Histoire de la littérature grecque: Thucydide
Tandis qu'Aristophane et ses émules interprétaient à leur façon les événements de la guerre du Péloponnèse, et en ridiculisaient les acteurs, un homme d'un génie bien différent, qui avait aperçu, dès les premiers moments de la lutte, que de grandes révolutions se préparaient, et qui avait mis lui-même la main aux affaires, étudiait les causes réelles des dissensions intestines de la Grèce, et travaillait à en retracer un complet et impartial tableau, dévouant à cette grande œuvre sa fortune, son activité, et les loisirs que lui avaient faits ses concitoyens. Je veux parler de l'historien Thucydide, fils d'Olorus.
Thucydide était né à Halimunte, dème de l'Attique, en l'an 471 avant notre ère. Sa famille était une des plus riches et des plus considérables d'Athènes. Son père descendait, dit-on, d'un roi de Thrace, et sa mère était petite-fille de Miltiade le vainqueur de Marathon, ou, selon d'autres, rapportait son origine au tyran Pisistrate. Les anciens content que Thucydide, âgé d'environ quinze ans, avait assisté à une des lectures faites par Hérodote dans les assemblées publiques de la Grèce, et que, tout jeune qu'il fût encore, il avait été saisi d'admiration jusqu'à verser des larmes. C'est là , suivant quelques-uns, que s'était révélée cette vocation d'historien que Thucydide devait si bien remplir. Mais, comme vingt-cinq ans entiers se sont écoulés depuis ce jour jusqu'au temps où Thucydide, de son propre aveu, commença à recueillir les matériaux d'une histoire, et qu'à l'âge de quarante ans il n'avait encore rien écrit en ce genre, ni probablement en aucun autre, il est douteux que les applaudissements qui avaient accueilli Hérodote à Olympie aient donné, comme on le dit quelquefois, Thucydide à la Grèce. Ce qui est certain, c'est que Thucydide n'admirait que médiocrement le livre d'Hérodote. Il reproche même assez rudement au vieil historien d'avoir eu en vue le plaisir du lecteur plus que son utilité, et d'avoir sacrifié trop souvent à l'amour du merveilleux. Mais c'est ici le jugement de Thucydide homme déjà mûr, préoccupé avant tout des enseignements politiques qui doivent découler de l'histoire, et travaillant avec effort; comme il le dit lui-même, afin de léguer aux siècles à venir un monument impérissable.
Thucydide, durant les premières années de la guerre, fut chargé d'importantes fonctions. Il s'en acquitta d'abord à la satisfaction des Athéniens. Mais, en 424, n'ayant pu réussir à empêcher Brasidas de s'emparer d'Amphipolis, il fut mis en jugement, et condamné à l'exil. Cet exil dura vingt ans, depuis 423 jusqu'en 403; car l'arrêt porté contré Thucydide ne fut révoqué qu'après la fin de l'interminable guerre. C'est dans la Thrace, à Scapté Hylé, où il possédait, du chef de sa femme, des mines de métaux précieux, qu'il passa ces vingt années, suivant de l'œil toutes les fluctuations de la Fortune; se faisant rendre compte, par des agents qu'il payait, de tout ce qui se passait jour par jour dans la Grèce; méditant profondément sur les effets pour en découvrir les causes; rédigeant enfin ce livre extraordinaire, qui n'est pas une des moins admirables merveilles de la pensée antique. On croit qu'il revint se fixer à Athènes, après le rappel des exilés. Quelques-uns disent toutefois qu'il vivait, à peu près vers ce temps, à la cour d'Archélaüs; d'autres; qu'il ne quitta point la Thrace ni Scapté-Hylé. Plutarque dit formellement qu'il périt en Thrace, sous les coups d'un assassin. Mais on pourrait facilement concilier tous ces témoignages. Rien n’empêche que Thucydide, tout en profitant de l'amnistie pour rentrer à Athènes, n'ait été faire visite au roi Archélaüs, et ne soit retourné de temps en temps voir ses mines de Thrace, jusqu'au jour où il tomba victime de quelque brigand, ou peut-être de quelque ennemi personnel. Il n'est nullement besoin, parce qu'il serait mort en Thrace, de supposer qu'il soit mort au moment même où il se préparait à revenir dans sa patrie. L'opinion la plus vraisemblable, c'est qu'il mourut huit ans après le décret de rappel, c'est-à -dire en l'an 395 avant notre ère, par conséquent dans sa soixante-seizième année.
