En marge du Don Quichotte

Miguel de Unamuno
"Sous ce titre : Vie de Don Quichotte et de Sancho, selon Miguel de Cervantes Saavedra, M. Miguel de Unanumo, recteur de l’Université de Salamanque, vient de publier un commentaire moral, chapitre par chapitre, de l’immortel chef-d’œuvre. M. de Unamuno est aujourd’hui en Espagne une sorte de sermonnaire laïque, l’apôtre le plus convaicu et le plus éloquent de la foi idéaliste (*) : c’est assez dire que son livre est une apothéose de Don Quichotte. On appréciera, dans les extraits qu’on va lire, l’originalité de la pensée et la chaleur de l’accent." (texte apparaissant au début de l'article)

(*) Sur les idées de M. de Unamuno, voir dans la Revue du 15 août 1904 l’article de M. Boris de Tannenberg.
Vocation de Don Quichotte
(Première partie, chap. I)


Nous ne savons rien de la naissance de Don Quichotte, rien de son enfance et de sa jeunesse, ni comment se forgea le cœur du Chevalier de la Foi, dont la folie nous enseigne à être sages. Nous ne savons rien de ses parents, de son lignage et de sa généalogie, ni comment se gravèrent dans son esprit les visions de la paisible plaine de la Manche, où il avait coutume de chasser; nous ne savons rien de l’action qu’exerça sur son âme la contemplation des champs de blé parsemés de pavots et bleuets; nous ne savons rien de ses jeunes années.

De tout cela rien ne nous a été conservé ni par la tradition orale, ni par aucun témoignage écrit, et s’il y eut quelque témoignage de ce genre, il s’est perdu ou reste enfoui sous la poussière des siècles. Nous ne savons pas s’il donna ou non des preuves de son courage intrépide et héroïque dès sa tendre enfance, à la manière de ces saints de naissance, qui, encore poupards, ne tettent pas les vendredis et jours de jeûne par mortification et pour donner le bon exemple.

Pour ce qui est de sa famille, il déclara lui-même à Sancho, lorsqu’il conversait avec lui après la conquête de l’armet de Mambrin, que s’il était fils d’hidalgo, de souche connue, ayant possession et propriété, et bon pour exiger cinq cents sous de réparation, il ne descendait pas de rois, quoique, malgré cela, le sage qui écrirait son histoire pourrait arranger si bien sa généalogie qu’il se trouvât arrière-petit-fils de roi, à la cinquième ou sixième génération. Et de fait il n’est personne qui, de plus ou moins loin, ne descende des rois, et de rois détrônés. Mais lui était des familles qui sont et non de celles qui furent. Son lignage commence avec lui. […]

L’hidalgo nous apparaît au moment où il frisait la cinquantaine, dans un village de la Manche, vivant chichement : un pot-au-feu, plus souvent de mouton que de bœuf, une vinaigrette presque tous les soirs, des abatis de bétail le samedi, le vendredi des lentilles, et le dimanche quelque pigeonneau par surcroît consommaient les trois quarts de son revenu. Le reste se dépensait en un pourpoint de drap fin, des chausses de panne avec leurs pantoufles de même étoffe, pour les jours de fête, et un habit de la meilleure serge du pays dont il se faisait honneur les jours de semaine (1). À une maigre nourriture passaient les trois quarts de ses rentes et le quatrième à un modeste vêtement. C’était donc un hidalgo pauvre, mais de ceux qui ont lance au râtelier. […]

La pauvreté de notre hidalgo explique la majeure partie de sa vie, comme de la pauvreté du peuple jaillit la source de ses vices et à la fois de ses vertus. La terre qui alimentait Don Quichotte est une terre pauvre, si écorchée par des averses séculaires que partout affleurent à ras du sol ses entrailles de granit. Il suffit de voir comment coulent pendant l’hiver ses rivières, resserrées sur de longs espaces entre des crevasses, des gorges et des ravins, et emportant à la mer dans leurs eaux fangeuses le riche terreau qui devrait donner à la terre sa verdure. Et cette pauvreté du sol rendit ses habitants vagabonds, car ou ils devaient aller chercher leur pain sur des terres lointaines, ou ils devaient conduire les brebis dont ils vivaient de pâturage en pâturage. Notre hidalgo dut voir, d’année en année, passer les pasteurs conduisant leurs mérinos, sans foyer fixe, à la grâce de Dieu, et peut-être en les voyant songea-t-il parfois à visiter des terres nouvelles et à courir le monde.

Il était pauvre, de complexion robuste, maigre de corps, sec de visage, fort matineux et ami de la chasse. D’où on peut déduire qu’il était du tempérament colérique, où prédomine la chaleur et la sécheresse, et à lire l’Examen des génies que dédia le docteur Don Juan Huarte au roi Philippe II, on verra comme s’applique bien à Don Quichotte ce que dit des tempéraments chauds et secs l’ingénieux médecin. De ce tempérament était aussi ce chevalier du Christ, Ignace de Loyola, dont nous aurons beaucoup à parler ici. Le P. Pedro de Rivadeneyra (2), dans le cinquième chapitre de sa Vie d’Ignace, nous dit qu’ « il était chaud de complexion et très colérique; mais il triompha par la suite de la colère, conservant la vigueur et l’impétuosité qu’elle donne et qui lui était nécessaire pour exécuter les choses dont il s’occupait. » Et il est naturel que Loyola fût du même tempérament que Don Quichotte, car il devait être capitaine d’une milice et son art fut un art militaire. Et jusque dans les plus petits détails s’annonçait ce qu’il devait être, car en nous décrivant sa stature et son aspect physique dans le chapitre XVIII du livre IV son historien nous dit qu’il avait le front large et lisse et une calvitie de très vénérable aspect. Ce qui concorde avec le quatrième signe indiqué par le Dr Huarte pour reconnaître celui qui possède le génie militaire, et c’est d’avoir la tête chauve, « pour une raison bien claire », nous dit-il, ajoutant ceci : « En effet cette sorte d’imaginative réside dans la partie antérieure de la tête, comme toutes les autres; et la chaleur excessive brûle la peau de la tête et ferme les canaux par où doivent passer les cheveux. » D’où je conclu que, malgré le silence sur ce point du très ponctuel historien de Don Quichotte, celui-ci avait aussi le front large, spacieux et sans rides, et en outre était chauve.

Don Quichotte était ami de la chasse, exercice où l’on apprend les ruses et les artifices de la guerre, et c’est ainsi que poursuivant les lièvres et les perdrix il courut et parcourut les alentours de son village, et il dut les parcourir, solitaire silhouette, sous l’éclat sans tache du ciel de la Manche.

Il était pauvre et oisif; oisif la plus grande partie de l’année. Et il n’est rien dans le monde de plus ingénieux que la pauvreté dans l’oisiveté. La pauvreté lui faisait aimer la vie, le préservait de toute satiété et le nourrissait d’espérances, et l’oisiveté dut le faire penser à la vie qui ne finit pas, à la vie qui immortalise. Combien de fois ne rêva-t-il pas dans ses parties de chasse matinales que son nom s’étendit à la ronde à travers ces vastes plaines, pénétrât dans tous les foyers et résonnât sur toute l’étendue de la terre et des siècles! Son oisiveté nourrit sa pauvreté de rêves d’ambition, et, détaché des aises de la vie, il désira une immortalité éternelle.

