Éloge de la sinécure

Jacques Dufresne

Comment éviter la contre productivité dans les efforts faits pour accroître la productivité?

La SAQ (Société des alcools du Québec)  pourrait devenir plus productive. C’est la principale raison pour laquelle la commission Robillard recommande de privatiser partiellement cette vénérable institution publique. Les mêmes arguments pourront servir demain à la privatisation d’Hydro Québec.


Le profit des entreprises a acquis une telle importance par rapport à l’épanouissement du travailleur, en concurrence avec les robots, que deux siècles de progrès social risquent d’être annulés.

Cette lettre compte déjà quatre articles qui font apparaître les dangers de la pression excessive exercée sur les travailleurs. À la lumière de ces articles, un éloge de la sinécure me semble s’imposer.


Le mot est d’origine ecclésiastique : «Titre, dignité qui n'engage pas à une fonction pastorale particulière; Synonyme : emploi de tout repos. Un tel emploi n’existe pratiquement plus. Une sinécure désormais c’est un 9 à 5 honnête.


Dans bien des entreprises on brûle les jeunes travailleurs sans se soucier du coût qu’ils représenteront à partir de 40 ans pour l’entreprise elle-même, pour l’économie et pour la société. Ces excès qui ont lieu le plus souvent dans le secteur privé provoquent du ressentiment à l’endroit de ceux qu’on appelle les privilégiés. Ces derniers appartiennent surtout au secteur public mais il en existe aussi dans le secteur privé.

Il faut au contraire se réjouir de ce que la vie soit plus belle dans certaines entreprises que dans la moyenne. Le ressentiment est mauvais conseiller en politique. Sur un chiffre d’affaires de trois milliards, la SAQ remettait l’an dernier des profits de un milliard à l’État. Faut-il prendre le risque de laisser se dégrader la bonne vie des employés pour ajouter à ce milliard quelques millions qu’il faudra débourser de nouveau plus tard pour assurer la santé des travailleurs en cause?

Les économies européennes se portent aussi bien, mieux dans certains cas que l’économie américaine. Les travailleurs ont pourtant deux ou trois fois moins de jours de congé aux États-Unis qu’en Europe!

 

 

 

La règle d’or


Le bon sens dicte la règle d’or dans ce domaine : ne jamais dépasser le point de contre productivité. L’effort demandé au travailleur devient contreproductif à partir du point où ce qu’il ajoute à l’économie dans l’immédiat est annulé par ce qu’il coûtera ensuite à la société sous forme d’épuisement et de maladie. Il faut avant tout éviter d’atteindre et de dépasser ce point, surtout dans un contexte comme celui d’aujourd’hui où l’on repousse l’âge de la retraite. Comment situer ce point? Cela exige une gestion caractérisée par l’esprit de finesse plutôt qu’un plan d’affaires ne tenant pas compte du facteur humain.

S’éloigner de cette règle d’or équivaut à considérer les travailleurs comme des choses dont l’obsolescence est planifiée. Le procédé atteint le sommet de l’absurdité quand cette obsolescence planifiée pour l’être humain sert à fabriquer des machines dont l’obsolescence sera aussi planifiée. S’épuiser jusqu’à l’obésité pour produire un réfrigérateur qui tombera en panne dans moins de dix ans…
Et comment mesurer l’importance des services que les bénéficiaires de sinécure rendent à la société dans leurs loisirs? Il y a une trentaine d’années, j’ai pu observer les petits violons du mouvement Vivaldi de Québec. Assez pour noter que le dynamisme de l’association était assuré par des fonctionnaires en situation de sinécure.

Voulons-nous une société soutenue par une économie durable ou une économie qui vampirise la société pour accroître les profits dans l’immédiat?

Dans les succursales de la SAQ, il y a de plus en plus d’employés qui connaissent bien les vins et peuvent donner d’excellents conseils au client dans le cadre d’une brève conversation qui ajoute un parfum d’humanité à la journée des interlocuteurs.
Serait-il préférable que tout se fasse par ordinateur : telle viande, tel vin à tel prix Enter! Le précieux raffinement acquis par de simples employés avec le temps deviendrait ainsi inutile. C’est ainsi qu’une civilisation s’effondre.

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