La robotisation des emplois

Dominic Doucet

Depuis plus d’un siècle, les innovations technologiques, par un processus de destruction créative, rendent obsolètes certains emplois, et en créent des nouveaux. Cependant, depuis 30 ans, une tendance apparaît: le taux de chômage américain se résorbe de plus en plus lentement à la suite de chacune des récessions précédentes. En effet, cinq ans après la récession de 2007, il demeure toujours bien au-dessus du niveau atteint avant la dernière crise. Devrait-on s'en inquiéter?

 

Contexte économique

Le Québec (Pour le lecteur hors Québec : cliquez ici)

RobotisationLe Québec a peu souffert de la récession de 2007. Bien que le taux de chômage s’est élevé à 8,5 % en 2009, il est redescendu à 7.9 %, en moyenne, pour les trois premiers trimestres de 2012. Il en a été de même pour le produit intérieur brut (PIB), qui, après un léger recul en 2009, s’est accru de 4.5 % entre 2009 et 2011. Étant donné l’ampleur de la crise économique aux États-Unis, on se serait attendu à des conséquences plus importantes pour le Québec, mais cela n’a pas été le cas, et ce, pour plusieurs raisons : les ménages étaient moins endettés, le système bancaire était plus solide, le poids relatif des exportations du Québec vers les États-Unis avait constamment baissé depuis 2001 et le gouvernement du Québec, suivi par celui du Canada, avait lancé un plan d’investissement dans les infrastructures. Malgré cela, le secteur manufacturier a perdu 10 % de ses emplois entre 2007 et 2011. Avec l’agriculture, c’est le seul secteur où l’on remarque des pertes significatives d’emplois.

Plus que toute autre chose, la récession de 2007 est une conséquence de l’augmentation, depuis plusieurs décennies, de l’endettement mondial. Le Québec n'est pas isolé de ce cycle d'endettement, et les signes d’une surchauffe du secteur immobilier apparaissent. Et contrairement aux États-Unis, où les familles ont diminué leur endettement depuis 2007, les Québécois ont continué à s’endetter. Il en est de même pour le secteur public, où, depuis 2008, l’endettement du gouvernement s’accroit plus rapidement que le PIB. Pour ces raisons, la Banque centrale s’inquiète [1] des conséquences des faibles taux d’intérêt, car, à moyen terme, les Banques centrales relèveront les taux d’intérêt, et une partie plus importante du revenu sera consacrée au paiement d'intérêts. Est-ce que les ménages québécois pourront continuer à consommer malgré ce choc? La consommation est essentielle à une forte demande intérieure, laquelle a un impact sur les recettes fiscales du gouvernement.

Le Québec a des avantages importants. Il bénéficie de ressources naturelles inexploitées, d’un faible coût de l’électricité et d’une stabilité politique qu’on ne retrouve pas dans plusieurs pays dotés de ressources naturelles abondantes. Grâce à cela, certains secteurs industriels détiennent des avantages comparatifs importants face à d’autres pays. C’est pourquoi la production et la transformation de l’alumine et de l’aluminium, le deuxième secteur quant à la valeur de ses exportations, a rapidement retrouvé ses niveaux d’exportations pré récession. Il en est de même du secteur de la fonte et de l’affinage des métaux non ferreux, qui a aussi augmenté considérablement ses exportations depuis la récession de 2007. Toutefois, d’autres grands secteurs manufacturiers, comme l’aérospatiale, le papier, les vêtements et les meubles, ont connu une accélération du déclin de leurs activités depuis 2007.

Malgré ses avantages économiques, le Québec partage avec l’ensemble de l’Amérique du Nord les grandes tendances du secteur industriel. D’après une étude de la firme Deloitte, le secteur manufacturier représentait 23,6 % du PIB en 2000, et 16,3% en 2010. Et, près du quart de ses emplois ont été perdu depuis 2000. Ce déclin s’accompagne d’un chômage élevé pour les individus peu scolarisés (diplôme secondaire et moins).

Bien que le Québec ait diminué son taux de chômage pour toutes les catégories d’emploi depuis 1996, les travailleurs peu scolarisés connaissent un taux de chômage beaucoup plus élevé que les détenteurs d’un diplôme post secondaire (collégial et universitaire). Ce taux se situe pour les individus avec un diplôme secondaire à 8.2%, et à 15% pour ceux ayant des études secondaires [2]. En comparaison, il est à 5.5% pour les détenteurs d’un diplôme post secondaire (collégial et universitaire).