En ces quarante et quelques années de sa vie obscure, car notre hidalgo frisait la cinquantaine lorsqu’il débuta dans son œuvre d’immortalité, en ces quarante et quelques années, qu’avait-il fait en dehors de chasser et d’administrer son bien? Durant les longues heures de sa lente vie, de quelles contemplations nourrit-il son âme? Car il était un contemplatif, puisque seuls les contemplatifs se préparent à une œuvre comme la sienne.

Qu’on note bien qu’il ne se donna au monde et à son œuvre rédemptrice que vers la cinquantaine, dans la pleine maturité de sa vie. Sa folie ne fleurit donc pas avant que n’eussent mûri sa sagesse et sa bonté. Ce ne fut pas un jeune homme qui se lance follement, en écervelé, dans une carrière mal connue, mais un homme sensé et sage qui devient fou par pure maturité d’esprit.

L’oisiveté et un amour malheureux dont je parlerai plus tard le firent s’adonner à la lecture des livres de chevalerie avec tant de goût et de plaisir qu’il en oublia presque entièrement l’exercice de la chasse et l’administration de son bien; et même il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à blé pour acheter des livres de chevalerie, car l’homme ne vit pas seulement de pain. Et il nourrit son cœur des hauts faits et prouesses de ces vaillants chevaliers qui, détachés de la vie qui passe, aspirèrent à la gloire qui reste. Le désir de la gloire fut son ressort d’action.

Et ainsi, à force de peu dormir et de beaucoup lire, son cerveau se déssécha de manière qu’il en vint à perdre le jugement… Pour notre bien, il le perdit; pour nous laisser un éternel exemple de générosité spirituelle. Avec du jugement, aurait-il été si héroïque? Il fit sur les autels de son peuple le plus grand sacrifice : celui de son jugement. Son imagination se remplit de belles extravagances, et il prit pour vérité ce qui n’était que beauté. Et il le crut avec une foi vive, une foi génératrice d’œuvres, qui décida de réaliser ce que sa folie lui présentait, et à force de le croire le convertit en réalité.

En effet, ayant perdu l’esprit sans ressource, il vint à donner dans la plus étrange pensée dont jamais fou se fût avisé dans le monde. Il lui parut convenable et nécessaire, aussi bien pour l’éclat de sa gloire que pour le service de son pays, de se faire chevalier errant; de s’en aller par le monde, avec son cheval et ses armes, chercher les aventures; et de pratiquer tout ce qu’il avait lu que pratiquaient les chevaliers errants, redressant toutes sortes de torts, et s’exposant à tant de rencontres, à tant de périls qu’il s’acquît, en les surmontant, une éternelle renommée. Obtenir une renommée éternelle, telle était pour lui la grande affaire; l’accroissement de son honneur d’abord, puis le service de sa république. Et son honneur, quel était-il? Qu’entendait-on par cet honneur dont était si pleine alors notre Espagne? Qu’était-ce, sinon une expansion dans l’espace et un prolongement dans le temps de la personnalité? Cela pourra paraître égoïste, et on trouvera plus noble et plus pur de chercher d’abord, sinon uniquement, le service de la république selon le mot : « Cherchez le royaume de Dieu et sa justice », et de le chercher par amour du bien même; mais ni les corps ne peuvent s’empêcher de tomber à terre, puisque telle est leur loi, ni les âmes d’obéir à la loi de la gravitation spirituelle, à la loi de l’amour-propre et du désir d’honneur…

Le pauvre et ingénieux hidalgo ne chercha pas profit passager ni jouissance de son corps, mais une renommée éternelle, mettant ainsi son nom au-dessus de lui-même. Il se soumit à sa propre idée, au Don Quichotte éternel, à la mémoire qui resterait de lui. « Qui perd son âme la gagnera », dit Jésus, c’est-à-dire gagnera l’âme qu’il a perdue et non autre chose. Alonso Quijano perdit le jugement pour le gagner en Don Quichotte : un jugement glorifié.

Il s’imaginait déjà, le pauvre rêveur, voir couronner la valeur de son bras au moins par l’empire de Trébizonde, et il se hâta de mettre son désir en pratique. Il ne fut pas seulement un contemplatif, mais il passa du rêve à l’exécution de son rêve. Et la première chose qu’il fit fut de nettoyer les pièces d’une armure qui avait appartenu à ses bisaïeux, car il partait pour combattre dans un monde à lui inconnu, avec des armes héritées qui depuis des siècles gisaient oubliées dans un coin. Mais auparavant il nettoya les armes, Que la rouille de la paix avait usées,
(Camoens, Lusiades, IV, 22) et il se fabriqua une demi-salade avec du carton, et tout le reste que vous savez comment il essaya, sans vouloir répéter l’essai, en quoi il montra combien sa folie était raisonnable. Et il fut voir ensuite sa monture, et il l’agrandit avec les yeux de la foi et lui donna un nom. Et ensuite il s’en donna un à lui-même, nom nouveau, comme il convenait à sa rénovation intérieure, et il s’appela Don Quichotte, nom avec lequel il a obtenu l’éternité de la gloire. Et il fit bien de changer de nom, car avec son nom nouveau il devint vraiment hidalgo, si nous nous en rapportons à la doctrine du susdit docteur Huarte, qui, dans l’œuvre déjà citée, s’exprime ainsi : « L’Espagnol qui inventa ce nom, hidalgo, donna bien à entendre que les hommes ont deux sortes de naissance. L’une est naturelle, et par elle tous les hommes sont égaux; l’autre est spirituelle. Quand l’homme fait quelque action héroïque, alors il naît de nouveau et acquiert de nouveaux et meilleurs parents et perd l’être qu’il avait auparavant. Hier, il se nommait fils de Pedro et petit-fils de Sancho; maintenant, il se nomme fils de ses œuvres. D’où le proverbe castillan qui dit : « Chacun est fils de ses œuvres »; et parce que, selon la Divine Écriture, les actions bonnes et vertueuses sont quelque chose (algo), et les vices et péchés ne sont rien, on composa ce nom de hidalgo (hijo de algo), qui veut dire descendant de celui qui fit quelque action extraordinaire… » Et ainsi Don Quichotte, descendant de lui-même, naquit en esprit lorsqu’il se décida à sortir à la recherche des aventures, et il s’attribua un nouveau nom en raison des hauts faits qu’il pensait exécuter.

Après quoi, il chercha une dame dont il se déclarât amoureux. Et dans l’image d’Aldonza Lorenzo, jeune paysanne de bonne mine, dont il avait été amoureux quelque temps, bien que la belle n’en eût jamais rien su, il incarna la gloire et la nomma Dulcinée de Toboso.

