Les coopératives au coeur du développement durable

Michel Lafleur
L'état du développement
Notre époque est unique: jamais le développement ne nous aura placés devant tant de défis et jamais nos modèles de développement n'auront été si peu adaptés au contexte. On ne compte plus les ouvrages qui attirent notre attention sur les écarts qui se creusent entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres, entre les plus hauts revenus et les plus bas à l'intérieur d'un même pays, etc.

L'écart le plus significatif est celui qui sépare les empreintes écologiques
1 des divers habitants de la planète . Exprimée en hectares, par année et par personne ou nation, l'empreinte écologique 1 est la portion de la surface terrestre nécessaire pour assurer notre subsistance et absorber les déchets que nous produisons. Elle est au Canada de 4,3 hectares par personne, aux États-Unis de 5,1, en Inde de 0,4, et dans le monde de 1,8. Si l'empreinte était en ce moment de 5,1 pour chacun des six milliards d'êtres humains, trois planètes comme la terre suffiraient à peine à subvenir aux besoins de l'humanité. Or la population continue de croître et l'empreinte écologique également, alors que le sol vivant se dégrade, que sa superficie diminue.. .et que l'espace habité s'accroît. C'est de dix planètes que nous aurons bientôt besoin.

Impasse! Le type et le rythme de notre développement ne conviennent plus. Nous sommes en déficit de deux planètes. Comment avons-nous pu laisser un tel gouffre se creuser? Une magistrale erreur de gestion a été commise par nos gouvernements et nos entreprises, avec notre complicité; elle a consisté à ne prendre en compte que l'aspect financier des choses. Le déficit actuel de deux planètes résulte du fait que le capital naturel et le capital social ne sont pas entrés dans nos calculs. Comment les y introduire? N'est-il pas déjà trop tard pour le faire?


1. Développement durable et gestion des organisations
La réalité de notre développement a poussé des chercheurs à repenser la vision traditionnelle basée uniquement sur des critères économiques et à introduire les critères de respect du social et de l'environnement. C'est dans ce contexte que le concept de développement durable a émergé. Celui-ci se définit comme étant «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.»
2 Ce concept est lié à la convergence de trois dynamiques de développement interdépendantes, soit le développement économique, social et écologique. Selon cette thèse, il n'y a développement que si une activité a un impact positif sur ces trois éléments à la fois.

Cette définition a laissé place à beaucoup d'autres interprétations. On retrouve plus d'une centaine de variantes de la définition de développement durable. Mais, de façon générale, on reconnaît cinq dimensions spécifiques au concept de développement durable 3 .
    · Connectivité: les problèmes de développement sont systématiquement interconnectés et interdépendants;
    · Inclusivité: le développement doit inclure les trois dimensions du développement durable, soit les variables économique, environnementale et sociale;
    · Équité: les activités humaines ne doivent pas transférer les coûts ou s'approprier la propriété des droits des ressources, aujourd'hui ou demain, sans une compensation; de plus, les actions pour un développement durable doivent assurer une distribution équitable des richesses produites;
    · Prudence: dans le choix d'actions pour le développement durable, l'on doit s'abstenir d'actions qui pourraient affecter le développement de façon irrémédiable en terme de capacité de régénération et de capacité de support de l'environnement;
    Sécurité: l'objectif de tout développement doit être de contribuer à une haute qualité de vie, saine et sécuritaire pour la présente génération et les futures générations.
Nous adopterons comme point de départ de notre réflexion sur la gestion de nos organisations celui du développement durable, de la prise en compte de l'impact du travail des organisations sur les dimensions spécifiques du développement durable.

Traditionnellement, les recherches sur l'entreprise font état de la relation entre les différentes fonctions de l'entreprise et ses résultats financiers (flèche 1 dans la figure 1). Ces recherches ont comme base la transposition du modèle de développement libéral et de sa maxime de la main invisible à la maxime de la maximisation des avoirs des actionnaires comme base traditionnelle de l'analyse managériale. La prémisse étant que si le gestionnaire se concentre sur une maximisation du profit de son entreprise, il en résultera nécessairement, par le marché, une utilisation optimale de nos ressources rares (flèche 2 dans la figure 1).