Thucydide n'a point achevé son ouvrage, puisqu'il se proposait de le conduire jusqu'à la prise du Pirée et des longues murailles, et qu'il s'est arrêté, dans son huitième et dernier livre, au milieu de la vingt et unième année de la guerre. Encore ce huitième livre n'est-il qu'une ébauche, mais où les aveugles seuls ne reconnaissent pas la main et le génie de Thucydide. Aucune partie de l'ouvrage n'avait été, ce semble, publiée par l'auteur. L'unique manuscrit qui en existât était heureusement tombé au pouvoir d'un homme en état de comprendre le prix d'un pareil trésor. Cet homme était Xénophon. Si l'anecdote est véritable, ce n'est pas un de ses moindres titres de gloire d'avoir fidèlement transmis à la postérité le legs de Thucydide.
Caractère de l'ouvrage de Thucydide
Le plan de l'ouvrage n'a pas besoin d'analyse, puisque c’est purement et simplement une narration chronologique, où les événements se succèdent avec la régularité de la succession même des saisons. C'est par étés et par hivers que compte l'historien, sans jamais se permettre, même pour plus de clarté, d'empiéter d'une année sur l'autre. Ce n'est plus, comme chez Hérodote, la poétique ordonnance d'une sorte d'épopée. Ce n'est plus Homère, c'est pourtant un poète encore. Cette assertion, qui semblera étrange peut-être, n'est que l'expression de la stricte vérité. Thucydide est poète par le fait, sinon par l'intention; et son livre est comme une grande tragédie fortement intriguée, avec des péripéties et des coups de théâtre, et dont le dénouement devait être plus terrible et plus saisissant que toutes les catastrophes de la maison d'Atrée ou de la race des Labdacides. Il connaît l'art de peindre les caractères par un mot, par un geste. Il n'a pas besoin de décrire en détail les portraits de ses héros pour les figurer à nos yeux. Il s'abstrait le plus qu'il peut de son œuvre, et il laisse parler les événements. Je me trompe, il intervient quelquefois, mais à la manière du chœur tragique, tantôt par de rapides et courtes réflexions, tantôt par de longues et magnifiques monodies. J'entends par là ces harangues qu'il met dans la bouche de ses personnages, et qui sont, non pas ce qu'ils ont dit, mais ce qu'ils ont dû dire, ce que Thucydide lui-même aurait dit à leur place. Il l'avoue ingénument; et, quand il n'en conviendrait pas, on n'aurait nulle peine à s'en convaincre. C'est là qu'il a prodigué les réflexions; c'est là qu'il a donné le commentaire moral, et, si j'ose ainsi parler, la philosophie des faits racontés. Et le style de ces harangues, qui n'a rien d'oratoire, comme le remarque Cicéron, et que des insensés pouvaient seuls, comme Cicéron le dit encore, prendre pour modèle dans la composition de véritables discours, ce style n'est pas sans quelque étrange analogie avec celui des chœurs de Sophocle et surtout d'Eschyle. C'est la même audace de tournures, la même concision elliptique, la même vigueur et souvent le même éclat d'expressions; c'est enfin la même violence faite à l'esprit du lecteur, pour le forcer à chercher, à deviner même, avant de comprendre.
