte. Ainsi les homosexuels:

Au cours de leur évolution de l'auto-érotisme, ils se sont fixés à un point intermédiaire plus rapproché du premier que du second {Cinq psychanalyses. P.U.F., 1965, p. 171).

De même, si l'on admet que la névrose est «le négatif de la perversion», «les névrosés sont restés à l'état infantile de la sexualité, ou sont retombés dans cet état» (TE, p. 62).


Trois conclusions se dégagent de cette étude. D'abord la sexualité adulte normale est une synthèse de toutes les pulsions erotiques, au service de la fonction reproductrice; elle est centrée non plus sur le moi, mais sur un objet extérieur. Or cette synthèse est toujours difficile et fragile; pour devenir adulte, l'individu doit non seulement se dé¬tacher de son narcissisme mais renoncer aux premiers objets que la vie lui offre, le père et la mère: «le chemin de la réalité est jalonné d'objets perdus».20 Mutation difficile, où beaucoup échouent. D'où la conclusion finale: cet échec qui se traduit par la perversion ou par la névrose, est toujours une régression, «une marque d'infantilisme »21 La théorie freudienne de la perversion illustre, sur le plan sexuel, la formule de Hobbes, malus puer robustus: tout le mal, en l'occurrence la maladie, vient de la violence des pulsions infantiles non intégrées, qui nous empêchent d'être adultes.

2-Le meurtre du Père et la religion

Le «meurtre du Père» est devenu un thème très courant, Ce qu'on oublie souvent, c'est qu'il ne signifie pas chez Freud une libération, mais au contraire un poids de culpabilité que l'individu et la société doivent porter à jamais.

Totem et tabou se propose d'expliquer les deux grands interdits de la société totémique, la prohibition de l'inceste et l'interdiction de tuer (ou manger) l'animal totem. Ces tabous, où l'auteur voit toutes les caractéristiques de la névrose, il en rend compte grâce à une hypothèse tirée de Darwin, mais inspirée surtout par le complexe d'Oedipe22, celle de la horde primitive, dominée par un père tout puissant, et qui interdit aux fils, sous peine de mort ou de castration ' la possession des femmes de la horde; chassés, les frères se seraient associés, puis auraient tué et mangé le Père.23 Je ne discute pas ici de la valeur «historique» de cette hypothèse, que Freud lui même qualifie de «mythe scientifique»24Ce sont ses conséquences qui importent. Le sentiment des fils pour le Père était ambivalent, fait d'admiration autant que de haine; son meurtre va créer en eux une culpabilité insurmontable qui les empêchera à jamais d'en profiter: «Le mort devenait plus puissant qu'il ne l'avait jamais été de son vivant»;25 ainsi, par «une obéissance rétrospective »,26es fils s'interdisent maintenant ce que le Père, par sa seule présence, prohibait: manger le totem (substitut symbolique du Père mort) et posséder les femmes du clan. C'est donc le sentiment de culpabilité qui engendre les deux tabous sur lesquels repose toute société humaine, et qui correspondent aux deux désirs réprimés du complexe d'Oedipe, tuer le père pour épouser la mère27 Le meurtre du Père n'a fait qu'intérioriser la contrainte, qui ne repose plus sur la force physique mais sur le remords et qui va se développer dans le droit, la morale et la religion. Peut on parler d'une émancipation?

Sur le plan social et politique, il n'en est rien. Psychologie collective et analyse du moi affirme que l'homme est un animal de horde qui, comme tel, a besoin d'un berger, d'un leader dans lequel tous retrouvent en quelques sorte le Père primitif28 L'avenir d'une illusion précise que la civilisation oppose une contrainte constante aux instincts individuels, contrainte exercée à la fois par les institutions et par les chefs; si toutes les entraves sociales étaient rompues, on retomberait non pas à l'anarchie, mais à la horde primitive dominée par un dictateur, nouveau Père tout puissant.29

Autre conséquence, si le meurtre du Père empêche l'homme de s'émanciper, il ruine aussi tout espoir de bonheur. «Pour semblable qu'il soit à un Dieu, l'homme d'aujourd'hui ne se sent pas heureux»30 C'est là le grand thème de Malaise dans la civilisation, qui nous montre que l'adulte est celui qui a dû renoncer à une part de bonheur pour obtenir une part de sécurité.31 Or la principale cause de nos souffrances n'est pas dans notre corps ou dans le monde extérieur, mais dans l'instinct d'agressivité que la société, à moins de périr, ne peut que réprimer férocement. Mais, réprimée, l'agressivité n'est pas détruite, elle se retourne contre le moi; l'agression entravée devient auto agression. D'où le sentiment de culpabilité, angoisse de la conscience non pas devant le mal commis, mais devant la tendance à le commettre. Cette angoisse est toujours celle de l'enfant qui se sent menacé, par sa faute, d'être privé de l'amour des parents32 D'où le problème: s'il existe une culpabilité d'origine historique, causée par le meurtre, réellement commis, du Père de la horde, comment expliquer que l'homme se sente aussi coupable alors qu'il n'a commis aucun meurtre, qu'il a tout au plus risqué de mécontenter son père réel?33 C'est que le meurtre primitif engendra le remords, d'où les interdits et les institutions destinés à empêcher le retour du crime; or, comme à chaque génération, l'agressivité contre le père renaît tout entière, le surmoi doit la réprimer, il la change donc en auto agression et renforce ainsi la culpabilité au point de la rendre peut être insupportable, à mesure que la civilisation progresse: «Il est donc exact que le fait de tuer le père, ou de s'en abstenir, n'est pas décisif; on doit nécessairement se sentir coupable dans les deux cas» (MC 91). Le meurtre du Père ne libère pas plus l'homme de la souffrance intérieure que de la contrainte sociale; il est l'origine permanente de l'une et de l'autre.

Pour le dire autrement, il ne libère pas l'homme de la religion; il en est la racine. On sait que Freud voyait dans la religion non seulement une erreur, mais une illusion, voire la grande névrose obsessionnelle collective qui nous guérit d'ailleurs des névroses privées .34 Ce qu'il faut noter, avec Paul Ricoeur, 35 c'est qu'il refuse, à l'encontre d'un Hegel ou d'un Comte, toute idée d'un progrès possible de la religion. Le libéralisme protestant de son ami Pfister lui paraît tout aussi mystificateur et aliénant que le dogmatisme le plus aveugle.36 Sans doute la religion a-t-elle une histoire: les dieux succèdent aux totems, puis font place au Dieu unique et tout puissant; mais, sous sa forme la plus haute, la religion monothéiste ne fait que ramener au jour le Père unique et tout puissant de la horde; 37 on n'a fait que «tourner en rond». Le meurtre du Père est en effet l'obsession universelle que l'homme ne peut effacer de sa mémoire; chaque religion va chercher à l’expier par de nouvelles formes de sacrifices, jusqu'à la Cène, survivance du repas totémique, de même que les dogmes du péché originel et du sacrifice du Fils ne font que manifester, sous la forme la plus universelle, le sentiment primitif de culpabilité. 38Sans doute la religion se distingue t elle de la morale; sa fonction n'est pas tant de nous imposer des sacrifices que de nous consoler de ceux que la vie et la société nous imposent, en imaginant une providence bienveillante à l'œuvre derrière les forces aveugles du monde, une justice au delà de la mort.39 Mais c'est cette fonction même de consolation qui la rend suspecte; la religion s'accorde trop bien avec notre désir pour pouvoir être vraie .40