FIGURE I. Le cadre traditionnel du développement et de la gestion


Selon l'utopie libérale, le modèle de développement des organisations commerciales traditionnelles repose essentiellement sur la recherche de gain maximum sur les investissements. En contre-partie, cette recherche de profit doit produire de la richesse pour la communauté, le plus souvent sous forme de maintien ou de création d'emplois rémunérés. Il existe ainsi un consensus à l'effet qu'un projet d'entreprise est gagnant lorsqu'un investisseur obtient un maximum de gain sur son investissement tout en créant de l'emploi. Lorsque ces gains d'investissement se font au détriment du maintien ou de la création d'emplois, des critiques émergent.

En environnement, le consensus n'est pas aussi clair. Ainsi, on observe dans certains cas, des projets de développement où il est toléré, voire même encouragé que l'obtention d'un gain financier et de maintien/création d'emplois se fasse au détriment de l'environnement. Le défi du protocole de Kyoto illustre bien cette réalité.

Dans la dynamique de la recherche d'un gain par l'investissement, on distingue deux réalités: des investissements qui se font avec un lien de travail et des investissements qui se font sans lien de travail. Dans le premier cas, le détenteur d'actions travaille avec son capital, il est à la fois investisseur et gestionnaire. Il travaille au sein de l'organisation où il a investi, il est en lien constant avec ses travailleurs, ses clients et sa communauté. L'autre type d'investisseur a une réalité différente puisqu'il n'a aucun lien direct avec l'objet de son investissement. Il ne connaît ni les travailleurs, ni les clients, ni la communauté où il a investi. Il recherche un maximum de profit, peu importe le secteur. En conséquence, la profitabilité de ses investissements devient souvent la norme à laquelle tout bon gestionnaire doit se soumettre sous peine de voir les capitaux financiers fuir vers les organisations plus profitables. Dans les deux cas, la création de valeur, le gain entre le coût de production et le prix vendu (le profit) est réparti entre les détenteurs de capitaux.

Les études en gestion portent presque exclusivement sur cette relation: liens entre la gestion du personnel, le marketing, la stratégie et la maximisation des profits de l'entreprise, etc. La majorité des recherches en gestion ne tente d'analyser l'entreprise qu'en fonction de cet objectif unique (Aktouf, 2002) et peut se résumer, selon Gladwin et Kennelly
3 (1997), par les positions ontologiques décrites dans le paradigme du technocentrisme.

En lien avec les défis du développement durable, le paradoxe gestion/développement demeure entier et relativement peu de chercheurs se penchent sur la relation entre gestion des affaires et développement (flèche 2 dans la figure 1). Cependant, certains auteurs en gestion, comme Henry Mintzberg, s'attaquent à ce paradoxe et proposent une modification du rôle fondamental des organisations en rapport avec le développement de type libéral. «Depuis que les économistes et les actionnaires en ont pris le contrôle [des organisations], elles ont changé de mission. L'efficacité et la rentabilité ont fait oublier leur raison d'être: nous les avons créées pour nous servir. Et voilà qu'aujourd'hui nous travaillons pour les enrichir.
4»

Selon Mintzberg (1999), l'étude de la gestion doit retrouver ce principe fondamental du service aux citoyens. Il constate que la logique du secteur privé traditionnel avec son objectif de maximisation des avoirs des actionnaires prend toute la place dans les modèles de gestion et nous conduit à des aberrations inquiétantes.

