Les collines montérégiennes
Au temps effroyablement lointain où l'humanité ne vivait encore que dans la pensée de Dieu, où notre vallée laurentienne était un bras de mer agité de tempêtes, une suite d'îlots escarpés émergeaient, comme d'immenses corbeilles de verdure, sur l'eau déserte et bleue.
Les soulèvements de l'écorce ayant chassé les eaux océanes ne laissèrent au creux de la vallée que la collection des eaux de ruissellement, et les îlots apparurent alors sur le fond uni de la plaine aluviale comme une chaîne de collines détachées, à peu près en ligne droite, en traversant toute la vallée depuis le massif alléghanien jusqu'à l'île de Montréal. Ce sont: le Mont-Royal, le Saint-Bruno, la montagne de Beloeil, Rougemont, Sainte-Thérèse, Saint-Pie, Yamaska, et d'autres encore, dont l'ensemble forme ce que les géologues, habituellement moins heureux dans leurs désignations, ont appelé “ les Montérégiennes ”. Ce nom si bien sonnant mérite de passer de la langue scientifique à la langue littéraire, si tant est qu'il y ait lieu de faire cette distinction.
Bubons volcaniques, bavures éruptives marquant une ligne de faiblesse dans l'écorce de la vieille planète, les Montérégiennes ont résisté mieux que les argilites environnantes à l'inéluctable travail d'érosion qui remodèle sans cesse la face de la terre. Elles s'élèvent maintenant au-dessus de la grande plaine laurentienne, modestes d'altitude, mais dégagées de toutes parts et commandant d'immenses horizons.
Le Mont-Royal et sa nécropole, les petits lacs clairs du Saint-Bruno, les prairies naturelles et les pinières du Rougemont, ont chacun leurs charmes particuliers, mais la montagne de Beloeil semble avoir toujours été la favorite des poètes, des artistes, et, en général, des amants de la nature.
Cirque de montagnes, plutôt que montagne unique, Beloeil cache au fond de son cratère un petit lac tranquille et vierge, et qui n'a jamais cessé de refléter tout autour de son rivage, l'ombre gracieuse des hêtrières et des bouleaux d'argent.
Du lac, qui porte le nom célèbre d'Hertel de Rouville, un sentier large et bien battu conduit à travers bois à un sommet connu depuis un temps immémorial sous le nom de Pain-de-Sucre. Le sentier serpente d'abord doucement sous les hêtres, bordé à droite et à gauche des graciles colonnettes jaspées de l'érable de montagne et des grandes fleurs rouges de la ronce odorante. Ayant franchi un petit pont croulant jeté sur une source, le chemin aborde franchement la montée, plein d'égards toutefois pour les jarrets du piéton, évitant les rampes trop fortes par d'habiles lacets, constamment sous l'abri de la futaie claire. Cette ascension totale de quelque quinze cents pieds, l'art du voyer l'a tellement camouflée que l'on reste surpris quand, après un dernier raidillon, on voit la forêt s'arrêter court, et céder le pas à une broussaille d'aubépine et de dierville, enracinée dans les fissures du basalte. Encore quelques centaines de pieds et nous sautons sur la table de roc poli qui domine tout le massif et, disons-le tout de suite, toute la plaine laurentienne.
Quel éblouissement! La montagne entière, la féerie des verts harmonisés des érables, des hêtres, des chênes et des bouleaux, et, au fond de la coupe, de l'écrin plutôt, l'opale mal taillée du lac Hertel. Sous nos yeux, comme sur la page ouverte d'un gigantesque atlas, toute une vaste portion de la Laurentie! Nous embrassons d'un regard l'entrée du lac Champlain et la bouche du Richelieu, Saint-Hyacinthe et Montréal, l'éparpillement des villages et des hameaux depuis le fleuve jusqu'à la frontière américaine!
Comme une longue et brillante écharpe oubliée en travers du paysage, le Richelieu coupe en deux toute la contrée, bouillonne un peu vers Saint-Jean, s'élargit en lac à Chambly, passe à nos pieds en coulée d'argent et s'en va, portant bateaux et ponts, mirant les arbres, les chaumières et les clochers, vers la buée indécise qui marque l'emplacement de Sorel.