Maintenant, même illusoire, la religion ne peut elle prendre une forme adulte? L'avenir d'une illusion se demande en effet comment concilier deux explications de la religion, l'une qui la fait naître du meurtre du père et du remords qui en résulte, donc de l'enfance, l'autre qui l'explique par la détresse humaine devant la nature et la société, détresse proprement adulte. Il y a pourtant un lien entre la détresse de l'adulte et celle de l'enfant, et l'homme tente spontanément de surmonter la première, de se réconcilier avec le monde, en utilisant le même matériel par lequel l'enfant et le genre humain dans son enfance a surmonté son angoisse devant le Père. Autrement dit, quand l'homme se sent perdu sans défense devant les forces anonymes et souveraines du monde extérieur,

Il prête alors à celles ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux, dont il a peur, qu'il cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche de le protéger (AI, p. 33).

La religion, à quelques niveau qu'on la prenne, est ce qui maintient l'homme dans l'infantilisme .41 Et l'on peut conclure en disant que le meurtre du père, qui est ce qui rend l'homme civilisé, ne rend pas l'homme adulte.

3- Principe de plaisir et principe de réalité


Maintenant, n'est il pas possible de dépasser la religion) Une telle possibilité est déjà indiquée dans Totem et tabou (p. 103 à106), qui associait les trois phases de l'humanité à celles de la libido individuelle. La phase animiste, celle de la toute-puissance du désir, correspond au stade narcissique; la phase religieuse, où les hommes cèdent leur puissance aux dieux tout en se réservant le pouvoir de les influencer, correspond au stade d'objectivation, où la libido se fixe sur les parents; la phase scientifique, où l'homme reconnaît sa petitesse devant un monde anonyme et se résigne à la mort, «a son pendant dans cet état de maturité où l'individu renonce à la recherche du plaisir et subordonne son choix amoureux aux convenances et aux exigences de la réalité» (TT, p. 106).

L'état adulte, c'est donc le triomphe du principe de réalité sur le principe de plaisir. Or ce triomphe n'est vraiment possible que par la science, car elle seule permet à l'homme de renoncer non seulement aux objets archaïques perdus ou interdits, les parents, mais aux dieux qui les remplacent et consolent de leur perte en permettant au principe de plaisir de poursuivre indéfiniment son rêve de toute puissance et d'immortalité. La science seule peut détruire l'illusion religieuse, qui se rattache «à l'état infantile de dépendance absolue, ainsi qu'à la nostalgie du père que suscite cet état» (MC, p. 15); car la science seule nous montre dans la réalité un ordre anonyme et impersonnel, l'anankè. L'anankè, qui couronne la dissolution du complexe d'Oedipe, c'est la réalité sans nom pour qui a renoncé au père et accepte la désillusion, c'est le monde sans visage tel qu'un moi adulte est capable de Faffronter42. Maintenant, l'objectivité scientifique nous apporte t elle autre chose qu'un constat d'échec? Peut on fonder sur elle une éducation, une thérapeutique, une éthique? De la science adulte peut il naître une morale adulte capable de réaliser cette réconciliation de l'homme avec la nature et la société, que la religion rendait possible sur un plan illusoire?

L'avenir d'une illusion
, on le sait, relève le défi et proclame que la science peut remplacer la religion, réconcilier l'homme avec son milieu sur une base rationnelle .43L'homme qui ne peut se passer, pour vivre, de l'illusion religieuse est celui qu'elle a empoisonné dès l'enfance:

Mais le stade de l'infantilisme n'est il pas destiné à être dépassé. L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans un univers hostile (AI, p. 70).


Cette humanité adulte, sans illusion, pourra t elle parvenir à rendre la vie supportable à tous et faire que la civilisation n'écrase plus personne? C'est notre espérance, répond Freud ~44 une espérance qui se distingue de l'illusion sur deux points décisifs: 1 si elle s'avère elle même illusoire, nous sommes, «nous», préparés à y renoncer, car nous avons appris à surmonter notre désir infantile et narcissique; 2 s'il est vrai que l'intellect humain (Freud le remarque après A. Comte) est sans force devant les pulsions, «il y a cependant quelque chose de particulier à cette faiblesse: la voix de l'intellect est basse, mais elle ne s'arrête point qu'on ne l'ait entendue» (AI, p. 77).

Seulement, comme l'auteur l'avoue lui même, ce triomphe de la raison dans l'homme n'est qu'«une grande espérance» (AI, p. 69); elle porte sur un temps «encore immensément éloigné de nous »(AI, p. 77). En attendant, la grande majorité des mortels est vouée à l'infantilisme psychique de la religion .45

Une telle doctrine n'est pas sans incidence thérapeutique. 0. Pfister, le pasteur psychanalyste, écrivait à Freud après avoir lu L'avenir d'une illusion:

Si présenter au patient ce monde dévalisé comme la plus haute connaissance de la vérité faisait partie de la cure psychanalytique, je comprendrais fort bien que ces pauvres gens préfèrent se réfugier dans la geôle de leur maladie plutôt que d'aller prendre place dans ce sinistre désert de glace (Lettre du 24 novembre 1927).


Que répond Freud? Que le psychanalyste ne peut remplacer Dieu et sa providence; à lui de montrer au patient que son aspiration à donner un sens au monde ramène à la relation du fils au père; au malade, après sa cure, de satisfaire cette aspiration comme il le pourra, «par la religion ou tout autre moyen de sublimation». Toutefois, ajoute Freud, il y a faute technique quand l'analyste semble mépriser cette revendication affective et quand il exige «de tout un chacun de surmonter ce fragment d'infantilisme, ce qu'un très petit nombre seulement sont en état de faire» (du 26 novembre 1927).

C'est dire que les hommes, dans leur immense majorité, ne sont pas adultes. Qui l'est: quel est ce «très petit nombre»?