L’économie du Québec et des pays développés s’est transformée en une économie de services, et cette tendance se poursuit. Pour les travailleurs faiblement éduqués, les emplois bien rémunérés du secteur manufacturier disparaissent au profit d’emplois faiblement rémunérés dans le secteur des services. Qu’est-ce que ce phénomène peut signifier plus spécifiquement pour le Québec, la France et les pays développés? Pour comprendre, nous observerons la situation économique des États-Unis.

Les États-Unis

Depuis 2007, les États-Unis subissent les effets de l’une des plus grandes crises économiques modernes, et ils s’en relèvent difficilement. Malgré quelques bonnes nouvelles, ils pourraient facilement désespérer de la situation : l’Europe est entrée officiellement en récession au mois de novembre 2012, le secteur de l’habitation se relève péniblement et le marché de l’emploi demeure préoccupant, malgré les améliorations enregistrées à l’automne 2012.

Après deux guerres à crédit et une importante récession, les dépenses du gouvernement américain ont explosé. Pour financer les dépenses du gouvernement, la Réserve fédérale a acheté massivement des bons du Trésor dans le cadre de programmes d’assouplissements monétaires quantitatifs. Ces actions ont maintenu les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas [3]. Ces derniers auraient dû favoriser la reprise économique étant donné que des taux peu élevés réduisent les paiements d’intérêts sur les dettes, encouragent l’investissement, facilitent le crédit et améliorent les exportations en dévaluant la monnaie. La Réserve semble avoir atteint une partie de ses objectifs : les profits des entreprises ont atteint des niveaux record [4] et le PIB a regagné ce qu’il avait perdu depuis 2007. Cependant, pour une majorité d’Américains, la situation demeure catastrophique.

L’après crise pour le 99%

La crise économique s’éternise pour une majorité d’Américains. Le taux de chômage demeure élevé et le salaire médian [5] a reculé au niveau où il était en 1995[6]. Pendant ce temps, le prix des biens à la consommation a connu une croissance approximative de 45%. Une majorité d’Américains ont vu fondre leurs revenus alors que l’inflation, quoique petite, a réduit le pouvoir d'achat des ménages américains. À l’automne 2012, le taux de chômage américain se situait approximativement à 7.8%. En comparaison, le taux de chômage moyen entre 1960 et 2008 a été de 5.8%. La situation est alarmante compte tenu du fait que le taux de chômage officiel n’inclut pas les travailleurs qui ont abandonné leur recherche d’emploi; ils ajouteraient approximativement 2 % au taux de chômage officiel.

L’ampleur de la crise économique est difficilement imaginable. En 2012, 142 millions d’Américains recevaient un salaire contre 146 millions en 2007. Malgré l’accroissement naturel de la population, le nombre de personnes occupant un emploi a diminué de quatre millions. Les travailleurs âgés de 25 à 55 ans ont écopé : ils étaient 100 millions à travailler en 2007 et ils ne sont plus que 94 millions en 2012. Pendant ce temps, les travailleurs âgés (55 ans et plus) restent plus longtemps sur le marché du travail: ils étaient 5 millions de plus à travailler qu’en 2007. Pourquoi? La crise financière a eu des impacts sur les épargnes, et les faibles taux d’intérêt n’aident pas les épargnants plus âgés.

Une autre caractéristique de cette crise : le marché de l’emploi ne se relève pas aussi rapidement que dans lors des autres récessions (graphique ci-dessous). 52 mois après la crise de 2007, nous n’avons pas retrouvé la moitié des emplois perdus. En 2001, 42 mois ont été nécessaires pour retrouver le niveau d’emploi précédent. En 1990, 31 mois. Et en 1981, 27 mois. Bref, plus nous progressons dans le temps plus les impacts des récessions sur l’emploi durent longtemps.