La narration est en général d'une simplicité extrême, et presque d'une absolue nudité, qui ne rappelle guère à l'esprit Sophocle ni Eschyle. Mais, dès que le sujet en vaut la peine, le récit s'anime et se colore, sans rien perdre de sa gravité; le poète reparaît, et l'on entend, comme disait un ancien, jusque dans le mouvement des mots, jusque dans les sons heurtés des syllabes, le cliquetis des armes, les cris aigus des combattants, le bruit des navires qui s'entre choquent et se brisent. Et ce n'est pas seulement dans le récit des batailles que Thucydide s'élève aux proportions majestueuses de la poésie. Le spectacle des grandes calamités humaines émeut son âme, et lui arrache de pathétiques accents. Il admire les nobles actions; il rend justice à tous les talents, à toutes les vertus. La chaleur du sentiment pénètre et échauffe la diction, et lui communique je ne sais quelle indéfinissable vie, alors même que Thucydide exprime le plus simplement sa pensée. La fameuse description de la peste d'Athènes, à la fin du poème de Lucrèce, n'est qu'une traduction du récit de Thucydide; et cette copie, d'où le moraliste a disparu et où il ne reste que le naturaliste poète, ne produit pas, à beaucoup près, la terrible mais salutaire impression de l'original. Il y a, dans Thucydide, bien d'autres récits, et dans presque tous les genres, que je pourrais alléguer à l'appui de mon opinion; mais je me borne à en indiquer un seul, c'est le récit du départ de la flotte athénienne pour l'expédition de Sicile, Et quelques-uns ont assez de grâce et d'élégance pour justifier le mot des anciens: «Ici le lion a ri.»
Style de Thucydide
On se ferait, du reste, une bien fausse idée du style de Thucydide, si l'on se figurait une sorte de prose poétique, comme celle du Télémaque ou des Martyrs. Thucydide ne se sert jamais des termes de la poésie. Sa langue est celle que parlaient les hommes de son temps à Athènes. C'est le pur attique, puisé à l'endroit de la source le plus limpide. Mais l'écrivain exerce sur les mots un despotique empire: il leur fait rendre tout ce qu'ils peuvent donner de sens et d'images; il les range, non point à la place où ils se mettraient d'eux-mêmes, mais à celle que désigne la raison pittoresque: ce sont là ces hyperbates, ou interversions de l'ordre naturel des mots, que quelques-uns ont reprochées à Thucydide. Nul poète, même lyrique, n'a plus fréquemment que lui usé de cette figure. Pour Thucydide d'ailleurs, comme pour les poètes, il n'y a guère d'autre grammaire que les convenances de l'oreille et du goût. Mais ces phrases, incorrectes en apparence, ne sont pas l'œuvre d'un art moins consommé que les plus régulières périodes des écrivains qui reprochaient à Thucydide et à Hérodote de n'avoir pas su écrire. Que dis-je? elles sont l'œuvre de l'art: celles-ci ne sont que les produits de l'artifice.
Depuis la première édition de cette histoire des lettres grecques, Thucydide a trouvé en France un traducteur digne de lui. Je n'apprendrai rien à personne en disant que, grâce au dévouement de M. Zévort, Thucydide est devenu aussi facile à lire qu'il était difficile auparavant. Ce qui ajoute encore au prix de cette œuvre d'érudition et de talent, c'est l'excellent morceau de critique qui est en tête. On n'avait jamais parlé de Thucydide avec une connaissance si approfondie, ni avec une si vive admiration, ni avec cette force de raison qui est l'éloquence même. C'est à ces belles pages que je renvoie le lecteur curieux de vérifier mes assertions sur le caractère du génie de Thucydide. Toutes ces opinions, que je n'avançais qu'avec une extrême défiance, M. Zévort les a reprises en détail avec l'autorité de sa science, et leur a imprimé l'évidence absolue, incontestable, irrésistible. Je me fais un plaisir de citer ce qui a plus particulièrement trait au style et à la diction de Thucydide:
- L'absence complète de tout développement périodique, l'usage fréquent de l'ellipse, les associations insolites de mots, donnent au style une apparence lyrique qui rappelle la manière de Pindare et des tragiques. On ne peut pas dire que la lumière manque: elle jaillit, au contraire, de tant de points à la fois, qu'on est quelque temps à se reconnaître.... Quand on est assez familiarisé avec la pensée et la langue de Thucydide pour le suivre sur les escarpements où il aime à se tenir, on éprouve un plaisir analogue à celui du savant qui, maître enfin de la clef d'une science, avance désormais avec assurance, et voit se découvrir devant lui des horizons infinis. Chaque pas est pénible encore; mais la fatigue est largement payée: ce qui était obscurité au début devient énergique précision; la composition des mots, si embarrassante dans toutes les langues par le vague qu'elle introduit dans le discours en groupant les idées et en les présentant synthétiquement et par masses, ne nuit en rien, chez Thucydide, à la netteté et à l'exacte détermination des contours; elle ajoute même à la vigueur de la pensée et à l'effet général, comme ces instruments qui semblent multiplier la lumière en concentrant tous ses rayons sur un seul point. L'antithèse, dont il fait un usage trop fréquent peut-être, suivant les habitudes du temps, ne forme pas du moins disparate avec sa manière habituelle; car, saisissant les objets par leurs points culminants, les opposant pour les éclairer mutuellement, elle s'harmonise sans peine avec un style dont le procédé général est la mise en relief et comme la notation accentuée des choses. Ces oppositions, d'ailleurs, sont toujours simples, naturelles; elles naissent du sujet, sans affectation et sans recherche. Thucydide prodigue les inversions, au mépris de la logique ordinaire, souvent même de l'harmonie; il groupe les mots plutôt qu'il ne les arrange; il les jette par grandes masses, et semble les violenter pour les faire entrer dans l'exécution de son plan; comme on voit, dans une nature bouleversée, les éléments les plus divers, les rochers les plus abrupts, concourir à d'admirables effets d'ensemble. L'aspect général est heurté, sauvage, sans aucune trace d'arrangement artificiel: il n'y a rien à faire avec un pareil guide, pour le lecteur qui ne cherche que le plaisir. Mais l'effet est saisissant, l'impression durable, pour qui ne se laisse point décourager. Du choc des mots et de leur désordre apparent, la pensée jaillit pressée, grave, imposante, terrible.
Excellence morale de l'ouvrage de Thucydide
Je n'absous nullement Thucydide du reproche d'obscurité, puisque Cicéron lui-même affirme que ses harangues sont malaisées à comprendre. Mais je crois que notre ignorance et notre défaut d'application sont pour infiniment dans cette obscurité, comme dans celle de Sophocle ou d'Eschyle. Oui, pour le lire, il faut l'étudier; oui, il faut le méditer pour le comprendre. Mais quelle ample récompense d'un travail qui par lui-même n'est pas sans charme! Il en savait quelque chose, ce Démosthène qui, selon Lucien, copia huit fois de sa main l'histoire de la guerre du Péloponnèse. Ce que Démosthène cherchait dans Thucydide, ce n'étaient pas seulement les secrets de la vraie diction attique, ni même cette science des intimes rapports de l'expression et du tour de phrase avec la pensée, où nul n'a jamais surpassé Thucydide; c'était aussi, c'était surtout cette explication des affaires humaines, si sage, si sévère et si grave, dont parle Cicéron; j'ajoute, si sublime parfois, et si profonde. Les événements racontés par l'historien n'ont pas toujours en eux-mêmes un bien vif intérêt; le livre pourtant n'a pas vieilli d'un jour. C'est que l'homme, que Thucydide a si bien connu, et dont il a tracé la vivante et fidèle image, est encore aujourd'hui ce qu'il était au temps de Périclès et de Nicias, avec les mêmes vices peu s'en faut, avec les mêmes vertus. Le tableau de ses passions, de ses erreurs, de ses crimes, et la consolante peinture de sa magnanimité et de ses dévouements, n'ont pas perdu, ne perdront jamais, cet autre intérêt plus vif et plus intime qui saisit aux entrailles tout lecteur vraiment digne de se dire à lui-même le mot du poète: «Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.»
