Le Coopérateur agricole

Josette Lanteigne
Notons d'abord que toutes les informations livrées ici ont été tirées du site Internet de la Coopérative fédérée et particulièrement d'un long texte de l'historien Jacques Saint-Pierre, qui partage avec nous le fruit de longues recherches solitaires aux archives des Hautes Études Commerciales (HEC), où se trouvent les archives de la Fédérée, consistant essentiellement en procès-verbaux des instances décisionnelles. Il a également mené de nombreuses entrevues avec des élus et des employés actuels ou retraités de la Fédérée et des coopératives affiliées. Le résultat de toutes ces démarches se retrouve dans son Histoire de la Coopérative fédérée de Québec, publiée aux éditions de l'Institut québécois de recherche sur la culture.
Après treize années d'éclipse au profit d'une association avec la revue Ensemble!, Le Coopérateur agricole a été relancé en 1972 pour fêter le cinquantenaire de la Fédérée, dont les origines remontent avant les années 20 et se confondent avec celles du mouvement coopératif.
À la suite de l'application de quelques nouvelles lois, dont la Loi des sociétés coopératives agricoles de 1908 est la plus déterminante, malgré ses imperfections, les coopératives agricoles vont se développer, à partir de 1910, accompagnant le mouvement de réussite des caisses populaires qui se produisit à la même époque. Toutefois, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 n'auront qu'une existence éphémère. Du côté des grandes centrales, la situation n'était guère plus encourageante: ainsi, le Comptoir coopératif de Montréal était alors en lutte ouverte avec la Société coopérative agricole des fromagers.
L'idée d'une fusion des trois grandes centrales (la Coopérative des Fromagers de Québec, le Comptoir coopératif de Montréal et la Société coopérative des producteurs de semences de Sainte-Rosalie) avait été lancée dès 1918, mais c'est seulement en décembre 1922 que la Loi de la Coopérative fédérée reçoit la sanction royale, mettant fin à la concurrence entre les coopératives. Jusqu'en 1929, la Coopérative fera plutôt dans le fromage (45% de la production québécoise), le beurre (15%) et les animaux vivants. Mais la crise amène avec elle son lot de difficultés, et la Fédérée doit céder sa laiterie. Elle adhère alors à la Coopérative canadienne des producteurs de bétail, ce qui lui permet de revenir du beau côté de la médaille, puisque la nouvelle organisation rejoint 30% des arrivages totaux. Les ventes progressent également du côté des engrais alimentaires et surtout minéraux, et des semences, en bonne partie grâce aux agronomes du ministère de l'Agriculture, qui logent des commandes à la Fédérée.
Cette proximité avec le gouvernement soulève toutefois la méfiance de certains, dont celle de l'Union des travailleurs agricoles (UCC), fondée en 1924. Qu'à cela ne tienne, un nouveau ministre abandonnera les pouvoirs du gouvernement sur la Fédérée, tout en continuant de la soutenir financièrement. Malgré une refonte de sa charte, la Fédérée se retrouve avec un déficit d'un demi million de dollars en 1930. Entre 1930 et 1937, elle recevra en subventions plus d'un million de dollars. Le gouvernement lui accordera en plus un prêt de 750 000 $ à taux avantageux.
Au début des années 30, la Fédérée n'est pas en situation avantageuse: sa part du marché du fromage, par exemple, est passée de 45% au quart de la production provinciale. De plus, elle est en concurrence avec le Comptoir de l'UCC. Dieu merci, cette lutte fratricide cessera en 1938 avec la fusion des deux organismes, les niveaux de la part du marché de la Fédérée revenant à leurs taux d'avant la crise.
Depuis le congrès de 1928, La Terre de chez nous était l'organe officiel de l'UCC (qui sera remplacée en 1972 par l'UPA, l'Union des producteurs agricoles). La Fédérée aura sa place dans les pages publicitaires du nouveau journal mais avec le temps, elle voudra son propre organe. C'est au début de 1948 que la Fédérée fait paraître le premier numéro du Coopérateur agricole, tout en conservant sa page d'information dans La Terre de chez nous.
Le nouveau mensuel n'avait pas loin de 10 000 abonnés. En plus de faire connaître les politiques générales de la Fédérée et de donner des nouvelles de ses différents services, il livrait à ses lecteurs des éclaircissements sur la doctrine coopérative, des informations d'ordre technique ou sur les conditions du marché des produits agricoles, des réflexions sur certains problèmes d'actualité, etc.
Dans son format actuel, Le Coopérateur agricole existe depuis plus de vingt-cinq ans. Il rejoint 20 000 abonnés, ce qui est encore loin derrière le tirage de La Terre de chez nous. Il est d'autant plus heureux de retrouver sur le site de la Fédérée des archives du magazine qui remontent à… 1999. Il y a certainement beaucoup d'articles plus anciens qui mériteraient d'être numérisés. Car le secteur agroalimentaire est de plus en plus un secteur chaud, ne serait-ce que par ses ramifications qui rejoignent la santé, l'environnement, l'économie, voire la politique.