Récessions

Dernière statistique révélatrice de la nouvelle économie : le taux de chômage des travailleurs peu scolarisés a doublé entre 2008 et 2012. Bien que tous les secteurs économiques américains ont été touchés par la récession, les services professionnels se sont relevés rapidement alors que la la construction et la production des biens se relèvent difficilement. [7]

Pour ce qui est des grandes entreprises, elles réalisent des profits. Mais elles n’investissent et n’embauchent plus. Elles ont pourtant des liquidités records. La revue britannique The Economist précise que les liquidités des 500 plus grandes entreprises côtés à la bourse américaine s’élèvent à 900 milliards[8]. Ce qui est un record. Que font-elles de ce trésor? Préoccupées par l’incertitude liée à l’économie mondiale, elles attendent les signes visibles d’une reprise économique, qui n’apparait toujours pas. Ce fait est préoccupant. Les efforts de la Réserve fédérale et des gouvernements ne peuvent être efficaces que si les entreprises et les consommateurs dépensent. C’est pourquoi le gouverneur de la Banque du Canada, Mick Carney, a supplié les entreprises de dépenser ou de distribuer leur argent aux actionnaires. Il est peut-être vrai, comme le dit Paul Krugmann, influent économiste états-unien, que le plan de relance économique a manqué d’ambition. Trop petit, il n’a pas eu l’effet désiré. Mais, il ne faut pas sous-estimer d’autres facteurs qui échappent au contrôle gouvernemental, et qui ont accéléré la transformation de l’économie.

Produire plus avec moins

Bien qu’il y ait moins de personnes en emploi, l’économie états-unienne produit plus qu’en 2007. En 2011, le PIB [9] représentait 13.1 billions ($US)[10], ce qui est identique au niveau de 2007. On produit donc plus, mais avec moins d’employés, une tendance observée depuis le début du XXe siècle. Toutefois, depuis la Deuxième Guerre mondiale, les crises économiques n’ont jamais créé un taux de chômage de longue durée aussi élevé qu'en ce moment [11]. Si l’on songe que lors des prochains mois, des millions de chômeurs américains pourraient perdre leur assurance chômage [12], il y a de quoi s’inquiéter. Est-ce que l’économie moderne serait en train de marginaliser un nombre important de personnes aptes à travailler?

L’ancienne économie : le secteur manufacturier

Qu’est-il arrivé à l'économie américaine lors de la récession de 2007? D’une part, les entreprises ont, en premier lieu, congédié les employés qui produisaient la plus faible valeur ajoutée. Un concierge, par exemple, produit peu de valeur ajoutée, mais à long terme son absence aura des conséquences sur la productivité lorsque les installations, qui seront mal entretenues, provoqueront des arrêts de production.

Ensuite, étant donné que le coût des machines a diminué par rapport à celui du travail, les OutputManufacturierentreprises ont investi dans leur capital physique en améliorant leurs installations. À ce sujet, le Washington Post a rapporté que les entreprises américaines ont investi massivement en capital de 2009 à l’été 2012[13]. Ce qui a été une contribution majeure à l’accroissement du PIB. Par conséquent, la productivité s’est accrue, et la production américaine a pu augmenter sans augmentation significative du nombre de travailleurs. Paradoxalement, la Réserve fédérale américaine a peut-être encouragé l’investissement sur le capital au détriment de l’embauche de travailleurs en gardant son taux directeur très bas. [14]

D’autre part, nous pouvons expliquer l’accroissement significatif du taux de chômage de longue durée, particulièrement pour les travailleurs peu scolarisés, par le déclin du secteur manufacturier. Les accords de libre-échange ont permis aux entreprises de transférer leurs usines aux endroits où le coût de la main-d'œuvre est le moins élevé. Puisque la majorité des emplois transférés en Asie n'étaient pas spécialisés, le taux de chômage des travailleurs faiblement scolarisés a donc augmenté.

Comme au Québec, les transformations du secteur manufacturier états-uniens sont considérables. En 1950, le secteur manufacturier américain contribuait pour 25% au PIB. Il a chuté approximativement à 11% en 2010. La production totale du secteur manufacturier de la Chine a même dépassé celle des États-Unis en 2010.[15] Pendant ce temps, le secteur de la finance, des assurances, et des biens immobiliers a poursuivi la trajectoire inverse. De 10% en 1950, ce secteur est passé à 21% du PIB américain en 2010. Par conséquent, la fabrication et la vente du iPod, l’un des appareils électriques les plus populaires, n’auront créé que 13 900 emplois aux États-Unis, dont plusieurs emplois de vendeurs [16]. Les travailleurs peu scolarisés n’ont donc pas profité de l’émergence de la nouvelle technologie.

