Le vague de la musique
La musique est un plaisir si passager, on le sent tellement s’échapper à mesure qu’on l’éprouve, qu’une impression mélancolique se mêle à la gaieté qu’elle cause. Mais aussi, quand elle exprime la douleur, elle fait encore naître un sentiment doux. Le cœur bat plus vite en l’écoutant; la satisfaction que cause la régularité de la mesure, en rappelant la brièveté du temps, donne le besoin d’en jouir. Il n’y a plus de vide, il n’y a plus de silence autour de vous; la vie est remplie, le sang coule rapidement; vous sentez en vous-même le mouvement que donne une existence active, et vous n’avez point à craindre, en dehors de vous, les obstacles qu’elle rencontre.
La musique double l’idée que nous avons des facultés de notre âme; quand on l’entend, on se sent capable des plus nobles efforts. C’est par elle qu’on marche à la mort avec enthousiasme; elle a l’heureuse impuissance d’exprimer aucun sentiment bas, aucun artifice, aucun mensonge. Le malheur même, dans le langage de la musique, est sans amertume, sans déchirement, sans irritation.
La musique soulève doucement le poids qu’on a presque toujours sur le cœur, quand on est capable d’affections sérieuses et profondes, ce poids qui se confond quelquefois avec le sentiment même de l’existence, tant la douleur qu’il cause est habituelle. Il semble qu’en écoutant des sons purs et délicieux, on est prêt à saisir le secret du Créateur, à pénétrer le mystère de la vie. Aucune parole ne peut exprimer cette impression, car les paroles se traînent après les impressions primitives, comme les traducteurs en prose sur les pas des poètes.
Le vague de la musique se prête à tous les mouvements de l’âme, et chacun croit retrouver dans une mélodie, comme dans l’astre pur et tranquille de la nuit, l’image de ce qu’il souhaite sur la terre."