* * *


Don Quichotte chez les chevriers
(Première partie, XI)

Don Quichotte et son écuyer reçurent bon accueil de quelques charitables chevriers, qui les invitèrent à leur repas; Dieur leur en aura tenu compte. Don Quichotte accepta; il s’assit sur une auge renversée, fit asseoir fraternellement Sancho à son côté, et alors, après avoir satisfait son estomac, il prit dans la main une poignée de glands et adressa aux chevriers ce fameux discours sur l’âge d’or, qui est reproduit dans tous les recueils de Morceaux choisis. Mais nous ne faisons pas ici de littérature, et ce qui nous importe, ce n’est pas la lettre sonore, mais l’esprit fécond, quoique silencieux. Ce discours est un de ces discours quelconques comme on en prononce, et ce siècle d’or passé est un reflet adouci de ce siècle futur où le loup habitera avec l’agneau et le lion mangera de la paille comme le bœuf, selon le prophète Isaïe (chap. XI).

La harangue en elle-même n’offre pas grand’chose à débrouiller. Heureux âge et siècles heureux, ceux auxquels les anciens donnèrent le nom d’âge d’or… et ce qui suit. Ne soyons pas surpris d’entendre Don Quichotte chanter les temps d’autrefois. C’est la vision du passé qui nous pousse à la conquête de l’avenir : du bois de nos souvenirs nous étayons nos espérances. Le passé seul est beau; la mort embellit tout…

Ce n’est pas le discours de Don Quichotte qu’il nous faut expliquer. Les paroles du chevaliers n’ont de valeur et d’intérêt que lorsqu’elles sont le commentaire ou la répercussion de ses actes; pour ce qui est de discourir, il discourait selon ses lectures et le savoir du siècle qui eut le bonheur de le posséder; mais pour ce qui est d’agir, il agissait selon son cœur et le savoir éternel. Et ainsi, dans cette harangue, ce n’est pas la harangue même, en soi un peu banale, mais le fait de l’adresser à d’humbles chevriers, qui ne devaient pas la comprendre, que nous devons considérer, et en cela consiste l’héroïsme de cette aventure.

C’est une aventure en effet, et des plus héroïques. Car parler est toujours une forme de l’action, et quelquefois la plus difficile de toutes; et c’est une entreprise généreuse que d’administrer le sacrement de la parole à ceux qui ne doivent pas la comprendre selon le sens matériel. Il faut avoir dans l’esprit une foi robuste pour parler ainsi à ceux qui ont l’intelligence paresseuse, et être sûr que sans nous comprendre ils nous comprennent, et que la bonne semence va pénétrer dans leurs esprits sans qu’ils s’en aperçoivent.

Parle, toi qui considères avec moi, plein d’une foi sincère, la vie de Don Quichotte; parle même si l’on ne te comprend pas, car on finira par te comprendre. Que les gens voient que tu leur parles sans rien leur demander ou parce qu’ils t’ont donné auparavant gratuitement, et c’est assez déjà. Parle aux chevriers comme tu parles à ton Dieu, du fond du cœur et dans la langue que tu te parles à toi-même, tout seul et dans le silence. Plus ils vivront plongés dans la vie de la chair, plus leurs esprits seront libres de brumes, et la musique de tes paroles y résonnera mieux que dans l’esprit des bacheliers à la manière de Samson Carrasco. Car ce ne fut pas la rhétorique recherchée de Don Quichotte qui éblouit les esprits des chevriers, mais le fait de le voir armé de but en blanc, avec sa lance à son côté, les glands dans sa main, et assis sur une auge, faisant résonner dans l’air qu’ils respiraient tous des paroles sereines et vibrantes, d’une voix pleine d’amour et d’espérance.

Certaines personnes croiront que Don Quichotte aurait dû s’adapter au public qui l’écoutait et parler aux chevriers de la question chevrière et de la manière de les affranchir de leur basse condition de pasteurs de chèvres. Sancho l’aurait fait s’il avait eu assez de savoir et d’audace pour cela, mais Don Quichotte en jugea autrement. Don Quichotte savait bien qu’il n’y avait qu’une seule question, la même pour tous, et que ce qui rachètera de sa pauvreté le pauvre rachètera, en même temps, le riche de sa richesse…

Le malicieux Cervantes nomme le discours de Don Quichotte inutile harangue, mais pour ajouter que les chevriers l’écoutèrent ébahis. La vérité de l’histoire s’impose ici, car si Don Quichotte produisit cet effet par sa harangue, celle-ci ne fut pas inutile. Et qu’elle ne le fut pas, la preuve en est dans les prévenances dont il fut l’objet : on voulut le distraire en faisant chanter un berger amoureux. L’esprit produit l’esprit, comme la lettre produit la lettre, et la harangue de Don Quichotte provoqua, en retour, des chants au son de la viole rustique. La parole pure ne fut donc pas inutile; elle ne l’est jamais. Si le peuple ne la comprend pas, il éprouve cependant le désir de la comprendre, et lorsqu’il l’entend, il se met à chanter.

* * *


La charitable Maritorne
(Première partie, XVII)


Maritorne aima beaucoup, bien qu’à sa manière, comme tout le monde, et pour cela lui seront pardonnés ses ébats avec les muletiers, d’autant qu’elle s’y prêtait par pure bonté de cœur.

Croyez bien que la généreuse fille asturienne cherchait plus à donner du plaisir qu’à en recevoir, et si elle se livrait, comme il arriva à mainte maritorne, c’était pour ne pas peiner et se consummer les hommes. Elle voulait purifier les muletiers des honteux désirs qui leur salissaient l’imagination et les laisser propres pour le travail. Elle se piquait d’avoir du sang d’hidalgo dans les veines, dit Cervantes, et par noblesse d’âme elle convint d’aller s’ébattre avec le muletier et de lui satisfaire son envie en tout ce qu’il lui demanderait; elle ne songeait pas à elle-même. Et par ce simple désintéressement, sans recherche de vice comme sans minauderies d’innocence, la bonne Asturienne s’est immortalisée…

Croyez qu’il y a peu de passages plus chastes. Maritorne n’est pas une coureuse de profession, qui pour ne pas travailler fait commerce de son corps, et ce n’est pas une corruptrice qui ensorcelle les hommes en excitant leurs désirs pour les détourner de leur chemin et les distraire de leur tâche; elle est simplement une fille d’auberge qui travaille et sert, et adoucit les peines des voyageurs, pour qu’ils puissent reprendre plus allègrement leur route. Elle n’allume pas les désirs, mais éteint ceux que d’autres, moins détachées, ou l’excès de la vie charnelle avaient allumés. Et croyez bien que si la chose est coupable, il l’est beaucoup plus d’exciter à dessein des convoitises, comme le fait la coquette, pour ne pas les satisfaire. Maritorne ne pèche ni par paresse, ni par cupidité, ni par luxure : c’est dire qu’elle pèche à peine. Elle ne cherche ni à vivre sans travail ni à séduire les hommes. Il y a un fonds de pureté dans sa grossière impureté.

Elle fut bonne en offrant un verre de vin à Sancho, qui sortit de l’auberge très content de ne pas avoir payé.

* * *


Don Quichotte et les galériens
(Première partie, XXII)


Alors se présenta à Don Quichotte une de ses plus grandes aventures, et peut-être la plus grande de toutes, qui fut de délivrer les galériens. Ils étaient conduits prisonniers par force et non de leur volonté, et cela suffit à Don Quichotte.

