Le contexte du pétrole au Québec

Dominic Doucet

Alors que l’on prédisait un pic pétrolier voilà quelques années, les États-Unis ont produit plus de pétrole qu’ils en ont consommé en 2013, ce qui a même des conséquences au Québec, comme en témoigne la tragédie de Lac-Mégantic. Au même moment, le vieux rêve de voir un Québec producteur de pétrole pourrait se réaliser. Quel est le nouveau contexte énergétique en Amérique du Nord qui a placé le pétrole au centre des débats énergétiques du Québec?

Contexte énergétique

Le Québec profite d’une énergie abondante, renouvelable et bon marché: l’hydroélectricité. Si nous en étions privés, nous serions obligés d’importer des ressources naturelles pour produire de l’électricité, transférant ainsi des capitaux à l’étranger. Cette relative indépendance énergétique nous enrichit et nous protège des fluctuations du prix des ressources naturelles.

Il n’empêche que le coût de notre électricité ne cesse de croître. Les meilleures rivières ayant été harnachées, les projets de développement sont toujours plus coûteux. Par exemple, le coût unitaire moyen est de 6,4 cents/ kWh pour le projet La Romaine et de 2,09 cents/kWh pour l’ensemble des projets passés.

Si la production d’électricité ne nécessite pas de pétrole, ce dernier demeure une importante source d’énergie pour les secteurs du transport et de la chauffe. Le Québec n’en produit pas, il est obligé d’en importer d’Afrique du Nord et d’Europe pour être raffiné à Montréal (Suncor) et à Lévis (Ultramar). Son cours est déterminé par celui du Brent, dont le prix est plus élevé que celui du Western Texas Intermediate (WTI).

Le WTI est un pétrole de référence produit en Amérique du Nord qui transite par Cushing en Oklahoma, un important centre de stockage. Le Brent provient de la Mer du Nord, et sa valeur sur les marchés détermine aussi celui ui provient du nord de l’Afrique.

Historiquement, les prix du WTI et du Brent ont été à peu de choses près identiques. Depuis 2010, nous remarquons toutefois un écart qui est causé par la congestion du réseau de distribution en Amérique du Nord; les capacités de livraison du pétrole provenant des champs d’exploitation du nord des États-Unis vers les raffineries situées près du golfe du Mexique ne suffisent pas. L’offre dépassant les capacités de raffinage, les raffineurs ont alors l’avantage sur les producteurs. Le prix du WTI se situe donc de 5 à 20 $ en dessous de celui du Brent. Et il n’inclut pas le pétrole bitumineux qui, en raison de sa qualité inférieure, s’échange à la moitié du prix du Brent / WTI.

Le prix du pétrole en Amérique du Nord étant inférieur au prix international, l’industrie pétrolière, alliée avec le gouvernement du Canada, souhaite donc accroître les capacités de livraison canadienne pour profiter des prix des marchés d’exportation.

Plusieurs projets ont été annoncés :

Vers l’ouest : Northern Gareway : construction d’un pipeline vers Kitimat en Colombie-Britannique

Vers le sud : Keystone XL : construction d’un pipeline de l’Alberta vers Baker et Cushing aux États-Unis

Vers l’est : (1) Inversion de la ligne 9B : Inversion de l’oléoduc entre Sarnia à Montréal; (2) Transcanada-Est : Construction d’un oléoduc afin d’acheminer du pétrole à St-John’s au Nouveau-Brunswick

Si le Québec peut se croire isolé du nouveau contexte pétrolier, la tragédie ferroviaire du Lac Mégantic nous a rappelé que nous sommes tous touchés. En raison de la congestion des pipelines, on recourt de plus en plus au transport ferroviaire pour le transport du pétrole. Le train qui a déraillé transportait du pétrole en provenant des réserves de Bakken dans le nord des États-Unis, il était destiné à la raffinerie de Saint John au Nouveau-Brunswick

Le Québec : projet d’oléoduc

Au Québec, deux projet ont été proposés afin d’accroître la capacité de distribution du pétrole : l’inversion de la ligne 9-B d’Enbridge (entre Sarnia et Montréal) et le projet TransCanada-Est, qui prévoit la construction d’un oléoduc entre Montréal et St-John’s au Nouveau-Brunswick.