De-ci de-là, de grandes toisons noires, débris de la forêt primitive. Le reste est un immense échiquier où tous les tons du vert ont leurs casiers: vert jeune des avoines retardées, vert autre des blés, vert blanchissant du trèfle en fleur, vert poussiéreux du mil en épi. Et quand les chaleurs de l'été ont passé ces tendres nuances, tous les jaunes et tous les ors: ambre des prés fauchés, or pâle des chaumes ras, or maladif des bouquets d'érable qui s'en vont tout doucement vers le pourpre et l'écarlate de l'automne.
Au milieu de tout cela les ormes, les beaux ormes chevelus, multiformes et magnifiques, faisant de grandes taches d'ombre maternelle sur les troupeaux. Et les cordons gris des routes, et la ligne inflexible du chemin de fer, venant tout droit de la métropole, à travers champs et bois, et où rampe de temps à autre, une longue chenille fumante !... Immédiatement à nos pieds, occupant les dernières pentes, se groupent les opulents vergers dont les fruits, l'automne venu, attirent sur les eaux du Richelieu, les goélettes d'en-bas de Québec. Mais c'est au printemps, lorsque les milliers de pommiers en fleur font penser une dernière fois à la neige disparue, qu'il faut venir ici, voir comme la terre sait se parer pour la saison d'universel hyménée.
De ce magnifique observatoire du Pain-de-Sucre, on ne se lasse pas de regarder la plaine, la plaine sans fin qui fuit en s'apetissant vers tous les coins de l'horizon. C'est la paix immense d'un beau pays béni de Dieu, où la terre est généreuse, le ciel clément, où l'homme ne se voit pas, mais se devine pourtant. C'est lui qui achève de ruiner cette incomparable forêt dont la terre laurentienne, aux âges de sa jeunesse, couvrait sa nudité. C'est lui qui a jeté sur la glèbe ainsi mise à nu, ce réseau de clôtures, ce filet aux larges mailles qui la tient captive. Toute cette humanité épandue qui marche dans les champs, qui gîte sous les toits, semble d'ici tranquille, silencieuse, appliquée d'après un plan préconçu et supérieur, à tisser cette immense tapisserie pastorale. Et cependant, nous savons bien - puisque nous y étions il y a un instant à peine - que les passions éternelles y grouillent et s'y heurtent, que la haine y grimace, que l'amour y chante la divine chanson échappée au naufrage de l'Éden. Oui! au cœur de ces maisons-joujoux qui rient sous le soleil, il y a toute la pullulation des sentiments et des chimères, des joies et des peines, des langueurs et des chagrins, des amours et des haines. Les bébés, nés d'hier, dorment dans les berceaux, les vieillards qui mourront demain, tremblent dans leurs fauteuils à bras; les enfants, le rire aux lèvres, explorent le pays inconnu de la vie, les jeunes gens vivent pour la joie de vivre, et demandent à vieillir; les mères besognent au grand labeur de tendresse. Au milieu de ce chaos d'âmes diverses, de ces vies montantes et descendantes, les clochers se lèvent, nombreux, dans la plaine, orientent en haut, redressent les pensées des cœurs, drainent vers la paix des sanctuaires la vie supérieure des âmes. Ah! les clochers! Qu' ils sont beaux d'ici, et symboliques! Qu'ils disent donc clair et franc, la foi splendide, la noblesse d'espérance et la grande sagesse du pays laurentien.
On resterait ici longtemps! On voudrait voir le soleil entrer, au matin, en possession de son domaine, voir la nuit venir par le même chemin et prendre sa revanche! On se reporterait facilement au temps où toute cette plaine n'était qu'une seule masse houleuse de feuillages, parcourue, le long des rivières, par des troupes de barbares nus. On verrait les chapelets de canots iroquois descendre rapidement sur l'eau morte; on verrait les beaux soldats du Roi de France, dans leurs barques pontées, monter vers le lac Champlain, couleurs déployées. Sans doute, l'endroit où nous sommes était un poste d'observation, et pris par mon rêve, j'ai presque peur, en me retournant, de trouver debout sur le rocher, quelque guerrier tatoué d'Onondaga appuyé sur son arc !..
