L'humour, soutient
Olivier Reboul, est une caractéristique de l'âge adulte. L'enfant et l'adolescent en sont incapables.
Finalement, au-delà même du sérieux, il est une attitude qui semble réellement propre à l'adulte. C'est l'humour. L'enfant en est incapable, sinon à son insu. L'adolescent connaît l'ironie, mais l'ironie n'est pas l'humour. Ironiser, c'est dire le contraire de ce qu'on pense et feindre de prendre une chose au sérieux pour en mieux démontrer le ridicule. «Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde»: il suffit que Pangloss le répète à l'envi, au milieu des circonstances les plus triviales et les plus absurdes, pour que le grandiose système de Leibniz tombe dans la dérision, mécanique qui se détraque d'elle-même. L'ironie démasque, elle fustige, elle châtie, toujours par référence à une valeur supérieure: la vérité, la justice, la raison; elle affirme ainsi le triomphe de l'esprit sur le sérieux usurpé des choses. Mais, en feignant le contraire, elle cache nécessairement une tension, une passion; elle s'insurge contre l'imposture du sérieux au nom d'un sérieux supérieur. L'humour va jusqu'à refuser ce sérieux supérieur; indifférent à la raison aussi bien qu'à la déraison, au-delà de la logique comme de l'absurde, il ne cherche pas à démontrer que l'aigle n'est qu'un coq, il lui suffit de montrer que le coq est un coq, de jouer plaisamment le jeu de la chose pour faire voir qu'elle n'est qu'une chose, c'est-à-dire peu de chose. Ne cherchez pas la raison au fond de l'humour, vous n'y trouverez que l'humeur; mais l'humeur acceptée, jouée, enjouée, sans crispation, sans passion; tout est dans le sang-froid; et le degré primaire mais universel de l'humour est dans un mot dit avec flegme là où tout le monde a perdu la tête. Le «c'est ainsi» de Hegel devant les Alpes suffit à exorciser tout le sublime et toute la peur. Tout est vanité, oui, mais
quid de ma propre vanité? On a dit que l'humour est réactionnaire: il est certain qu'il est démobilisateur. Mais dans notre monde de sectaires où tant de fanatisme engendrent tant de guerres, il est peut-être bon de savoir quitter l'uniforme; l'habit ne fait pas le moine, et l'uniforme ne fait jamais l'homme adulte. Et s'il faut en fin de compte en revêtir un, qu'on ait assez d'humour pour sourire de se voir costumé.
Sur un mot d'Aristote
L'humour est ce qui sauve le sérieux, qui le délivre de l'enflure tragique, de l'importance pontifiante, de la crispation fanatique. Il est ce qui définit l'être adulte au-delà de toute définition. À cet humour adulte convient peut-être ce qu'Aristote dit du plaisir, où il refuse de voir un but défini, que notre action pourrait atteindre; il le nomme un je-ne-sais-quoi qui se surajoute à l'acte et couronne sa réussite, comme une grâce; car toute la valeur du plaisir vient de ce qu'on ne le cherche pas, qu'on n'y pense pas. Et Aristote termine par cette comparaison: «Comme aux hommes dans la fleur de l'âge leur beauté ».