Ce petit combinard appelé docteur Couillard

Stéphane Stapinsky

 

Dans ses premiers films (avant sa période « réincarnationniste »), le cinéaste Claude Lelouch a souvent eu des éclairs de génie pour saisir les traits de notre époque. Dans L’Aventure, c’est l’aventure (1972), une œuvre culte (à juste titre), où brille un quintette de choc (Lino Ventura, Jacques Brel, Charles Denner, Aldo Maccione et Charles Gérard), il met les mots suivants dans la bouche de Simon (C. Denner), le « névropathe cyclique », l’«intellectuel » du groupe : « Aujourd'hui, le gagnant, ce n'est pas l'homme fort, intelligent, mais le petit, le petit combinard. Celui qui sait manier le chantage comme une Winchester, et surtout, la confusion, dans la clarté. » (1)  

 

Lino Ventura, dans une scène de L'Aventure, c'est l'aventure


Pour moi, tout est dit, et de belle façon. Durant cette campagne électorale, le docteur Couillard s’est révélé pour moi être ce « petit combinard », qui est à des années lumière de ce qu’est un véritable homme d’État.

Un point de presse hallucinant

On se rappellera un épisode qui a constitué un point tournant de la campagne puisqu’il a influé sur la teneur même du premier débat. Je fais référence ici aux menaces proférées par le politicien-docteur à l’endroit de Pauline Marois. Je me permets de citer ici un extrait du site de Radio-Canada, qui nous restitue le point de presse proprement hallucinant du chef libéral :

« Le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, n'entend pas se livrer à des attaques personnelles au débat des chefs, jeudi soir, mais il assure que si sa rivale péquiste se lance sur ce terrain, « elle va y goûter elle aussi ».
M. Couillard dit avoir « quatre ou cinq questions » à poser à Pauline Marois si elle l'attaque au sujet de l'éthique, mais refuse de préciser quelles seraient ces questions. Le chef libéral a dû se défendre à nouveau mardi concernant ses liens passés avec l'ex-directeur du Centre universitaire de santé McGill, Arthur Porter, aujourd'hui accusé de fraude. La chef péquiste est aussi revenue à la charge sur ce sujet.
« Je n'entends pas aller dans la boue avec Mme Marois. Mais je ne me laisserai pas manger la laine sur le dos », a-t-il dit en réponse à des journalistes lors d'un point de presse, à Québec, mercredi.
À savoir s'il pourrait questionner la chef du PQ sur le fameux « deal », évoqué à la commission Charbonneau, qui impliquerait le mari de Mme Marois, Claude Blanchet, et le bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ, M. Couillard a répondu « pourquoi pas, et autres sujets connexes », sans donner plus de détails. Il avait fait une affirmation semblable un peu plus tôt sur les ondes d'une station radiophonique de la Vieille Capitale. » (2)

Échange hallucinant, ai-je dit, qui révèle l’homme bien plus qu’il n’y paraît. En effet, on croirait entendre un enfant, dans un cour d’école, disant : « Si tu casses mon jouet, je vais casser le tien. » « Tu me fais cela, tu vas y goûter, je sors ma Winchester…» Il y a là en vérité quelque chose de très infantile, qui me semble bien peu digne d’une personne aspirant à la plus haute magistrature de notre pays.

(Ce côté mesquin du personnage, sa tendance à « faire payer », un chroniqueur qu’on ne peut soupçonner de « péquisme » l’avait déjà relevé à propos de son attitude dans le dossier du nouveau CHUM : « À son retour [d’Arabie Saoudite], incapable de retrouver un poste au sein du CHUM, il est allé travailler au CHU de Sherbrooke. Ce qui fait dire à des chercheurs de l'Université de Montréal que M. Couillard aurait gardé une solide rancune à l'endroit des hôpitaux montréalais qui l'avaient «snobé» après son retour au pays. D'où, disent-ils, son acharnement à «rapetisser» le projet du CHUM et à torpiller le projet d'envergure piloté par l'Université de Montréal et les grands donateurs de l'institution. » (3) Son désir de « punir » l’entraîne parfois à commettre des actions dont il ne mesure pas toutes les conséquences. Comme lorsqu’il a décidé de rendre publiques ses avoirs, afin d’être en position de force pour exiger la même chose de ses adversaires, en n’étant pas du tout conscient, semble-t-il, qu’on finirait bien par savoir qu’il avait eu un jour un compte bancaire dans un paradis fiscal. Et que la simple expression « paradis fiscal » (en dépit de la légalité de la chose) susciterait, dans les médias, tout un tollé.)