Mais non! Tout cela est passé, sans retour, poussière et cendre! Et même une autre histoire, superposée à la première, a disparu à son tour. Dans le rocher qui nous porte, sont encore visibles de fortes fiches de fer, restes évidents d'une construction ancienne. Il y eut ici, en effet, autrefois, un pèlerinage très fréquenté, et auquel reste attaché le nom de monseigneur de Forbin-Janson, le célèbre missionnaire français qui nous appelait “ le peuple aux cœurs d'or et aux clochers d'argent! ” A cette époque déjà lointaine, les fidèles, venus de tout le pays d'alentour, montaient ici en parcourant les stations du Chemin de la Croix disséminées le long du sentier de la montagne. Sur ce sommet, ils trouvaient une chapelle et une grande croix de cent pieds de hauteur. Le pèlerinage n'est plus; la foudre a incendié la chapelle et abattu la croix, dont on peut voir quelques débris, plus menus d'année en année. Pour raconter ce passé, il ne reste que des bouts de planche calcinée, les chevilles de fer, et une belle floraison de lis tigrés, issus sans doute des bulbilles tombées des bouquets des pèlerins et qui, en juin, épanouissent leurs grandes fleurs orangées tout autour du rocher.
Mais ni le lac Hertel, ni le Pain-de-Sucre ne sont le tout de Beloeil. Sur le flanc nord de la Montagne, s'aperçoit d'en-bas une ouverture triangulaire dont la pointe est dirigée vers la terre. C'est la Grotte des Fées. De grotte il y a peu ou point, et de fées, pas davantage; deux grosses lacunes, avouons-le pour une Grotte des Fées! Mais les approches mystérieuses, hostiles, sauvages, faites, semble-t-il, pour servir de vestibule à un lieu d'horreur ou de crime, conspirent pour en créer l'illusion. Pour atteindre à la Grotte, il faut monter péniblement à travers un amoncellement de gigantesques quartiers de roche détachés de la montagne aux âges anciens, aux temps glaciaires probablement. Ces rochers, arrondis par le temps et les eaux, sont jetés les uns sur les autres, parfois dans des positions d'équilibre instable, et les quelques bouleaux livides qui y ont laissé leurs cadavres, accentuent encore la tristesse du lieu. Partout sur les rocs gris, se cramponnent, par un étroit ombilic, les larges thalles d'un étrange lichen foliacé. Revivifiés par la pluie, ou simplement par la rosée du matin, les bords relevés laissant apercevoir le noir d'encre de la face ventrale, ces singuliers et lugubres végétaux suggèrent involontairement - Dieu me pardonne! - l'idée d'une légion de vieilles semelles de bottes clouées là par quelque facétieux Crépin préhistorique.
Surplombant cet entassement titanesque, une muraille de basalte court de l'est à l'ouest, et, d'un certain point de vue, nous présente l'illusion saisissante d'un bastion avec échauguettes et meurtrières à jour. Et même, un pin mort, amputé de ses branches et planté sur les créneaux, semble attendre la bannière ou l'étendard du maître de la montagne.
Un trou noir et presque inaccessible, sous l'abri d'un gros bloc de syénite retenu dans la pince inquiétante d'une crevasse, c'est toute la Grotte des Fées. L'ascension a tenté quelques curieux, et les insuccès répétés ont beaucoup fait pour accréditer, la réputation de la grotte.
S'il faut en croire certaines gens, l'endroit serait entré dans la légende à la suite d'une assez drôlatique histoire. La remontée du Richelieu par le premier vapeur fut, on le conçoit, un événement considérable pour les riverains. Mais il paraît que l'exploit n'alla pas sans un remarquable tapage de jets de vapeur et de sifflet, puisqu'un bûcheron, qui travaillait au pied de la montagne, entendant ce bruit étrange, multiplié par la répercussion des rochers, s'enfuit en hâte vers le village en répétant partout que des fées étaient sorties de la grotte et menaçaient de détruire le pays!
