En voulant déculpabiliser l’argent, ce sont les très riches qu’on a déculpabilisés

Jean-Claude Guillebaud

L'auteur réfléchit sur les suites de l'affaire Cahuzac.

Voilà plusieurs dizaines d’années qu’on veut nous convaincre qu’il est temps de « déculpabiliser » l’argent et ne plus avoir honte de faire fortune. La défiance des Français à l’égard de l’argent, nous dit-on, tiendrait à un vieux fond catho qu’il est urgent d’évacuer. (Ce qui est idiot : la même défiance se retrouve dans toutes les confessions et toutes les sagesses.) Du coup, on a laissé progressivement l’argent devenir la référence ultime, la valeur clé, l’étalon le plus fiable pour mesurer le degré de réussite et de bonheur. C’est fou.

À partir du moment où l’on fait de l’argent un roi, on est moins regardant sur la façon dont il est gagné. De fait, la grande presse - y compris à gauche - a pris l’habitude de célébrer les hyper-riches comme des rockstars, et les milliardaires comme des princes charmants. En voulant déculpabiliser l’argent, ce sont ces très riches qu’on a déculpabilisés. Dans une France gagnée par la pauvreté et la précarité, la fortune a donc pu s’étaler avec une arrogance presque pornographique.

Jean-Claude Guillebaud, "Quand les cyniques font la morale", Sud Ouest, 7 avril 2013

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