4- Le surmoi et la morale

Pour répondre à cette question, il convient d'envisager un dernier aspect de l'infantilisme, le surmoi, concept que la psychanalyse ne cesse d'approfondir depuis l'essai sur Le moi et le ça. Le surmoi est une instance inconsciente qui n'est pas refoulée, mais refoulante. Il se forme avec la dissolution du complexe d'Oedipe, par identification avec un des parents, en général le père pour le garçon; si le fils s'identifie au père, ce n'est plus pour l'avoir, mais pour l'être;46 il a compris que le père est l'éternel obstacle à la possession de la mère; au lieu de le détruire, il l'intériorise, cherchant toujours plus à lui ressembler tout en assumant ses menaces, réelles ou imaginaires. Si le surmoi est particulièrement cruel chez les névrosés, où il se manifeste par un sentiment de culpabilité qui est le principal obstacle à leur guérison, il semble bien l'être aussi chez l'homme normal; il est toujours impitoyable; c'est que, en s'identifiant à une image désexualisée du père, il n'en retient que la dureté, la menace de castration .47

L'apparition du surmoi semble bien mettre en question le célèbre Wo es war, soll ich werden. Car cette source permanente d'interdits et d'accusations ne peut que compromettre le développement d'un moi conscient et raisonnable. En fait le surmoi est tout à l'opposé d'une conscience adulte. Il est inconscient: cette instance cruelle ne donne jamais ses raisons et impose au moi des buts qui ne sont pas les siens; s'il constitue une «morale», elle est donc tout à fait hétéronome, ce qu'aggrave encore le caractère anthropomorphique du surmoi, qui nous châtie, nous commande, nous pénètre et perce à jour ces mobiles inconscients qui échappent à notre moi lui-même.48 D'autre part, dépendant de l'histoire affective du sujet, il n'a rien d'universel; s'il existe bien un surmoi collectif, celui ci varie avec les sociétés et, comme dans les névroses, il exagère toujours ses prétentions; l'exigence d'aimer son prochain comme soi même, par exemple, est parfaitement inapplicable, ce qui laisse penser que la civilisation elle-même n'est qu'une névrose collective .49 Bref, cette conscience morale, qui n'est en fait ni consciente ni morale, reste pleinement infantile; le surmoi se forme dans l'inconscient de l'enfant à l'image non pas des parents mais de leur propre surmoi,50 ce qui explique que des parents trop doux peuvent léguer à l'enfant un surmoi particulière¬ ment cruel;51 la culpabilité qu'il maintient chez l'adulte ne découle pas de ses fautes réelles, mais des péchés, réels ou imaginaires, de son enfance. La genèse même du surmoi, qui «permet au passé, et au dépassé, de survivre en lui, se manifeste en ceci qu'au fond tout est resté comme avant, dans l'état primitif» (MC, p. 82).

Il semble évident qu'une morale adulte authentique consiste à se délivrer du surmoi. C'est ce qu'ont pensé certains freudiens, comme Charles Odier52 Freud lui-même, et ce n'est pas son moindre paradoxe, semble toujours identifier la conscience morale au surmoi: «Cette partie représente la voix de la conscience» (EP, p. 132); encore que la distance du moi idéal au moi réel varie d'un individu à l'autre, «chez beaucoup de personnes cette différenciation au sein du moi n'a pas dépassé le degré qu'elle présente chez l'enfant» (ibid.). Chez qui l'a t elle dépassé, et comment? Freud ne nous le dit pas ici. Il insiste sur le fait que le surmoi, dans les névroses, se montre particulièrement «impitoyable et injuste» (ibid.), mais il ajoute que dans la morale courante aussi il nous vaut «un code plein de sévères prescriptions, de cruelles prohibitions» (EP, p. 228), et il précise, non sans ironie, que l'homme, de par son surmoi, est plus moral qu'il ne s'en doute.53 Les Nouvelles conférences (p. 84 ss.) présentent la conscience comme une des fonctions du surmoi, les deux autres étant l'auto observation et la formation de l'idéal (NC, p. 90). Pourquoi réduire ainsi la conscience morale à n'être qu'une fonction du surmoi? Je pense que cela permet à Freud de faire coup double: d'une part, le surmoi rend compte du caractère catégorique de la morale, de son inexplicable «il faut parce qu'il faut», tout en montrant d'autre part que cette morale n'est pas innée, que la conscience n'est pas divine.54 Ainsi l'auteur peut-il écrire que le surmoi représente «ce qu'il y a de plus élevé dans l'âme humaine, à l'échelle de nos valeurs courantes» (EP, p. 206), tout en affirmant qu'il caractérise l'«état de dépendance du moi», son impuissance à être adulte. 55

Cette démystification de la morale ne revient elle pas à la détruire? On sait pourtant que Freud tient la morale pour une nécessité sociale, et que par là même il n'envisage pas que notre morale puisse beaucoup varier. D'autre part, à l'encontre de ses disciples de gauche, comme W. Reich ou H. Marcuse il ne conçoit pas qu'on puisse créer une société sans aliénation, sans «sur répressions», où l'homme serait pleinement libéré; l'illusion des communistes est pour lui tout aussi mystifiante que celle de la religion, car elle refuse de voir que l'abolition de la propriété et même celle de la famille laisseraient intacte la racine de notre misère, l'agressivité et la culpabilité qu'elle entraîne56, L'homme moderne a la morale qu'il peut avoir. Mais cette morale, aussi peu autonome dans son contenu que dans sa source, ne fait elle pas de lui un éternel mineur?

Si Freud a envisagé la morale en clinicien, s'il a surtout insisté sur ses aspects infantiles et pathologiques, il reste qu'on trouve chez ce médecin une déontologie d'inspiration tout à fait différente. Une note du Moi et du ça nous précise ainsi que l'analyste pourrait guérir le sentiment de culpabilité en remplaçant le moi idéal du malade; mais Freud refuse cette tentation d'être prophète, sauveur d'âme: «Le but (de l'analyse) consiste, non à rendre les réactions morbides impossibles, mais à donner au Moi la liberté de se décider dans un sens ou dans un autre» (MC, p. 223).

Une déontologie de la libération pourrait donc se substituer à la contrainte morale. Comme le montre P. Ricoeur, l'analyste représente le principe de réalité; et il y réussit dans la mesure où il s'abstient de tout jugement éthique; s'il met la morale entre parenthèses, il ne la rejette pas pour autant; c'est le surmoi qui présume trop de l'homme et le voue soit à l'angoisse de n'être pas conforme, soit à la satisfaction narcissique de se croire meilleur qu'autrui. L'analyste oppose à cet idéalisme destructeur un regard neutre, éduqué à la réalité, qui ne vise pas à condamner, mais à aider: «Cette véracité n'est sans doute pas toute l'éthique. Du moins en est elle le seuil ».57

Il reste que la plupart des hommes ne connaissent pas d'autre morale que la répression archaïque et cruelle du surmoi. Eternel enfant coupable, l'homme n'a jamais fini de se débattre avec l'autorité d'un père d'autant plus aveugle et implacable que ce père n'est personne. Et s'il se trouve quelqu'un pour échapper à la culpabilité et à la consolation infantiles, quelqu'un pour atteindre réellement à la conscience autonome de l'adulte, je ne vois guère qui ce peut être, sinon le psychanalyste...