Finance et Manufacturier

On assiste à la disparition de l’un des derniers secteurs économiques qui offraient une rémunération élevée à une partie importante de la population peu scolarisée. En ce moment, seuls les secteurs de la construction et des ressources naturelles peuvent offrir une rémunération semblable. Mais est-ce assez important pour intégrer tous les travailleurs sans emplois? Pouvons-nous espérer un retour du secteur manufacturier?

En 2011, Foxconn, une importante compagnie taïwanaise en électronique, annonçait l’achat d’un million de robots qui assembleraient les futurs iPhone en remplacement de son personnel dans ses usines chinoises. Même en Chine, il peut être moins coûteux d’utiliser les machines pour réaliser des tâches répétitives. Le prix des machines diminue et leur puissance s’accroit. La robotisation pourrait tout aussi bien se produire aux États-Unis étant donné que le coût des machines est semblable d’un pays à l’autre. Les entreprises pourraient vouloir se rapprocher de leur marché. Ces raisons peuvent expliquer un retour du secteur manufacturier dans les pays riches. Toutefois, ce nouveau secteur manufacturier ne serait pas intensif en travailleur. Il utilisera les nouvelles avancées en informatique et en robotique pour accroître sa productivité. Ce qui permettra surtout aux techniciens et aux ingénieurs de recevoir un bon salaire, mais les travailleurs faiblement scolarisés seront laissé-pour-compte.

La nouvelle économie : la révolution numérique

Si la transformation de l’industrie manufacturière a eu des impacts sur le marché américain de l’emploi, nous assistons en parallèle à l’émergence d’un secteur économique dont nous aurions pu difficilement prédire son importance il y a 15 ans : l’industrie liée au Web 2.0.

L’émergence de Facebook, Apple, Google, etc. a transformé notre quotidien. Des entreprises, comme Google et eBay, nous étaient pratiquement inconnues en 2000. Actuellement, Google est le plus important moteur de recherche, et eBay est l’un des plus importants commerces en ligne. D’autres, comme Apple, ont révolutionné le divertissement et les communications. Facebook et Twitter ont, quant à eux, modifié la façon dont nous interagissons avec le monde. Mais ce n’est pas tout, ces entreprises révolutionnent l’économie américaine.

Tyler Cowen, professeur à l’université George Mason, souligne dans un essai [17] que les nouvelles grandes entreprises liées à l’Internet(ex : Google, Facebook, Twitter et eBay) emploient moins de travailleurs que les entreprises comparables de l’économie traditionnelle (ex : Ford, Walmart, Boeing). Le tableau ci-dessous en fournit une illustration : Boeing détient une valeur boursière de 53 G$ et emploie 171 700 travailleurs, alors que Facebook détient une valeur boursière s’élevant à 48 G$ et n’emploie aussi peu que 4 330 personnes. Nous spécifierons que les compagnies œuvrant dans l’énergie (Chevron et Exxon) ont un ratio semblable à celui de Google, ce qui reflète l’importance de l’énergie dans l’économie contemporaine.

Entreprises

Capitalisation boursière (en milliards)

Employés

Ratio
(Cap. Bours/Empl.)

Facebook

48.44 G$

4 330

11 184 484$/employé

Apple Inc.

494.45 G$

72 800

6 791 896$/employé

Google

212 .69 G$

53 550

3 972 099$/employé

eBay

60.2 G$

27 770

2 167 807$/employé

Procter & Gamble Co.

192.19 G$

126 000

1 525 317$/employé

General Electric

224.09 G$

301 000

744 485$/employé

Boeing

53.57 G$

171 700

311 998$/employé

Ford

40.3 G$

164 000

245,732$/employé

Walmart

231 G$

2 200 000

105,000 $/employé

Pourquoi les économistes ne s’en inquiètent-ils pas?

Certains politiciens ne nous avaient-ils pas avertis que les pays en voie de développement et les machines supprimeraient des emplois dans nos pays? Pourquoi les économistes n’ont-ils pas prédit la disparition des emplois et la création d’un chômage de longue durée?