En vérité, qu’aurait pu dire contre lui Pauline Marois lors de ce débat si elle ne s’était pas autocensurée ? Rien de bien nouveau sous le soleil. Rien qui n’ait été maintes fois reproduit dans les journaux, sur internet, sur les lignes ouvertes, à savoir les mille et une « combines » de toutes sortes dont est truffée la carrière de M. Couillard, depuis ses relations avec Arthur Porter (un autre « combinard », criminel celui-là, qui ne déparerait pas un remake trash du film de Lelouch) jusqu’aux grenouillages souterrains visant à faire déguerpir Jean Charest alors premier ministre, en passant par ses péripéties fiscales et les circonstances troubles entourant son départ du cabinet libéral. On peut en lire un bon résumé dans un article de Mario Pelletier (4). Il ne s’agit pas de diffamation mais bel et bien de faits avérés. S’il emploie le mot « boue » pour les qualifier, c’est peut-être qu’il a le sentiment de patauger lui-même dans la boue. Mais pourquoi Couillard était-il à ce point terrorisé par ce qu’aurait pu dire Marois le soir du débat, au point de menacer la chef péquiste d’ouvrir de force ses propres placards? Parce que, bien sûr, l’impact de ces informations (déjà diffusées, je l’ai dit), lors d’un débat suivi par des centaines de milliers de spectateurs, aurait été bien plus grand que celui causé par des articles et des tribunes publiés ou diffusés sur une longue période de temps (et oubliés de la plupart des électeurs).

« Et surtout la confusion, dans la clarté...» 

Là encore, cette phrase de Lelouch décrit bien les agissements de Couillard, en particulier depuis son arrivée à la tête du PLQ et au cours de l’actuelle campagne électorale.

On parle souvent de ses prises de position « diverses et ondoyantes » (M. Pelletier (5)). Certains, comme Michel David, du Devoir, évoquent le manque d’habileté du chef libéral, ses maladresses (6). Est-il bien certain qu’il s’agisse de maladresses de sa part ? Je suis plutôt d’avis qu’il maîtrise avec un art consommé l’art de dire une chose et son contraire, en fonction des auditoires et des circonstances. Ce qui n’exclut pas, loin de là, qu’il ait des positions fermes, et Dieu sait qu’il en a. Mais il a l’art de noyer le poisson, de dissoudre ses véritables prises de position dans un fatras de mots qui finissent par ne plus rien dire. A lire, par exemple, sa réflexion « philosophique » sur le libéralisme (« Revenir aux sources de l’idée libérale » (7)), on serait amené à penser qu’il assume l’ensemble de la tradition libérale québécoise, des patriotes à Laurier, en passant par Taschereau, Godbout et Jean-Charles Harvey, jusqu’à Bourassa et Charest. Pourtant, là n’est pas sa vraie position, comme le rappelle pertinemment Mathieu Bock-Côté : « On a demandé à Philippe Couillard s’il assumait l’héritage de Jean Charest. Il a répondu, en bombant le torse, qu’il assumait tout l’héritage du Parti libéral. C’est manifestement faux. Philippe Couillard n’assume pas l’histoire du PLQ au moment de la Révolution tranquille. Que fait-il de l’héritage de Robert Bourassa? » (8) Mais, dans son texte, qu’on le relise, il noie tout à fait le poisson.