Faiblesse de la psychologie

Finalement, on peut consulter bien des ouvrages de psychologie génétique, on en tirera les mêmes conclusions qu'au sujet des deux grands auteurs dont ils s'inspirent tous plus ou moins, Piaget et Freud. D'abord, cette psychologie ne précise guère si la norme adulte ' à laquelle elle rapporte les différentes étapes intellectuelles et affectives de l'enfance, est une réalité constatable ou un simple idéal. Certains de ces ouvrages se terminent par un chapitre qui dépeint l'adulte comme un être doué de toutes les qualités que l'enfant puisse espérer atteindre, et qui n'a qu'un seul défaut, celui de ne pas exister, ou si peu! D'autre part, norme ou réalité, le concept d'adulte demeure très peu scientifique; tout se passe comme si la psychologie génétique, arrivée au terme de son enquête, devait chercher ailleurs que dans l'observation et l'expérimentation la réalité humaine achevée. Et que signifie cet «ailleurs» sinon un recours à la philosophie, recours qui pour être implicite n'en est pas pour autant scientifique.

L'ADULTE COMME CONCEPT PHILOSOPHIOUE


A ma connaissance, peu de philosophes ont élaboré pour elle même la notion de l'adulte. Il reste que la philosophie se donne toujours comme une entreprise adulte. Si la musique, la poésie, les mathématiques même, ont suscité des enfants prodiges, la philosophie quant à elle n'a jamais connu de petit Pascal, de petit Mozart, de petit Rimbaud. Et lorsque Caliclès  58Il objecte à Socrate que la philosophie n'est qu'un passe temps d'adolescent, utile et excitant à l'âge où l'on jette sa gourme, mais ridicule et puéril chez des hommes d'âge, c'est une manière de dire que la philosophie n'est pas sérieuse. Socrate ne s'y trompe pas; et tout philosophe digne de ce nom ne peut que relever le défi.

L'adulte dans le rationalisme classique

C'est précisément ce que fait Descartes. Dès le début des Méditations, il nous avertit que l'importance même de son entreprise, « de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusqu'alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements», l'a conduit à la repousser jusqu'à sa maturité: «J'ai attendu que j'eusse atteint un âge qui fût si mûr» ... Mais, précise t il, il ne suffit pas d'attendre; la maturité de l'âge n'entraîne pas celle de la pensée. Car le grand obstacle à la raison c'est, selon la première phrase des Principes, «que nous avons été enfants avant que d'être hommes», que toutes nos opinions ont été formées en nous sans nous, par nos sens et nos précepteurs, avant que nous ne fussions capables d'en juger par nous mêmes. Et la pensée de l'homme mûr est toujours faussée au départ, par un préjugé qui est déjà là. Ainsi:

Il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu'ils ne l'auraient été, si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle. (Discours de la méthode, 2e partie.)

Parmi les grandes causes de l'erreur, Descartes remarque en particulier ce qu'on nommera plus tard le syncrétisme enfantin, par quoi l'esprit s'accoutume à prendre les impressions confuses et affectives qui lui viennent des choses pour les choses mêmes, et le verbalisme enfantin, par quoi l'esprit s'accoutume à user de paroles dont il ignore le sens, en pensant «que ceux qui les (lui) ont enseignées en connaissaient la signification »59

Commencer «tout de nouveau», repartir à zéro: c'est le propre du doute méthodique, qui ne peut être qu'un rejet total et radical de toutes mes opinions, puisque son sens même est de libérer mon esprit de sa propre enfance.

Kant

Tout le rationalisme restera sur ce point fidèle à Descartes. L'Aufklärung, comme le dit Kant,60 est «la sortie de l'homme de sa minorité;» et il ajoute «minorité dont il est lui même coupable». Etre mineur, c'est être incapable de se servir de sa propre intelligence, sinon sous la tutelle d'autrui. Et on en est coupable dès que cette minorité ne vient plus d'un défaut d'intelligence, mais de décision du courage de s'en servir par soi même. Paresse et lâcheté, voilà ce qui explique que la plupart des hommes restent toute leur vie des mineurs, d'autant qu'il se trouve toujours des «tuteurs» pour leur démontrer qu'il est dangereux de marcher seul: «il est si commode de n'être pas adulte» Es ist so bequem, unmündig zu sein! A cette lâche passivité, Kant oppose la fière devise de l'Aufklärung: «Sapere aude! Aie le courage de te servir de ta propre intelligence».

La pensée adulte, c'est donc la pensée rationnelle: claire et distincte dans son contenu, universelle dans sa forme, elle résulte d'une décision personnelle et responsable. L'obstacle majeur à cette pensée est l'enfance, c'est à dire la pensée confuse et dépendante, qui demeure en nous sans nous. Mais si l'enfance n'est que l'obstacle à surmonter, le tunnel dont il faut sortir, n'est ce pas toute une part de l'homme qui se trouve disqualifiée? Le rationaliste, tout à sa tâche héroïque de penser en homme, tâche qu'il ne peut mener à bien que par une lutte longue et douloureuse contre sa propre enfance, en arrive à méconnaître les valeurs de l'enfance, et de l'enfance qui demeure en tout homme.

L'adulte dans le positivisme

Le positivisme, tout en attachant une égale importance à la maturité, lui donne un sens assez différent. Chacun de nous, dit Auguste Comte, a été nécessairement «théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse, et physicien dans sa virilité».61` Cette fameuse loi des trois états s'applique aussi bien à l'humanité qu'aux individus. Elle nous montre que l'erreur humaine explication des phénomènes par des volontés, puis par des abstractions est un moment nécessaire dans la genèse de la vérité, de la pensée positive, et qu'il s'agit moins de la réfuter que de la comprendre.

Première conséquence: l'adulte va faire l'objet d'une définition plus limitée, mais aussi plus précise que celle des rationalistes. La pensée positive, celle de l'homme «dans sa virilité», n'est plus la raison métaphysique, qui prétend résoudre les problèmes transcendants; elle se borne à expliquer les phénomènes, à en chercher non le «pourquoi», mais le «comment», et encore dans la mesure où cette recherche est utile à l'action et à l'éducation. Cette limitation nécessaire concerne également la pratique. Comme le montre la Statique sociale, être adulte, c'est être «quelque chose», c'est se définir par son «office» dans la grande division du travail social, c'est être mari ou femme, prolétaire ou patron, prêtre ou laïc. L'homme solidaire remplace l'homme solitaire du rationalisme cet homme qui croyait trouver en lui même la vérité universelle et qui se définissait, au delà de tout rôle social et de toute condition particulière, par sa seule raison, cet homme du rationalisme n'est pas l'adulte, mais l'adolescent, toujours victime de son illusion métaphysique.