Ces projets soulèvent des questions de gouvernance importantes. En effet, les pipelines interprovinciaux sont de juridiction fédérale. C’est l’Office national de l’énergie qui détient la responsabilité de les évaluer. Si un projet est accepté, le gouvernement du Québec n’a pas le pouvoir constitutionnel de le refuser. Par contre, il peut adopter des lois dans ses champs de compétence afin d’améliorer l’acceptabilité sociale du projet. Il pourrait, par exemple, accroître les exigences environnementales ou prélever des redevances dans la mesure où ses actions n’auraient pas pour effet de rendre un projet irréalisable. Le gouvernement du Québec détient donc une marge de manœuvre limitée par la Constitution canadienne quant à ses choix énergétiques.[1]

Qu’en est-il pour les municipalités et propriétaires fonciers?

Pour ce qui est des redevances aux municipalités et aux propriétaires fonciers, la seule obligation de l’entreprise est de compenser le propriétaire du terrain sur lequel passera le pipeline. C’est une négociation qui se fait généralement en privé, mais dans certains cas une association, comme l’Union des producteurs agricole, peut négocier une entente-cadre pour ses membres. Par ailleurs, un refus catégorique d’un propriétaire peut amener le distributeur à exiger une expropriation. La compensation est alors déterminée en arbitrage.

Si les entreprises doivent compenser les propriétaires, elles ne sont pas obligées de compenser la gestion des risques couverts dans les plans d’intervention des gouvernements régionaux. Advenant le cas où un pipeline traverse leur territoire, les gouvernements municipaux n’ont pas droit à une redevance spéciale, à moins qu'ils ne soient propriétaires du terrain en cause.

Production québécoise de pétrole

Le rêve de voir un Québec producteur de pétrole est ancien. Déjà au 19e siècle, on confirmait la présence d’or noir en Gaspésie. En 1969, le gouvernement du Québec fonda la Société québécoise d'initiatives pétrolières, qui a fusionné avec la Société Générale de financement en 1998. Et, en 2002, le gouvernement du Québec mit sur pied Hydro-Québec Pétrole et Gaz afin d’évaluer le potentiel pétrolier et gazier, et, en 2005, il démantela H-Q Pétrole et Gaz et confia l’exploration au secteur privé. À la suite d’un appel d’offres lancé en 2008, Hydro-Québec céda une partie de ses droits d’exploitation à Pétrolia. Nous devons préciser que le gouvernement du Québec ne s’est jamais entièrement retiré de l’exploration pétrolière, Investissement Québec était en 2013 le deuxième actionnaire en importance de Pétrolia et le principal actionnaire de Junex.

Récemment, le gouvernement du Québec annonça un investissement de 115 M$ afin de vérifier la possibilité d’exploiter du pétrole sur l’île d’Anticosti. S’il y avait un potentiel rentable, le gouvernement du Québec pourrait toucher 60% des bénéfices liés à une éventuelle exploitation.

À l’époque, le démantèlement de la division Gaz et Pétrole a été expliqué par le fait que le secteur de l’exploration du pétrole est à très haut risque. Dans la perspective libérale québécoise, ce n’est pas au secteur public à l’assumer. Mme Rita Dionne-Marsolais, ex-ministre péquiste des Ressources naturelles, a critiqué cet argument : «L'investissement prévu à l'époque était de 30 millions par année, sur une dizaine d'années. Pour une Société qui fait plus de 10 milliards de revenus par année, ce n'est pas un risque énorme. On peut le prendre.»