Il s’enquit de leurs délits, et de tout ce qu’ils lui dirent il tira au clair que, si on les avait châtiés pour leurs fautes, les peines qu’ils allaient souffrir ne leur faisaient pas grand plaisir et qu’ils les subiraient de très mauvais gré, et peut-être injustement. En conséquence, il résolut de leur porter secours comme à des malheureux et à des faibles opprimés par les plus forts, car c’est une chose monstrueuse que de rendre esclaves ceux que Dieu et la nature ont faits libres. Et d’ailleurs, seigneurs gardiens, ajouta Don Quichotte, ces pauvres diables ne vous ont fait nulle offense; eh bien! que chacun d’eux reste avec son péché : il y a un Dieu au ciel, qui ne néglige ni de châtier le méchant ni de récompenser le bon, et il n’est pas bien que des hommes d’honneur se fassent les bourreaux d’autres hommes, quand ils n’ont nul intérêt à cela; et ainsi demanda-t-il avec douceur qu’on les relachât. Les gardiens ne voulurent pas le faire de bonne grâce, mais Don Quichotte s’élança violemment sur eux et, avec l’aide de Sancho et des galériens eux-mêmes, il réussit à délivrer ces derniers.

Il faut s’arrêter à considérer le courage intrépide et justicier que dans cette aventure montra l’hidalgo. Mon malheureux ami Angel Ganivet, grand quichottiste, - ce qui est bien différent, et même le contraire, de ce qu’on appelle d’ordinaire cervantiste, - le malheureux Ganivet, dans son Idearium Espagnol (3), dit au sujet de cette aventure :

« L’intelligence qui a pénétré le plus à fond dans l’âme de notre nation, Cervantes, sépara d’une manière absolue dans son livre immortel la justice espagnole de la justice vulgaire des codes et des tribunaux; il incarna la première en Don Quichotte et la seconde en Sancho Panza. Les seuls arrêts judiciaires modérés, prudents et équilibrés qui se trouvent dans le Don Quichotte sont ceux que dicta Sancho, comme gouverneur de son île; en revanche, ceux de Don Quichotte sont absurdes en apparence, par le fait même qu’ils sont d’une justice transcendante; il pèche tantôt par excès, tantôt par défaut. Toutes ses aventures visent à maintenir la justice idéale dans le monde, et lorsqu’il rencontre la chaîne des galériens et reconnaît en eux des criminels effectifs, il se hâte de les mettre en liberté. Les raisons qu’allègue Don Quichotte pour délivrer les condamnés aux galères sont un résumé de celles qui alimentent la rébellion de l’âme espagnole contre la justice positive. Oui, il faut lutter pour que la justice règne dans le monde; mais il n’y a pas de droit strict à châtier un coupable, tant que d’autres s’échappent à travers les mailles de la loi; car enfin l’impunité générale s’accorde avec des aspirations nobles et généreuses, quoiquea contraires à la vie régulière des sociétés, au lieu que le châtiment des uns et l’impunité des autres constituent un outrage à la fois aux principes de justice et aux sentiments d’humanité. » Ainsi parle Ganivet.

Il faut regretter qu’un esprit aussi inventif que le sien ait pu croire, conformément à l’opinion commune, que Cervantes incarna une idée quelconque en Don Quichotte, et ne soit pas arrivé à cette foi, foi salutaire, que l’histoire de l’ingénieux hidalgo fut une histoire réelle et vraie, et en outre éternelle, puisqu’elle se réalise continuellement en chacun de ceux qui croient en lui. Ce n’est pas que Cervantes ait voulu incarner en Don Quichotte la justice espagnole, mais il trouva cet épisode dans la vie du Chevalier, et il dut le conter comme il se passa, même sans en saisir toute la portée. Il n’aperçut même pas l’intime contradiction qui résulte du fait que Don Quichotte, qui châtia les marchands de Tolède, le Bizcayen et tant d’autres encore, est justement celui qui refuse à d’autres le droit de punir.

Ganivet s’arrête au seuil du quichottisme en supposant que la justice de Don Quichotte envers les galériens se fonde sur « ce qu’il n’y a pas de droit strict à châtier un coupable tant que d’autres s’échappent à travers les mailles de la loi », et que l’impunité de tous est préférable à la loi du bon plaisir. On pourrait en effet soutenir que ce fut cette raison qui poussa Don Quichotte à délivrer les galériens en s’appuyant sur les paroles prononcées par lui dans la harangue adressée aux chevriers, et où il dit en parlant du siècle d’or : La loi du bon plaisir ne s’était pas encore emparée de l’esprit du juge, car il n’y avait alors ni chose ni personne à juger. Mais quand Don Quichotte lui-même se serait imaginé que telle fut la raison de sa conduite à l’égard de ces misérables, il est certain que c’est plus au fond de son cœur que plongent les racines de cet exploit. Et le lecteur ne doit pas s’en étonner ni prendre cela pour un paradoxe, parce que ce n’est pas toujours celui qui mène à bonne fin une grande action qui connaît le mieux les motifs pour lesquels il l’a accomplie. Les raisons que nous donnons pour la justification de notre conduite ne sont le plus souvent que des raisons a posteriori, ou, pour ainsi dire, de seconde main; c’est une manière d’expliquer à nous-mêmes et aux autres le pourquoi de nos actes, le véritable pourquoi restant d’ordinaire inconnu. Je ne nie pas que Don Quichotte ne crût, avec Ganivet et peut-être avec Cervantes, qu’il délivra les galériens par horreur pour la loi du bon plaisir et parce qu’il lui semblait injuste de châtier les uns tandis que d’autres s’échappent à travers les mailles de la loi; mais j’affirme que lorsqu’il les délivra il ne fut pas mû en réalité, et au fond de lui-même, par une considération de ce genre. Sans cela, pour quelle raison et de quel droit châtiait-il, lui, Don Quichotte, comme il châtiait, sachant que la majorité des coupables échapperait à la rigueur de son bras? Pourquoi Don Quichotte châtiait-il, s’il n’y a pas de châtiment humain qui soit absolument juste?

Don Quichotte châtiait, c’est certain, mais il châtiait comme Dieu et la nature, immédiatement, comme conséquence toute naturelle de la faute. Ainsi châtia-t-il les muletiers qui portèrent la main à ses armes pendant qu’il les veillait, levant sa lance à deux mains et la déchargeant sur leur tête pour se remettre ensuite à marcher de long en large avec autant de calme qu’auparavant et sans plus s’occuper d’eux; ainsi menaça-t-il Juan Haldudo, le riche, mais pour le relâcher ensuite sur sa parole de payer Andrès; ainsi s’élança-t-il sur les marchands tolédans, à peine les eut-il entendus blasphémer contre Dulcinée; ainsi fut-il vainqueur de Don Sancho de Azpeitia, le relâchant sur la promesse des dames qu’il irait se présenter à Dulcinée; ainsi attaqua-t-il les Yangois en les voyant maltraiter Rossinante. Sa justice était rapide et exécutive; sentence et châtiment étaient pour lui une même chose; le tort une fois redressé, il ne s’acharnait pas contre le coupable. Et jamais il n’essaya de rendre personne esclave.