Autre conséquence: le passage à la maturité ne signifie plus le rejet de l'enfance. Alain, quand il écrit que les dieux ne sont pas seulement les étapes mais les étages de l'homme, exprime une intuition profonde de Comte: ce qui est surmonté est aussi conservé. Toutes les valeurs de l'enfance se trouvent restaurées, à un niveau supérieur, dans la religion positiviste de l'humanité. Toutes, même le fétichisme, dont Comte nous dit dans une page curieuse que le positivisme doit en récupérer la vérité irremplaçable, notamment le sens du concret, l'admiration esthétique qui nous réconcilie avec les choses, enfin l'intuition morale, propre à combattre la sécheresse égoïste qui guette toute pensée rationnelle, de la prépondérance du cœur sur l'esprit: «Voilà comment la religion finale combine la maturité du Grand Être avec sa première enfance».62

Ne nous y trompons pas: derrière les outrances et le dogmatisme de Comte s'affirme une intuition étonnante que ses héritiers, pour rejeter son folklore, ont pris garde de ne pas oublier, l'idée à la fois religieuse et rationnelle de réconciliation: réconciliation de la pensée et du réel ' de l'individu et de la société, de la raison et de l'histoire, de l'esprit et du cœur, de la foi et de l'intelligence, de l'enfance et de l'âge mûr. L'homme positiviste, c'est l'homme adulte dans une société adulte l'homme d'aujourd'hui ne l'est que partiellement et cet adulte, c'est l'homme réconcilié. Maintenant, l'intérêt de cette réconciliation ne doit pas nous faire perdre de vue le prix auquel elle s'achète. Le grand tort du positivisme celui, mystique, de Comte, mais plus encore peut être celui, plus prosaïque, de ses héritiers c'est justement d'établir la sécurité de l'homme au prix de son indépendance, son adaptation au monde au prix de son imagination créatrice, son intégration au milieu au prix de sa liberté personnelle. Si l'on réhabilite l'enfance, on reconnaît les valeurs, négatives peut être mais irremplaçables, de l'adolescence, cet âge métaphysique; l'adulte n'est plus l'homme libre de choisir et de dire non, mais l'homme déterminé par les choix déjà faits, emprisonné dans un rôle dont il ne peut plus se départir, intégré à une culture qu'il n'a plus le droit de remettre en question.

Les philosophes de l’anti maturité

Cette optique positiviste est au fond celle dans laquelle la pensée moderne considère l'adulte. Mais elle explique aussi la réaction de tout un courant de la pensée moderne en réaction contre cette norme. Comme on parle de l'anti théâtre, de l'antiroman, on pourrait parler, depuis un certain temps, d'une philosophie de l'immaturité, de l'anti adulte. Un certain temps qui a commencé, je crois, avec Nietzsche. Le fameux passage de Zarathoustra, intitulé «Les trois métamorphoses», ne décrit il pas l'aventure de l'esprit comme une sorte de croissance à rebours? Le chameau, qui se charge avec une humilité patiente du poids de toutes les vérités et de toutes les responsabilités, serait l'adulte; puis l'esprit devient lion, «qui veut s'emparer de sa liberté et être seigneur dans son propre désert», qui remplace le «tu dois» par un «je veux» et conquiert avec violence le «droit sacré de dire non», même au devoir: n'est ce pas l'esprit même de l'adolescent? Mais le lion lui-même doit faire place à l'enfant, sa négation passionnée à «l'affirmation sainte», faite d'innocence et d'oubli, pour que l'esprit, en voulant son propre vouloir, devienne créateur de valeurs «et conquière son propre monde».

Depuis Nietzsche, des courants politiques, pédagogiques, philosophiques, à vrai dire très divers, ont pourtant ceci de commun qu'ils contestent des valeurs qui, prises ensemble, pourraient bien constituer la maturité comme telle. La grande contestation de notre culture, c'est aussi et surtout le refus de l'adulte. Essayons de le montrer par trois exemples, à vrai dire décisifs: l'autorité, le sérieux, l'achèvement.

L'adulte, c'est toujours l'homme qui exerce une autorité, qui jouit d'un pouvoir considéré comme légitime; c'est «un aîné», «une grande personne», investi par là même de droits que les enfants et même les jeunes ne peuvent exercer, ce qui les place dans une situation de dépendance. Corollaire: il semble qu'on est d'autant plus adulte qu'on jouit d'une autorité supérieure; le patron l'est plus que l'ouvrier, l'officier que ses hommes, le mari que sa femme; l'indépendance et la responsabilité de l'adulte ont pour contrepartie la dépendance et l'irresponsabilité des autres. Ainsi le héros de L'enfance d'un chef de Sartre se découvre adulte le jour où il «réalise» sa supériorité sociale et radicale. Le monde adulte, c'est l'establishment. Cette conception n'est pas celle des communistes, qui considèrent la révolution comme une affaire de grandes personnes et le parti comme une école pour les jeunes, qui refusent de voir dans la jeunesse une classe;63 elle est celle de nombreux gauchistes qui proclament que l'oppression la plus violente et la plus hypocrite est celle qu'exercent les adultes sur les jeunes. C'est pourquoi l'insurrection la plus radicale aujourd'hui est peut être surtout d'ordre pédagogique; depuis les «maîtres camarades» de Hambourg jusqu'à l'autogestion scolaire, on assiste à un rejet de la «répression éducative», de la contrainte des maîtres, des programmes et des examens; ces tentatives, à vrai dire encore bien sporadiques, exercent pourtant une fascination indéniable; certains ne prétendent ils pas réaliser ainsi «une décolonisation complète de l'enfance»?64 Rejeter l'autorité, ce n'est pas seulement refuser les adultes, c'est refuser d'être adulte; c'est refuser l'esprit de sérieux qui caractérise la maturité.

Le sérieux, c'est en effet la contrepartie de l'autorité qu'on exerce, le principe qui la légitime; l'homme sérieux est celui qui «assume» la responsabilité qu'«exige» une affaire importante, une situation grave. Simone de Beauvoir a vu là la forme la plus fréquente de l'inauthenticité; elle décrit l'homme sérieux comme celui qui se masque sa liberté en justifiant son existence par des valeurs objectives, des tâches fixées, des fins nécessaires. Il est vrai qu'elle attribue cette inauthenticité non pas à la maturité, mais à la survivance de l'enfant dans l'homme; fidèle à Descartes, elle considère que tout le malheur de l'homme vient d'avoir été enfant:

Après avoir vécu sous le regard des dieux, promis soi même à la divinité, on n'accepte pas volontiers de redevenir dans l'inquiétude et le doute tout simplement un homme. (Pour une morale de l'ambiguïté. N.R.F., 1947, p. 67; cf. 51.)