Les économistes ont prédit que des types d’emplois disparaîtraient à cause des changements technologiques, mais ils ont aussi souligné que cela s’accompagnerait de la création de nouveaux emplois. Ils ont eu raison par le passé. Depuis l’avènement de la révolution industrielle, on a vécu un phénomène de destruction créative. Plusieurs types d’emploi, qui existaient en 1950, n’existent plus de nos jours. Et d’autres emplois, qui existent présentement, n’existaient pas en 1950. Mais, il n’y a pas eu l’apparition d’un chômage durable et significatif à la suite des chocs technologiques précédents. Le taux de chômage s’est toujours résorbé, et il ne s’est jamais transformé en chômage structurel. Toutefois, une résorption plus lente du chômage se manifeste depuis quelques décennies. Auparavant, un cocher, qui voyait son emploi disparaitre au profit de l’automobile, pouvait facilement être employé dans un autre secteur économique. Ses compétences étaient facilement transférables, car il était peu spécialisé. À notre époque, les emplois exigent des connaissances spécialisées, d’où la difficulté de trouver facilement un emploi bien rémunéré pour les travailleurs faiblement éduqués. On ne peut pas transférer des compétences du secteur manufacturier à l’industrie des services professionnels ou techniques à court terme. Cela exige un retour aux études qui peut être long et coûteux. Du coup, ce que l’on nomme le chômage conjoncturel, lié au ralentissement de la demande, dure de plus en plus longtemps après chaque récession.

Nous retrouverons probablement les niveaux d’emploi qui ont eu cours en 2007. Mais à quel prix? Combien de travailleurs seront employés à nouveau, mais avec un salaire peu élevé? D’autres seront tout simplement exclus du marché de l’emploi! C'est ce que montre en partie la chute du taux d’activité américain depuis 2008, c'est-à-dire le nombre de taux de personne qui travaille ou qui cherche activement un emploi a diminué significativement depuis 2007[18] Sommes-nous entrés dans ce nouvel équilibre où seul un diplôme post secondaire garantit un salaire décent? La figure 3.5 (ci-dessous) nous montre l’ampleur de ce phénomène. La progression des salaires s’est découplée lors des années 1970 pour les différentes catégories de travailleurs. Les individus ayant moins qu’un diplôme collégial n’ont pratiquement obtenu aucune augmentation salariale.

Des défis à l’horizon?

Les pays développés affronteront des défis économiques majeurs lors de la prochaine décennie. D’une part, l’accroissement du chômage et de la pauvreté diminuera les recettes fiscales des gouvernements. D’autre part, l’endettement des gouvernements réduira les possibilités d’accroître les dépenses fiscales pour subvenir aux besoins d'une partie importante de la population. Le gouvernement américain fournit déjà une quantité record de « Food Stamp » [19] à sa population défavorisée. À ce jour, les dépenses du gouvernement américain ont été financées en partie par la Réserve fédérale qui achète des bons du Trésor. Elle bénéficie toujours de la confiance des grands investisseurs. Il n’y a pas de panique pour l’instant sur les marchés obligataires, et il ne faudrait pas qu’il y en ait. Cela contraindrait la Réserve fédérale à augmenter ses taux d’intérêt et causerait un choc sur une économie déjà léthargique.

SalaireLe gouvernement se porte garant des « perdants » de cette nouvelle économie. Aux États-Unis, il a augmenté le nombre de semaines rémunéré dont bénéficient les chômeurs dans le cadre du programme d’assurance emploi (cette prolongation pourrait être abolie prochainement). Ce filet social permet aux individus favorisés de vivre dans une société pacifique. Ils paient des impôts élevés qui sont redistribués à des populations défavorisées afin de récolter la sécurité et la paix. On ne peut pas toutefois sacrifier une aussi grande partie de la population sans risquer des troubles sociaux à moyen et long terme. L’espoir d’un futur meilleur est probablement la meilleure incitation à devenir un citoyen exemplaire et à ne pas sombrer dans la criminalité. Un système qui marginalise une quantité importante de travailleurs n’est pas viable. Ce n’est pas du développement durable.

Quoi faire?