Il aurait été bien qu’en prenant chacun de ces galériens on lui eût administré une volée de coups de bâton, mais… les mener aux galères? C’est une chose monstrueuse, comme dit le Chevalier, de rendre esclaves ceux que Dieu et la nature firent libres. Et il ajouta : Que chacun d’eux reste avec son péché. Il y a un Dieu au ciel qui ne néglige ni de châtier le méchant ni de récompenser le bon, et il n’est pas bien que des hommes d’honneur se fassent les bourreaux d’autres hommes, quand ils n’ont nul intérêt à cela.

Les gardiens qui menaient les galériens les menaient froidement, par métier, en vertu d’un ordre donné par un homme qui peut-être ne connaissait pas les coupables, et ils les menaient à la prison. Or le châtiment, lorsque de réponse naturelle à la faute, de rapide réplique à l’offense reçue, il se convertit en application d’une justice abstraite, se rend un peu odieux à tout cœur bien né.

Les Écritures nous parlent de la colère de Dieu et des châtiments immédiats et terribles qu’il fulminait sur les violateurs de son pacte; mais une captivité éternelle, un supplice sans fin basé sur de froids arguments théologiques, sur l’infinité de l’offense et la nécessité d’une satisfaction infinie, est un principe qui répugne au christianisme quichottesque. Il est bon que la faute soit suivie de sa conséquence naturelle, le coup de la colère de Dieu ou de la colère de la nature, mais la dernière et définitive justice est le pardon. Dieu, la nature et Don Quichotte châtient pour pardonner. Un châtiment qui n’est pas suivi du pardon et ne tend pas à l’octroyer à la fin n’est pas un châtiment, mais un acharnement inutile.

On me dira : Si l’on doit pardonner, pourquoi le châtiment? Pourquoi? me demandez-vous. Pour que le pardon ne soit pas gratuit et ne perde pas ainsi tout mérite; pour qu’il gagne de la valeur parce qu’il en coûte de l’obtenir, parce qu’il faut l’acheter en subissant une peine; pour que le coupable se mette en état de recevoir le fruit, le bénéfice du pardon, une fois effacé par le châtiment le remords qui l’en empêcherait. Le châtiment satisfait l’offenseur, non l’offensé, et même rien ne répugne davantage à celui-là que le pardon gratuit, qui lui apparaît comme la forme quintessenciée de la vengeance, comme fleur de dédain. Le pardon gratuit est un pardon qui se jette comme une aumône. Les faibles se vengent et pardonnent sans avoir châtié. Nous savons plus de gré de l’accolade, si elle est cordiale, après le soufflet qui a répondu à notre provocation.

Quand un homme se sent offensé, il se voit poussé à la vengeance, mais une fois qu’il s’est vengé, s’il est bien né et noble, il pardonne. De ce sentiment de vengeance, intellectualisé, naquit ce qu’on nomma la justice, et bien loin de s’ennoblir par là, elle s’avilit. Le soufflet que lâche un individu à celui qui l’insulte est plus humain, et, en étant plus humain, est plus noble et plus pur que l’application de n’importe quel article du Code pénal.

La fin de la justice est le pardon, et dans notre passage à la vie future, dans les transes de l’agonie, en tête à tête avec notre Dieu, s’accomplit le mystère du pardon pour tous les hommes. La peine de vivre et les peines qui en dérivent sont le paiement de tous les méfaits que l’on peut avoir commis en cette vie; avec l’angoisse d’avoir à mourir on achève de satisfaire pour eux. Et Dieu, qui fit l’homme libre, ne peut le condamner à une captivité perpétuelle.

Que chacun reste avec son péché; il y a un Dieu au ciel qui ne néglige ni de châtier le méchant, ni de récompenser le bon. Ici Don Quichotte remet le châtiment à Dieu, sans nous dire comment il croyait que Dieu châtie, car il ne put croire, quelle que fût son orthodoxie, à des châtiments éternels, et il n’y crut pas. Il faut remettre à Dieu, c’est vrai, le soin de châtier, mais sans le faire ministre de nos justices, comme il est si fréquent, alors que c’est nous qui devrions être ministres de la sienne. Quel est le mortel qui ose prononcer au nom de Dieu des sentences, en laissant à Dieu de les exécuter? Quel est celui qui fait ainsi de Dieu son ministre? Celui qui croit dire : « Au nom de Dieu je te condamne », veut dire en réalité cette chose bien différente : « Dieu te condamne en mon nom ». Croyez bien que ceux qui s’arrogent un ministère spécial de Dieu prétendent au fond que Dieu leur prête ses services. Don Quichotte n’était pas de ces gens-là. Don Quichotte, qui se croyait ministre de Dieu sur la terre et bras pour exécuter sa justice, mais comme nous le sommes tous, Don Quichotte laissait à Dieu de juger quels sont les bons et les mauvais, et en faveur de quel châtiment il pourrait pardonner à ceux-ci.

Ma foi en Don Quichotte m’enseigne que tel fut son sentiment intime, et si Cervantes ne nous le révèle pas, c’est parce qu’il n’était pas préparé à saisir ces choses. Parce qu’il fut son évangéliste, ce n’est pas une raison de supposer qu’il ait pénétré mieux que personne dans son esprit. C’est assez qu’il nous ait conservé le récit de sa vie et de ses exploits.

Il n’est pas bien que des hommes d’honneur se fassent bourreaux d’autres hommes, quand ils n’y ont nul intérêt. Don Quichotte, comme le peuple dont il est la fleur, voit d’un mauvais œil le bourreau et tout ministre et exécuteur de la justice. Il est saint et légitime que chacun se fasse justice à sa manière, car cette justice s’autorise d’un instinct naturel, mais être bourreau d’autres hommes pour gagner ainsi son pain en servant l’odieuse justice abstraite, ce n’est pas bien. Puisque la justice est impersonnelle et abstraite, qu’elle châtie impersonnellement et abstraitement.

Je vous vois d’ici, lecteurs timorés, porter vos mains à votre tête, et je vous entends vous écrier : Quelles horreurs! Et puis vous parlez d’ordre social et de sécurité et d’autres balivernes de ce genre. Et moi je vous dis que si l’on lâchait tous les galériens le monde n’irait pas pour cela plus mal, et que si tous les hommes acquéraient une foi robuste en leur salut dernier, en ce que tous nous serons pardonnés à la fin et admis à la joie du Seigneur, qui pour cela nous créa libre, nous serions tous meilleurs.

Je sais que vous m’objecterez l’exemple même des galériens et la manière dont ils payèrent à Don Quichotte la liberté qu’il leur avait rendue. À peine les vit-il délivrés, qu’il les appela et leur dit qu’il est de gens bien nés d’être reconnaissants des bienfaits reçus, et que l’un des péchés qui offensent le plus Dieu, c’est l’ingratitude. Il leur ordonna donc d’aller, chargés de la chaîne, se présenter à Mme Dulcinée de Toboso. Les malheureux, redoutant d’être pris de nouveau par la Sainte-Hermandad, répondirent, par la bouche de Ginès de Pasamonte, qu’ils ne pouvaient faire ce que Don Quichotte leur demandait et qu’il voulût bien commuer ce service en un certain nombre de Credo et d’Ave Maria. Le sans-gêne de Pasamonte irrita le Chevalier, qui était prompt à la colère, et il le gourmanda. Alors celui-ci cligna de l’œil à ses compagnons, lesquels, s’éloignant tout d’une volée, firent pleuvoir sur Don Quichotte une telle grêle de pierres qu’ils le renversèrent. Et une fois à terre, l’un d’eux le frappa et ils lui enlevèrent son pourpoint et à Sancho son caban.