Aujourd'hui, on va plus loin, jusqu'à affirmer que les caractères du sérieux le sens du réel, la maîtrise de soi, l'autonomie, l'indépendance économique et intellectuelle, la capacité de tenir ses engagements, d'être responsable, de faire son métier et d'élever des enfants parce qu'ils sont propres à l'adulte doivent être rejetés comme tels.65 Ce n'est plus le faux sérieux que l'on conteste, c'est le vrai! L'«engagé» fait place à l'«enragé», le travail à la fête; l'adulte fait place aux jeunes.

Ce qu'on refuse, en effet, c'est l'adulte comme modèle, c'est le concept d'un achèvement de l'homme qui serait à la fois le terminus et la norme de sa croissance. On accuse la pensée bourgeoise d'être restée, sur ce point, fidèle à l'aristotélisme. Aristote considère en effet, à partir du modèle biologique, que l'être humain atteint son statut quand il a atteint sa stature, une fois pour toutes. L'adulte dans cette perspective, est la cause de l'enfant: il est la forme stable, pour ne pas dire éternelle, qui préexiste à sa réalisation et en commande le processus; il est donc le moteur du développement, au double sens de croissance et d'éducation; il est enfin le modèle, la cause finale, que la croissance et l'éducation de l'enfant ne peuvent que réaliser. Comme l'être en acte est antérieur à l'être en puissance, l'adulte précède l'enfant.66, L'enfant a son avenir derrière lui, fixé une fois pour toutes; et tout écart dans sa croissance ou dans son éducation par rapport à ce modèle adulte ne peut que faire de lui un monstre ou un vicieux. C'est ce concept d'achèvement, hérité d'Aristote, qu'on rejette aujourd'hui avec le plus de force. Non seulement on refuse de figer le devenir de l'homme, mais on affirme que l'homme véritable, celui qui rejette l'ordre établi, qui se crée lui même en créant des valeurs nouvelles, n'est plus l'homme fait, mais l'adolescent ou l'enfant:

Qu'est ce qui nous empêche d'admettre aujourd'hui que l'enfance est le faîte de l'existence et de considérer l'âge mûr comme une descente, un décrescendo de la vie? ( ... ) Tandis que, jusqu'à présent, notre manière d'être, notre vie publique ont été sous l'influence intellectuelle de l'âge mûr, elles seraient à l'avenir influencées par l'esprit de la jeunesse. (Un maître de Hambourg, cité par J.B. Schmid, Le maître camarade et la pédagogie libertaire. D. et Niestlé, 1936, p. 45.)

Dans cette perspective, la jeunesse cesse d'être un état transitoire, une préparation à la vie: elle est la vie. L'éducation ne peut plus être alors un moyen d'«élever» les jeunes vers le modèle adulte; comme le disait déjà Dewey, elle est sa propre fin; elle n'a plus pour rôle de répondre aux besoins des adultes, mais des jeunes, de leur permettre d'être jeunes.

C'est ainsi que G. Lapassade, dans L'entrée dans la vie, ce livre symptôme, proclame la fin de l'adulte étalon, mythe aliénant qui légitime toutes les oppressions et toutes les répressions; ce que Lapassade attend de la révolution, c'est qu'elle rétablisse l'inachèvement de l'homme et l'«adolescence permanente».67 On peut facilement dénoncer les équivoques de cette thèse, ironiser sur ce retour en arrière: pourquoi s'arrêter en si bon chemin, pourquoi ne pas réclamer l'autogestion des biberons et la créativité révolutionnaire du suce ton pouce? Mais, je le répète, ce livre est symptomatique de tout un courant qui refuse en bloc les valeurs du monde adulte et pour qui le mot même «place aux jeunes» ne signifie plus remplacer les adultes mais refuser d'être adulte. Quoi qu'on puisse penser de cette solution, il faut lui reconnaître le mérite de poser à l'homme moderne le problème qui est le sien: qu'en est il de l'adulte?

POUR UNE ÉTHIQUE DE LA MATURITÉ


Si la psychologie nous montre la difficulté qu'il y a pour tout homme à devenir adulte, elle laisse ce concept dans le vague. La philosophie a au moins l'avantage de l'élucider et de poser le problème en termes précis: s'agit il d'une réalité ou d'un idéal? Et, dans ce dernier cas, d'une valeur positive ou d'un mythe réactionnaire et aliénant?

Réalité de l'adulte

Un mythe? Mais rejeter la maturité, avancer l'acmé de la vie à l’adolescence, c'est peut être une mystification aussi grave que celle qu'on dénonce. Oui, dans la perspective traditionnelle, la jeunesse est disqualifiée; elle n'est qu'une étape vers un achèvement déterminé d'avance et par d'autres , l'adulte est à la fois le maître et le modèle. Une telle conception, parce qu'elle étouffe l'initiative, la responsabilité, la créativité chez les jeunes, risque de compromettre à jamais leur passage à l'état adulte; elle aboutit donc au contraire de ce à quoi elle prétend. Mais la théorie opposée, qui exalte la jeunesse pour elle même, n'est pas moins trompeuse, car quel est l'avenir qu'on offre à ces jeunes? Si la compétence acquise, l'expérience de la vie, la sagesse, la maturité en un mot n'ont plus cours, l'avenir des adolescents ne peut être que la solitude, l'inutilité, le rebut, la déchéance. La mystique de la jeunesse, qui se concilie parfaitement d'ailleurs avec une gérontocratie sournoise, est mystifiante au même titre que son contraire; elle aliène l'homme en le mutilant de toute une part, la plus longue, de sa vie. Et l'éducation libertaire risque d'aboutir au même résultat que l'autoritaire; l'une et l'autre bloquent les jeunes dans l'infantilisme:

Enfants toute leur vie, ils s'en vont les mains vides, ayant végété, ayant parlé d'amour et de plaisir, de libertinage et de vertu, comme des esclaves parlent de la liberté (Balzac, Physiologie du mariage).


Est ce à dire que la maturité n'est qu'un idéal, une limite que personne n’atteint mais dont tous doivent s'approcher sans cesse? «L’adulte n'offre d'autre réalité qu'axiologique», écrit Jacques Ulmann. 68Et il est bien vrai que la plupart des auteurs le définissent en fonction de la valeur qui leur paraît primordiale; ainsi l'adulte est il tour à tour le citoyen démocrate, le savant, le militant, le sage, le saint ... Ce qui revient à dire que l'esclave, l'ignorant, l'abstentionniste, le passionné, le libertin ne sont pas des hommes au sens plein. Je plaide pour eux, quant à moi, et je m'appuie sur le commun langage: «Tu es un homme, cesse donc de faire l'enfant>~. Si être adulte est un idéal, il découle de la réalité même, de notre réalité d'homme; si c'est un devoir, et sans doute le plus impérieux de tous, ce devoir ne consiste pas à changer d'être, mais à devenir ce qu'on est. Si l'on refuse et toute la grandeur de ce devoir est qu'on peut s'y refuser, qu'il n'est jamais contrainte, mais libre choix si l'on refuse, une attente est trompée, une promesse trahie; il y a erreur sur la personne, mystification.

