Le troisième terme de la communication

François Darbois
Exposé des grandes lignes d’une métaphysique de la communicationtelle qu’élaborée par Maurice Zundel.
«Par-delà le vide de nos communications, par-delà le silence et l’absence, la communion n’est-elle pas le fondement et la finalité de toute vraie communication ? Toutes nos actions doivent tendre vers cette communication totale de nous-mêmes. Le secret de notre liberté est de se donner, c’est-à-dire de se communiquer en se désappropriant. Si cette communication nous constitue en tant que personne dans la conjonction entre l’identité du groupe et l’altérité de chacun, Zundel nous montre que l’unité ne peut se réaliser totalement qu’en Dieu, par le lien de chaque conscience avec Lui. Tant que nous restons au niveau psycho-sociologique de la communication, l’altérité empêche toute véritable communion. Seule une conscience Autre, à laquelle nous sommes tous reliés, peut réaliser en nous et entre nous cette communion. Cette présence unique pourrait alors devenir la Lumière et la Vie de toute vraie communication.» (...)

«Les philosophies de la communication ont essayé d’analyser la logique de l’échange symbolique en terme d’émetteur et de récepteur. Mais la rencontre de deux personnes ne saurait se réduire à un émetteur, un récepteur, à des codes, à des référents et à des canaux de transmission, pour Zundel, une véritable communication comporte une dimension de réciprocité, d’intériorité, d’altérité et de transcendance : la relation intersubjective. Mais celle-ci est souvent absente des modèles dominants de la communication qui réduisent la relation interpersonnelle à un transfert d’objet. L’autre n’est pas seulement un émetteur et un destinataire : en tant qu’autre, il est co-auteur de la relation, il est aussi sujet de l’acte de communication. Il coopère au sens en fonction de l’image qu’il se fait de son interlocuteur, et celle qu’il imagine que ce dernier se fait de lui-même. Il y a une réciprocité et une corrélation entre les niveaux réels, imaginaires et symboliques, qui permettent à la fois le transfert et une régulation interne entre les acteurs qui est difficile à définir simplement. Le sujet est une parole inscrite dans un corps et située dans un lieu et dans une histoire. Cette absence de la dimension du sujet était déjà dénoncée par N. Berdiaev : " La philosophie chrétienne est la philosophie du sujet, non de l’objet, du moi et non du monde, c’est une philosophie exprimant dans la connaissance la libération du sujet-homme de la domination de l’objet-nécessité. "

«Aujourd’hui G. Steiner dans Après Babel et Réelles Présences, après avoir fait le procès des philosophies de la déconstruction (structuralisme, linguistique), nous réintroduit au cœur du mystère du Logos, tel qu’il le contemple à travers le prologue de Jean. La personne est un verbe à la fois pensant, parlant et agissant mais aussi symbolique et relationnel. Mais pour approcher ce mystère, il nous invite à le vivre en nous-mêmes dans la lumière transcendante qu’il rayonne à travers tout le réel. C’est par la qualité de notre regard sur les choses et les personnes que nous pourrons dès maintenant, avec quelques artistes, entrer dans ce mystère de la communion des personnes. " Ce sont la poésie, l’art et la musique qui nous mettent le plus directement en relation avec ce qui dans l’être n’est pas nôtre.… Tout art et toute littérature commencent dans l’immanence. Mais heureusement ils ne s’arrêtent pas là. " Ils nous introduisent dans le royaume des présences où nous communions à l’Unique Présence.

La communication dans ses trois dimensions objective, subjective et interpersonnelle deviendrait alors effectivement le fait humain total, comme le propose aussi M. Serres. Ainsi l’art, la science et les relations humaines comme langage et lieu de communication, redeviennent des lieux d’émergence de l’être, où peut naître la personne si elle consent à entrer dans toute la profondeur du mystère de la communion des personnes: "Aime l’autre qui engendre en toi une troisième personne, l’esprit." Ce mystérieux tiers a quelque résonance avec le "troisième terme" dont parle Zundel.

Paradigmes déterminants de la compréhension de l’homme, la communication et la communion ne sont donc pas le tout de l’homme si elles se limitent à l’extériorité des relations humaines. À travers la désappropriation et le vide créés par l’altérité et la distance dans la relation, elles tendent à s’accomplir dans la communion des consciences dans l’Amour. "La recherche de la vérité s’achève en communion avec l’Esprit qui remplit l’Univers." Cette communion apparaît comme constituant le sujet en tant que personne par le dialogue dans un réseau de relations communautaires. L’extériorité dans la relation sociale n’est pas l’ultime avènement du sujet.

Pour Zundel, la rencontre du Dieu-intérieur est l’accomplissement du sens de la personne. Zundel suppose là un saut que tous ne peuvent faire, et qui est le saut de la foi. La relation aux autres n’est que l’extériorité d’une relation intérieure qui l’engendre et la nourrit. La relation à Dieu fonde les relations entre les hommes. On ne peut donc séparer pour Zundel, la connaissance de Dieu et la communion avec Lui de la communion entre les hommes. En élargissant le champ de la communication aux consciences qu’elle relie dans le mystère de l’unique présence, la pensée de Zundel recherche en fait à exprimer une expérience spirituelle en termes de métaphysique de la communication. Pour lui, la communication sans transcendance reste stérile, car elle ne transmet aucune présence, elle n’engendre aucune communion ; et réciproquement, la transcendance qui ne peut se communiquer reste stérile. C’est au cœur de la communication humaine que la transcendance se manifeste et dévoile le mystère de la communion des personnes. Sans morale et sans mystique, la communication peut se pervertir en manipulation de masses qui nie la réalité de la personne en la réduisant au niveau de l’individu-objet.»
(texte entier)

Voir le site de François Darbois sur Maurice Zundel

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