Et cela doit nous enseigner à délivrer les galériens précisément pour qu’ils ne doivent pas nous en savoir gré, car de compter d’avance sur leur gratitude enlèverait toute valeur à notre action.

Il faut faire le bien non seulement quoiqu’on ne doive pas nous le rendre en ce monde, mais précisément parce qu’on ne doit pas nous le rendre. La valeur infinie des bonnes œuvres est fondée sur ce qu’elles ne trouvent pas un paiement adéquat en cette vie, et qu’elles débordent au delà. La vie est bien peu de chose pour les bonnes actions que l’on peut y réaliser.


* * *


La nièce de Don Quichotte
(IIe partie, chap. VI)


Tandis que Sancho se querellait avec sa femme, Don Quichotte disputait avec sa gouvernante et sa nièce, obstacles domestiques à son héroïsme.

Et le chevalier du entendre une gamine comme sa nièce, qui savait à peine manier douze fuseaux de dentelle, oser nier qu’il y eût jamais eu chevaliers errants dans le monde. Triste chose que d’entendre dans sa propre maison et des lèvres d’une gamine, qui les répète par cœur, les sottises de la foule.

Et songer que cette gamine d’Antonia Quijana domine et conduit aujourd’hui les hommes en Espagne! Oui, c’est cette gamine effrontée, cette petite poule de basse-cour, aux ailes courtes et picoteuse, c’est elle qui étouffe tout héroïsme naissant.

Et si toi-même, valeureux Don Quichotte, tu te laissas convaincre, quoique seulement de parole et d’un façon passagère, par cette chatte domestique, comment s’étonner qu’elle soumette à sa sagesse de cuisinière ceux qui la cherchent pour perpétuer en elle leur race? Elle, la niaise, ne comprend pas qu’un vieillard puisse être vaillant, un malade avoir des forces, un homme accablé par l’âge redresser des torts, et surtout elle ne comprend pas qu’un pauvre puisse être chevalier. Et, quoique niaise, et ménagère, et aussi bornée de cœur que de tête, si elle s’attaque à toi, son oncle, comment ne s’attaquerait-elle pas à ceux qui la recherchent comme fiancée et la possèdent comme maris?

Il y a un sens commun et aussi un sentiment commun; à côté de la vulgarité de la tête nous arrête et nous émousse la vulgarité du cœur. Et de cette vulgarité tu es, Antonia Quijana, ma lectrice, la gardienne vigilante. Tu l’alimentes dans ton petit cœur tandis que tu écumes le pot-au-feu de ton oncle ou que tu manies les fuseaux de ta dentelle. Ton mari courir après la gloire? La gloire? Est-ce que cela se mange? Le laurier est bon pour assaisonner le ragoût de pommes de terre, c’est un excellent condiment de la cuisine bourgeoise. Et tu as assez de celui que tu rapportes de l’église au Dimanche des Rameaux. D’ailleurs, tu éprouves une jalousie furieuse à l’égard de Dulcinée.

Je ne sais si tomberont sous les jolis yeux de quelque Antonia Quijana ces commentaires que j’écris sur la vie de son oncle; j’en doute presque, car nos nièces de Don Quichotte n’aiment pas une lecture pour laquelle il leur faille froncer le sourcil et ruminer un peu ce qu’elles lisent; elles se contentent de mauvais romans, dont le dialogue soit très coupé et le sujet effrayant, ou de petits livres dévots bourrés de superlatifs doucereux ou d’insipides effusions. Je présume d’ailleurs que les directeurs de vos petites consciences vous préviendraient contre mes dangereux écarts de plume si votre propre insignifiance ne vous servait de triple cuirasse.

Je suis donc presque sûr que vous ne feuilleterez pas de vos mains, faites à manier des fuseaux de dentelle, ces pages suspectes, mais si par un hasard elles vous tombaient sous les yeux, je vous dis que je n’espère pas voir s’élever parmi vous une nouvelle Dulcinée qui lance un nouveau Don Quichotte à la conquête de la gloire, ni une autre Thérèse de Jésus, dame errante d’un amour qui, à force d’être profondément humain, déborde tout ce qui est humain. Vous n’allumerez pas un amour comme celui qu’Aldonza Lorenzo, sans le savoir, alluma au cœur d’Alonso le Bon, et vous n’en allumerez pas un dans le vôtre comme cet amour de Thérèse pour Jésus qui fit qu’un séraphin lui transperça le cœur d’un dard.

Elle aussi, Thérèse, de même qu’Alonso Quijano resta douze ans amoureux d’Aldonza, connut un homme avec qui elle crut pouvoir se marier pour son bien, et celui à qui elle se confessait lui dit que cela n’allait pas contre Dieu (Vie, II), mais elle comprit la récompense que donne le Seigneur à ceux qui laissent tout pour lui et que l’homme n’apaise pas la soif d’amour infinie; et ces livres de chevalerie qu’elle avait aimés la conduisirent, à travers l’amour terrestre, jusqu’à l’amour substantiel, et elle souhaita la gloire éternelle en se livrant à Jésus, l’idéal de l’humanité.

Et elle donna dans une héroïque folie, finissant par dire à son confesseur : « Je demande à votre grâce que nous soyons tous fous, par amour pour celui qui se fit appeler fou pour nous. » (Vie, XVI) Mais toi, mon Antonia Quijana, toi? Tu ne connais ni la folie humaine ni la folie divine. Tu as beaucoup de bon sens, sage Antonia; tu sais compter les garbanzos et ravauder les chausses de ton mari; tu sais surveiller le pot-au-feu de ton oncle et manier les fuseaux de ta dentelle et pour pâture suprême de ton esprit tu as tes fonctions de zélatrice de quelque confrérie et l’obligation de réciter à telle heure de tel jour telles ou telles mielleuses paroles que l’on te donne par écrit. Ce n’est pas pour toi que Thérèse a dit : « Ne faites pas cas de l’entendement, qui est un grand importun. » (Vie, XV) Car il ne t’importune guère, ton petit entendement, engagé dans l’ornière par ton directeur de conscience. Ta petite âme, qui peut-être fut rêveuse autrefois, on lui a coupé les ailes, on l’a meurtrie sur un terrible chevalet, on l’a bercée dès son premier vagissement, on l’a bercée de ce vieux couplet : Dors, petit enfant,
Car voici le Croquemitaine;
Il emporte les enfants
Qui ne dorment pas bien. On t’a bercée de cette chanson nasillarde dont toi-même, ma pauvre Antonia, tu berces tes enfants, lorsque tu es mère, pour qu’ils dorment. Eh bien, écoute, Antonia. Oublie un moment ceux qui te veulent petite poule de basse-cour; oublie-les et médite ce couplet plaintif dont tu endors tes petits. Médite sur ceci que le Croquemitaine arrive et emporte les enfants qui ne dorment pas; médite, ma chère Antonia, sur ceci, que ce n’est pas de beaucoup dormir qui nous sauvera des griffes du Croquemitaine. Songes-y, mon Antonia, quand le Croquemitaine arrive, il emporte et dévore les endormis, non les réveillés.

