Le refus du martyre

Louis Painchaud

Parce que le pouvoir politique, apparenté à la matière, était mauvais en soi à leurs yeux, les gnostiques estimaient vaine, sans rapport avec le salut, toute démonstration, d'approbation ou de refus devant l'autorité constituée.

Ce passage est tiré d'un article de Claudio Gianotto, intitulé : Pouvoir et salut: quelques aspects de la «théologie politique» des gnostiques et des manichéens., p. 339 à 355, faisant partie de l'ouvrage collectif présenté ailleurs dans ce document.

La polémique contre le martyre de sang est un premier exemple des conséquences concrètes du refus radical du pouvoir et des institutions politiques de la part des gnostiques. Les chrétiens de la Grande église étaient amenés, en cas de persécution, à confesser publiquement leur foi face aux représentants de l'empereur, et à accepter les conséquences de leur comportement, qui pouvaient arriver jusqu'à la mise à mort. Et le martyre, quelquefois, n'était pas simplement accepté comme la conséquence nécessaire de l'affirmation de sa propre identité religieuse, mais activement recherché. C'est que, pour les chrétiens de la Grande Église, en harmonie avec les conceptions juives, le pouvoir politique n'était pas mauvais en soi (cf. Rm 13); et ils ne pouvaient pas se soustraire à une confession publique de leur foi, parce que, dans leurs intentions, le message de salut dont ils étaient porteurs devait investir toute la société, dont les institutions politiques étaient l'expression légitime. Les gnostiques se sont opposés durement à cette attitude. Ils ont critiqué explicitement le martyre de sang comme témoignage purement extérieur, absolument inefficace pour atteindre le salut (Témoignage véritable; Héracléon); ou bien ils ont refusé l'interprétation de la mort de Jésus comme sacrifice expiatoire et l'idée d'une possible imitation de ses souffrances de la part du chrétien (1-2 Apocalypse de Jacques; Épître de Pierre à Philippe), thèmes qui constituaient les pivots de la théologie du martyre formulée par la Grande église. Le gnostique ne reconnaissait aucune autorité aux princes de ce monde; il ne se sentait obligé de rendre témoignage que devant les autorités et les puissances du monde pléromatique. Pour lui, qui était conscient, grâce à l'illumination gnostique, d'être destiné au salut en vertu de l'étincelle de lumière dont il était porteur, quelle importance pouvait avoir le témoignage public devant des autorités mondaines, pâle reflet d'une souveraineté démiurgique intrinsèquement mauvaise? Le gnostique pouvait aussi arriver à dissimuler sa propre identité et à accepter de sacrifier au génie de l'empereur, convaincu comme il était que cet acte était pour lui tout à fait indifférent ou, encore mieux, imitait le comportement du sauveur-révélateur lui-même, qui, dans son descensus absconditus dans le monde, s'était assimilé aux archontes des différents cieux pour les duper, et ne se faire reconnaître que par les gnostiques, auxquels il était envoyé.

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