La classe politique et la caste médiatique

Jacques Dufresne
L’ex Premier ministre du Québec, monsieur Bernard Landry, aujourd’hui chef de l’opposition, a accepté de mener sa dernière campagne électorale en présence des caméras d’un cinéaste. Il en est résulté un film où, pour la première fois, les journalistes sont soumis au traitement auquel ils ont l’habitude de soumettre les élus. Pour ces derniers, le droit de réplique aux journalistes est suicidaire. Monsieur Landry a bravé cet interdit.
Les élus du peuple vont de creux historique en creux historique dans l’estime du même peuple. C’est là une situation malsaine, tout le monde en convient. Quelle femme, quel homme de qualité voudra se lancer en politique dans ces conditions? Si le film de Jean-Claude Labrecque, intitulé À hauteur d’homme, a pour effet de lancer enfin un véritable débat sur cette question, monsieur Landry, en prenant le risque de lancer la mode de la politique-vérité, aura rendu un immense service au Québec et à d’autres démocraties atteintes du même mal

Au fond de cette situation, il y a d’une part un phénomène simple et bassement politique, un rapport de force entre la caste médiatique et la classe politique, et d’autre part un phénomène complexe, à la fois psychologique, moral et social tel que les élus se résignent à penser qu’ils peuvent gouverner sans inspirer le respect et que la population se complaît dans l’illusion qu’elle n’a pas besoin de chefs qui ont de l’autorité parce qu’ils sont respectés.

Le rapport de force

La classe politique a perdu plusieurs batailles importantes, sinon décisives, dans la lutte qui l’oppose à la caste des médias. Pour une raison très simple : les partis politiques ont besoin des médias pour se faire élire. Les médias, certes, ont besoin des politiques, mais seulement pour varier leur menu, et il leur importe peu que ce soit un parti ou un autre qui soit au pouvoir, un mauvais gouvernement présentant même plus d’intérêt pour eux qu’un bon.

La concurrence entre les partis politiques pour séduire les médias est néfaste à la longue pour l’ensemble de la classe politique et à plus long terme pour chacun des partis. Le parti qui vient d’être porté au pouvoir, parce qu’il a réussi mieux que ses concurrents à séduire les journalistes, sera à son tour victime lors d’une prochaine élection de la surenchère dont il tire profit en ce moment.

Il y a aussi une concurrence entre les médias, mais loin de les affaiblir, elle nuit à la classe politique d’une autre manière, en incitant les journalistes à trouver de nouveaux moyens de piéger les élus, à pousser plus loin le sensationnalisme à leurs dépens, ce qui accroît le mépris du public pour eux et les réduit à devoir s’humilier davantage devant micros et cameras.

Du pouvoir à la gouvernance

On utilisait jadis le mot pouvoir pour désigner le pouvoir. On utilise aujourd’hui le mot gouvernance. Ce changement de mot cache un changement de philosophie. La gouvernance est un pouvoir qui valorise l’auto-organisation , l’interaction entre les groupes de pression et minimise le rôle des chefs. Chacun aura remarqué que plus personne ne parle d’élite. Les élus ne font plus partie de l’élite. Ce que les sondages confirment.

Et ils ne sont plus honorables. Le mot en tout cas a été banni. Monsieur Landry lui-même provoquerait la rigolade dans son entourage s’il voulait rétablir le vocabulaire qui avait cours quand la cote des élus était élevée. Pourtant quand il déplore dans le film qu’un Premier ministre soit traité comme le dernier venu, c’est le problème du respect dû aux élus qu’il pose.

On dit encore Votre honneur en s’adressant à un juge qui n’a pas à rendre compte de ses décisions devant le tribunal des médias. Est-ce pour cette raison qu’il est plus estimé du public que l’élu qui l’a nommé, et que les chartes de droits et les tribunaux ont préséance sur les parlements et leurs lois, dans les faits aussi bien que dans l’opinion? En ce moment, le Parlement canadien se ridiculise par un débat sur le mariage entre gais qui a déjà été tranché, de façon définitive, par les tribunaux.

Les élus semblent avoir oublié que par-delà leur personne, ils sont investis des plus hautes fonctions dans la société et qu’en tant que tels, ils sont des symboles que chacun doit respecter. Dans leur cas, le respect s’appelle l’honneur. Le respect est dû à l’être humain en tant que tel. L’honneur est attaché à un statut particulier dans la société. Le mot de Pascal sur les ducs s’applique intégralement aux députés et à tous les élus. «Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime; mais il est nécessaire que je vous salue.»

Les journalistes ne devraient pas échapper à cette règle, ils devraient au contraire donner l’exemple du respect à l’égard de ce que Pascal appelait les grandeurs d’établissement. Or, non seulement ils y échappent, mais on pourrait même penser qu’ils s’efforcent de détourner vers eux le respect dû aux élus qui sont aussi les législateurs et, quand ils sont au gouvernement, les détenteurs de l’autorité.

En attendant une plus haute inspiration dans l’ensemble de la société, il n’y a qu’un remède aux deux maux que nous venons d’évoquer : que la classe politique fasse front commun pour obtenir le respect des médias et par là celui de la population, qu’au lieu de rivaliser entre eux pour séduire les médias, donnant ainsi à leur ennemi l’avantage du terrain, ils se concertent pour lui imposer leurs conditions.

Il pourrait en résulter un ajout de quelques paragraphes au code d’éthique des élus .

Attendu que nous devons nous faire respecter en tant que symbole, quelle que soit l’importance que nous attachons à notre personne, nous nous engageons à respecter les règles suivantes dans nos rapports avec les médias :


    Que dans les grands réseaux les élus aient à leur disposition, aux bonnes heures d’écoute, un temps d’antenne équivalant à celui que les médias leur accordent à leurs conditions.

    Que, forts de ce nouveau privilège, les élus ne sollicitent jamais directement ou indirectement une entrevue. Cela les place, eux-mêmes et le gouvernement qu’ils représentent, dans un état d’infériorité par rapport aux médias.

    Qu’un élu ne soit jamais réduit à donner son opinion en quelques secondes comme n’importe quel badaud qu’on interroge dans la rue.

    Qu’un élu n’accepte jamais de prendre la parole en public dans des conditions telles qu’il s’expose en les acceptant au discrédit de l’autorité qu’il représente aussi bien que de sa personne.

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