Il paraît que Thucydide s'était formé dès sa jeunesse aux études sérieuses et à la méditation, par les entretiens et les leçons du philosophe Anaxagore. C'est à cette école qu'il puisa ce mépris de la superstition, ce profond respect pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui est bon, pour tout ce qui est saint, ces doctrines spiritualistes enfin, qui l'ont fait taxer, lui aussi, d'impiété et d'athéisme par les sectateurs des faux dieux. Thucydide était d'ailleurs d'un caractère taciturne et un peu triste, mais non pas morose, ni surtout vindicatif. Il ne déclame point, comme Tacite, contre l'espèce humaine; il ne trouve point son bonheur à noircir même les scélérats. Il sait rendre, même à ses ennemis, la justice qui leur est due; et Cléon, qui avait été le principal auteur de sa disgrâce, n'est pas devenu entre ses mains quelque chose d'analogue au vil esclave, au corroyeur paphlagonien, forgé par les rancunes d'Aristophane. Thucydide ne loue pas Cléon; mais il dit ce que Cléon a fait le bien comme le mal. C'est la pratique des hommes, c'est la vie des camps, c'est le maniement des affaires, qui achevèrent l'œuvre ébauchée par le philosophe de Clazomènes, et qui préparèrent Thucydide à sa noble mission. Les sophistes ni les rhéteurs ne furent pour rien dans cette élaboration lente et continue. Plus heureux qu'Euripide et que tant d'autres, Thucydide échappa à leurs délétères influences. Après Dieu, après Anaxagore, il ne dut rien qu'à l'expérience et à lui-même.
Il n'a pas même dû recevoir, quoi qu'on en ait dit, les leçons d'Antiphon le Rhamnusien. Antiphon méritait, par ses talents et son caractère, d'exercer sur l'esprit de Thucydide l'empire qu'on lui attribue; mais c'est lui probablement dont l'éloquence subit l'influence de cette forte nature, et qui devint digne, grâce à Thucydide, des éloges que l'historien lui a décernés. L'artiste, dans Thucydide, est devenu ce qu'il est, non point à l'aide de cet art prétendu, ou, comme parlait Platon, de cette cuisine inventée ou perfectionnée par Gorgias et les siens, mais par la contemplation des antiques chefs-d’œuvre, par la lecture assidue des œuvres non moins admirables qu'avaient produites la philosophie et la poésie durant les deux générations précédentes. Thucydide est le fils, et le plus légitime à mon avis, de Parménide, d'Empédocle, de Simonide, de Pindare, surtout d'Eschyle; et l'héritage du génie n'a pas déchu entre ses mains.
Un portrait tracé par Thucydide
Je vais transcrire un court passage qui donnera une idée de cette modération d'esprit, de cette justesse d'aperçus, de cette vigueur et de cette sobriété de touche, qu'on ne saurait trop admirer dans Thucydide, et qui font de son ouvrage, par excellence, le livre des hommes d'État et des penseurs. C'est le portrait moral de ce grand Périclès, dont nous n'avons rien dit encore, mais dont nous ne tarderons pas à parler:
- Périclès, puissant par sa dignité personnelle, par la sagesse de ses conseils, et reconnu incapable entre tous de se laisser corrompre jamais à prix d'argent, contenait la multitude par le simple ascendant de sa pensée. C'était lui qui la menait, et non pas elle qui le menait lui-même; car, n'ayant pas acquis son autorité par des moyens illégitimes, il n'avait pas besoin de dire des choses agréables. Il savait, en conservant sa dignité, contredire la volonté du peuple et braver sa colère. Quand il voyait les Athéniens se livrer hors de saison à une audace arrogante, il rabattait leur fougue par ses discours, et il les frappait de terreur; tombaient-ils mal à propos dans la crainte, il relevait leur abattement, et ranimait leur audace. C'était, de nom, un gouvernement populaire: de fait, il y avait un chef, et l'on obéissait au premier de tous les citoyens.
Pour traduire cette intraduisible langue, il m'a fallu ajouter beaucoup de mots; et je n'ai pas même pu conserver la tournure ni la physionomie de la moindre des phrases, de Thucydide. Je ne garantis guère que la pensée, non pas tout entière peut-être, mais telle que je l'ai sentie; et, même ainsi nue et défigurée, elle est assez belle encore pour justifier au besoin les plus passionnés éloges.