Et maintenant, si pour un moment je suis arrivé à te distraire de tes besognes et occupations, de ce que l’on appelle les travaux de ton sexe, pardonne-le-moi ou ne me le pardonne pas. C’est moi qui ne me pardonnerais pas de ne t’avoir jamais dit que ceux qui t’aiment vraiment, qui t’aiment femme forte, sont ceux qui te parlent, comme moi, durement et sévèrement, et non ceux qui te lient, comme une idole, sur un autel et te retiennent là prisonnière, étourdie de l’encens de flatteries faciles, ni ceux qui endorment ton esprit en le berçant des puériles chansons d’une piété à l’eau de rose.

* * *


Don Quichotte chez les bandoliers
(IIe partie, ch. LX)


Quarante bandoliers les entourèrent soudain, leur disant en langue catalane de rester tranquilles et d’attendre qu’arrivât leur capitaine. Et le pauvre Don Quichotte se trouva à pied, son cheval sans bride, sa lance appuyée contre un arbre, et finalement sans aucune défense, et ainsi il trouva bien de croiser les mains et d’incliner la tête, se réservant pour une meilleure conjoncture

Le capitaine arriva, Roque Guinart; il vit la triste et mélancolique figure de Don Quichotte et il l’encouragea; il avait entendu parler de lui. Et Don Quichotte connut alors la république organisée des brigands, et il prétendit persuader Roque Guinart par de bonnes paroles, sans l’obliger par la force, à se faire chevalier errant. La rencontre donna l’occasion au Chevalier d’admirer la vie du chevaleresque bandit, l’équité avec laquelle se répartissaient les dépouilles du vol et sa générosité envers les voyageurs. Et lui, Don Quichotte, qui au grand scandale des personnes graves avait rendu la liberté aux galériens, n’essaya même pas de défaire la république des bandits.

Cette justice distributive, le bon ordre que dans la répartition du butin on observait dans la bande de Roque Guinart, sont la condition de toute société de brigands. Fernando de Pulgar, en nous parlant dans ses Hommes illustres de Castille du bandit Don Rodrigo de Villadrando, comte de Ribadeo, qui avec ses bandes et son grand pouvoir « vola, brûla, détruisit, renversa, dépeupla villes et lieux et bourgs de Bourgogne et de France », nous dit qu’« il avait deux singulières qualités : l’une, qu’il faisait observer la justice parmi ses gens et ne permettait ni violence ni vol ni autre crime; et si quelqu’un désobéissait à sa loi, il le punissait de ses propres mains ». Par où l’on voit que c’est au sein des sociétés organisées pour le vol que se poursuit le plus sévèrement le vol même, de même que c’est dans les armées, organisées pour offenser et détruire, que l’on punit le plus durement les offenses et ce qui tendrait à la destruction de l’armée elle-même. Et ainsi l’on peut dire de tout genre de justice humaine qu’il est né de l’injustice, du besoin qu’avait celle-ci de se soutenir et de se perpétuer. La justice et l’ordre naquirent dans le monde pour maintenir la violence et le désordre. Un penseur a dit avec raison que des premiers bandits à solde sortit la gendarmerie. Et les Romains, formulateurs du droit qui subsiste encore, les gens du ita jus esto, qu’étaient-ils, sinon des bandits qui commencèrent leur vie par un rapt, selon la légende par eux-mêmes forgée?

Il convient, lecteur, que tu t’arrêtes à considérer ce fait, que nos préceptes moraux et juridiques sont nés de la violence et que, pour permettre à une société d’hommes de tuer, on a dit aux individus qu’ils ne doivent pas se tuer entre eux pour pouvoir mieux se vouer ainsi au vol par bande. Telle est la vraie origine de nos lois et de nos préceptes; telle est la source de la morale courante. C’est pourquoi nous nous sentons portés à pardonner aux Roque Guinart et même à les aimer, parce qu’en eux il n’y a ni duplicité ni hypocrisie et que leurs bandes se montrent telles qu’elles sont, tandis que les nations, qui se disent appelées à accomplir le droit et à servir la civilisation et la paix, sont des sociétés pharisaïques. Connaissez-vous quelque trait quichottesque d’une nation d’hommes en tant que nation?

Considérons, d’autre part, comme du mal sort le bien, - car, enfin, c’est un bien, quoique transitoire, que la justice distributive, - et comme celui-ci a ses racines en celui-là, ou plutôt comme ils sont les deux faces d’une même réalité. De la guerre sort la paix et du vol organisé le châtiment du vol. La société doit prendre sur elle les crimes pour en délivrer, et de leurs remords, ceux qui la composent. Et n’y a-t-il pas peut-être un remords social répandu parmi tous ses membres? Sans doute, et ce fait du remords social, si peu observé d’ordinaire, est le mobile principal du progrès de l’espèce. Ce qui nous meut peut-être à être bons et justes envers ceux de notre société, c’est certain sentiment obscur que la société même est mauvaise et injuste; le remords collectif d’une troupe de guerre est peut-être ce qui pousse les soldats à se prêter entre eux des services et même à en prêter parfois à l’ennemi vaincu. Parce qu’ils reconnaissaient l’indignité de leur métier, les compagnons de Roque se gardaient fidélité entre eux.

Ce bel épisode de Roque Guinart est intimement lié à l’essence même de l’histoire de Don Quichotte. C’est un reflet aussi du culte populaire, dont le banditisme fut toujours l’objet en Espagne. Roque Guinart est un prédécesseur des nombreux bandits généreux dont les exploits, transmis et répandus grâce aux chansons d’aveugles, ont fait l’admiration et les délices de notre peuple : de Diego Corrientes, nommé par antonomase le bandit généreux; du Guapo Francisco Esteban, de José Maria, le roi de la Sierra Morena; du gaucho Juan Moreira, là-bas dans l’Argentine, et de tant d’autres encore, dont le patron, au ciel de notre peuple, est saint Dimas, le bon larron.

« Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. » On ne trouve pas dans l’Évangile une autre promesse de salut donnée d’une manière aussi catégorique. Le Christ canonise une seule fois, au moment de sa mort, et c’est un bandit. Et il canonise en même temps l’humilité de notre banditisme. Et pourquoi, lorsqu’il fustigea durement tant de scribes et de pharisiens, hommes honorables selon la loi? Parce que ceux-ci se tenaient eux-mêmes pour justes, comme le pharisien de la parabole, tandis que le bandit, comme le publicain de la même parabole, reconnut sa faute. Ce fut son humilité que Jésus récompensa. La bandit se confessa coupable et crut au Christ.