Toujours en lien avec les effets des entreprises sur le développement, l'auteur Paul Hawken, fait un constat similaire et définit ce qui apparaît être la problématique contemporaine majeure de la gestion. «Les sociétés commerciales, parce qu'elles constituent l'institution dominante sur cette planète, doivent absolument prendre en compte les problèmes sociaux et environnementaux de l'humanité. Actuellement, tout acte dans notre société industrielle n'aboutit qu'à la dégradation de l'environnement, quelle que soit l'intention, il nous faut concevoir un système où l'inverse sera vrai, où faire le bien tombera sous le sens, où les actes quotidiens de la vie et du travail s'accumuleront pour faire un monde meilleur, tout naturellement et non pas grâce à un altruisme conscient. […] La question qui se pose est: peut-on créer des entreprises rentables, qui se développent sans détruire, directement ou indirectement, le monde autour d'elles?5»


1.1 Gestion et environnement
S'inspirant de la critique de Hawken, des acteurs et des chercheurs tentent de dépasser les prémisses du paradigme du technocentrisme pour étudier la question de la relation entre la gestion et l'environnement. Le paradigme du duracentrisme résume les prémisses de ce courant (Marteen, 2001; Gladwin, 2000; Elkington, 1998; Gladwin et Kennelly, 1997; Kennelly, Krause, 1995; Hawken, 1995; Purgec, Park, Montuori, 1995).

Le défi de la gestion de ces entreprises est de prendre en considération la responsabilité environnementale de l'entreprise, trouver des solutions novatrices à celle-ci tout en préservant son niveau de profitabilité. De là découlent de nouvelles façons et de nouveaux principes sur la gestion et le travail des entreprises. Le concept du «pas à pas avec la nature» (natural steps) est au cœur de ce courant. À ce chapitre, voir le numéro de L'Agora «Pas à pas avec la nature» (vol 9, no 2, septembre-octobre 2002) et les articles d'Andrée Mathieu que l'on retrouve sur le site de L'Encyclopédie de L'Agora.

1.2 Gestion et équité sociale
Mais il existe depuis plus d'un siècle une autre façon de concevoir la gestion des organisations et le développement: les coopératives. Une vision basée sur les besoins des gens, où le capital sert de moyen et où les excédents (ou profit dans le langage capitaliste) ne sont pas redistribués selon le capital investi.

La coopérative est «une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d'une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement».
6 Ce type d'entreprenariat est né suite aux critiques faites par certains penseurs sur les lacunes du capitalisme naissant. La première coopérative à connaître le succès, la Société des équitables pionniers de Rochdale, en Angleterre, est le résultat d'une synthèse de certains penseurs de l'époque (Fourier, King, Owen, Saint-Simon, Buchez, Plockboy, Proudhon, etc. ). Les pionniers de Rochdale ont ainsi réussi à appliquer concrètement des principes de développement dans une dynamique entrepreneuriale.

Ces critiques des lacunes du capitalisme naissant et leur transposition sous forme de principes découlent d'une vision novatrice du développement. Une vision qui s'incarne dans les valeurs fondamentales des coopératives; la prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l'égalité, l'équité et la solidarité. Fidèles à l'esprit des fondateurs, les membres des coopératives ont adhéré à une éthique basée sur l'honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l'altruisme. Ces valeurs fondamentales se sont ensuite transformées en principes, qui ont évolué avec le temps, pour former aujourd'hui les sept principes coopératifs qui constituent les lignes directrices devant permettre aux coopératives de mettre leur vision du développement en pratique.

De façon générale, ces critiques tournaient autour de deux grands thèmes. Le premier touche le rôle du capital. Les auteurs reprochent au système capitaliste naissant d'accorder aux seuls détenteurs de capitaux tous les bénéfices de l'entreprise grâce uniquement à leurs investissements financiers sans que ces derniers participent réellement à la création de cette richesse. Pour ces penseurs, ce n'est pas dans le capital (investissement) que se situe la vraie richesse d'une nation, mais dans le travail (les coopératives de travail, point de vue de l'école française) ou dans la consommation (les coopératives de consommation, point de vue de l'école anglaise). La célèbre parabole de Saint-Simon sur les industriels (ou détenteurs de capitaux) résume bien cette pensée 7. Ces auteurs dénoncent ainsi les revenus sans travail (coopérative de travail) ou le fait que les intermédiaires facturent une surcharge aux prix des produits sans que ceux-ci n'ajoutent une réelle valeur au produit (coopérative de consommateurs).