De tout temps, la montagne de Beloeil a été le paradis des naturalistes de la région montréalaise, des botanistes surtout, aux époques où il y en eut. En petit nombre, amoureux, fidèles, ils viennent chaque année rendre visite aux hôtes silencieux de la montagne. Ils connaissent tous les recoins, suivent les torrents, escaladent les pentes ou dévalent dans les ravins. La sueur les inonde, les moustiques les dévorent, leurs pieds s'écorchent dans la chaussure brûlante; mais ils ne sentent rien, occupés qu'ils sont à saluer leurs silencieux amis, partout, au creux des sources, sur la mousse des rochers, aux branches des arbustes, sur le sable du lac. C'est ici qu'il faut venir cueillir les étranges sabots d'or que le Moyen Âge, poète et mystique, nommait si joliment Calceolus Marioe, sabot de la Vierge; ici qu'il faut venir voir l'ancolie balancer ses cornets écarlates sans cesse frissonnants sous la caresse passionnée des oiseaux-mouches; ici encore que l'on peut voir les clochettes bleues des campanules penchées sans peur au bord des précipices!
Le soir venu, on les voit, les naturalistes, se promener devant la gare, en marge des autres touristes, poussiéreux, piqués, fourbus, mais heureux des riches trouvailles qu'ils serrent précieusement sous le bras et des charmants tableaux qu'ils emportent au fond des yeux.
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Le lac Seigneurial de Saint-Bruno
Avril. Tout frais libéré de la salle de glace qui pesait sur lui depuis cinq mois, le lac riait hier de toute la joie de ses eaux neuves, bleues d'un bleu d'acier. Les petites vagues léchaient alertement les derniers croûtons de glace poussés sur le rivage, et qui, sur l'autel du printemps, sacrifiaient au soleil leurs âmes fugaces de cristal!
En cette saison, les bois de montagne laissent voir des lignes et des couleurs que le vrai printemps et l'été cèleront sous la prodigalité des frondaisons. Ainsi, sur les flancs du grand vase de basalte au fond duquel palpite le lac, rien ne dérobe le tapis des dépouilles de l'autre saison, laminées et polies par le poids des neiges. La souple marqueterie des feuilles mortes épouse et trahit toutes les vallécules du sous-bois, met en valeur le pied moussu des arbres et les ruines lichéneuses des souches anciennes. Sur ce fond brun, si délicatement nuancé, jaillit en gerbe l'élan gracieux des fins bouleaux qui ont des calus noirs aux aisselles. Plus haut, là-bas, quelque chose me dit que cette vaporeuse teinte grise est faite de la multitude des rameaux encore nus de l'érable.
Les grands pins noirs, les grands pins verts - ils sont l'un et l'autre - saillent dans ce soleil de mi-avril. Rien ne gêne encore leur tête immobile et crépue, qui se silhouette vivement sur ce fond de clarté, comme pétrifiée dans le temps qui passe sur elle, toujours pareil. Mais, tout à l'orgueil de verdoyer quand la vie végétale est encore repliée, cloîtrée sous la capuce du bourgeon, ils oublient, les pins, que leurs feuilles ne sont que des épines dont la pérennité est un leurre! Ils oublient qu'un à un, et se succédant les uns aux autres, les faisceaux d'aiguilles, les rigides aigrettes, s'en iront rougir sur le sol nu, quand les autres arbres feuilleront de toute leur sève accumulée, quand les érables-rois ceindront des couronnes, quand les colonnades des hêtres se feront des chapiteaux. En attendant, ils triomphent, les pins noirs, les pins verts, au cœur des familles de bouleaux, au seuil des temples sans voûte des hêtrières.
Sur la lisière de l'eau, les petits saules émettent timidement la soie beige de leurs chatons. A toutes les branches des aulnes, de longues chenilles végétales secouent dans la brise froide une abondante poussière d'or, premier festin servi par la nature aux perdrix goulues, fatiguées de l'amère pitance des bourgeons résineux.