Le peuple ne hait rien tant que le Caton qui se croit juste et semble dire : « Regardez-moi et apprenez à être honnêtes. » Roque Guinart, au contraire, n’exaltait pas son état; il avoua à Don Quichotte qu’il n’y avait pas de vie plus inquiète et troublée que la sienne, mais qu’il y persévérait par désir de vengeance en dépit de ce qu’il comprenait, et il ajouta : Comme un abîme en appelle un autre et un péché un autre péché, les vengeances se sont enchaînées de telle manière que je prends à ma charge non seulement les miennes, mais celles des autres; mais grâce à Dieu, quoique je me voie au milieu du labyrinthe de mes confusions, je ne perds pas l’espoir d’en sortir pour arriver au port de salut. C’est là un écho de l’oraison de saint Dimas. Et il nous emble entendre ce mot de Paul de Tarse : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas; homme misérable, qui me délivrera de ce corps de mort? »

« Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. » Paroles que nous suggère la conduite de Roque Guinart et qui nous demandent à cris de nous arrêter à les méditer. Et à méditer que ce n’est pas la même chose d’accomplir la loi et d’être bon. Tel, en effet, se meurt sans avoir nourri un seul bon désir et sans avoir, malgré cela, commis un seul délit, et tel autre, au contraire, arrive à la mort avec une vie chargée de fautes et de généreux désirs en même temps. Ce sont les intentions et non les actes qui nous salissent et corrompent l’âme, et assez souvent un acte délictueux nous purge et nous guérit de l’intention qui l’avait engendré. Plus d’un homicide par vengeance aura commencé à éprouver de l’amour pour sa victime après avoir assouvi sa haine sur elle, tandis que bien des gens continuent à haïr leur ennemi mort. Je sais que beaucoup de gens appellent de leurs vœux une humanité où soient rendus impossibles les crimes, quand bien même les mauvais sentiments empoisonneraient les âmes; mais que Dieu nous donne une humanité de passions fortes, de haines et d’amours, d’envies et d’admirations, d’ascètes et de libertins, quand bien même ces passions porteraient leurs fruits naturels. Le critérium juridique voit seulement l’extérieur et mesure la punibilité de l’acte à ses conséquences; le critérium strictement moral doit le juger d’après sa cause et non d’après son effet. Ce qui arrive, c’est que notre morale courante est souillée d’avocasserie et notre critérium éthique faussé par le critérium juridique. Le meurtre n’est pas un mal pour le dommage causé au mort ou à ses parents, mais pour la perversion que produit dans l’esprit du meurtrier le sentiment qui le pousse à donner la mort à un autre; la fornication n’est pas un mal pour le dommage causé à la femme, - qui le plus souvent n’en reçoit pas, et seulement du plaisir, - mais parce que le sale désir distrait l’homme de la contemplation de sa fin propre et colore de fausseté tout ce qu’il perçoit. On nomme parmi les gauchos « disgrâce » non le fait d’être mort, mais celui d’avoir dû tuer un autre homme. Et voilà pourquoi, même si dans le monde de l’esclavage, dans le monde accidentel des transgressions du droit nous sommes tombés en faute, nous nous sauverons si nous conservons une intention pure dans la liberté, dans le monde essentiel des désirs intimes.

Et d’ailleurs, n’est-ce pas endurcir le criminel que de le faire désespérer du pardon? Rappelez-vous ici les galériens. Je crois que si tous les hommes se persuadaient qu’il y a un pardon final pour tous et une vie éternelle, sous une forme ou sous une autre, ils deviendraient tous meilleurs. La crainte du châtiment n’évite pas plus de fautes que n’en provoque le désespoir du pardon. Rappelez-vous Paul l’ermite et Enrico le bandit dans le drame de Tisso de Molina qui est intitulé Le Condamné pour manque de foi, profonde quintessence de la foi espagnole; rappelez-vous que si Paul l’ascète se damne parce qu’il désespère de se sauver, Enrico le voleur se sauve parce qu’il espère. Relisez ce drame. Voyez cet Enrico, fils d’Anareto, qui conserve parmi ses méfaits une tendresse profonde pour son père infirme et une foi absolue en la miséricorde de Dieu et qui reconnaît la justice du châtiment. Entendez-le dire ces vers :

J’ai l’espérance de me sauver; mon espérance ne se fonde pas sur mes œuvres, mais je sais que Dieu compatit au plus grand pécheur et par sa pitié le sauve,

et rappelez-vous son repentir final, grâce à son père.

Voilà qui répugne, dira-t-on, au sens moral. À celui de Sancho, peut-être; non à celui de Don Quichotte. Nietzsche fit grand bruit naguère dans le monde en écrivant sur ce qui est « Au delà du bien et du mal ». Il y a quelque chose qui est, non au delà, mais au dedans du bien et du mal, à leur racine commune. Que savons-nous, pauvres mortels, de ce que sont le bien et le mal vus du ciel? Cela vous scandalise peut-être qu’une mort croyante satisfasse à une vie criminelle? Savez-vous par hasard si ce dernier acte de foi et de contrition n’est pas l’éruption à la vie extérieure, qui s’achève en ce moment, de sentiments de bonté et d’amour qui circulèrent dans la vie intérieure, comprimés par la dure enveloppe des fautes? Et n’y a-t-il pas chez tous, absolument chez tous, ces sentiments sans lesquels on n’est pas homme? Oui, misérables que nous sommes, ayons confiance, car nous sommes tous bons.


* * *


Chose terrible que la moquerie! On dit que par moquerie, mon Don Quichotte, fut écrite ton histoire, pour nous guérir de la folie de l’héroïsme; et on ajoute que la raillerie atteignit son but. Ton nom est devenu pour beaucoup le résumé de toutes les moqueries et sert à exorciser les héroïsmes et à rabaisser les grandeurs. Et nous ne retrouverons plus notre valeur d’autrefois tant que nous ne changerons pas en réalité la moquerie et ne ferons pas les Quichottes très au sérieux…

La plupart de ceux qui lisent ton histoire, fou sublime, n’y trouvent qu’à rire; ils ne pourront profiter de sa moelle spirituelle tant qu’ils ne la pleureront pas. Malheureux celui à qui ton histoire, ingénieux hidalgo, n’arrache pas des larmes, des larmes du cœur, non seulement des yeux!

En une œuvre de moquerie se condensa le fruit de notre héroïsme; en une œuvre de moquerie s’éternisa la passagère grandeur de notre Espagne; en une œuvre de moquerie se résume notre philosophie espagnole, la seule vraie et profondément telle; avec une œuvre de moquerie arriva l’âme de notre peuple, incarnée en un homme, aux abîmes du mystère de la vie. Et cette œuvre de moquerie est la plus triste histoire qui ait été écrite jamais; la plus triste, oui, mais la plus consolante aussi pour tous ceux qui savent goûter dans les larmes du rire la rédemption de la misérable sagesse à laquelle nous condamne l’esclavage de la vie présente.

Notes
(1) J’emprunte la traduction de Viardot (Hachette, 2 vol.), en y faisant quelques retouches. (Note du traducteur.)
(2) Je l’appelle P., c’est-à-dire Père, pour m’accommoder à l’usage, ou plutôt à l’abus, adopté en pareil cas, et quoique le Christ Jésus ait dit : « Ne vous appelez pas Père sur la terre; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. » (Math., XXIII, 9)
(3) Sur Ganivet, voir la Revue du 15 décembre 1904 et du 1er janvier 1905.

À lire également du même auteur




Articles récents