L'inachèvement

C'est pourquoi il est absurde de vouloir définir l'adulte: toute définition est ici trahison. Car l'être humain échoue à être adulte dès qu'il se laisse enfermer dans une détermination positive, qu'il se définit comme père, commerçant, fonctionnaire, président, militant, ou tout ce qu'on voudra. Les seuls prédicats qui conviennent à la maturité sont donc des prédicats négatifs, à commencer par l'inachèvement, qui dit réellement l'essentiel; être adulte, c'est refuser de «s'identifier» à son métier, à sa nation, à son caractère, à sa passion, c'est toujours aller plus loin. Les sociétés conservatrices, qui méprisent ou repoussent la jeunesse et qui, au nom de l'ordre, privilégient des qualités comme obéissance, modération, stabilité, efficacité, ne renforcent pas la maturité mais l'étouffent. La société «victorienne» semble exalter l'adulte; en fait, en méprisant les valeurs de la jeunesse, en bornant la sexualité à la stricte fonction reproductrice, en ravalant l'esprit de sérieux à la respectabilité et à l'utilité, elle mutile l'homme et le sclérose. L'homme qui s'abrite derrière un masque de grande personne n'aura jamais un visage adulte. Seulement il est d'autres masques.

Ce que je reproche à Lapassade, ce n'est pas d'avoir affirmé l'inachèvement humain, c'est tout au contraire d'avoir trahi son propos en achevant l'homme dans une immaturité suspecte, en le figeant dans une «adolescence permanente», où je ne vois pas créativité mais caprice, liberté mais irresponsabilité, non conformisme mais snobisme et suivisme, émancipation mais névrose. S'il y a une beauté de l'enfance, l'infantilisme n'est jamais qu'impuissance et perversion.

Car Lapassade oublie un autre trait essentiel de la maturité, lui aussi négatif d'ailleurs: l'indépendance. Etre adulte, c'est ne plus dépendre des grandes personnes, c'est gagner sa vie, penser par soi même, décider par soi et pour soi. Sans doute cette indépendance reste t elle relative; elle varie selon les sociétés et les classes. Toujours est il que celui qui renonce à l'atteindre n'est pas tout à fait un homme. Prenons l'exemple de l'éducation. Dewey, ce grand méconnu, affirme magnifiquement que l'éducation n'a de valeur que si elle est permanente, si loin de viser à un but extérieur elle est à elle même sa fin, et que tout ce qu'on peut exiger d'elle est qu'elle suscite le besoin constant de s'éduquer davantage. Il est pourtant un point que Dewey et ses héritiers n'ont pas assez remarqué: l'éducation des enfants implique nécessairement une contrainte; si libérale, si «libertaire» même qu'elle puisse être, elle résulte d'un choix que l'homme fait pour l'enfant et qui ne peut aboutir sans l'aide des adultes le choix que l'enfant parvienne à la réalité d'homme. Tandis que l'éducation de l'adulte (par les livres, l'expérience, la souffrance) n'a de sens que si elle résulte de son propre choix, si elle son affaire. Si d'autres en décident à sa place, comme dans l'armée ou dans certains régimes, c'est qu'ils lui refusent son statut d'adulte. Maintenant l'indépendance ne suffit pas: être adulte, c'est s'engager, se lier à ses décisions, prendre ses responsabilités.

Le sérieux et l'humour

Revenons une dernière fois au sérieux, que W. Jankélévitch caractérise si bien par le terme musical de legato. Etre sérieux, c'est lier la parole au sens, le choix à l'exécution, la réponse à la question. C'est là ce qu'on attend de la maturité; à l'encontre de l'enfance, et plus encore de l'infantilisme, l'homme sérieux n'admet pas de vouloir la fin sans les moyens et sans les conséquences, le succès sans le travail, la virtuosité sans les gammes, l'épouse sans la belle mère, le dimanche sans la semaine.69 La morale des Grecs, qui situait l'excellence dans le juste milieu, caractérise assez bien ce sérieux de l'adulte, mi-chemin entre le drame et la plaisanterie, entre la passion et l'insouciance, entre l'ange et la bête; éthique modeste mais précise, celle de l'homme qui a admis ses limites mais qui sait que, dans la marge étroite qu'elles lui laissent, c'est à lui de jouer, et à lui seul; de l'homme sorti assez de l'ignorance pour savoir qu'il ne peut prétendre à l'absolu savoir et qui se contente de l'opinion droite, l'«ortho doxa»; de l'homme qui a surmonté la double tentation de l'orgueil et du désespoir. Ethique du milieu, mais non de l'immobilité; comme le dit encore Jankélévitch, à propos du mot de Théognis, chemine au milieu de la route: «tiens le milieu du chemin, mais chemine!».70

Chemine, mais vers quoi? Méditant sur sa vie, Sartre écrivait:

J'ai nourri longtemps l'illusion de valoir chaque jour un peu plus, pigeonné par le mythe bourgeois du progrès. Pro grès: accumulation des capitaux et des vertus; on garde tout. Bref, j'approchais de l'excellence, c'était le masque de la mort, aujourd'hui nue. (Situations, IV. N.R.F., 1964,p. 207.)


Le sérieux de la mort ne rend il pas tout sérieux dérisoire? N'empêche: Socrate, en attendant la ciguë, s'initiait à la musique ...

Finalement, au delà même du sérieux, il est une attitude qui semble réellement propre à l'adulte. C'est l'humour. L'enfant en est incapable, sinon à son insu. L'adolescent connaît l'ironie, mais l'ironie n'est pas l'humour. ironiser, c'est dire le contraire de ce qu'on pense et feindre de prendre une chose au sérieux pour en mieux démontrer le ridicule. «Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde»: il suffit que Pangloss le répète à l'envi, au milieu des circonstances les plus triviales et les plus absurdes, pour que le grandiose système de Leibniz tombe dans la dérision, mécanique qui se détraque d'elle même. L'ironie démasque, elle fustige, elle châtie, toujours par référence à une valeur supérieure: la vérité, la justice, la raison; elle affirme ainsi le triomphe de l'esprit sur le sérieux usurpé des choses. Mais, en feignant le contraire, elle cache nécessairement une tension, une passion; elle s'insurge contre l'imposture du sérieux au nom d'un sérieux supérieur. L'humour va jusqu'à refuser ce sérieux supérieur; indifférent à la raison aussi bien qu'à la déraison, au delà de la logique comme de l'absurde, il ne cherche pas à démontrer que l'aigle n'est qu'un coq, il lui suffit de montrer que le coq est un coq, de jouer plaisamment le jeu de la chose pour faire voir qu'elle n'est qu'une chose, c'est à dire peu de chose. Ne cherchez pas la raison au fond de l'humour, vous n'y trouverez que l'humeur; mais l'humeur acceptée, jouée, enjouée, sans crispation, sans passion; tout est dans le sang froid; et le degré primaire mais universel de l'humour est dans un mot dit avec flegme là où tout


le monde a perdu la tête. Le «c'est ainsi» de Hegel devant les Alpes suffit à exorciser tout le sublime et toute la peur. Tout est vanité, oui, mais quid de ma propre vanité? On a dit que l'humour est réactionnaire: il est certain qu'il est démobilisateur. Mais dans notre monde de sectaires où tant de fanatismes engendrent tant de guerres, il est peut-être bon de savoir quitter l'uniforme; l'habit ne fait pas le moine, et l'uniforme ne fait jamais l'homme adulte. Et s'il faut en fin de compte en revêtir un, qu'on ait assez d'humour pour sourire de se voir costumé.