En résumé, est critiqué le fait que les détenteurs de capitaux obtiennent tout le bénéfice de l'entreprise pour eux seuls. Les auteurs proposent que le capital ne soit pas l'unique moteur, décideur et bénéficiaire du développement. Ainsi naissent les principes coopératifs suivants:
    • Les décideurs seront ceux qui participent à l'objet de la coopérative, soit les travailleurs (coopérative de travail), les consommateurs (coopérative de consommation) ou les producteurs (coopérative de producteurs). Ces personnes éliront des représentants qui seront responsables devant elles. Seule la qualité de membre donne accès à ce droit de vote qui n'est donc pas proportionnel à l'argent investi. Conséquemment, ce n'est pas l'argent qui sera la finalité des décisions mais les besoins des membres. C'est le principe coopératif du pouvoir démocratique exercé par les membres (un membre = un vote).
    • L'argent nécessaire au démarrage et au développement de la coopérative doit provenir de ses membres. Comme ce capital n'est pas la raison d'être de la coopérative, chacun recevra une rémunération limitée décidée par les membres. De plus, les surplus de fin d'année seront redistribués en proportion de l'usage que font les membres de la coopérative et non de l'argent investi; les membres créeront une réserve impartageable qui rendra une partie de la coopérative inaliénable et patrimoine de la communauté et, finalement, une partie des surplus de fin d'année pourra être affectée à différentes activités de la communauté. C'est le principe coopératif de la participation économique des membres.
    • La coopérative, dans toutes ses activités et tous ses partenariats éventuels avec l'État ou avec d'autres organisations doit préserver le pouvoir démocratique des membres et assurer l'indépendance de la coopérative face à ces organisations. En aucun temps, ses partenariats doivent compromettre la capacité de la coopérative de prendre ses décisions en fonction de son objet. C'est le principe coopératif de l'autonomie et de l'indépendance.

Les critiques portent en deuxième lieu sur l'organisation de ce changement. On réfléchit sur la meilleure forme possible d'organisation pour amener les changements nécessaires à la solution des problèmes de développement. On peut regrouper les différentes solutions proposées autour de trois écoles. Une première porte sur la défense des droits des travailleurs par le moyen de l'organisation syndicale. La deuxième prône des changements politiques majeurs de la société par une organisation politique de type socialiste ou communiste. Une troisième école, celle du coopératisme, propose une solution entrepreneuriale, soit l'organisation coopérative.
    • Les auteurs de l'école entrepreneuriale décriaient la situation de pauvreté dans laquelle vivaient les classes laborieuses malgré la richesse des industriels et de la classe bourgeoise; ils dénonçaient l'exploitation de l'homme par l'homme. Selon eux, seule une révolution par cette classe laborieuse pouvait renverser la situation; on ne pouvait se fier aux gouvernements en place ou aux détenteurs de capitaux. Ces exploités devaient prendre eux-mêmes leur propre développement en main, être solidaires et permettre à tous, dans une dynamique démocratique, de participer à ce développement. Il fallait donc créer une organisation entrepreneuriale qui reposerait sur ces bases. D'où les autres principes coopératifs suivants:
    • L'idée de base de la coopérative est de regrouper librement des gens qui ont un besoin commun, soit obtenir un produit ou un service (coopérative de consommateurs), vendre une production (coopérative de producteurs) ou se trouver un emploi (coopérative de travailleurs). Ce faisant, ces personnes regroupées en coopératives veulent bâtir un projet selon les valeurs du coopératisme et solutionner un problème que le marché traditionnel ne solutionne pas à leur pleine satisfaction (salaire trop faible, mauvais approvisionnement, prix trop élevé, faible retour sur la production, etc.). Mais, il ne faut pas qu'un groupe de personnes au sein d'une coopérative en viennent à garder uniquement pour eux un avantage au détriment d'autres personnes qui voudraient contribuer positivement au projet de la coopérative. L'entrée à la coopérative doit être toujours ouverte et libre. Également, aucune discrimination ne peut servir d'excuse pour refuser l'entrée d'une personne au sein d'une coopérative. C'est le principe coopératif de l'adhésion volontaire et ouverte à tous.
    • Comme la coopérative est une forme d'organisation avec des valeurs et des principes particuliers, elle doit s'assurer que ses membres, dirigeants, gestionnaires et employés comprennent bien sa nature et sa dynamique afin d'obtenir un apport optimum de chacun. La coopérative doit aussi s'assurer d'informer le grand public sur la nature du projet coopératif. C'est le principe coopératif de l'éducation, la formation et l'information.
    • La coopérative ne doit pas évoluer en vase clos, au contraire, elle doit se regrouper sous forme de fédération et de confédération dans le but de mieux servir ses membres et de renforcer le mouvement coopératif. C'est le principe de la coopération entre coopératives.
    • Avec l'émergence des problématiques liées à l'environnement, les coopératives doivent contribuer, à leur façon, au développement durable de leur communauté. C'est le principe coopératif, datant de 1995, de l'engagement envers le milieu.

