Genèse de la forme des protéines
«Des membres, partout, la croissance obéit à des lois éternelles
Et la plus rare des formes contient en secret l'archétype». [Goethe]
En remontant jusqu'aux bases chimiques, moléculaires de la vie comme nous venons de le faire, nous avons implicitement adhéré à l'approche mécaniste dominante en biologie, selon laquelle tout, dans les organismes vivants, se construit et se produit en conformité avec les lois physiques fondamentales. Ces lois, rappelons-le, excluent l'action d'un principe immatériel.
Si on est parvenu à expliquer la fabrication des protéines à partir du modèle fourni par les gènes, on est cependant encore bien loin de pouvoir expliquer la forme de chaque protéine et celle des organes dont les protéines sont les briques. On devrait normalement être en mesure de prévoir la forme d'une protéine et d'un organe par de savants calculs tenant compte, entre autres choses, des réactions chimiques en cause et de l'énergie qu'elles requièrent. Jusqu'à présent cependant, les calculs de ce genre ont été décevants puisqu'ils ont toujours abouti à la conclusion que de multiples formes étaient possibles dans chaque cas. Pourtant, chaque protéine et chaque organe a sa forme propre. Faut-il donc se résigner à admettre que c'est le hasard qui choisit chaque forme? Un éminent spécialiste anglais de ces questions de morphogenèse (genèse des formes, le mot grec morphè signifiant forme) Rupert Sheldrake a préféré mettre en question à ce propos les postulats de la biologie actuelle.
Pour expliquer la genèse des formes, il fait appel à une notion nouvelle: les champs morphogénétiques, qui sont analogues au champ magnétique.
«Les «lignes de force» dans le champ magnétique d'un aimant nous permettent d'établir une analogie; ces structures spatiales sont mises en évidence quand des particules sujettes au magnétisme telles que la limaille de fer sont introduites dans le voisinage. On peut néanmoins considérer que le champ magnétique existe même en l'absence de limaille de fer; de la même manière, le champ morphogénétique autour du germe morphogénétique existe en tant que structure spatiale en dépit du fait qu'il n'a pas encore été actualisé dans la forme finale du système. Les champs morphogénétiques diffèrent toutefois radicalement des champs électromagnétiques en ce sens que ces derniers dépendent de l'état réel du système - de la répartition et du mouvement des particules chargées - alors que les champs morphogénétiques correspondent à l'état potentiel d'un système en développement et sont déjà présents avant qu'il n'ait adopté sa forme finale».
Quant on coupe un membre de certains êtres vivants primitifs, des batraciens par exemple, ce membre reprend de lui-même sa forme originelle. On a alors l'impression qu'il existe à l'endroit de la partie amputée un moule invisible auquel les éléments physico-chimiques en cause dans la régénération du membre se conforment. Le champ morphogénétique de Sheldrake ressemble à un tel moule.
Bien qu'immatériel, le champ morphogénétique agit toujours de concert avec des éléments matériels. Son caractère immatériel nous oblige toutefois, pense Sheldrake, à le rattacher à l'acte créateur d'un Soi conscient. Puisqu'il y a continuité dans les formes des êtres vivants d'une génération à l'autre, les champs morphogénétiques doivent aussi se transmettre. Voici les précisions qu'apporte Sheldrake à ce sujet. «Mais alors que la théorie mécaniste impute la plupart des phénomènes héréditaires à l'héritage génétique rassemblé dans l'ADN, l'hypothèse de la causalité formative présume que les organismes héritent également les champs morphogénétiques d'organismes antérieurs appartenant à la même espèce. Ce second type d'héritage intervient via la résonance morphique et non via les gènes. L'hérédité inclut donc tant l'héritage génétique que la résonance morphique des formes antérieures semblables».
Sheldrake a formulé son hypothèse d'une façon telle qu'on pourra, si l'on s'en donne la peine, la réfuter ou la vérifier sur une base scientifique. Son champ morphogénétique rappelle certes les Idées platoniciennes et les formes artistotéliciennes; il n'est cependant pas pour autant une entité métaphysique qu'il faudrait exclure du champ de la science.
Parmi les précurseurs de Sheldrake sur la voie qu'il a choisie, il y a un grand biologiste anglais, d'Arcy Thomson, à qui on doit la loi de la balance qu'illustrent les dessins suivants.
Les poissons qui se font face dans ce tableau sont des espèces différentes, bien qu'ils aient conservé une forme semblable. Guidé en cela par Thomson, Sheldrake estime qu'une telle évolution ne s'explique que dans le contexte de champs morphogénétiques préexistants.