Hitler et la notion de force

Jocelyn Giroux
Mais voici d’abord un passage de Mein Kampf où Hitler, aussi monstrueux soit-il, fait preuve de plus de cohérence que les humanistes en soutenant que dans un univers entièrement dominé par la force, l’homme ne saurait relever de lois spéciales qui rendraient possible le règne de la justice: «l’homme ne doit jamais tomber dans l’erreur de croire qu’il est seigneur et maître de la nature…Il sentira dès lors que dans un monde où les planètes et le soleil suivant des trajectoires circulaires, où des lunes tournent autour des planètes, où la force règne partout et seule en maîtresse de la faiblesse, qu’elle contraint à la servir docilement ou qu’elle brise, l’homme ne peut pas relever de lois spéciales» (1).

Et voici le commentaire de Simone Weil: «Hitler a très bien vu l’absurdité de la conception du XVIIIe siècle encore en faveur aujourd’hui, et qui d’ailleurs a sa racine dans Descartes. Depuis deux ou trois siècles, on croit à la fois que la force est maîtresse unique de tous les phénomènes de la nature, et que les hommes peuvent et doivent fonder sur la justice, reconnue au moyen de la raison, leur relations mutuelles. C’est une absurdité criante. Il n’est pas concevable que tout dans l’univers soit soumis à l’empire de la force et que l’homme y soit soustrait, alors qu’il est fait de chair et de sang et que sa pensée vagabonde au gré des impressions sensibles. Il n’y a qu’un choix à faire. Ou il faut apercevoir à l’œuvre dans l’univers, à côté de la force, un principe autre qu’elle, ou il faut reconnaître la force comme maîtresse et souveraine des relations humaines aussi.

Dans le premier cas, on se met en opposition radicale avec la science moderne telle qu’elle a été fondée par Galilée, Descartes et plusieurs autres, poursuivie notamment par Newton, au XIXe, au XXe siècle. Dans le second on se met en opposition radicale avec l’humanisme qui a surgi à la Renaissance, qui a triomphé en 1789, qui sous une forme considérablement dégradée a servi d’inspiration à la IIIe République» (2).

Notes
1 Cité par Simone Weil in L’Enracinement, Éditions Gallimard, 1949, p. 302.
2 Ibid., p. 303.

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