Voilà en résumé le projet coopératif: sept principes qui résument la vision du développement et qui guident la gestion de ce type d'entreprise.


1.2.1 Les coopératives et leurs effets sur le développement
Trois effets résument l'apport des coopératives sur le développement: elles contribuent à une efficacité économique accrue, une école d'entreprenariat et un développeur de capital social.

Efficacité économique. Parce qu'elles sont basées sur un besoin précis et non sur un objectif de maximisation des avoirs des actionnaires, elles contribuent à une meilleure efficacité du marché. Le cas des coopératives funéraires du Québec illustre parfaitement l'effet que peuvent avoir les coopératives sur le développement.

Les coopératives de consommation ont comme mission d'offrir à leurs membres (et à toute la société de par le principe d'adhésion volontaire et d'ouverture à tous) des produits et services au plus bas coût possible. Ainsi, le prix demandé aux membres est toujours près du prix coûtant et tout excédent est soit réinvesti dans la coopérative, soit redonné aux membres ou à la communauté. Il n'y a aucune raison pour la coopérative de consommation de vouloir faire un grand profit puisque, de toute façon, comme le membre est à la fois l'utilisateur et le propriétaire, le profit qui serait réalisé sur le service rendu devrait lui être remis en fin d'année. Grâce à ce type de coopérative, les autres entreprises du même secteur ne peuvent par conséquent se permettre de demander des prix beaucoup plus élevés.

Ainsi, lorsque les coopératives ont démarré dans le domaine des services funéraires, malgré plusieurs entreprises compétitrices, elles ont fait chuter les prix de près de 50 %. Et avec 15 % des parts du marché des funérailles au Québec, elles ont su maintenir depuis le prix des funérailles à 50 % du prix demandé par le marché dit compétitif. Aujourd'hui, c'est l'ensemble des citoyens qui bénéficie de leur présence.

Résultats similaires avec les caisses populaires Desjardins qui comme coopératives, sont accessibles à tous. Si bien qu'au Québec, les gens à faibles revenus se retrouvent presque exclusivement chez Desjardins. Les autres institutions financières canadiennes, fondées sur la notion de maximisation des avoirs des actionnaires, n'ont pas, de façon significative, de clients à faible revenu. Les affaires que ces banques pourraient faire avec cette clientèle ne seraient pas une source de grande profitabilité. Pourtant, nombre de services financiers sont considérés comme essentiels et devraient être accessibles à tous. Le système bancaire: exemple typique où la rentabilité maximum prend le pas sur la raison d'être d'une organisation.

On peut ainsi poser l'hypothèse que sans la présence d'une coopérative financière forte au Québec, une grande partie de la population québécoise serait sans services financiers. Imaginons donc ce que l'État québécois devrait débourser pour pallier ce manque de services essentiels. Présentement, ce sont les membres de Desjardins qui assument cette responsabilité (et non l'État qui tolère cette réalité) alors que les grandes banques sont muettes face à leurs responsabilités. Le marché fondé sur la recherche de profit ne répond pas à tous les besoins. Toute la population du Québec bénéficie de la présence d'une coopérative dans le secteur financier même si, à toute fin pratique, seuls les membres de Desjardins sont solidaires avec l'ensemble de la population.