Justement, si on fait une recherche sur les articles récents du directeur du Coopérateur, pour voir dans quel sens va sa pensée, on tombe sur plusieurs articles où Claude Lafleur prend position par rapport à nos grands voisins, les Américains. Voici un extrait de la rubrique «Tour d'horizon», de janvier 2001:
«…avec une bourse de 5 milliards de dollars, les Américains pourraient se payer l’actif de tous les transformateurs coopératifs et privés présents au Québec. Tous, sans exception. Et encore, il en resterait suffisamment pour acheter une bonne partie de la capacité productive de l’Ontario.
Chez nos voisins Américains, le phénomène de concentration semble sans limite. Les lois anti-monopoles américaines, pourtant très efficaces contre Microsoft et Bill Gates, semblent impuissantes lorsqu’il s’agit de civiliser le secteur agroalimentaire. Filière par filière, les quatre plus gros joueurs contrôlent 82% du bœuf, 75% du porc et 50% du poulet.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/cooperateur/articles_archives/chroniques/lafleur/lafleur_avr_01.htm
Quelques mois plus tard, dans la même rubrique (avril 2001):
«Smithfield Foods Inc.: le plus gros producteur de porc au monde. Le plus gros transformateur de viande porcine aussi [...] la production annuelle de porc de cette seule entreprise est exactement le double de tout ce qui se fait au Québec! C’est 12% de la production américaine, ce qui n’est pas peu dire. À plein régime, ses usines de transformation et ses fermes porcines emploient près de 37 000 salariés. Pas mal pour une entreprise qui n’en avait que 5000 il y a à peine 10 ans.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/cooperateur/articles_archives/chroniques/lafleur/lafleur_jan_01.htm
Comment, dans ces conditions, la petite agriculture québécoise pourrait-elle avoir un avenir? Mais il ne s'agit pas uniquement d'elle… Saviez-vous qu'il y avait (en 2000) deux millions de fermes aux États-Unis, pour la majorité des fermes familiales, avec des revenus inférieurs à 50 000 dollars? Ces gens doivent souvent occuper un emploi à l'extérieur de la ferme pour joindre les deux bouts.
Étrangement, on retrouve la même situation chez nos voisins Ontariens, et si c'est différent au Québec, c'est justement à cause du large mouvement coopératif, de la puissance des organisations collectives au Québec:
«Les producteurs ontariens, en effet, souffrent terriblement de l’absence d’un syndicalisme agricole bien organisé, comme l’UPA, et d’un mouvement coopératif bien implanté comme le nôtre. Au Québec, le réseau coopératif occupe systématiquement le terrain, détenant souvent plus de la moitié des parts de marché. Leur seule présence est rassurante et sécurisante. À l’opposé, la grande fédération ontarienne des coopératives a fermé ses portes il y a dix ans, victime d’investissements douteux, d’une gestion déficiente et surtout de l’indifférence de ses membres. Résultat: les multinationales occupent maintenant toute la place, multipliant ici et là des contrats d’intégration, avec des conséquences désastreuses pour les fermes autonomes et familiales.»
source: http://www.coopfed.qc.ca/cooperateur/articles_archives/archives/juill_aout00/jui_aout00/p66_horizon.htm
Étrangement, c'est aussi cette désaffection, à laquelle le mouvement coopératif voulait mettre fin, dans les débuts de l'histoire de la Fédérée, qui faisait dire à notre historien que les fermiers avaient perdu leurs fermes par leur faute: «Bien qu'il y ait des exceptions, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 ont une existence éphémère. L'apathie des cultivateurs est en définitive la cause profonde de l'échec. Il faudra la crise de 1929 et l'action de l'Union catholique des cultivateurs (UCC) pour venir à bout de l'individualisme et raviver la solidarité de la classe agricole». Souvent, ce n'est pas le travail qui manque mais l'argent, voire les liquidités car on peut être riche et ne pas avoir d'argent. Le mouvement coopératif a des avantages évidents de ce point de vue.
Mais on doit toujours compter avec les autres, et le mouvement coopératif lui-même doit s'ouvrir dans un monde qui bat à l'heure de la mondialisation. Selon le président actuel de la Fédérée, la mondialisation est là pour rester. Et la Fédérée aussi, avec ses 98 coopératives implantées un peu partout au Québec et tout récemment en Ontario (la Fédérée vient d'acquérir les actifs de AgriEst, une importante coopérative de l'Est ontarien): «La Fédérée demeurera le principal fournisseur de biens et services aux producteurs québécois. Je pense aussi qu'elle valorisera encore davantage les produits agricoles, qu'elle leur donnera une valeur ajoutée importante. Et ce sera une entreprise plus tournée sur les marchés extérieurs. Les ventes à l'étranger connaîtront une croissance significative.»

Pour en savoir plus:
On trouve toutes les caractéristiques d'une entreprise coopérative sur le site du groupe Dynaco, une coopérative agroalimentaire de St-Alexandre de Kamouraska affiliée à la Fédérée. On y retrouve notamment une définition tirée de la Déclaration sur l'identité coopérative, adoptée à Manchester en 1996: «Une coopérative est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement.»
source: http://www.dynaco.ca/gr_dynaco/vie_coopera/vie_coopera.htm

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