La chasse union mystique avec l'animal

José Ortega y Gasset

La chasse en déployant tous les sens du chasseur le relie à l'animal qu'il poursuit.

Quand on chasse, l'air qui glisse sur la peau ou visite les poumons prend une saveur exquise, la roche acquiert une physionomie plus expressive, et la végétation devient chargée de significations. Mais tout cela est dû au fait que le chasseur, quand il marche ou s'embusque en attente, se sent lié par la terre à l'animal qu'il poursuit, que l'animal soit en vue, caché ou absent.

Celui qui n'est pas chasseur peut croire que ces mots ne sont que phraséologie, une manière de parler. Il n'en sera pas ainsi des chasseurs. Ils savent très bien que c'est littéralement vrai: que, lorsqu'ils sont sur le terrain, toute la situation gravite autour de l'union mystique avec l'animal qui permet de le sentir et de le pressentir et qui amène automatiquement le chasseur à percevoir les alentours du point de vue de la proie, sans abandonner son propre point de vue. La chose est paradoxale et semble contradictoire, mais nul ne peut la nier. Après tout, je parle d'une chose extrêmement simple: le poursuivant ne peut poursuivre la proie s'il n'intègre pas sa vision à celle de l'animal qu'il s'efforce d'atteindre. C'est donc dire que la chasse est une imitation de l'animal. Donc, nous ne comprendrons pas ce qu'est la chasse si nous la regardons comme un fait humain, et non comme un fait zoologique que l'homme se plaît à reproduire. Cette union mystique avec l'animal engendre sur-le-champ une contagion, et le chasseur commence à se comporter comme le gibier. Il se cache instinctivement pour ne pas être vu; il évite tout bruit en se déplaçant; il perçoit ce qui l'entoure du point de vue de la biche, avec la minutie qui lui est particulière. C'est ce que j'appelle être dans la nature. Ce n'est qu'en voyant cela au travers du drame qui se développe dans la chasse que nous pouvons apprécier sa richesse particulière. 1

Notes

1) p. 138-139

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