Phénomène similaire avec les coopératives de travailleurs du secteur ambulancier. Ces coopératives regroupent des ambulanciers qui ont à faire face quotidiennement à des situations de vie ou de mort. Rapidement, ils se rendent compte que des vies pourraient être sauvées s'ils possédaient un défibrillateur cardiaque. Mais cette pièce d'équipement est coûteuse et la coopérative n'a pas, à première vue, les moyens de se la payer, pas plus, supposons-nous, que l'entreprise traditionnelle dans ce secteur qui se bat pour toujours donner de meilleurs services.

Comme les décisions dans ce type de coopérative se prennent par les travailleurs et qu'ils font face quotidiennement à des situations où un défibrillateur cardiaque s'avère essentiel, ils décident d'utiliser une partie de leurs excédents et d'organiser en plus des levées de fonds pour se doter de cet appareil. Ils choisissent donc consciemment de faire moins d'argent pour mieux faire leur travail. Ainsi se sont-ils procuré l'appareil aujourd'hui devenu équipement de base dans toutes les ambulances au Québec. Nombre de vies ont pu être sauvées grâce à la présence de coopérative de travailleurs dans ce secteur.

Dans une autre étude portant sur un projet de coopératives de producteurs dans le secteur du coton au Bénin, la Société de coopération pour le développement international (SOCO-DEVI, 1998) a conclu que ces coopératives bien que ne détenant que 5 % du marché, ont pu discipliner les autres acteurs du secteur en maintenant les prix de vente du coton ainsi que les prix des intrants agricoles à un niveau accessible pour eux.

Tous ces exemples démontrent que l'organisation basée sur le profit et sur l'intérêt financier est loin d'être efficiente et que l'action, par le marché, de l'ensemble de ces organisations ne sait répondre à tous les besoins. La présence de ces coopératives démontre qu'une organisation basée sur les besoins et sur l'action collective est en mesure de répondre aux besoins des personnes dans une vaste gamme de produits et de services et de pallier les abus du système de marché où les organisations capitalistes dominent.

Les coopératives: école d'entrepreneuriat. Elles contribuent également au développement en étant des lieux d'entrepreneuriat collectif. De par leur identité, les coopératives permettent à des regroupements de personnes de prendre leur développement en main.

Les coopératives ont, à maintes reprises, prouvé leur efficacité, en transformant d'une part des besoins non satisfaits par le marché traditionnel en des besoins satisfaits, et en devenant des lieux de développement au service de leur collectivité, en bonne partie parce qu'elles sont branchées sur les besoins de leurs membres. Des coopératives établies aux quatre coins de la province prouvent la solidité de ce type d'entrepreneuriat qui, au Québec, possède le meilleur taux de survie, dépassant de presque du double l'entreprise traditionnelle (ministère de l'Industrie et du Commerce, 1999).

Elles sont un lieu d'amélioration des conditions de vie des gens et des collectivités en dehors de la logique libérale et des interventions de l'État.

Les coopératives: créatrices de capital social. Enfin, elles contribuent au développement de ce que l'on nomme le capital social, dynamique importante du développement durable. Le capital social se définit comme étant une régulation sociale volontaire (Programme des Nations Unies pour le développement 1994 p. 18). Dans un projet, par exemple, dont l'objectif serait de permettre aux gens de se déplacer plus rapidement, il y aurait un besoin de capital physique, soit des routes, ponts, automobiles, etc., de capital humain, soit essentiellement des capacités comme savoir conduire, connaître la mécanique, etc., et finalement de capital social, qui porte sur les relations entre les gens, soit cette régulation sociale qui regroupe le respect des lois régissant le transport, le code de la route, les règles de courtoisie, etc.