Autre tactique largement utilisée par le « petit combinard » : la Winchester du langage, soit la persuasion par la répétition, le bon vieux conditionnement toujours aussi efficace. En cela, il se veut un disciple d’un autre médecin célèbre, Ivan Pavlov. Le nombre de fois où, depuis l'annonce du scrutin, il a, par exemple, fait usage du mot « emploi » (création d’emplois, etc.) est proprement effarant. Dans le premier débat des chefs il l'a employé plus souvent que tous les autres concepts politiques ou économiques réunis. On peut sans exagérer dire qu’il a battu tous les records d'utilisation de ce mot magique dans une campagne électorale. « Soixante-douze mille quatre cents répétitions font une vérité », écrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Notre médecin-politicien l'a bien compris. C'est aussi par de semblables répétitions que le docteur Couillard a précisé le sens de l'expression « les vraies affaires », également utilisée en ce moment par une annonce au goût des plus douteux diffusée sur les ondes de Radio-Canada, celle du Bacon Lafleur…

Pas étonnant, avec ces stratégies sournoises, qu’il ait réussi jusqu’ici à abuser une partie importante de l’électorat. Sachons rendre à Césarion ce qui revient à Césarion : il est un maître à jeter de la confusion dans tout ce qui est clair. 

Ce fut particulièrement vrai lors de l’épisode du référendum imaginaire. Il était évident, pour tout analyste un tant soit peu objectif, qu’aucun référendum n’était envisagé (ni même envisageable) au cours du prochain mandat du PQ. Le maître de la « confusion dans la clarté » a pourtant réussi à instiller cette idée saugrenue, contraire à toute logique, dans les médias, ce qui lui a permis de retourner en sa faveur une opinion publique déjà bien frileuse. 

Autre sujet où sa propension à jeter de la poudre aux yeux est inquiétante : la question constitutionnelle. Elle ne ferait pas, selon lui, partie des « vraies affaires », mais il a, dès son premier point de presse à titre de chef du Parti libéral du Québec, «répété qu'il souhaite que le Québec adhère à la Constitution de 1982 en 2017, date «symbolique» du 150e anniversaire de la fédération canadienne. » : « (…) M. Couillard n'a toutefois pas voulu s'engager à tenir un référendum sur cette question. «Il y a également la possibilité d'approbation parlementaire, a répondu M. Couillard. Ce sera des choses dont on discutera. Ça dépendra de l'importance des enjeux soulevés.» // Le chef libéral ne veut pas s'enfoncer dans la «mécanique» et souhaite plutôt inclure «ceux qui ne sont pas de la majorité francophone qui ne se sentent pas inclus» dans la définition de la nation québécoise du Parti québécois. Il ne veut toutefois pas révéler les demandes qu'il ferait à Ottawa en échange de l'adhésion du Québec. » (9)

Qu’entend-il faire s’il est élu ? On ne le sait trop. Tantôt la question constitutionnelle est bien secondaire, selon lui, tantôt il estime qu’il faut profiter d’un conjoncture favorable dans certaines autres provinces canadiennes. Un référendum ? Pas de référendum ? On l’ignore. Encore une fois, sa manière de dire et de ne pas dire, donne à penser à l’électorat qu’il ne se passera rien. Ce qui est loin d’être certain.

Un acteur égaré sur le mauvais plateau

 Ces jours-ci, l’archevêque de Paris, évoquant la situation en France, a dit qu’« écouter les politiciens donne l’impression d’assister à une pièce dont on a déjà lu le texte » (10). On ne saurait mieux décrire la présente campagne électorale – et toute campagne électorale en fait. Pour poursuivre avec cette analogie, j’ajouterai que Philippe Couillard m’apparaît tel un acteur égaré sur le mauvais plateau.

Que les Québécois y songent à deux fois au moment de déposer leur bulletin dans l’urne. Deux qualités sont à mon sens à exiger du prochain chef de notre gouvernement : 1) la capacité à défendre nos intérêts nationaux, ce qu’on appelle les positions traditionnelles du Québec, afin de garder toutes les voies ouvertes pour l’avenir ; 2) un minimum de respectabilité, de crédibilité (pas la « pureté absolue », pas la perfection), pour réaliser les réformes de la vie politique en conformité avec les résultats de l’enquête Charbonneau.