Sur un mot d'Aristote

L'humour est ce qui sauve le sérieux, qui le délivre de l'enflure tragique, de l'importance pontifiante, de la crispation fanatique. Il est ce qui définit l'être adulte au delà de toute définition. A cet humour adulte convient peut-être ce qu'Aristote dit du plaisir, où il refuse de voir un but défini, que notre action pourrait atteindre; il le nomme un je ne sais quoi qui se surajoute à l'acte et couronne sa réussite, comme une grâce; car toute la valeur du plaisir vient de ce qu'on ne le cherche pas, qu'on n'y pense pas. Et Aristote termine par cette comparaison: «Comme aux hommes dans la fleur de l'âge leur beauté »71.

Olivier Reboul,


Notes


1Pascal, «Discours sur les passions de l'amour», dans Pensée., opuscules, Hachette, 1914, p. 124.
2Michel Philibert, L'échelle des âges. Seuil, 1968, p. 28.
3Cf. République, VII, 540 a.
4Philibert, op. cit., p. 32.
5 Michel Tournier, Le roi des aulnes. N.R.F., 1970, p. 309.
6 Piaget, Le jugement moral chez l'enfant
7La psychologie de l'intelligence. Armand Colin, 1947, p. 52
8Epistémologie génétique. P.U.F., 1950, T. I, p. 37
9 La psychologie de l'intelligence, p, 192 ss.
10 Cf. G. Snyders, Pédagogie progressiste. P.U.F., 1971, p. 72, 93, 97 ss.
11Cf. E. Pichon, Le développement psychique de l'enfant. Masson,1947, p. 20 ss. et 85.
12 Cf. Epistémologie génétique, T. II, p. 173, ss.
13 Cf. ibid., p. 284
14Le jugement et le raisonnement chez l'enfant. Delachaux et Niestlé, 1967, p. 196; cf. aussi sur le jeu et le réel, p. 194; E. génétique, T. I, p. 37.
15 Le jugement et le raisonnement chez l'enfant, p. 16816 Cf. Le jugement moral chez l'enfant, pp. 53, 70, 151 152.

17 Cinq leçons sur la psychanalyse. Payot, 1966, p. 57. Je cite les oeuvres de Freud avec les sigles suivants:

AI : L'avenir d'une illusion, trad. Marie Bonaparte. P.U.F., 1971. CL Cinq leçons sur la psychanalyse, trad. Y. Lelay. Payot, 1966. EP Essais de psychanalyse, trad. Hesnard. Payot, 1966.

MC: Malaise dans la civilisation, trad. Odier. P.U.F., 1971.

MM: Moïse et le monothéisme, trad. A. Berman. «Idées», N.R.F., 1967.

NC Nouvelles conférences sur la psychanalyse, trad. Berman. N.R.F., 1971.

TE Trois essais sur la théorie de la sexualité, trad. B. Reverchon Jouve. N.R.F., 1962.

TT Totem et tabou, trad. S. Jankélévitch. Payot, 1965. 18 AI, p. 33.
18 AI p.33
19 TE p.116 ss
20 TE
21 TE, p. 146, cf. 159
'22 Cf. TT, p. 166 et MM, p. 111.
23 Cf. MM, P. 111.
24 Cf. EP, p. 165 et 144
25 TT, p. 164.
26 TT, P. 165.
27TT, p. 116
28CE EP, p. 151 ss29Cf. AI, p. 9 ss. et 12130 MC, p. 40.31 Cf. MC, p. 6932 Cf. MC, p. 81.
33 Cf. MC, P. 89.
34 Cf. AI, p. 61 ss.
35 Cf. De l'interprétation. Seuil, 1965, p. 247 ss.
36 Cf. AI, p. 35, 40.
37 Cf. AI, p. 27 et MM, p. 114.
39 Cf. AI, p. 26
40 Cf. AI, p.
41 Cf. AI, p
42 Cf. P. Ricoeur, op. cit., p. 317 ss
43 Cf. AI, p. 60 à P. 70.
45 Cf. MC, p. 17 et 31.
46,Cf. EP, p. 128 129, 200 201; NC, p. 86 s
47 Cf. EP, p. 228 et NC, p. 85.
48 Cf. MC~ pp. 82 et 85.
49 Cf. MC, pp. 104 à 10750 Cf. NC, P. 91.
51 Cf. NC, p. 85 et MC, p. 88.
52 Cf. Les deux sources consciente et inconsciente de la vie morale. Baconnière, 1947.
53 Cf. EP, p. 225, MC, p. 82.
54Cf. EP, p. 204, et NC, p. 84
55 Cf. EP, p. 220 ss.; NC, p. 85; EP, p. 232
56 Cf. MC, p. 66 à 68, 105; NC, p.
57 Ricoeur, op. cit., p. 276.
58 Platon, Gorgias, cf. 485 ss.
59 Cf. Principes de philosophie, 1, 74 et 71 ss.
60 In Was ist Auf klârung?, dans Ausgewâhlte kleine Schrif ten, éd. F. Meiner, Hambourg, 1965: je résume ici les deux premières pages.
61 Cours de philosophie positive, 1, 6.
62 Système de politique positive, T. IV, pp. 43 44: le Grand Etre est l'humanité, dont le culte remplace celui de Dieu.
63Cf. Annie Kriegel, Les comniiinistes français. Seuil, 1970, pp. 25à 29.
64 G. Lapassade, L'entrée dans la vie. Ed. de Minuit, 1969, p. 213
65 Cf. Lapassade, op. cit., pp. 7_10, 200
66 Cf. Métaphysique, A, 8, 989 a 13 et Z, 7, 1032 a 25
67Cf. Lapassade, op. cit., chap. Xi.
68Nature et éducation, Vrin, 1964, p. 415.
69 Cf. W. Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux. Aubier, 1963, p. 207 et circiter.
70 Op. Cit.~ p. 192.
71Ethique à Nicomaque, 10, 1174 b.

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