La nouvelle économie est celle de l’information. La production n’est pas matérielle; elle profite à nos esprits. Le coût de « consommer » l’information est peu élevée et ses barrières s’évanouissent. Lire cet article ou télécharger les données de Statistique Canada ne vous coûtera que le prix de votre abonnement à Internet (les données de Statistique Canada sont gratuites depuis janvier 2012). La nouvelle économie avantage donc les autodidactes habiles en informatique. Un économiste ou un analyste financier peuvent augmenter leur productivité s’ils sont à l'aise avec les outils informatiques et la programmation. Les travailleurs dont l’information est au cœur de leurs tâches pourront décupler leur productivité. Et, pendant ce temps, la productivité et le salaire des autres catégories de travailleurs stagneront.

Le phénomène décrit ci-haut du marché de l’emploi est une conséquence du libre-échange. Les économies se spécialisent d’après leurs avantages comparatifs. Puisqu’aucun pays ne veut ou ne peut fermer ses frontières aux échanges internationaux, la spécialisation du travail se poursuivra. Par conséquent, les secteurs intensifs en travail, comme le secteur manufacturier, automatiseront leurs opérations ou poursuivront leur migration vers les pays où le coût de la main-d'œuvre est moins élevé.

Quoi faire alors? La question mérite qu’on y apporte des éléments de réponse. Dans une économie où le savoir technique et les habiletés en réflexion abstraite seront exigés. Que peuvent faire les gouvernements afin d’assurer la prospérité à leurs populations. Nous mentionnerons brièvement certaines solutions :

1) Améliorer la connaissance des outils informatiques.

La connaissance de la programmation sera essentielle. C'est la grammaire universelle du futur. La connaissance d’un langage de programmation, aussi simple soit-il, pourrait améliorer la connaissance des autres langages de ce genre. On sous-estime trop souvent les avantages à connaître les outils de programmation dans les tâches professionnelles, surtout pour les étudiants en science sociale. Un diplômé en administration pourra programmer une application pour iPhone capable de produire des analyses financières complexes. Un diplômé en philosophie pourrait programmer une application permettant de présenter d’une façon originale les œuvres philosophiques. L’étudiant en sociologie sera plus rapidement à l’aise pour utiliser des logiciels de statistiques s’il connaît la programmation. L’habileté à manier les données et l’information devient un atout précieux pour la nouvelle économie. D’un autre côté, il faudrait impérativement détruire toute tendance au fétichisme technologique. La technologie n’est pas divine. Elle est simple et bête, et l’homme doit en être le maître. Il faut adapter la transmission de la connaissance sans transformer les futurs citoyens en fétichistes du progrès technique. Tout un défi!

2) Récompenser le risque entrepreneurial.

La nouvelle économie présente une occasion idéale pour les futurs entrepreneurs. C’est un cliché, mais il est vrai que la technologie élimine les frontières, surtout pour le commerce. Amazon et eBay permettent aux individus de vendre facilement des produits dans le monde entier avec des coûts d’exploitation très faible. Un individu avec des notions élémentaires en programmation peut programmer une application pour téléphone intelligent, et la vendre dans l’Apple Store ou le Google Play. Certaines applications ont rapporté plusieurs centaines de milliers de dollars à leur concepteur. La stagnation des revenus apporte une incitation supplémentaire aux individus au démarrage d'une petite entreprise. Le marché est immense et les outils sont peu coûteux. Les gouvernements devront adapter leur politique pour refléter ce changement dans le travail. Ils doivent encourager cette prise de risque avec des politiques adaptées à cette nouvelle ère. Il faut qu’un entrepreneur puisse se prémunir contre les nécessités basiques de la vie, logement et nourriture, advenant le cas que son aventure échoue. Le coût d’opportunité d’entrer en affaire ne doit pas être prohibitif. Dans ce cas, on peut se demander si un revenu minimal garanti pour tous les citoyens n’aiderait pas la prise de risque entrepreneurial?

3) Augmenter le taux de diplomation.

Soyons clairs : l’obtention d’un diplôme ne signifie pas nécessairement avoir de la culture, de l’éducation ou de l’intelligence. Un diplôme montre une chose : le détenteur détient un savoir spécialisé dans un domaine précis. Nous ne voulons pas minimiser le rôle de l’éducation classique. Il n’y aura probablement aucune autre époque que la nôtre où la lecture des grands classiques soit devenue une nécessité. Mais, le gouvernement doit favoriser l’obtention des diplômes en lien avec les exigences de l’économie moderne.