Dans les deux cas, Phillippe Couillard échoue à l’examen. Au sujet du premier aspect, sa fixation sur l’année 2017 (veut-il donc passer à l’histoire ? a-t-il le culte des anniversaires?) pour une éventuelle réintégration du Québec dans le « giron constitutionnel canadien » (dixit Mulroney) – dans son enthousiame à lui (et dans notre déshonneur à tous), sa négation de la réalité déclinante du français dans la métropole (que tout observateur honnête qui se promène au centre-ville ne peut que constater), sa candeur, ou son apparente candeur, sur la question du bilinguisme, son refus obstiné, motivé par son adhésion idéologique au multiculturalisme canadien, d’implanter la « charte des valeurs », en font même, pour notre avenir collectif, et je pèse mes mots, un personnage dangereux. Prenons garde à ne pas commettre une bêtise.

Quant au deuxième aspect, Lysiane Gagnon rappelait qu’il existe, « dans le passé de M. Couillard des zones troubles, en tout cas des décisions pas totalement nettes » (11) J’irai même plus loin et suivrai jusqu’au bout, dans son analyse, Mario Pelletier : « jamais, que je sache, dans l’histoire du Québec, un candidat ne s’est présenté pour être premier ministre avec des antécédents aussi problématiques ». Si les Québécois devaient élire Philippe Couillard la semaine prochaine, cela voudrait dire, à mon sens, que l’examen collectif amorcé avec la mise sur pied de la Commission Charbonneau aura été accompli en pure perte.

En guise de conclusion : sus à la "Doctrine Couillard" !...

Si j’avais à résumer en une phrase l’essence du phénomène « Philippe Couillard » : un personnage trouble qui ne pourra qu’ajouter au trouble d’une conjoncture politique déjà passablement compliquée. A l’époque du régime soviétique a existé la fameuse « Doctrine Brejnev », qui consacrait l’irréversibilté, pour les démocraties dites populaires, de leur entrée dans le bloc soviétique (et justifiait, au besoin, l’intervention des blindés de Moscou). Nous avons notre doctrine à nous. C’est la « Doctrine Couillard », fondée sur les piliers idéologiques de l’ordre canadien (fédéralisme, bilinguisme et multiculturalisme), dont la mise en œuvre consacrerait l’irréversibilité de notre « intégration politique, linguistique et culturelle au reste du Canada » (12) -- j’oserais dire notre absorption, et même notre dissolution dans la réalité canadienne. Il faut nous y opposer de toutes nos forces. Sus à la "Doctrine Couillard" !...


Notes

(1) On peut revoir cette excellente comédie sur Internet :https://www.youtube.com/watch?v=3B4NG5Im0lE – pour écouter le passage auquel je réfère, placez le curseur à 1 h 03 min 40 sec.

(2) Cité sur le site suivant : http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/03/19/philippe-couillard-se-dit-pret-a-repliquer-a-marois-sur-lethique_n_4995417.html

(3) Lysiane Gagnon, « Le responsable ne répond plus », La Presse, 19 mars 2009 -- http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/lysiane-gagnon/200903/19/01-838005-le-responsable-ne-repond-plus.php

(4) Les casseroles du Dr Couillard, Vigile, 22 mars 2014 -- http://www.vigile.net/les-casseroles-du-dr-couillard

(5) Ibid.

(6) Michel David, « Entre deux maux… », Le Devoir, 1er avril 2014 -- http://www.ledevoir.com/politique/quebec/404264/entre-deux-maux

(7) « Revenir aux sources de l’idée libérale », Le Devoir, 5 décembre 2012 -- http://www.ledevoir.com/politique/quebec/365585/revenir-aux-sources-de-l-idee-liberale

(8) Mathieu Bock-Côté, Philippe Couillard: un trudeauiste à Québec, Journal de Montréal (blogue), 24 mars 2014 -- http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/politique/philippe-couillard-un-trudeauiste-a-quebec/

(9) Voir cette page : http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/national/archives/2013/03/20130319-052214.html

(10) Cité par Patrice de Plunkett sur son blogue : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2014/03/31/apres-le-scrutin-5336379.html

(11) Gagnon, op. cit.

(12) David, op. cit.




Articles récents