Il est vrai que le secteur du pétrole est à très haut risque. Des millions de dollars ont été investis depuis des décennies dans le but d’exploiter du pétrole. Résultat : aucune production commerciale n’a été possible. Le Québec détient peu d’expertise dans ce secteur. Les entreprises actives en exploration doivent importer des autres provinces canadiennes l’équipement nécessaire pour forer, particulièrement lorsqu’il y a de la fracturation hydraulique. Il convient tout de même de souligner qu’une évaluation complète des réserves pétrolières techniquement récupérables aurait permis de vendre des droits d’exploitation à un plus haut prix.

Les enjeux

La possibilité que l’on exploite du pétrole au Québec soulève deux questions peu discutées: le risque pour les communautés territoriales et l’équité intergénérationnelle .

Risque pour les communautés territoriales

La production de pétrole est risquée. Les risques sont environnementaux, mais aussi sociaux. Havre St-Pierre, par exemple, assume le coût social de la construction du barrage la Romaine. es communautés territoriales ne devraient-elles pas bénéficier de redevances spéciales puisqu’elles supporteront un risque plus grand que les autres Québécois? Mme Marois s’y oppose. Elle a expliqué que le bénéfice de l’exploitation des ressources pétrolières doit profiter à tous les Québécois, sans exception. Sa réponse est dans la logique de sa conception de la gestion des ressources naturelles : elles appartiennent à tous les Québécois, elles doivent donc profiter également à tous.

À quoi on peut opposer une autre logique : les avantages doivent être proportionnels aux risques. Le risque étant limité à un territoire particulier, il est juste que les habitants de ce territoire aient une plus large part des redevances et l’on est en droit de s’attendre à ce que les Québécois dans leur ensemble se montrent solidaires à leur endroit. Cela favoriserait l’acceptabilité des projets par les populations locales.

Équité intergénérationnelle

Juridiquement, tout ce qui se retrouve dans le sous-sol est une propriété publique. L’État québécois est alors le gestionnaire de ces ressources, dont le pétrole. C’est pourquoi il peut exiger des redevances au nom de l’ensemble des Québécois. Le pétrole qui est sous terre ne s’enfuira pas. Et celui qui est exploité aujourd’hui ne pourra pas l’être demain. Exploiter ou ne pas exploiter, exploiter aujourd’hui ou demain, ces choix doivent s’appuyer sur les meilleures analyses possibles. Tous les scénarios doivent être envisagés. Ce n’est pas parce qu’on est en mesure d’exploiter un gisement qu’on doit le faire.

À condition que l’on prenne acte du fait que s’il appartient à tous les Québécois d’aujourd’hui, il appartient aussi aux générations futures. Si on décide de l’exploiter aujourd’hui, il faut donc, par souci d’équité intergénérationnelle, éviter que les redevances retirées de son exploitation ne servent à financer les dépenses courantes du gouvernement. Il faut plutôt les consacrer à des projets durables, des projets qui contribueront au bien-être des générations futures.

Des voix se font entendre afin que le Québec se libère du pétrole. C’est un but souhaitable certes, mais à long terme. Il n’y a pas de moyens faciles de l’atteindre. Puisque notre pétrole est destiné principalement au transport, nos pistes de solutions sont limitées. Le Québec n’influence guère le marché de l’automobile. La voiture électrique, par exemple, n’est pas le choix idéal dans plusieurs régions du monde : la production des accumulateurs lithium-ion est une activité très polluante et les émissions de gaz à effet de serre des automobiles varient en fonction de la source d’électricité utilisée. Les analyses de cycle de vie montrent qu’en Europe il faut parcourir près de 150 000km avec une voiture électrique pour bénéficier d’un gain environnemental. Bref, les voitures électriques ne révolutionneront pas le monde du transport dans un avenir rapproché.

Si nous voulons nous libérer du pétrole, c’est l’aménagement de notre territoire et la révision de nos modes de transport qui doivent être des priorités. Les redevances tirées de l’exploitation pétrolière pourraient être consacrées à l’élaboration d’un réseau de transport moins dépendant de la voiture individuelle.

Source:

[1] On retrouvera plus d'informations sur cette page http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/2013-13-e.htm

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