Au travers des feuilles mortes et des cailloux, les trinitaires, toujours pressées de fleurir, relèvent leur col fin, ployé pour le sommeil hivernal; elles écartent leurs bractées pour déployer les capricieuses colorations de leurs calices: du blanc pur, du rose, du violet. Elles s'évertuent, semble-t-il, à suppléer toutes seules à l'absence des fraisiers, des violettes et des églantiers. Les abeilles qui font leur première sortie, les sont venues voir et fourragent déjà sans vergogne au fond des fleurs à peine ouvertes. Les villas sont closes; les berceaux, vides et transparents; les allées désertes. Les gazons ne verdissent pas encore, pas plus que les vignes vierges enchaînées aux sottes rocailles qui ont la prétention d'en remontrer à la nature. Le soleil joue en silence à travers le vaste parc, et les écureuils festoient sur les gros glands gonflés d'eau qui crèvent sur les pelouses.
Courez en paix, écureuils roux, sur les gazons et sur les branches ! Libres perdrix, gavez-vous du pollen emmiellé des aulnes! Abeilles besogneuses, frottez-vous les yeux pour chasser les derniers vestiges du sommeil de l'hiver, et ne laissez rien perdre du nectar des trinitaires! Là-bas, dans la ville bourdonnante, on fait des malles, on emballe des conserves et des chiffons, on graisse des roues et l'on gonfle des pneus. Bientôt les cornes sinistres vous chasseront de vos repaires, écureuils roux! les lévriers serviles troubleront vos repas, libres perdrix! la puanteur des huiles, empoisonnera les corolles de vos fleurs familières, abeilles d'or ! Et vous fuirez au loin sur les prés tranquilles quand le trèfle sera venu, ou dans les bois profonds quand le pin fleurira... et vous laisserez ici les pauvres arbres domestiqués, les pauvres fleurs rivées à la terre, et l'eau domptée, harnachée, condamnée à porter des fardeaux, à refléter des toilettes et des ombrelles !..
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Suis allé au bois !
Suis allé hier à Saint-Bruno, voir ma mie Printemps! La neige a quitté la place. La cabane à sucre est cadenassée, mais la tonne oubliée sur le traîneau, et les copeaux frais jonchant les alentours, disent encore le joyeux labeur des jours derniers.
Dans la grande lumière neuve, les fûts des hêtres ont des pâleurs de vieil argent, et de voir sans obstacle le ciel au-dessus d'eux, fait songer à quelque cathédrale de rêve laissée inachevée, à quelque temple déserté, repris par la grande vie universelle! Ce n'est partout que frissons d'ailes et bruit menu d'eau qui court entre les roches capitonnées de mousse.
Au travers des feuilles mortes, l'hépatique, partout, passe la tête. Les autres fleurs sauvages, celles de l'été et celles de l'automne, n'ont qu'une parure: l'hépatique prend toutes les teintes du ciel depuis le blanc troublant des midis lumineux jusqu'à l'azur des avant-nuits, en passant par le rose changeant des crépuscules. La nature gâte cette première-née qui va disparaître si vite, avec les vents plus chauds!
J'ai voulu gravir les pentes, parmi les fougères alanguies et les hanaps écarlates des champignons printaniers. Les mousses, gorgées d'eau, mettaient du vert nouveau sur la grisaille des rochers. Autour de moi, les jeunes hêtres gardaient encore, recroquevillées, leurs feuilles de la saison dernière, et la brise, soufflant à travers les files de petits cadavres blancs y entonnait la chanson importune des choses mortes, si triste ainsi plaquée sur la grande symphonie de la vie renaissante.
J'avais soif. J'ai blessé un bouleau merisier pour boire avec volupté à la coupe parfumée de la sève nouvelle. Et comme je m'éloignais, une vanesse, grand papillon aux ailes noires lisérées de blanc, s'est venue attabler à la lèvre de l'écorce ruisselante. D'un mouvement harmonieux, l'insecte abaissait et relevait alternativement ses grandes ailes veloutées, et parce que c'est le geste qu'il répète lorsqu'il festoie aux calices des fleurs, j'en ai conclu que, comme moi, il s'enivrait lui aussi, à la joie du renouveau.
D'avoir vu ma mie Printemps, suis revenu du bois, des fleurs plein les mains et de la jeunesse plein le cœur.