Pour le président sortant de l'Alliance Coopérative Internationale, la coopérative est un producteur de capital social. «Le capital social est comme la colle invisible qui maintient la cohésion des sociétés. Cette cohésion repose sur la confiance entre les personnes ainsi que sur le réseau de rapports entre elles et les groupes sociaux qui forment les communautés. La coopérative est après tout une société basée sur la confiance entre les personnes et sur la cohésion sociale et elle est une entreprise qui fait des affaires… À cette fin, nous devons organiser nos coopératives avec rigueur et professionnalisme. Les rendre compétitives et efficaces, comme se doit toute entreprise insérée dans le marché… sans perdre de vue les principes et les valeurs qui rendent les coopératives uniques» (Rodriguez, 1999).
Combinée à l'utilisation des autres leviers traditionnels du développement que sont les capitaux physique, humain et financier, la coopérative touche donc à tous les leviers du développement.

Ainsi, les coopératives, par leur dynamique entrepreneuriale, améliorent les capacités de prise en charge des individus et des communautés. Par leurs différences, elles augmentent le capital social des communautés. Et, par leur mission, elles sont des régulateurs puissants dans la dynamique des marchés. L'action des coopératives sur le développement produit des résultats tels que décrits plus haut lorsqu'elles sont gérées selon les valeurs et principes coopératifs.
De l'économie d'extraction au développement durable

Nous nous flattons de posséder une technologie avancée dans le domaine de la production des biens et des modèles de gestion basés sur un savoir tout aussi avancé. Nous avons la conviction de devoir notre richesse avant tout à cette technologie et à ce savoir. Comme René Dubos nous l'a rappelé en 1973, c'est là une illusion:

La même réflexion s'impose face aux résultats sociaux de notre modèle de développement: celui-ci ne produit pas d'équité. L'écart entre le plus riche et le plus pauvre est de plus en plus grand. Dans notre monde d'organisations capitalistes bien gérées, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim toutes les sept secondes. Nous possédons pourtant les connaissances et les technologies pour pouvoir nourrir, vêtir, loger, éduquer l'ensemble des habitants de la planète. Nos modèles de gestion ne sont pas efficients.

L'exemple des coopératives et des organisations du développement durable basées sur les principes du pas à pas avec la nature démontre que le dogme libéral du développement sans règles et de son modèle de gestion basée sur l'intérêt financier à court terme d'une petite partie de la population ne suffit pas à assurer une meilleure qualité de vie. La foi en notre modèle de gestion n'est plus viable. Un nouveau modèle de gestion doit tenir compte des quatre capitaux du développement: social, humain, matériel et écologique.


FIGURE 2. La perennité sous l'angle de la conservation du capitale et des investissements.

Cette proposition de Gladwin
9 est fort simple: le travail des entreprises doit tendre vers le scénario de la durabilité, dans lequel tant les capitaux écologique, matériel, humain que social sont en croissance.

Les défis de notre époque nous obligent donc à nous donner des balises et des obligations de résultats: préservation et enrichissement de notre système écologique; préservation et enrichissement de nos communautés. Nous devons revenir à la mission essentielle de nos savoir-faire technologiques et de notre dynamique de gestion des organisations: améliorer la qualité de vie de tous. Et plusieurs organisations le font déjà avec succès.


Notes
1. Voir le concept d'empreinte écologique: (www.agir21.org)
2. La commission mondiale sur l'environnement et le développement: Notre avenir à tous. Montréal, Éditions du Fleuve, 1987, p. 37.
3. Gladwin, T. N. et Kennely, J. J., «Sustainable development: a new paradigm for management theory and pratice», dans Bansal, P. et Howard, E., Business and the natural environment, Londres, Butterworth-Heineman, p. 13 à 19.
4. D. Bérard, Mintzberg, «La théorie prend trop de place!», L'Actualité, 1999, juin, p. 15.
5. P. Hawken, L'écologie du marché, 1995, p. 20-21.
6. Alliance coopérative internationale, Déclaration sur l'identité coopérative, 1995
7.Voir sur le site de l'Université Lumière de Lyon
8. René Dubos, Les dieux de l'écologie, Fayard, Paris 1973, page 173.
9. Galdwin, T. N. (2000). Plaidoyer en faveur d'un développement durable.

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