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Le professeur Cowen propose d'autres solutions originales, comme l'affaiblissement des droits liés au brevet:
http://marginalrevolution.com/marginalrevolution/2012/12/what-are-the-policy-implications-of-capital-biased-technological-change.html

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Au 19e siècle, Karl Marx prévoyait que le salaire des travailleurs diminuerait au point où il serait en dessous du niveau nécessaire pour survivre car les entreprises préféreraient investir leur profit dans les machines afin d’améliorer leur productivité. C’est à ce moment que la révolution prévue par Marx devait avoir lieu. Elle n’a pas eu lieu. L’émergence de l’État providence a permis aux travailleurs vulnérables de ne pas sombrer dans l’indigence et l’extrême pauvreté, et l’apparition des techniciens, dont dépend le bon fonctionnement des machines, a brouillé les prévisions de Marx. Le technicien est essentiel au fonctionnement des machines dont dépendent les profits des entreprises. En ce moment, une partie importante de la population souffre d’une stagnation ou un déclin de leur revenu. Parce que l’État fournit actuellement une assistance minimale aux populations défavorisées, il n’y a pas de risque social majeur. Toutefois, l’endettement actuel des gouvernements accentuera les pressions sur les dépenses du gouvernement.

Finalement, le Québec n’est pas à l’abri des fluctuations économiques mondiales. Lorsque les taux d’intérêt augmenteront, l’endettement public et privé aura des conséquences sur les recettes fiscales du gouvernement. Si ses ressources naturelles et son électricité constituent des atouts économiques indéniables, les gains en productivité ont principalement été réalisés entre 1960 et 1980. C'est pourquoi il n’y a pas de solutions faciles pour augmenter les revenus privés et publics. Pour des raisons sociales et financières, le Québec devra établir une politique agressive qui permettra d’accroitre : le nombre de travailleurs qui participeront au marché du travail et la productivité du Québec. On haussera ainsi les recettes fiscales nécessaires pour payer les intérêts de sa dette, fournir une éducation de qualité et un filet de sécurité sociale décent.



[1] Table 282-0088 : Labour force survey estimates (LFS), employment by North American Industry Classification System (NAICS), seasonally adjusted and

[1] http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/365557/le-passage-a-vide-serait-suivi-d-un-vigoureux-rebond-de-l-economie

[2] Tableau 282-0004 : Enquête sur la population active (EPA), estimations selon le niveau de scolarité atteint, le sexe et le groupe d'âge

[3] Par ailleurs, la Réserve fédérale planifie un autre achat massif d’actifs financiers à risque en 2013 afin de garder les taux d’intérêt bas.

[4] http://money.cnn.com/2012/12/03/news/economy/record-corporate-profits/

[5] La médiane étant la valeur du milieu d’un ensemble de données ordonnées, elle donne une meilleure représentation que la moyenne, qui peut être

[6] http://www.census.gov/prod/2012pubs/p60-243.pdf

[7] http://www.npr.org/blogs/money/2012/09/07/160502999/jobs-in-america-in-2-graphs

[8] http://www.economist.com/news/finance-and-economics/21565621-cash-has-been-piling-up-companies%E2%80%99-balance-sheets-crisis-dead?

[9] Ajusté pour l’inflation

[10] En anglais, on lira 13.1 trillions.

[11] http://www.bls.gov/spotlight/2012/recession/pdf/recession_bls_spotlight.pdf

[12] http://online.wsj.com/article/SB10001424127887324712504578133093359840804.html

[13] http://online.wsj.com/article/SB10001424127887324595904578123593211825394.html

[14] http://online.wsj.com/article/SB10001424127887324595904578123593211825394.html

[15] http://www.nytimes.com/2011/09/11/business/is-manufacturing-falling-off-the-us-radar-

[16] http://www.businessweek.com/the_thread/economicsunbound/archives/2008/12/how_many_us_job.html

[17] The Great Stagnation: How America Ate All The Low-Hanging Fruit of Modern History, Got Sick, and Will (Eventually) Feel

[18] Cette étude propose que la moitié de la réduction du taux d’activité soit causée par la récession économique.

[19] http://www.snaptohealth.org/snap/snap-frequently-asked-questions/#howmany

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