La condition humaine serait-elle anti-démocratique?

Jacques Dufresne
La leçon que l'on peut tirer en ce qui a trait au rapport entre la démocratie et la culture est troublante.
La leçon que l'on peut tirer en ce qui a trait au rapport entre la démocratie et la culture est troublante. À Athènes, comme plus tard à Rome, la culture et la vie démocratique semblent suivre deux trajectoires opposées: pendant que la première avance vers son apogée, la seconde se dégrade. Aristophane, comme Caton à Rome, aurait voulu que les deux trajectoires coïncident.

Ce problème des rapports entre la démocratie et la culture est depuis longtemps un sujet de débat. En 1749, la question mise au concours par l'Académie de Dijon, très réputée à l'époque, était la suivante: le rétablissement des arts et des sciences a contribué à épurer les moeurs. Personne ne se souviendrait de ce concours si Jean-Jacques Rousseau n'y avait pas été couronné, pour avoir soutenu la thèse que voici: «À mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection, les moeurs se sont gâtées, nos âmes se sont corrompues. Or il en a été de même en tous les temps et en tous les lieux. Voyez l'Égypte! Voyez la Grèce (sauf Sparte, aussi célèbre pour son heureuse ignorance que la sagesse de ses lois). Voyez Rome. Jadis le temple de la Vertu, devenue le théâtre du Crime. Voyez Constantinople. Voyez la Chine, tombée sous le joug du grossier Tartare, en dépit de tant de lettrés et de savants. Sauf en un petit nombre de peuples se peut déceler et dénoncer ce parallélisme entre culture et décadence morale. [...] On apprend toutes choses à la jeunesse, excepté ses devoirs.»

Ce qui importe avant tout pour Rousseau, ce qui constitue le fondement du contrat social et la condition de sa réussite c'est la vertu au sens que ce mot avait encore pour les Athéniens qui se sont battus à Marathon.
Le débat se poursuit de nos jours et Rousseau, en dépit du fait que ses thèses semblaient déjà réactionnaires en 1749, a toujours de brillants disciples. Pascal Bruckner en est un. «C'est un pays hautement cultivé, écrit-il, l'Allemagne qui s'est rendue coupable en notre siècle de l'abomination que l'on sait, si le régime national socialiste a bien brûlé des livres dans les autodafés, il en a promu d'autres et non des moindres, il a vénéré la grande musique. Hitler aimait Wagner à la folie, et l'on faisait jouer Mozart et Beethoven, aux portes des chambres à gaz par les détenus. C'est un autre monstre totalitaire, l'URSS de Staline, qui, en dépit d'une censure féroce et d'un étouffement de la création, a permis grâce à un réseau de bibliothèques et d'éditions à bon marché, l'accès de tous aux plus beaux fleurons de la littérature universelle; c'est en URSS qu'existaient certaines des meilleures écoles de ballet et de musique au monde, d'où sortent chaque année des virtuoses hors pair.»

«Et comment oublier l'attrait, pour ne pas dire l'amour, que la fraction en principe la plus éclairée de la population, l'intelligentsia, a manifesté, des décennies durant, pour les doctrines fascistes et staliniennes.»

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